Chapitre 16 - Du bout des lèvres

Ecrit par NafissaVonTeese

Précédemment

Après avoir tout organisé dans le moindre détail, le jour était enfin venu, celui du lancement officiel de la nouvelle filiale de TranSylla dont Fama devait assurer la promotion. Elle s’était rendue au cocktail avec Ali et tout se passait comme prévu.

La soirée se déroulait dans le calme quand, accompagné d’Ali, Fama rejoignit Sylla Père, qui voulait lui présenter sa fille ainée : Alima. Celle-ci n’était pas venue seule à la soirée. Elle était accompagnée de son nouveau petit ami qu’elle tenait à présenter à son père. C’est avec choc que Fama comprit que l’amoureux en question de la fille de son patron était Seydina, son homme à elle.

***

Excusez-moi ; dit Fama d’une voix étouffée. Il faut que je…

Elle ne trouva pas les mots pour terminer sa phrase. Elle s’éloigna à reculons sous les yeux surpris de l’assistance jusqu’à se trouver à une distance qu’elle jugea raisonnable, puis elle courut vers la porte de sortie du salon. Fama avait poussé d’un coup sec la porte avant de se jeter dehors. Elle s’était accrochée à la poignée de la porte et la tirait vers elle de toutes ses forces, pour empêcher que quelqu’un la rejoigne. Ne sachant pas quoi faire, elle fit la première chose qui lui vint à l’esprit : compter. Arrivée à 20, elle s’éloigna enfin de la porte. Personne ne l’avait suivi, même pas Seydina qui avait pourtant juré l’aimer quelques jours plus tôt. Cela ne pouvait pas être possible. Si c’était une blague de Seydina, elle était de très mauvais goût, mais elle ne voulut pas y penser. Fama voulait juste quitter cet endroit, elle allait chercher à comprendre ce que se passait réellement quand ce serait fait.

 

Elle enleva ses chaussures à talons avant de se diriger vers l’entrée sud de l’hôtel par laquelle elle était arrivée avec Ali. Elle se sentit soulagée de ne trouver aucun gendarme rôdant dans le coin, à l’affut de quelqu’un à scruter et à fouiller de la tête aux pieds. Elle ne se sentait plus capable de supporter une nouvelle fouille au corps ; pas après ce qu’elle venait de voir. Fama avait presque réussi à se convaincre qu’elle pouvait tirer un trait sur Seydina. Ce qu’elle ressentait à ce moment-là la surprit quand-même. Elle savait que les larmes qu’elle essayait de retenir étaient celle d’une femme qui aimait un homme et qui n’avait jamais réussi à l’imaginer avec une autre qu’elle-même.

Elle s’en voulut à mort d’avoir cru que Seydina était différent des autres hommes. Tout ce qui se disait à Saint-Louis était bien vrai. Il n’était rien de plus qu’un courir de jupon qui passait d’une femme à une autre en un claquement de doigts. Elle avait la haine qui bouillonnait en elle, tellement qu’elle regretta de l’avoir un jour aimé. Elle s’en voulait à elle-même, à Seydina, à Ali qui l’avait obligé à être là pour voir toute cette scène. Fama en voulait à la terre entière, sauf à Alima. Elle ressentit de la peine en pensant à elle. Elle avait l’air heureuse, mais cela n’allait pas durer longtemps avant qu’elle ne se retrouve dans le même état qu’elle, trahie, déçue et dégoutée.

 

Elle se jeta sur la porte, qu’elle essaya d’ouvrir en vain. Elle y avait mis toutes ses forces, mais elle resta verrouillée. Fama laissa tomber ses chaussures par terre et essaya à nouveau avec ses deux mains, ce qui ne lui servit à rien.

 

-         Bonsoir Madame. Puis-je vous aider ?

 

Elle sursauta en entendant quelqu’un s’adresser à elle, alors qu’elle ne l’avait pas vu venir. Quand elle se retourna, un homme d’une trentaine d’années, en chemise blanche, pantalon et gilet gris, la fixait des yeux, le visage crispé.

 

-         Bien-sûr ; dit-elle. Je n’arrive pas à ouvrir cette porte.

 

-         Veuillez suivre le tapis rouge s’il vous plait…

 

Il n’eut le temps de terminer sa phrase, quand Fama l’interrompit.

 

-         Oui je sais ; cria-t-elle presque sur l’homme. Suivre le tapis rouge jusqu’aux ascenseurs. Monter au niveau 0. Suivre le tapis bleu jusqu’au hall du palais du congrès. C’est bon, je connais la chanson !

 

-         Merci d’appliquer donc la chanson Madame.

 

Elle le dévisagea, essayant de l’intimider du regard, mais il ne céda pas.

 

-         Tout va bien par ici ?

 

Quand Fama détourna enfin son regard, elle vit Salah, cachant mal son air amusé. Elle comprit vite qu’il avait suivi toute la scène et se sentit aussitôt ridicule.

-         Bien-sûr Monsieur Houda, dit Fama quand il arriva à leur hauteur.

 

Pendant qu’elle ramassait ses chaussures, Salah avait tiré de la poche intérieure de son blazer un billet, qu’il glissa dans la main de l’homme en lui serrant la main. Il avait ensuite ajouté : « merci d’avoir tenu compagnie à cette charmante dame. Je prends maintenant le relais. ».

Il avait juste fait un signe de la tête à Salah avant de s’éloigner, sans jeter un dernier regard à Fama.

 

-         Tapis rouge, ascenseur, tapis bleu ; adressa Salah à Fama, en affichant un sourire narquois. On y va ?

 

Même si cela avait pour but de détendre l’atmosphère, elle ne tomba pas dans la combine. Tout ce qu’elle voulait était de se retrouver seule, peut-être pour pouvoir enfin maudire Seydina à haute voix, peut-être pour pleurer toutes les larmes de son corps jusqu’à tomber dans les pommes pour ne plus penser à lui, mais elle avait besoin d’être seule. Par peur de se montrer malpolie envers son éventuel premier gros client, elle le suivit sans broncher.

Aucun des deux n’avait prononcé le moindre mot jusqu’à ce qu’ils se retrouvent sur le  hall du palais du congrès, avec un gendarme qui se mit debout en les voyant s’avancer vers lui. Salah s’était arrêté d’un coup, et comme s’il avait lu dans les pensées de Fama, il dit :

 

-         C’est moi ou la sécurité est devenue une obsession dans ce pays ?

 

Elle avait esquissé un léger sourire en guise de réponse affirmative. Sa tenue et ses gestes nonchalants avaient laissé comprendre à Salah qu’elle n’avait aucunement envie de le suivre, mais avait accepté juste pour ne pas le vexer, lui, son probable premier client. Fama ne laissait pas indifférent le jeune homme. C’est ce qu’il lui avait subtilement laissé entendre dès qu’elle l’avait abordé pour lui demander si sa soirée se passait bien. Fama n’avait cessé de s’en rendre compte, durant toute leur discussion, quelques minutes plus tôt, avant que Ali ne les interrompe. Salah avait tout essayé pour maintenir l’attention que sur lui. Qu’est-ce qu’il voulait ? Elle n’en avait encore aucune idée et n’avait d’ailleurs aucune envie de le découvrir. Toutes ses pensées étaient occupées par l’image de Alima présentant Seydina comme son petit ami, « l’homme de sa vie ».

 

« Enfoirée » avait-elle murmuré, avant d’être tirée de ses pensées par la main de Salah qui caressa sa joue. Ses yeux quittèrent le vide pour croiser ceux de cet homme fortement charismatique mais un peu trop collant à son goût.

 

-         Tout va bien ? avait-il demandé, visiblement soucieux de l’air perdu qu’affichait Fama.

 

-         Oui ; dit-elle précipitamment, espérant ainsi le tromper, mais il ne marcha pas si facilement qu’elle l’espérait.

 

-         C’est donc une larme de joie que je vois là sur ton si joli visage ?

 

Fama recula violemment avant de se retourner pour passer le dos de sa main droite sur son visage. La colère qu’elle ressentait contre Seydina et encore plus contre elle-même, avait laissé place à de l’amertume, si vite, qu’elle ne s’était même pas rendue compte qu’elle était en train de pleurer.

« Pauvre idiote » se dit-elle, en comprenant qu’elle avait pleuré devant le « premier gros client ». Qu’allait-il penser de lui ? Qu’elle était folle ? Qui confirait du travail à une folle ?

 

- Qu’est-ce qui ne va pas Fama ? insista-t-il en l’obligeant de se retourner pour lui faire face. C’est à cause de cet homme ? Seydina, je crois ? Et ne me dis pas non. Il ne faut pas être très intelligent pour comprendre que tu as littéralement pris la fuite quand il s’est dirigé vers toi.

 

« Seydina ? Il le connait ? »

 

Rien qu’à entendre son prénom, son cœur se serra encore plus. Pour fuir son regard, elle jeta un coup d’œil au gendarme qui n’avait raté aucune mienne de toute la scène. Elle sentait qu’elle était sur le point de craquer. Il fallait qu’elle se ressaisie, et très vite, avant de tomber encore plus bas, en fondant en larme.

 

-         Veuillez m’excuser Monsieur Houda. Je suis sincèrement désolée.

 

-         Il n’y a vraiment pas de quoi. Moi aussi les soirées comme ça, longues et ennuyeuses, me dépriment.

 

Sa tentative de la faire sourire n’eut pas le résultat escompté, mais il ne lâcha pas l’affaire.

 

-         J’avais pensé à un tour sur le terrain de golf qui est à moins de 50 mètres, mais mademoiselle risque d’attraper fois avec la brise de l’océan atlantique qui frappe ces lieux. J’ai une bien meilleure idée.

 

Salah prit Fama par la main avant de retourner sur ses pas. Ils avaient à nouveau traversé le long couloir au tapis bleu qui menait aux ascenseurs.

 

Fama pensait qu’ils rejoignaient le salon Brun, ce qu’elle redoutait, car savait que n’importe qui, allait facilement deviner qu’elle avait pleuré. Elle n’osa s’opposer. Le « probable premier client » ne devait en aucun cas se sentir frustré. Après la scène de la « dépressive », elle devait bien se tenir pour ne pas le faire fuir.

 

A sa grande surprise, Salah, aussitôt après avoir quitté l’ascenseur, se dirigea vers un autre, à pas sereins, en entrainant Fama. Il ne disait plus rien, et tant mieux pour elle, qui n’allait pas avoir besoin de répondre, même si une question lui brulait les lèvres : où allaient-ils ?

 

Elle avait l’impression qu’ils s’étaient élancés dans un labyrinthe à force d’emprunter des couloirs et des salles aux portes grandes ouvertes, jusqu’à arriver devant un grand espace ouvert, où au bond milieu, était érigé un baobab. Quand ils contournèrent ce dernier, Fama crut s’être retrouvée dans un mini centre commercial afro, si bien éclairé qu’elle ne fit plus la différence entre le jour et la nuit. Une femme qui portait la même tenue que l’homme sur qui elle avait crié dessus quelques instants plus tôt, s’arrêta devant eux, avec un grand sourire aux lèvres.

 

-         Bonsoir Monsieur Houda. Vous passez un bon séjour chez nous j’espère.

 

-         Excellent, comme d’habitude ; répondit-il avec un sourire semblable à celui de la dame.

 

-         J’en suis ravie.

 

Elle avait jeté un bref regard aux mains de Salah et Fama qui étaient restées cramponnées l’une à l’autre, avant de lancer un sourire à l’encontre Fama.

 

- Excellente fin soirée ; dit-elle avant de s’éclipser.

 

Salah reprit aussitôt sa route et s’arrêta devant un homme d’une cinquantaine d’années, debout derrière un magnifique comptoir en bois d’ébène.

 

-         Bonsoir Sidy. Pourriez-vous me monter un dîner pour deux dans ma chambre ?

 

-         Bien-sûr Monsieur Houda. Comme d’habitude ?

 

-         Comme d’habitude ; répondit-il avec un clin d’œil.

 

Fama elle, le suivait comme un automate, quittant deux à trois secondes ses idées noires à l’encontre de Seydina pour prêter une petite attention au luxe qui l’entourait, avant d’y sombrer de plus bel. Sa douleur avait laissé place à un désir de vengeance. Contre Seydina qui jurait l’aimer quelques jours plus tôt ? Contre Alima, qu’elle ne connaissait pas, mais qui lui avait pris son homme ? Contre les deux, et ce prétentieux Ali qui lui pourrissait la vie, conclut-elle après avoir quitté un autre ascenseur bien plus spacieux que les précédents, et qui s’actionnait à l’aide carte magnétique, que Salah avait à la main.

 

« Chambre ? » C’est ce qu’il avait bien dit au monsieur à la réception. Fama comprit enfin où elle se trouvait. Elle était à l’hôtel, sur le point de rejoindre la chambre de cet homme qu’elle venait tout juste de rencontrer. Elle le regarda passer à nouveau sa carte sur une porte, ce qui l’ouvrit automatiquement. Fama réfléchit vite. Elle avait deux options : prendre ses jambes à son coup et envoyer paître Salah qui, comme tous les étrangers, pensait que les sénégalaises étaient des filles faciles, ou jouer le jeu et espérer que cela arrive aux oreilles de Seydina, comme apparemment ils se connaissaient. La seconde lui procura un peu de plaisir. Même si elle ne le reconnaissait plus, Fama savait que Seydina était si macho qu’il allait s’arracher les cheveux en s’imaginant qu’elle pouvait elle aussi passer, vite à un autre homme. Il lui avait fait mal ; elle allait utiliser les mêmes armes pour lui faire du mal à lui aussi.  Elle suivit les pas de Salah en se disant qu’elle n’avait qu’à profiter du dîner « comme d’habitude », puis lui sortir une excuse bidon avant de s’éclipser.

 

-         Bienvenue chez moi ; dit Salah avant d’ajouter : mais fais comme chez toi.

 

Il s’était dirigé vers une porte laissée entre-ouverte qu’il franchit sans dire un mot de plus. Fama parcourut la pièce des yeux. Il y avait devant elle un salon en daim couleur ocre, qui se mariait parfaitement avec une table à manger et ses chaises assorties qui se trouvaient à l’autre bout de la pièce.

 

« Chambre d’hôtel ou maison d’hôtel ? » se demanda Fama, qui se dit très vite que la vie des hommes riches était décidément très loin des réalités de sa vie sans luxe ni extravagances inutiles. Une peinture accrochée au mur, qui lui rappela les dessins de ses petits frères durant leurs années jardins d’enfant, attira son attention. Elle s’en approcha afin de la voir de plus près.

 

-         Désolé mais il n’y a que de l’eau minérale et des barres chocolatées dans le frigo-bar ; dit Salah en réapparaissant avec une petite bouteille d’eau  la main.

 

-         Merci Monsieur Houda, dit enfin Fama en lui jetant un regard timide.

 

Il posa la bouteille sur la table basse du mini salon puis rejoignit Fama après lui avoir demandé de le tutoyer et de l’appeler Salah, si elle ne voulait pas qu’il fasse de même avec elle. Elle accepta sans aucune objection.

 

Du bout des lèvres