Chapitre 15 : Retour sur mes pas
Ecrit par Auby88
Devant un lieu très important pour moi, je me trouve. Sur le point de faire ce que je n'ai pas osé depuis dix ans.
Je pousse la vieille porte rouillée par endroits et j'entre à l'intérieur. Nostalgie. Remords. Angoisse. Espoir … Tant et tant d'émotions qui se bousculent en moi.
Doucement, les pieds chancelant presque, je longe la cour pleine de cailloux, bordée d'arbres mais vide d'âmes humaines. Je continue devant et j'aperçois une grande dépendance. Une jeune religieuse s'y trouve avec quelques enfants. Je m'approche d'elle, la salue et lui fait ma requête.
- Venez mademoiselle, je vous conduis auprès de la directrice de l'orphelinat. Elle saura mieux vous aider.
Je la remercie et la suis. Nous empruntons un long couloir près de la dépendance et nous nous retrouvons devant le bureau de la directrice. Elle frappe. Devant moi, je vois apparaître une femme d'une quarantaine d'années par là qui nous salue. L'autre religieuse m'introduit puis me laisse avec la directrice...
- Ainsi, mademoiselle IDOSSOU, vous êtes à la recherche de votre fille que vous avez abandonnée, dix ans auparavant, devant le portail de notre orphelinat ?
- C'est exact, ma soeur. A l'époque, j'avais 17 ans à peine et je ne pouvais pas m'occuper d'elle.
- Je vois. Mais pourquoi revenez-vous ici après autant d'années ? Pourquoi maintenant et pas avant ?
Elle me pose une question à laquelle je n'ai moi-même pas vraiment de réponse.
- Je ne saurais vraiment vous l'expliquer. Tout ce dont je suis sûre, c'est que je veux revoir ma fille.
En parlant, j'ai les yeux pleins de larmes.
- Ma fille, je comprends votre peine. Mais après tant d'années, il sera vraiment difficile de la retrouver. Seul un miracle pourra vous aider.
- Je vois, dis-je faiblement.
- En réalité, je n'étais pas encore ici à cette époque. Quant à nos archives de cette année-là, ne comptez pas là-dessus. Tout a été détruit il y a quelques années, lors d'un incendie.
Je soupire longuement.
- Par contre, l'ancienne directrice saura peut-être vous aider. Elle est ici depuis plus de dix ans. Vous la trouverez dans le pavillon à l'arrière de la maison. Venez, je vous y conduis.
- Merci beaucoup, dis-je avec une lueur d'espoir dans les yeux.
Je me lève prestement et la suis jusqu'à l'arrière-cour. L'ancienne directrice est là avec quelques enfants, occupée à couper des feuilles de citronnelle. Nous nous approchons d'elle. Je me présente brièvement et lui raconte la raison de ma visite...
A présent, nous sommes toutes deux assises sur un banc.
- Ma fille, je suis bien vieille maintenant et ma mémoire me joue des tours. Il y a beaucoup de bébés filles que nous avons reçu à cette époque-là. Je ne saurais me rappeler laquelle était la vôtre.
Je lui mentionne un détail.
- La mienne portait dans ses vêtements un bout de papier, sur lequel j'ai écrit quelques mots.
Elle fixe longtemps un point imaginaire.
- Je ne m'en souviens pas.
- J'y ai aussi laissé mon nom, celui que je portais à l'époque : Mélanie DALI.
Elle ouvre grand les yeux.
- C'était donc vous !
Je hoche la tête, heureuse qu'elle s'en souvienne.
- Je me le rappelle bien. C'était une jeune religieuse qui avait retrouvé l'enfant, une nuit devant le portail. Elle m'a fait part de cette note signée. Nous étions toutes étonnées qu'une mère vienne abandonner un enfant, en laissant son identité. C'était la première fois que nous étions confrontées à un pareil cas. Nous ne savions pas quoi faire : laisser adopter l'enfant ou la garder avec nous dans l'espoir que vous reviendrez très bientôt. Ce que vous n'avez pas fait.
Je baisse la tête, toute honteuse.
- Deux mois plus tard, nous avons accepté de faire adopter légalement votre fille par un jeune couple qui était tombé sous son charme, le lendemain de son arrivée chez nous.
- Je regrette vraiment n'être pas venue plus tôt. Vous souvenez-vous de l'identité de ce couple ?
- Je ne m'en souviens pas. Je m'efforce à chaque fois de ne pas mémoriser leurs noms, car en général nous ne sommes pas autorisées à réveler l'identité des familles adoptives.
- Faites une exception pour moi.
Je prends ses mains.
- Je le voudrais bien, mais je ne me rappelle de rien les concernant.
- Faites un effort, s'il vous plaît !
A nouveau, elle se concentre.
- Je ne m'en rappelle vraiment pas.
Je lâche ses mains. Je n'insiste plus, de peur d'irriter cette vieille femme à la mémoire trop "rebelle".
- Merci quand même de m'avoir écoutée. Je ne prendrai pas davantage votre temps, dis-je en me levant.
- Que Dieu vous bénisse, ma fille !
Timidement, je lui réponds :
- Amen, ma mère.
J'avance de quelques pas à peine quand elle me rappelle. Je me hâte de revenir vers elle.
- Il y a une personne qui pourrait vous aider.
- Qui ? m'enquiers-je.
- La jeune religieuse qui avait trouvé l'enfant. Elle s'était beaucoup liée d'affection pour la petite et avait eu du mal à la laisser partir. Je suis sûre qu'elle se souviendra de quelque chose.
Je soupire, quelque peu rassurée. J'étais déjà désespérée.
- Je l'espère vraiment. Savez-vous où je peux la trouver ?
- Non. Cela fait 5 années qu'elle a quitté l'orphelinat. Mais je pourrai me renseigner sur elle auprès d'autres religieuses.
- Alors, je vous laisse ma carte de visite. Vous pourrez m'appeler sur l'un de ces numéros. Infiniment merci à vous !
Elle me sourit. Je l'imite juste, puis je vais dire aurevoir à la directrice. Avant de partir, je signe un chèque de quelques centaines de mille francs CFA à la directrice. Elle tend à refuser mon don, mais j'insiste.
- C'est ma participation aux charges de l'orphelinat.
Elle finit par accepter.
- Merci, ma fille.
- Ne me remerciez surtout pas. Je le fais avec grand plaisir.
- Je dois avouer que nous avons besoin d'argent pour mieux nous occuper des enfants qui sont de plus en plus nombreux et rénover les lieux. Votre geste vient vraiment à point nommé.
- Je promets de faire de mon mieux pour vous aider autant que possible. Je connais aussi des personnes de bonne volonté qui n'hésiteront pas à en faire autant.
- Que Dieu vous bénisse ! Vous êtes une très belle personne.
Je hoche juste la tête, pas trop convaincue. Je prends congé d'elle et je longe le long couloir pour me retrouver au point de départ. La jeune nonne que j'ai rencontrée premièrement est encore là, avec quatre enfants. Elle semble occuper à discuter avec eux, tandis qu'ils lui sourient.
Je leur dis aurevoir, tout en scrutant ces petits orphelins devant moi. Ils doivent avoir entre 3 et 5 ans. Je suppose que s'ils sont encore là, c'est parce que personne ne veut d'eux, personne ne veut les adopter…
Tandis que je rejoins le portail, je cogite sur ces quatre gamins.
Des âmes innocentes vilement abandonnées, dans notre cruel monde, par des mères comme moi qui ont dû fait des choix égoïstes au final. Jamais, on ne devrait abandonner volontairement un enfant, chair de sa chair, qu'on a porté neuf mois dans son ventre et qu'on a souffert pour mettre au monde.
Marthe, Jean, Barthélémy et Anne. C'étaient les prénoms des quatre enfants devant mes yeux. Des prénoms que les religieuses leur ont sûrement donné. Des prénoms qu'ils porteront toute leur vie, sans jamais connaître leurs origines.
Je soupire en pensant à Maéva. Je me demande bien comment elle s'appelle à présent. Rose, Marie, Ruth, Chantal, Isabelle ….
Je n'en ai aucune idée. Si seulement ! Si seulement je n'avais pas connu Charles ! Si seulement je ne l'avais autant aimé ! Si seulement je n'avais pas couché imprudemment avec lui ! Si seulement !
Sans Charles dans ma vie, tout aurait été bien différent. Je n'aurais pas eu Maéva. Je n'aurais pas eu à l'abandonner. Je n'aurais pas eu à la perdre...
"Charles, je me dois de t'oublier, je me dois de te haïr. Je ne peux pas continuer à t'aimer, pas après tout le mal que tu m'as fait ! Tu ne le mérites vraiment pas !"
Vers le ciel, je lève les yeux. Au bord des larmes, je suis.
"Mon Dieu ! Pardonnez-moi, je vous en prie. Aidez-moi à retrouver ma fille. Aidez-moi à sortir Charles de mon coeur. Délivrez-moi de cet amour malsain. Je vous en supplie !"