Chapitre 16 : Déjeuner chez les da SILVA
Ecrit par Auby88
Judith da SILVA.
Assise sur une chaise, près du lit de Sibelle, je m'apprête à lui lire son conte préféré : "Le vilain petit canard" écrit par un certain Andersen. Elle adore vraiment écouter l'histoire de ce petit cygne couvé par erreur par une cane et qui, à cause de sa différence, sera rejeté par son entourage. Il finira cependant après un long périple à devenir un beau cygne et se rendre compte qu'il n'a jamais été un vilain petit canard.
"Que la campagne était belle ! On était au milieu de l’été ; les blés agitaient des épis d’un jaune magnifique, l’avoine était verte, et dans les prairies le foin s’élevait en monceaux odorants ; la cigogne se promenait sur ses longues jambes rouges, en bavardant de l’égyptien, langue qu’elle avait apprise de madame sa mère. Autour des champs et des prairies s’étendaient de grandes forêts coupées de lacs profonds (…)."
A peine ai-je lu le premier chapitre, que je la retrouve endormie. Un sourire apparaît à la commissure de mes lèvres. Tout à l'heure encore, elle m'a dit "Je t'aime, maman". Et comme à chaque fois, j'ai été profondément émue.
Pour une femme comme moi, qui n'a pas eu la chance de porter un bébé en son sein, entendre un enfant m'appeler "maman" me procure une joie indescriptible. Je me sens fière, je me sens reine, je me sens aimée, je me sens "mère".
Chaque fois que je regarde Sibelle, je ressens la même émotion que décrit Martina McBride dans sa chanson.
"Dans les yeux de ma fille, je suis une héroïne.
Je suis forte et sage et je ne connais pas la peur.
Mais la vérité est facile à voir.
Elle a été envoyée pour me sauver.
Je vois qui je veux être, dans les yeux de ma fille. (…)
Ce miracle que Dieu m'a donné
Me donne Force quand je suis faible.
Je trouve des raisons de croire
Dans les yeux de ma fille.
Et quand elle enroule sa main
Autour de mon doigt
Oh, cela met un sourire dans mon coeur.
Tout devient un peu plus clair.
Je réalise ce qu'est la vie. (…)
Dans les yeux de ma fille, je peux voir l'avenir, Un reflet de qui je suis et de qui je serai.
Même si elle grandira et partira un jour
Peut-être fonder une famille.
Lorsque je serai partie, j'espère que vous verrez combien elle m'a rendue heureuse.
Parce que je serai là, Dans les yeux de ma fille.
Martina Mc Bride, In my daughter's eyes (Dans les yeux de ma fille)"
Tout doucement, je murmure son prénom sur mes lèvres.
- Sibelle !
Je me souviens de la première fois où Arnaud et moi l'avions vue à l'orphelinat Sainte Hedwige de Silésie, nom donné en hommage à cette patronne des orphelins.
Toute petite, Sibelle était, enveloppée dans un joli drap rose. Dès l'instant où je l'ai vue, j'ai ressenti plein d'amour pour ce bébé, arrivé là la veille. J'ai approché mon doigt du sien et elle l'a saisi. Moment magique. J'ai su que nous étions connectées et que nous le resterions pour la vie. Ce jour-là, j'aurais voulu l'emmener avec moi mais la directrice de l'orphelinat était quelque peu réticente. Elle m'a expliqué qu'il était possible que la mère revienne très prochainement reprendre sa fille.
J'étais très peinée, car c'était ce bébé-là que je voulais. C'était pour elle que mon cœur battait. Sur l'épaule d'Arnaud, je me suis laissée consoler. Il m'a suggéré qu'on choisisse une autre petite fille, mais je lui ai dit que c'est celle-là que je voulais. J'étais prête à attendre. Chaque jour, je passais mon temps à contempler la photo que nous avions prise d'elle ce jour-là. Elle repose aujourd'hui dans le grand album-photo de Sibelle.
Mon attente a finalement payé, nous avons pu l'adopter légalement. Nous lui avons donné le prénom Sibelle, tellement elle était belle. En l'emmenant de l'orphelinat, j'ai également reçu une note signée de sa mère, que j'ai cachée au fond de mon armoire. Arnaud n'en sait rien. Je préfère qu'il ne sache jamais qui est la mère biologique de Sibelle. Quant à moi, toute ma vie, je garderai en mémoire le nom de cette femme : Mélanie DALI.
J'espère, je prie Dieu que jamais cette femme ne revienne dans nos vies. De toute manière, personne ne pourra m'enlever Sibelle. Elle est ma fille aux yeux de la loi et le restera toute sa vie. Je me battrai bec et ongles, s'il le faut, pour la garder près de moi.
Longuement, je soupire pour éloigner toutes ces pensées de mon esprit. Puis, je regarde ma fille une dernière fois, lui dépose un bisou sur le front et la couvre. J'allume la petite veilleuse sur sa table de nuit puis je sors de sa chambre rejoindre mon mari au salon.
- Elle dort déjà ?
- Oui, Arnaud. J'ai à peine lu un paragraphe de l'histoire qu'elle s'est endormie.
Il sourit.
- Elle s'est sûrement beaucoup fatiguée dans la journée, d'autant plus qu'elle déteste faire la sieste. Il faudra qu'on l'y oblige un peu plus.
- Je crois bien que oui. Parce que ces temps-ci, elle est un peu trop fatiguée.
- Il faudra peut-être qu'elle aille faire un contrôle chez son pédiatre, pour s'assurer que tout va bien. Elle a le Certificat d'Etude Primaire à passer et elle se doit de rester en bonne santé.
- Tu as raison. Nous irons voir le pédiatre demain dans l'après-midi, étant donné que maître IDOSSOU déjeune avec nous à midi. Et je doute fort que ta fille veuille rater cela, d'autant plus que l'avocate semble assez occupée ces jours-ci.
- Tu as totalement raison. Sibelle serait capable de nous bouder tout un mois si nous annulons.
Nous rions aux éclats.
- Et ta journée ? S'est-elle bien passée ?
- Oh ! répond-il en haussant les épaules. C'est la même routine habituelle, mais je ne me plains pas trop, parce que j'aime mon travail. Et puis, chaque midi, j'ai droit à un succulent repas ici fait avec amour et accompagné de délicieux baisers. Tu vois, au final, je suis comblé.
Je ne peux m'empêcher de rire.
- Judith, tu me rends fou quand tu ris ainsi.
- Arrête Arnaud, dis-je en souriant.
Dans le cou, il vient me déposer un bisou.
- Et cette odeur de rose sur toi m'enivre davantage.
- Arnaud, voyons ! dis-je toute intimidée. Nous sommes au salon.
- Et alors ? T'as pas à être si pudique, Judith. Nous sommes adultes.
- Certes, mais nous avons une fille qui dort à côté.
- Elle dort ! me murmure-t-il à l'oreille.
- J'accepte de jouer à des jeux coquins avec toi, mais à condition que ce soit dans notre chambre et nulle part ailleurs.
Il secoue la tête.
- Sacrée Judith !
Je souris et me lève, lui tendant une main qu'il s'empresse de saisir. Main dans la main, nous montons en haut, en prenant soin de refermer la porte derrière nous...
Le lendemain.
Dans la salle à manger, je suis actuellement avec Afi. Nous sommes occupées à dresser la table pour le repas de midi. Au menu, un gratin dauphinois accompagné de viande de bœuf. Le dessert, quant à lui, est une salade de fruits que j'ai gardée au frais.
Maître IDOSSOU, Sibelle et mon mari sont au salon occupés à discuter. J'entends leurs voix qui parviennent à mes oreilles. Dès que je finis, je vais les rejoindre au salon.
En me voyant venir, la demoiselle se lève et me tend une main que je serre avec grand plaisir. Elle semble bien différente de la jeune femme arrogante, aguicheuse et prétentieuse que j'ai vue à la fête d'anniversaire de Sibelle, même si je trouve sa robe quelque peu décolletée. Et le regard qu'elle pose sur moi actuellement est bien différent qu'avant. Je n'y vois aucun mépris, aucun jugement.
- Maître IDOSSOU, c'est un plaisir de vous recevoir à nouveau chez nous, dis-je en affichant mon plus beau sourire.
- Appelez-moi Margareth.
J'acquiesce de la tête.
- Je suis ravie d'être ici, madame da SILVA.
- Judith sonne beaucoup mieux, vous ne trouvez-pas ? réplique-je avec le sourire encore sur mes lèvres.
- Vous avez entièrement raison, Judith.
Arnaud et Sibelle éclatent de rire. J'en fais autant, mais pas Margareth qui semble avoir du mal à sourire. Bizarre !
- Je vous informe qu'un gratin dauphinois au boeuf ainsi qu'une salade de fruits vous attendent impatiemment à côté.
Sibelle se lèche déjà les papilles. Arnaud se lève aussitôt. Margareth aussi. Nous nous rendons tous dans la salle à manger …
Quelques minutes plus tard.
- Votre repas était un pur délice, Judith. C'était tellement bon que j'ai mangé plus que d'habitude.
- Merci Margareth.
- Moi, je me suis bien regalée, ajoute Sibelle en caressant son ventre.
- Ma femme a toujours su nous faire manger avec grand appétit, raison pour laquelle je viens chaque fois déjeuner ici pendant ma pause de midi.
- Je suis vraiment honorée que cela ait plu à tous.
J'appelle Afi qui vient aider à ôter les couverts. Nous regagnons le salon.
De tout et de rien, nous parlons avec notre invitée. J'en apprends beaucoup sur ce qu'elle fait. Elle semble plus intéressée par la défense des droits des femmes et des enfants. Récemment, elle a réussi à faire inculper un homme qui battait sa femme et à lui faire payer des indemnités à cette dernière. La dame a également pu reprendre la garde de ses enfants et commencer une activité rémunératrice. Au final, je me suis trompée sur Margareth. Elle n'est pas si mauvaise que ça.
- Je n'arrive pas à croire qu'il y a encore des sous-hommes capables de maltraiter leur moitié ainsi ! s'exclame Arnaud.
- Tous les hommes ne pensent pas comme vous, Arnaud ! réplique Margareth.
- Et c'est bien dommage, Margareth !
- En effet, Judith.
- Mais dites, vous n'avez pas peur que quelqu'un que vous avez contribué à enfermer, veuille se venger de vous ?
- Non, Arnaud. Parce que rendre justice est ma raison d'être. Peu importe si je dois mourir pour cela. Quoi qu'il en soit, à part quelques légères menaces et tentatives de corruption ou intimidation, je n'ai rien dont me plaindre réellement.
- Vous êtes vraiment une dame de fer !
- C'est d'ailleurs ainsi qu'on me surnomme dans ma profession.
- Ce n'est pas pour rien que je veux lui ressembler ! intervient Sibelle.
Dans ses cheveux, je passe une main.
- Oui, ma chérie. Mais pour cela, il te faudra d'abord bien travailler pour réussir à ton examen.
- Ta mère a raison ! renchérit Margareth.
Sibelle hoche la tête. Arnaud poursuit la discussion dans un autre sens.
- Margareth, je ne voudrais pas paraître indiscret mais je me demande pourquoi une femme comme vous n'est ni mariée, ni engagée et n'a pas d'enfant.
Sacré Arnaud ! me dis-je intérieurement. Parfois trop curieux !
Je jette un regard vers Sibelle qui semble visiblement très fatiguée. Elle s'efforce de garder ses paupières ouvertes et baille beaucoup.
- Eh bien, balbutie-elle, mon horloge biologique n'a pas encore sonné. Je ne ressens pas encore ces besoins-là et je suis trop absorbée par mon boulot.
- Je vois, mais pensez-y avant qu'il ne soit trop tard!
Je renchéris :
- Par expérience, je peux vous dire qu'il n'y a vraiment pas plus grand bonheur que de se réveiller chaque jour aux côtés d'un homme aimant et de ses enfants.
Elle hoche la tête timidement, visiblement pas à son aise. Je n'en dis pas davantage. Je me tourne vers Sibelle.
- Ma chérie, il est temps que tu ailles faire la sieste.
- Non maman, je …
- N'insiste pas ma fille, renchérit son père. Tu as l'air vraiment fatiguée. Un peu de repos te fera du bien.
- Tes parents ont raison, princesse. Allez, vas-y.
Elle nous embrasse, puis se lève avec nonchalance. Elle avance de quelques pas, quand soudainement elle s'écroule de tout son poids sur le sol. Nous nous précipitons vers elle.