Chapitre 16 : Confrontation

Ecrit par pretoryad

Kalé


Après avoir quitté ma mère, j’insérai aussitôt la bague à mon majeur droit. Elle convenait parfaitement. Je suivis ensuite les instructions maternelles en pensant très fort à Nélia. Je n’attendis pas longtemps avant de sentir la magie de la chevalière déferler en moi. J’éprouvais une sensation de fourmillement dans les doigts qui se propagea ensuite dans mon bras droit avant d’atteindre mon cerveau.

         Puis une séquence d’images apparut devant moi, comme si je regardais un écran géant. Je vis Nélia assise devant la télé. Peu de temps après, elle se leva et se dirigea vers une porte. Un homme apparut ensuite derrière elle. Je me focalisai sur le visage de l’inconnu pour découvrir avec stupéfaction que c’était mon portrait craché.

         Confus, je cherchais à comprendre ce que cette bague voulait me faire voir. Le passé ? Non, je ne me souvenais pas avoir vu cet endroit auparavant. L’avenir ? Peut-être. Je continuai de suivre la scène qui se déroulait sous mes yeux. Mon double enlaça Nélia, puis l’accolade tourna à la dispute qui dégénéra rapidement.

J’eus un haut-le-cœur lorsque je me vis agripper le cou de Nélia. Non, ça ne pouvait pas être moi ! Je ne pouvais pas être aussi violent ! Je jetai un coup d’œil à la main gauche de mon sosie et aperçus un anneau que je reconnus immédiatement. Père ? Je sentis le sang affluer à mon cerveau. J’en avais assez vu !

         – Emmène-moi auprès d’elle ! ordonnai-je à la bague.

         La projection cessa, et je sentis brusquement une force aspirer mon âme et me propulser vers une lumière éblouissante qui me força à fermer les yeux. Mon corps fut secoué brutalement avant que mes yeux ne s’ouvrent sur un décor presque irréel. Cette expérience n’avait rien à voir avec ma téléportation habituelle.

Je retirai aussitôt la bague, car je pouvais la sentir puiser mon énergie. J’aperçus Nélia en prise avec Père. Mes yeux devinrent rouges, de même que ma fureur.

         – Ahhh !!! Enlève tes sales pattes de là, espèce d’ordure ! hurlai-je en faisant trembler la pièce.

         Je levai la main avec force et éjectai celui-ci à l’autre bout de la pièce. Il perdit connaissance pendant un moment.

         – Kalé ? lança Nélia d’une voix effarée.

         – Nélia, je suis là, maintenant !

         Je me dirigeai vers elle et la pris dans mes bras. Elle m’avait beaucoup manqué. Je lui fis face et tins son visage entre mes mains. Je rapprochai ensuite ma bouche de la sienne et fis mine d’effleurer ses lèvres, mais elle détourna la tête, méfiante. Je n’insistai pas. Père était responsable de son rejet. Le salaud !

         – Je vais te faire sortir d’ici, mais avant, j’ai un compte à régler avec Père. 

         – Non ! Allons-nous en tout de suite, Kalé, je t’en prie !

         Son visage paraissait si effrayé que j’en eus de la peine. Mais je ne pouvais pas partir sans affronter Père. C’était le jour que j’avais tant attendu.

         – Tu sais bien que je ne partirai pas d’ici avant de l’avoir confronté. Je te promets de ne pas être long. Pendant ce temps, je veux que tu t’enfermes dans cette pièce jusqu’à ce que je vienne te chercher. Tiens, prends ça !

         Je lui remis la chevalière que je sortis de ma poche. Elle l’accepta sans trop de conviction.

         – Si dans cinq minutes tu ne me vois pas entrer, alors cette bague t’aidera à rentrer chez toi si tu la lui demandes. Pour être sûr que c’est bien moi, je te demanderai de me la montrer, ok ?

         Elle acquiesça, le regard déterminé. Je compris qu’elle n’avait plus l’intention de se faire duper. Père commençait à reprendre ses esprits.

         – Cinq minutes et pas plus ! Maintenant va !

         Je la forçai à se rendre dans la pièce qui s’avérait être la salle de bains.

         – Je ne partirai pas d’ici sans toi, m’assura-t-elle, alors sois prudent !

         Elle me lança un regard aigu qui me réconforta quant aux sentiments qu’elle pouvait avoir pour moi. Il y avait encore de l’espoir pour elle et moi, malgré le sort de déliage dont elle avait été victime. Je sentis mon courage décupler. Je répondis en hochant la tête, mon regard empreint d’une assurance à toute épreuve.

         Puis, je refermai la porte derrière elle, en prenant soin de le proscrire par la magie. Nélia était capable de me rejoindre, et surtout, je ne voulais pas que Père puisse pénétrer à l’intérieur aussi facilement. J’accordai enfin toute mon attention à mon paternel qui essayait de se remettre difficilement debout. Il avait été surpris par la puissance de ma frappe. En équilibre sur ses jambes, il me lança un regard impressionné.

         – Eh bien mon fils, nous nous retrouvons enfin !

         Je me contentai de le regarder, le visage impassible. Mes doigts me démangeaient, prêts à lancer une attaque.

         – Je vois que ta mère t’a bien remis mon message.

         Il laissa échapper un rire sardonique. Je n’avais qu’une seule envie : lui clouer le bec à jamais !

         – Venons-en au fait, Père ! Je suis là maintenant.

         – Très bien. Tu ne vois donc aucun inconvénient à m’accompagner pour que nous ayons une discussion d’homme à homme ?

         – Et où irions-nous ?

         – Tu ne pourras le savoir que si tu m’accompagnes. 

         – Pas avant de connaître ma destination.

         Je lui lançai un défi qu’il ne pouvait supporter. J’étais aux aguets.

         – Si tu y tiens. Je t’emmène personnellement là où tu aurais dû être pour avoir ôté la vie de mon frère.

         Le Tartare ? Je sursautai légèrement. C’était la prison de l’Enfer pour les Mystes coupables de crimes injustifiés contre leurs pairs. C’était le lieu de tourmente éternelle.

         – S’il y a bien une personne qui mérite le plus cette sanction c’est bien vous, Père, pour avoir conduit mon oncle à la mort ! rétorquai-je, un petit sourire narquois sur les lèvres.

         – Espèce de petit insolent ! Je vais t’apprendre ce que c’est que le respect !

         Tremblant de rage, il leva sa main qui crépitait de magie et me lança un brasier avec une telle force que je pouvais sentir sa chaleur brûlante. J’étendis les bras en avant pour faire apparaître un mur luminescent qui stoppa les flammes. Père s’approcha de moi, renforçant son attaque. Je sentis mes bras s’affaiblir peu à peu sous sa puissance grandissante. Mes pieds se mirent à glisser lentement en arrière.

         Je paniquai, mais je tentai de redoubler d’effort. Père était trop puissant. Bientôt, il prendrait le dessus. Je réfléchis à une autre défense. Je baissai les paupières pour faire croire à Père que je me rendais. Pendant ce temps, mes yeux s’enflammèrent et toutes les ampoules de la salle se mirent à grésiller. Père leva les yeux au plafond, perdant un instant le contrôle de son attaque. J’en profitai pour retourner son brasier contre lui.

         – Ahhh !

         Il fut touché par ses propres flammes, perdit l’équilibre et retomba lourdement en arrière. Je me redressai et laissai enfin retomber mes bras, haletant et le visage en sueur. Père gisait, inerte, sur le sol. Dans le doute, je restai immobile une seconde, me préparant à son prochain coup. Mais rien. Il paraissait avoir été gravement atteint. 

         Je me dirigeai ainsi vers la salle de bains. Il fallait décamper. Je savais pertinemment que je n’étais pas encore de taille à lutter contre Père. J’agrippais la poignée de la porte lorsque je sentis l’air se cristalliser autour de moi. Je me retournai vivement et aperçus Père, assis en position du lotus, la tête en arrière et les paupières fermées. Il tambourinait le sol de ses poings tout en prononçant une incantation dans une voix à peine audible. 

         Je compris trop tard ce qu’il était en train de faire. Je fus subitement pris dans une tornade de brume et de poussière. L’attaque fut si brutale que j’en perdis la voix. Je sentis mon corps être compressé par un vent terrifiant qui me fractura les côtes. Je ne pouvais décrire la douleur qui s’insinuait dans la moindre parcelle de mon être.

         La poussière pénétra dans mes oreilles, mes yeux, mes narines et ma bouche, empêchant l’air de passer. Je suffoquai. Je ne cherchais pas à lutter, car je n’avais plus assez de force pour ça. J’attendis simplement la mort pour mettre fin à mon supplice. Ma dernière pensée fut pour Nélia.

Tout à coup, je sentis un violent tremblement me projeter hors de ma prison de poussière. J’atterris contre le mur et fus englouti par les spirales de la douleur, prêt à mourir. Pourtant, la vie semblait s’accrocher à moi comme une sangsue. Mes yeux s’ouvrirent pour inspecter la pièce et essayer de comprendre ce qui se passait.

La salle était toute retournée, tous les meubles et objets en verre s’étaient brisés. La douche n’avait plus de porte. Je pensais à Nélia, et espérais pleinement qu’elle avait suivi mon conseil. Je vis Père, en position fœtale, se maintenir les oreilles, le visage crispé par la douleur. Qui avait bien pu provoquer ce chaos, si ce n’était lui-même ? Un sortilège qui avait mal tourné, peut-être ? Pauvre Père !

J’étais aussi à plaindre que lui, car mon corps n’était plus qu’un amas d’os fracturés. Je ne pouvais faire le moindre mouvement sans sombrer dans un gouffre de douleur. Je refermai les yeux, m’abandonnant à mon triste sort.

         – Kalé ? Je t’avais dit que je ne partirais pas d’ici sans toi !

         J’ouvris à nouveau les yeux sur une Nélia méconnaissable. Elle s’était accroupie près de moi. Ses longues nattes épaisses avaient des reflets bleu électrique, et ses yeux, à présent d’un bleu turquoise, donnaient à son visage un air farouche. Elle était à la fois somptueuse et terrifiante. Devant mon regard ébahi, elle me rassura par un sourire.

         – Accroche-toi, on rentre !

         L’expression confiante qu’elle afficha me rasséréna. J’acceptai la main qu’elle me tendit, son contact mit mon corps dans une transe et je perdis brutalement connaissance. Lorsque je revins à moi quelques instants plus tard, ma mère se trouvait à mon chevet, le visage exprimant le soulagement de me revoir en vie. Mon regard circula dans la pièce à la recherche de Nélia.

         Je me trouvais dans ma chambre, mais il n’y avait aucune trace de celle-ci. Je me redressai vivement du lit, sans ressentir aucune douleur, comme si mon corps avait été miraculeusement guéri. Nélia. Je fronçai les sourcils.

Comment était-ce possible ? Il lui restait encore trois semaines avant son anniversaire. Ses pouvoirs étaient-ils déjà en train de se manifester ? Or jusque-là, je n’avais pas encore obtenu ce que je voulais ! 

         – Où est-elle, maman ? Où est Nélia ?

         – Alors, c’est comme ça qu’elle s’appelle ? Je ne savais pas que ta fiancée était une Fidlo. Elle m’a dit de te garder ici aussi longtemps que nécessaire. Tu as besoin de récupérer tes forces.

         – Alors, tu l’as vue ? Dans quel état se trouvait-elle ?

         – Eh bien, je ne sais pas trop. Elle m’a paru assez singulière. Je ne sais pas ce qui s’est passé avec ton père, mais elle m’a semblé être dans un état critique. Quand j’ai voulu l’aider, elle s’est éloignée de moi, comme si elle ne voulait pas que je la touche. Et puis, elle a disparu.

         – Il faut que je la retrouve, maman !

         – Je sais, et je vais t’aider à le faire. C’est elle que je veux pour belle-fille, mon fils. Maintenant, il faut dormir.

         Je me laissai retomber doucement sur le lit au contact de sa main. Je m’abandonnai à la chaleur et à la douceur apaisante de ses doigts qui glissaient lentement sur mon front. Je chassai mes préoccupations le temps de fermer les yeux et de noyer ma lassitude. Je me laissai entièrement envahir par cette douce plénitude qui menveloppait.  



Femmes de pouvoir :...