Chapitre 15 : Délivre-moi de sa colère

Ecrit par pretoryad

Nélia


Encore une fois, j’étais prisonnière, et je commençais vraiment à en avoir assez de tout ça ! Étais-je condamnée à subir ce châtiment jusqu’à la fin de ma vie ? N’étais-je pas supposée faire partie du cercle privilégié de femmes de pouvoir ? Ma mère aurait-elle menti à ce sujet ?

         – Absolument pas ! répondit une voix douce que j’avais appris à connaître.

         Je retins un cri de panique lorsque ma mère apparut subitement devant moi, assise à mes côtés sur le canapé. J’y passais le plus clair de mon temps depuis mon arrivée dans cette prison dorée. C’était une vaste suite au décor exotique qui n’avait rien à envier à la petite cellule lugubre de Kalé.

         – Tu vois, tu n’es pas encore une Fidlo que déjà les hommes te convoitent !

         – Je ne sais pas si je dois prendre ça comme un compliment.

         Son sourire réussit à me détendre d’une manière imperceptible. Je m’étais finalement habituée à ses apparitions inopinées. Je devais admettre qu’elle était d’une très bonne compagnie dans la solitude dans laquelle j’étais plongée depuis deux jours. C’était aussi mon guide spirituel, elle m’aidait dans ma quête initiatique.

         – Tu sembles encore douter de tes origines.

         – Pas du tout, c’est juste que je ne comprends pas pourquoi je suis aussi convoitée. C’est quand même la deuxième fois que je me retrouve emprisonnée, et je n’ai toujours aucun moyen de m’en sortir seule. C’est injuste pour une personne qui est censée hériter de grands pouvoirs !

         – C’est justement parce que tu vas hériter d’une force occulte inestimable que tu subis ce genre de tribulation. Tu es désirée parce qu’ils sont persuadés que tu peux leur offrir la vie éternelle.

         – Je ne suis pas encore une Fidlo, et je ne sais même pas si je ferai partie des guerrières Watas !

         – Peut-être, mais ça, ils ne le savent pas encore.

         – Eh bien, ils risquent d’être déçus !

         – Déçus de ne rien obtenir de toi, ça c’est sûr ! Par contre, tu peux espérer devenir une guerrière si tu respectes les règles. Considère ce que tu vis actuellement comme une épreuve que tu dois endurer afin d’obtenir la plus précieuse des récompenses. 

         – Je vois. En gros, sois courageuse et tais-toi, c’est ça ?  

         Elle acquiesça sans aucun état d’âme. Je soupirai, visiblement ennuyée par ma condition. Ce n’était pas mon genre d’être aussi impuissante face aux événements.

         – J’ai bien compris que je dois attendre mon anniversaire pour recevoir mes dons, mais y a-t-il un moyen d’accélérer le processus ?

         Je posai un regard empli d’espoir sur elle, persuadée qu’elle comprenait ma frustration. Mais elle me parut réticente à divulguer le moindre secret.

         – Eh bien… en quelque sorte oui…

         Une lueur d’intérêt illumina mes yeux. Je pouvais au moins compter sur ma mère pour mettre fin à mon calvaire.

         – Ok, l’encourageai-je à poursuivre.

         – … Mais tu devras le découvrir par toi-même…

         Tous mes espoirs s’envolèrent à cet instant. Moi qui pensais faire d’elle une alliée, j’étais à côté de la plaque ! Que pouvais-je espérer de l’esprit de ma défunte mère ?

         – J’ai compris, rassure-toi ! J’attendrai simplement mon anniversaire, aussi longue et pénible soit l’attente ! Ahhh !

         Je fus soudain prise d’une forte migraine qui me cribla de douleurs. Je maintins ma tête, le visage grimaçant. Ma mère se rapprocha de moi, inquiète.

         – Nélia, regarde-moi !

         Elle me força à garder les paupières ouvertes. La lumière me parut si éblouissante tout d’un coup, irritant ma cornée. 

         – Tes yeux sont en train de changer de couleur, ma chérie. Quelqu’un essaie d’établir une connexion télépathique avec toi.

         – Quoi ?

         La douleur était atroce. J’avais l’impression que mon cerveau était compressé.

– Écoute-moi bien, si tu veux te débarrasser de la douleur : respire profondément et pense à la seule chose qui t’apaise lorsque tu es troublée.

         C’était un supplice que d’essayer de comprendre ce qu’elle me disait. Cependant, mon corps réagit automatiquement. Je respirai profondément et laissai mon esprit errer dans son sanctuaire, l’océan. Je me laissai bercer par les ondes mélodieuses de ses vagues. Et peu à peu, le calme prit possession de mon être et le martèlement dans mon crâne ne fut plus qu’un souvenir.

         – C’est bien. Maintenant, ouvre les yeux et regarde-moi.

         J’obéis tout en gardant mon esprit focalisé sur l’océan. Je redoutais cette affliction inhabituelle. Je posai un regard hésitant sur ma mère dont les yeux avaient pris la teinte du métal.

         – Mes yeux reflètent la couleur actuelle de tes yeux, dit-elle en réponse à ma question silencieuse.

         – Gris métallique ?

         – Exact. C’est un trait caractéristique chez les guerrières Watas, qui ne se manifeste normalement pas avant seize ans. Et uniquement lorsqu’un être surnaturel cherche à établir une communication télépathique.

         – Mais alors... Ahhh !

         La douleur revint au galop. Lancinante. Je refermai immédiatement les yeux pour me retirer dans mon sanctuaire interne. 

         – Nélia, ouvre les yeux et regarde-moi !

         – Je ne peux pas, maman ! C’est trop douloureux !

         J’étais au bord des larmes, mais ma mère insista.

         – Je ne peux pas t’aider si tu ne me regardes pas !

         Sa voix était si autoritaire que je me résignai à ouvrir les yeux. Lorsque je plongeai encore une fois mon regard brûlant dans le sien, une lueur éclatante m’aveugla.

         – Ahhh !!!

         Je refermai mes paupières pour protéger ma vue.

         – Nélia ? Nélia, c’est moi, ouvre les yeux !

         Ce n’était pas la voix de ma mère, mais une voix masculine que je connaissais assez bien. Mon calvaire cessa, comme par enchantement. Je rouvris les yeux pour me retrouver en face de Dali qui semblait avoir remplacé ma mère qui s’était encore une fois évaporée.  

         – Dali ? C’est bien toi ?

         J’étais méfiante. Ces derniers temps, j’avais eu à expérimenter trop d’apparitions surnaturelles pour ma santé mentale. Mais cette fois, j’espérais être en face de l’original, car cela faisait un moment que je n’avais pas vu Dali ! Et aussi surprenant que cela ait pu paraître, il m’avait manqué.

         – Oui, c’est bien moi. 

         – Oh Dali ! Où étais-tu ?

         Je me blottis dans ses bras, heureuse de le revoir. Il parut agréablement surpris, et resserra son étreinte pour me confirmer qu’il était bien réel. Puis, il me fit face et m’observa attentivement, comme s’il me revoyait après des années d’absence. Il avait beaucoup changé physiquement. Son corps était plus athlétique, il avait troqué ses lunettes contre des lentilles de contact qui accentuaient la couleur cannelle de ses yeux. Il avait l’air beaucoup plus sûr de lui, ce qui le rendait encore plus séduisant à mes yeux.

         – Je reviens de loin. Je t’expliquerai ça une fois que tu seras sortie d’ici. Je n’ai pas beaucoup de temps. Toi, ça va ? Tu tiens le coup ?

         – Ça peut aller.

         – Tes yeux, ils sont différents.

         – Je sais. Apparemment, tu en es responsable. Comment as-tu fait ?

         – Longue histoire. Je te raconterai, promis ! Écoute, je suis envoyé par Ma’Darsille. Voici son message.

         Il rapprocha sa bouche de mon oreille et murmura une incantation si lentement que mon cerveau s’en souviendrait encore des années à venir. Sa voix était profonde et si sensuelle que j’en eus des frissons de plaisir. J’avais du mal à comprendre la réaction de mon corps. Je me souvenais pourtant ne rien ressentir pour Dali auparavant. Mais là, je devais me faire violence pour ne pas laisser libre cours à mes émotions.

         – Tu dois la réciter six fois, puis une septième fois en pensant très fort à ce que tu désires le plus.

         – C’est noté. Je suis heureuse de savoir que tu te portes bien.

         – Je n’ai pas un instant cessé de penser à toi, Nélia ! Désormais, les choses vont être différentes pour nous deux.

         – Comment peux-tu en être aussi sûr ?

         – Ça aussi, je te raconterai, dit-il en souriant.

         Son sourire était contagieux. Il caressa délicatement ma joue, sans lâcher un instant mon regard.

         – J’ai bien envie de t’embrasser, mais je ne veux pas te mettre en danger.

         – Comment ça ?

         – Je sais pour toi et Kalé. Il pourrait sentir ma présence sur toi et ça le mettrait en colère. 

         – Pourquoi ne m’emmènes-tu pas avec toi ?

         – Si seulement je le pouvais ! Je suis désolé, mais Ma’Darsille a insisté pour que tu sortes d’ici toute seule. Et je sais que tu vas y arriver ! Il faut que j’y aille maintenant, quelqu’un s’approche. On se reverra très bientôt, Nélia. Sois prudente !

         – Dali…

         Il disparut aussitôt, me laissant un sentiment de vide et de frustration. Tout cela devenait de plus en plus étrange. C’était à n’y rien comprendre. Je me levai vivement du canapé et me dirigeai vers le miroir de l’armoire pour observer mes yeux qui avaient soi-disant changé de couleur. Mais je ne vis rien de différent à mes iris noisette.

         Déçue, je repris ma place devant le grand écran et l’allumai sur la chaîne animalière, puis je me laissai absorber par mes pensées. Mr Dagary choisit ce moment pour apparaître. Je me tournai nerveusement vers lui, agacée par son intrusion. Il fallait dire qu’il pouvait aller et venir à sa guise, et cela me mettait mal à l’aise.

         Je n’avais jamais rencontré le père de Kalé auparavant. Et là, je devais me soumettre à sa vue à chaque fois qu’il m’apportait des repas que je ne touchais nullement. Je ne savais pas ce qu’il me voulait, par conséquent, je me méfiais de tout ce qu’il m’offrait. En revanche, je ne pouvais refuser l’eau de mer, c’était essentiel à ma survie.

Il vint sasseoir près de moi. Je reculai légèrement, suspicieuse. Il ne m’avait pas encore fait part de ce qu’il attendait de moi. Je me tenais donc sur mes gardes. Kalé ressemblait beaucoup à son père. La même corpulence — Kalé étant un peu plus grand et plus musclé — et la même prestance.

Mr Dagary était un homme très séduisant et charismatique.       Il m’était arrivé plusieurs fois de baisser ma garde en sa présence. Heureusement que cela ne durait qu’un petit moment. Il m’observa attentivement, un sourire condescendant sur le visage. 

         – Il va falloir que tu te nourrisses, sinon tu ne me seras plus d’aucune utilité, me déclara-t-il d’une voix calme.

         – L’eau est tout ce dont j’ai besoin, répondis-je, une lueur de défi dans le regard.

         – D’accord.

         – Combien de temps comptez-vous me garder ici ?

         – Tu seras libre demain, m’annonça-t-il sans sourciller.

         Je l’observai d’un air sceptique.  

         – Ok, c’est quoi la condition ?

         – Aucune condition. Je viens d’apprendre que tu es ma future belle-fille. Je vais donc te rendre à ton fiancé afin de célébrer vos noces le plus rapidement possible.

         Fiancé ? Célébrer nos noces ? J’étais déconcertée. Qui avait bien pu lui sortir des énormités pareilles ? Kalé ? J’aurais juré que ce n’était pas son genre.  

         – Tu ne sembles pas très heureuse de pouvoir retrouver l’homme de ta vie.

         – Euh… Bien sûr que si, j’ai hâte ! lançai-je sur un ton peu convaincant.

         J’étais enragée qu’on décide de me marier ainsi sans mon consentement. J’avais hâte de confronter Kalé à ce sujet. Dali avait insinué que j’avais eu une histoire avec celui-ci. Mais je ne m’en souvenais plus. À quel moment avions-nous été intimes lui et moi ? Il m’avait enlevée, ça je m’en souvenais bien. Mais le reste semblait avoir été effacé de ma mémoire. Quant à mon cœur, l’apathie semblait être sa réponse pour Kalé.      

         – Très bien. Tu ne vois donc aucun inconvénient à ce que Kalé te rende visite aujourd’hui ?

         – Maintenant ???

         J’avais répondu trop vite. En quoi le fait de voir Kalé dans l’immédiat me dérangeait ? Mon cœur se mit à battre plus vite. Ce n’était peut-être pas une bonne idée après tout ! 

         – Pourquoi pas ? Mais si ça te pose un problème, il peut venir dans une heure ?

         – Euh… C’est beaucoup mieux, merci…

         – D’accord. Je te laisse te préparer.

         Je soupirai de soulagement à son départ. Il était temps qu’il parte ! Il me rendait toujours aussi nerveuse. Il fallait vraiment que je disparaisse d’ici au plus vite ! Un quart d’heure plus tard, je quittai mon siège avec l’intention d’aller prendre une douche avant la visite de Kalé quand il me surprit par son apparition intempestive.

         – Nélia ?

         Je sentis une note d’inquiétude dans sa voix. J’eus à peine le temps d’ouvrir la bouche que déjà il me prenait dans ses bras. Je sursautai à son contact et dus me faire violence pour ne pas m’écarter. Je le laissai faire, réfléchissant à ce que je devais dire par la suite. Quand il me fit enfin face, ses yeux se noyèrent dans les miens confus, avant de prendre possession de mes lèvres.

         Je ne réagis pas. Toutefois, je fus prise d’une angoisse grandissante. Je ne ressentis rien que de l’inconfort. Le baiser, tendre et accueillant au départ, se fit plus abrupt. Mon malaise s’accentua. Je tentai de repousser Kalé, mais il s’imposa à moi jusqu’à ma totale soumission. C’était ma seule alternative si je voulais sortir indemne de cette lutte sentimentale.

         Certain de ma docilité, il se décida enfin à libérer ma bouche. Je reculai si violemment que je me heurtai contre la porte de la salle de bains. Je tremblais, incapable de me calmer. Je posai le doigt sur ma lèvre inférieure qui saignait légèrement, tout en me rappelant l’annonce de Mr Dagary : Kalé et moi étions fiancés. Je devais donc jouer le jeu pour ne pas le mettre en colère.  

         – Qu’est-ce qui t’a pris ? Je croyais que tu étais ici pour me faire sortir de cette prison !

         Ma colère prit le dessus sur ma peur. Je tentai d’apaiser les battements précipités de mon cœur. Kalé resta de marbre, mais son regard farouche ne me disait rien qui vaille.

         – C’était mon intention avant que je ne sente sa présence sur tout ton être ! Où est-il ?

         – Quoi ? De qui tu parles ?

         Il s’avança vers moi, une lueur dangereuse dans le regard. Je ne l’avais jamais vu ainsi auparavant. Il me terrifiait.

         – Où est Dali ?

         C’était donc ça ? Une crise de jalousie ? Mon cerveau se mit à réfléchir à une allure incroyable.

         – Dali ? Mais qu’est-ce que j’en sais, moi ? Ça fait deux jours que je suis coincée ici, et en dehors de ton père, tu es mon seul visiteur. 

         En un clin d’œil, il fut près de moi, la main enserrant mon cou. Je poussai un cri de terreur. Je ne pouvais décrire la peur incoercible qui m’envahit à ce moment-là. Kalé avait complètement perdu la raison. J’essayais de me libérer de son emprise, mais je ne faisais qu’augmenter la pression de ses doigts sur ma trachée. Bientôt, l’air ne passerait plus. J’étais effrayée.   

         – Alors prouve-le moi ! J’ai lintention de te faire mienne à l’instant pour m’assurer que tu dis la vérité.

         Mon Dieu ! Je ne pouvais pas croire ce qui m’arrivait. Ses yeux avaient pris cette teinte rouge que je redoutais. Et je n’avais aucun moyen de me défendre. Je désespérais sur mon cas quand j’entendis une voix rugir et faire trembler la pièce.

         – Ahhh !!! Enlève tes sales pattes de là, espèce d’ordure !

         Je sentis mon agresseur me relâcher subitement et être propulsé à l’autre bout de la salle. Dieu avait entendu ma prière et avait envoyé quelqu’un à ma rescousse. Je tournai mon attention vers cette personne pour découvrir :

         – Kalé ?

J’en fus médusée. 

         – Nélia, je suis là, maintenant !

         Je secouai la tête, incrédule. Kalé était mon sauveur ? Mais alors, qui était mon agresseur ? Je ramenai mon regard vers le corps inerte de celui-ci, et ce que je vis en observant son visage faillit me donner l’infarctus. Mr Dagary, qui tentait de revenir à lui, était mon assaillant ?

Femmes de pouvoir :...