Chapitre 16 : Une nouvelle amitié
Ecrit par Auby88
"Tout change, tout évolue. Seuls les imbéciles ne changent pas.
Alpha Blondy ; Les imbéciles"
Il est des gens qui affichent un sourire radieux quand tout va mal, qui refusent une main tendue alors qu'ils n'attendent que ça et qui se comportent extérieurement comme des bêtes féroces alors qu'ils sont intérieurement des agneaux. Parmi ces personnes complexes, se trouve Satine.
Satine. Une très jolie jouvencelle à la chevelure naturellement frisée, abondante et dorée, avec de belles pommettes et des fines lèvres rosées qui décorent merveilleusement bien son visage ovale. Elle et son frère Richmond ont hérité d'une couleur de peau unique, mélange du noir et du blanc, qui les rend spéciaux et particulièrement attirants.
Satine AKOWE !
Aussi belle que capricieuse !
Aussi belle qu'arrogante !
Aussi belle qu'impulsive !
Aussi belle que jalouse !
Aussi belle qu'immature !
Aussi belle que …
Entre un père et un frère cadet partis prématurément, un frère aîné absent et une mère toujours préoccupée par les festivités qu'elle organisait, la fillette d'alors, désormais demoiselle, manquait cruellement d'affection. Car une montagne de richesse n'est rien comparée à la chaleur humaine, à l'amour désintéressé qu'on reçoit de ceux qui nous sont chers.
Depuis plusieurs années, dans la grande pièce qui lui servait de chambre à coucher, elle se sentait terriblement seule parmi tous ces objets précieux mais inertes qui l'entouraient. A force de pleurer dans l'obscurité de sa chambre, Satine avait décidé de réclamer cette affection à sa manière. A sa mère, qui s'empressait de céder à ses caprices les plus fous, elle demandait mille et une choses comme cette voiture luxueuse qu'elle conduisait, les bijoux de pierres rares qu'elle collectionnait ainsi que les peintures abstraites onéreuses qui décoraient les murs de sa chambre. De son frère, elle exigeait l'impossible : Etre au centre de son attention. Nulle autre ne devait compter plus qu'elle aux yeux de Richmond. Sans vergogne, sans peur, elle s'immisçait dans sa vie, dans son couple, jalousant, détestant les femmes qu'il courtisait. Pour elle, c'était son droit le plus absolu.
A présent, elle s'amène, quand elle a du temps libre, aux répétitions du Panthers Jazz Band et reste à l'écart pour ne gêner personne. Elle tient ainsi à passer du temps avec son frère convalescent et à l'aider en cas de besoin.
En effet, Richmond n'a pas tardé à reprendre les répétitions avec son groupe. Au début, il venait avec le plâtre au bras, mais finit par se le faire retirer avant les deux mois prescrits par le docteur. Car c'était pour lui un véritable supplice que de ne pouvoir jouer du saxophone. Quant à la blessure au bras, elle cicatrisait bien vite. Trois fois par semaine, il recevait chez lui une jolie et joviale kinésithérapeute pour ses séances de rééducation, sous l'oeil vigilant de Sandra. Après quelques semaines, il réussit à mouvoir aisément son bras droit.
Assise comme à l'accoutumée dans un coin de la salle de répétition, Satine semble réviser ses cours ou plutôt épier son frère. Parce qu'il est bien difficile de pouvoir mémoriser quelque donnée, en présence du bruit qu'émettent les baffles. Et ses yeux n'ont guère l'air d'être posés sur du papier mais plutôt sur Richmond. Elle guette ses moindres mouvements. Elle a hâte qu'il annonce la pause.
Lorsque les sons s'arrêtent, Richmond s'approche de Cica. Les autres membres du groupe vont prendre l'air dehors.
- Tu as été d'une justesse exceptionnelle aujourd'hui. Je n'ai rien à redire, commence-t-il.
- Merci, Richmond. Je …
Elle perd le fil de ses idées. Satine vient de la bousculer. Elle s'est précipitée aux côtés de son frère, surtout pour l'empêcher de discuter avec cette Cica qu'elle n'apprécie pas et qui semble trop retenir l'attention de Richmond.
Cica ne dit mot.
- Satine ! Présente tout de suite tes excuses à Cica ! grogne son frère.
- Mais, je ne l'ai pas fait exprès !
- Ce n'est pas bien grave, Richmond, dit Cica. Je vous laisse, nous discuterons plus tard. Je vais rejoindre les autres dehors.
Satine la toise pendant qu'elle sort.
- Je me demande bien ce que tu trouves à cette fille. Elle est si banale.
Il secoue la tête.
- Je ne te reconnais vraiment plus Satine ! Tu es devenue une vraie peste. Si cela doit continuer ainsi, je préfère que tu ne mettes plus jamais les pieds ici.
Elle est choquée.
- Tu veux me chasser à cause d'elle !
- Satine ! Je n'ai pas envie qu'on se dispute. Mais là, tu dépasses les bornes ! Je ne t'appartiens pas, je suis adulte et j'ai le droit de faire ce que je veux de ma vie.
Elle soupire longuement, regrette son geste immature.
- Je m'excuse, Richmond. Je voulais juste te remettre les beignets que j'ai spécialement commandés pour toi.
Il la fixe. Il voudrait rester fâché contre elle, mais n'y arrive pas.
- Merci, petite sœur.
Il se sert un beignet, le savoure et l'invite à en faire autant. Elle s'y prête avec joie. Arrivent les autres. Il en propose à Cica qui accepte, malgré la mine serrée de Satine, puis aux autres qui ne se font pas prier.
Cica n'était pas offusquée par l'attitude de Satine envers elle. Au contraire elle, qui n'avait ni frère ni soeur, donnait l'air d'être fascinée par l'attention et l'admiration que cette soeur témoignait à son frère. Maintes fois déjà, quand elle en avait l'occasion, elle épiait Satine. Quand les yeux de Satine rencontraient les siens, elle détournait son regard et faisait semblant d'être occupée à autre chose. Elles ne se parlaient pas. Le "Bonjour Satine" que Cica adressait restait à l'entrée de l'appareil auditif de l'autre et était ensuite dévié ailleurs par quelque force invisible. En bref, Satine ne répondait jamais. Pourtant, Cica ne désespérait pas, multipliant les salutations. C'était que l'altruisme de Cica l'obligeait à se rapprocher de cette fille mystérieuse, toujours sur la défensive, qu'était Satine.
- Les beignets sont vraiment un pur délice, Richmond !
- C'est Satine qu'il faut remercier.
- Merci Satine, commence Cica. Tu as un …
Ses mots se meurent dans sa bouche.
- Je m'en vais, Richmond. On se voit ce soir à la maison.
Il acquiesce. Elle lui dépose un bisou sur la joue et fait aurevoir de la main aux autres hommes. Cica la regarde s'en aller, intriguée. Richmond la remarque.
- Ne fais pas attention à elle, Cica. Satine aboie mais ne mord pas. Ne le prends surtout pas personnellement. Elle est ainsi avec toutes les femmes qui m'entourent. Une sorte de jalousie que moi-même j'ai parfois du mal à comprendre, même si elle m'assure qu'il n'y a rien de pervers là-dessous.
- Je vois, dit-elle.
- Viens, on continue la répétition.
Elle hoche la tête.
Durant les jours qui suivent, Cica cogite sur la manière de briser le cœur de pierre de Satine et quelque idée lui vient à l'esprit. Une fois à l'orphelinat, avec l'aide des enfants, elle consacre son week-end à faire du bricolage. Elle compte tenter sa chance lorsqu'elle aura à nouveau l'occasion de revoir Satine. A la répétition qui suit, elle s'amène avec des cadeaux de "pré-noël", selon ses dires, des accessoires de mode en pagne qu'elle offre à tout un chacun. Pour les musiciens, des portefeuilles. Pour Satine, des bracelets et boucles d'oreilles.
- Satine, ceci est pour toi, commence-t-elle en lui tendant une petite pochette. Ce sont des bijoux en pagne.
- Je ne mets pas ces pacotilles ! réplique Satine sèchement.
Richmond suit la scène de loin. Il ne les entend pas mais devine aisément ce qui se passe. Il n'intervient cependant pas.
- Ce sont de petites mains habiles qui y ont consacré tout leur temps, qui les ont faits avec amour. Rien n'est plus cher qu'un sourire d'enfant, n'est ce pas ?
Satine ne répond pas.
- Je le dépose près de toi, continue Cica. Un cadeau ne se reprend pas. Fais-en ce que tu veux.
Plus tard, quand Cica regarde en arrière, elle note que Satine et la sacoche ont disparu. Un sourire de victoire apparaît sur son visage.
Lorsqu'elle revoit à nouveau Satine, elle remarque qu'elle porte les bijoux, mais fait semblant de n'avoir rien vu.
Au "Bonjour, Satine !" qu'elle émet, succède un "Bonjour, Cica !" presque inaudible. A la fin de la séance, Satine s'approche de Cica. Avec hésitation, elle lui parle.
- Je ... tenais à te … remercier pour … tes cadeaux …
Le sourire que Cica dévoile réussit à détendre Satine, qui parle avec plus d'assurance. Elle s'était imaginé que Cica lui avait gardé rancoeur.
- Mes amies m'ont envié pour cela, poursuit Satine. Et elles souhaiteraient avoir de tels bijoux qui seront assortis à leurs tenues. Tu penses pouvoir les confectionner ?
- Je te propose autre chose, réplique Cica.
- Quoi ? demande-t-elle avec empressement.
- Pourquoi ne viendrais-tu pas apprendre à les confectionner ? Ainsi, tu pourras monétiser tes créations ou juste les offrir à tes amies.
- Je n'y avais pas pensé mais je t'assure que je n'ai aucune habileté manuelle.
- Je t'apprendrai avec toute la patience qu'il faudra. Et les enfants aussi. Crois-moi. Et puis, tu auras l'occasion de remercier les enfants. Ils seront vraiment heureux de te voir porter leurs créations.
- Alors, j'accepte.
- Marché conclu ! achève Cica en lui tendant la main.
A son tour, Satine lui tend la sienne, hésitante certes mais réelle. Richmond croit rêver en voyant le miracle qui s'opère devant lui.