Chapitre 16 : Suite

Ecrit par Auby88

Pendant le week-end, Satine s'amène à l'orphelinat dans la plus grande simplicité, sans maquillage, sans parure, mais avec les bras remplis de friandises pour les enfants. Avec Cica, très heureuse de la revoir, elle fait le tour de l'institution et s'émeut en voyant les bébés. Son esprit devient le siège de questions sans réponses.

"Comment peut-on abandonner des êtres si mignons, si innocents ; rejeter la chair de sa chair et continuer à vivre comme si de rien n'était ?"

Pour l'atelier de bricolage, elle a apporté des chutes de tissu et collecté des bijoux. Cica coupe les tissus et manie la colle tous-usages. Ensuite, elle distribue les bijoux entre les enfants et Satine. Au milieu d'enfants qui savent mieux manier leurs mains qu'elle, Satine se surprend à rire plusieurs fois quand elle rate ou qu'elle réussit quelque chose. Avec patience et des explications parfois très longues, les enfants la guident. Elle s'amuse fort bien. A la fin, elle partage les friandises à ses petits enseignants et rentre chez elle, avec la joie au cœur et la promesse de revenir le samedi suivant.


Au fil des semaines, l'amitié entre les deux femmes grandit, au point où Satine décide de passer certains week-ends près de Cica, dans cet endroit tellement différent du sien. Bien sûr, à l'insu de sa mère et même de son frère. A l'orphelinat, elle participe aux messes, aux prières. Elle adore raconter des histoires aux enfants et s'occuper des bébés. La nuit, Cica lui laisse son lit et dort sur une natte. Certes, le lit de Cica n'est pas aussi douillet, aussi grand que le sien, les draps ne contiennent pas des broderies chinoises authentiques, mais Satine se trouve entourée de gens qui l'aiment et qu'elle aime en retour.


- Cica, je peux te poser une question ? demande-t-elle une nuit où le sommeil tarde à s'emparer d'elles.

- Oui, je t'écoute.

- Je me suis souvent demandé pourquoi tu t'es intéressée à moi, alors   même que je te traitais mal.

Cica sourit.

- Bah ! Pour deux raisons. La première, ce sont tes yeux. Ils sont sincères et reflètent la pureté de ton âme, même quand tu es agaçante. On dit que les yeux sont les miroirs de l'âme et j'y crois.

- Ah ! Je ne savais pas que mes yeux me trahissaient. Et la deuxième ?

- Tu ne vas peut-être pas me croire. Mais j'étais comme toi quand j'avais à peu près ton âge.

Satine reste bouche bée.

- Toi ! finit-elle par dire.

- Oui, j'étais même pire. Une rebelle.

- Ici à l'orphelinat ?

- Bien sûr que non ! J'aurais reçu des  coups de cravache et des punitions inimaginables.

Satine ne peut s'empêcher de rire.

- Ici, obéissance et respect sont de rigueur. Je fuguais pour faire mes folies, ajoute Cica.

- Fuguer ! s'étonne Satine.

Cica hoche la tête. Le mobile de Satine sonne. C'est Richmond. Elle laisse sonner.

- Tu ne décroches pas ?

- Non, mon frère appelle sûrement pour avoir de mes nouvelles. Maman et lui ne savent pas que je suis ici. Je leur ai dit que j'allais à une soirée pyjamas entre amies.

- Tu devrais leur dire la vérité. Je n'ose même pas imaginer tous les scénarios que tu as dû inventer pour passer tes week-ends ici.

- Je ne regrette rien, Cica. Crois-moi, ma mère s'arracherait les cheveux si elle me voyait ici !

- Tu m'étonnes ! réplique-t-elle en dévoilant à nouveau un léger sourire.

- Nous avons assez parlé de moi, Cica. Je veux que tu continues à me parler de toi.

- Eh bien, ce dont je me rappelle le plus, c'est quand je me suis enfuie à Cotonou en faisant l'auto-stop. Là-bas, j'ai rencontré des gens formidables comme Chantal, une prostituée qui m'hébergea chez elle. L'exemple de cette femme gentille, bien que méprisée par les gens, m'a appris à ne point juger les gens sur leur apparence ou leur comportement extérieurs. Elle m'a protégée, m'a conseillée et m'a empêchée de faire plus de bêtises.

- Je n'arrive pas à croire tout cela, Cica. C'est vraiment dingue !

- Oui, dingue, amusant. Grâce à elle, j'ai intégré un cabaret assez fréquenté où j'ai chanté quelques soirs.

- Et tu n'as jamais eu peur de te faire agresser physiquement ?

- Au début oui, mais on finit par s'y habituer. De toute façon, j'aurai serré bien fort la zigounette de cet idiot, puis je me serai enfuie.

Un fou rire s'installe dans la chambre. Elles l'étouffent vite pour ne pas réveiller celle qui dort sur l'autre lit.

- Dis Cica, maintenant que j'y pense, t'as jamais pensé à retrouver tes parents biologiques ?

- Oui, je l'ai fait, répond-t-elle en balbutiant.

- Alors, tu les connais ?

- Oui, mais je ne souhaite avoir aucun contact avec eux. Ils ont chacun refait leur vie et moi, j'aime la vie que j'ai ici.

Son coeur se serre car elle déteste mentir. Elle se sent gênée. La vérité qu'elle a dit à Satine n'est que partielle.


Le mobile de Satine sonne à nouveau. Cica lui recommande de répondre.

- Je te l'avais bien dit, Cica ! poursuit-elle quand elle raccroche. Richmond voulait juste savoir comment j'allais et me souhaiter une bonne nuit.

Cica fait diversion pour ne pas revenir sur le sujet précédent.

- Tu aimes beaucoup ton frère, n'est ce pas ?

- Oui. Beaucoup. Il est mon idole, mon repère…

Avec enthousiasme, elle parle de lui.

Cica l'écoute, le sourire au coin des lèvres, la main contre sa joue.

- Je suppose que c'est pour cela que tu jalouses Sandra.

Satine paraît surprise.

- Richmond m'a brièvement parlé de toi et de la façon dont toutes les deux aimez vous crêper le chignon.

- C'est plus fort que moi, Cica ! Je hais cette prétentieuse !

- Moi, elle m'amuse plutôt. Pourquoi n'essayes-tu pas de t'attarder sur ses points positifs plutôt que ceux négatifs ? C'est sûrement pour une raison donnée que ton frère l'a choisie.

- Il a dû être aveuglé par son physique et son bon goût vestimentaire. A part cela, Sandra n'a que du vénin en elle.

- Voilà ! Propose à Sandra de faire du shopping avec toi, pour apprendre à mieux la connaître. Je sais que tu adores être toujours "in".

- Je ne te promets rien, Cica. Par contre, il est tant que tu viennes faire les boutiques avec moi.

- Je t'ai déjà dit que ce n'est pas mon fort et que ce que je gagne, je le redistribue en majorité aux nécessiteux.

Prenant la main de Cica, Satine ajoute :

- Et moi je te repète que j'en ai assez pour deux. T'offrir une nouvelle garde robe n'est rien pour moi comparé à la paix, la joie que tu m'apportes.

- Je ...

- Pour moi, tu es la grande soeur que je n'ai jamais eue, celle que j'ai toujours voulu avoir.

Elle fixe Satine.

- J'accepte, mais je me contenterai bien de deux vêtements, pas plus.

- On verra.

- Tu es un ange, Satine !

- Non, l'ange c'est toi. Point final.

Elles sourient, parlent encore et encore. Elles auraient continué ainsi jusqu'au petit matin si leur voisine de chambre ne s'était éveillée pour réclamer le silence autour d'elle.









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