chapitre 17

Ecrit par leilaji

Chapitre 17


(je dis hein vous ne dormez pas?)


***Madame Evrard***


Je me précipite vers le portail et je le franchis d’un pas ferme pour me retrouver devant une ruelle déserte. Il n’y a personne si ce n’est un chien errant qui prend peur en me voyant et s’enfuit la queue entre les jambes. Les réverbères m’éblouissent un bref moment et je sens des larmes de colère apparaitre dans mes yeux. Mon cœur est déjà noyé par le chagrin, je ne supporterai pas en plus d’être en colère contre l’injustice de la vie. 


La colère, je pensais l’avoir laissée loin derrière moi. La colère est traitresse, elle te consume à petit feu et t’abime sans même que tu t’en rendes compte. La colère est traitresse. 


J’ai le cœur qui bat tellement fort que je crois qu’il va s’arrêter d’un instant à un autre. Pourquoi il n’y a personne ? Pourquoi est-ce que je continue d’y croire alors que tellement d’eau a coulé sous les ponts ? 


Je passerai donc le reste de ma vie dans cette misérable solitude. 


Je n’entendrai plus le rire d’enfant dans ma maison. Plus jamais ? 

Je n’entendrai plus Claire forcer Latif à manger pour prendre un peu de poids au lieu de se forcer encore et encore à lire « les mots qui dansent » comme il le disait. Je ne verrai plus une sœur aimer son frère d’un amour confiant. Et Latif, les yeux méfiants qui se demandait à chaque fois où était le piège, quand est-ce qu’on le renverrait de la maison parce que son père ne l’y acceptait pas vraiment. Il n’osait toucher à rien et se faisait très discret. 

Son père qui savait à quel point je m’étais sentie blessée par cette trahison oh combien heureuse au final, ne lui permettait pas de m’approcher et disait chercher une solution pour le renvoyer dans la famille de sa mère. Les occasions ont été nombreuses mais Claire ne me l’aurait pas pardonné. Elle a toujours aimé les enfants, elle voulait devenir pédiatre pour s’occuper d’eux. 

Ce que la présence de Latif chez moi m’a enseignée c’est que le cœur apprend à accepter des choses que la raison refuse même de tolérer … Le cœur lui le fait, par amour.  Il lui a fallu du temps au bonhomme pour s’intégrer mais il était très difficile de résister à l’entrain de Claire. Elle était comme ça, toujours à s’occuper de lui ou à s’inquiéter de son sort. 


J’ai très tôt remarqué ses difficultés d’apprentissage tout en notant combien de fois il était doué avec les sciences quand on lui définissait calmement les objectifs de la leçon à retenir. Lui demander de lire le cours ne servait à rien. Il fallait le lui expliquer oralement. Par exemple, lui demander de lire un cours sur la guerre mondiale était inutile. Le mieux était de lui faire suivre des documentaires qui lui en apprenaient tout autant sans le surmener. Il fallait résumer au maximum, organiser à chaque moment son emploi du temps, lui mettre des penses bêtes partout. Pour le reste, son cerveau de dyslexique qui fonctionnait par une puissante propension à réfléchir en trois dimensions par je ne sais quelle magie, comblait les trous. Latif oubliait souvent, se dispersait fréquemment mais dès qu’on le ramenait à l’ordre, il rentrait dans les rangs. Ses résultats se sont améliorés au-delà de toute attente.  


Ils ont grandi, beaucoup grandi. 

Mon mari est mort et a légué toute sa fortune à Claire et moi. Pourquoi ? Lui seul le sait. Le jour de la lecture de son testament devant le Notaire a été très éprouvant pour Latif, Claire et moi. Que la famille n’ait rien, je pouvais le comprendre car c’était notre travail à nous, le couple Adanlosessi qui l’avait batti. Mais que son propre fils n’obtienne rie de lui était effrayant. Ils n’ont jamais eu l’occasion de vraiment s’aimer et son père est parti en l’éloignant définitivement de lui. 

Un jour Claire s’est fait molester par le père du bébé qu’elle portait. Elle l’a quitté le jour même. Elle n’était enceinte alors que de quelques semaines. Mais Latif, le petit garçon doux, devenu adolescent un peu gauche, a réagit d’une manière totalement disproportionnée. Il est allé retrouver cet homme qui faisait deux fois son poids pour lui demander des comptes. Ca a dégénéré et il s’est retrouvé hospitalisé après avoir reçu des coups qui lui ont cassé deux côtes. A partir de ce moment, plus rien n’a été pareil. Il a commencé à s’endurcir physiquement et mentalement. Pour mieux la protéger plus tard disait-il.  


Qui aurait pu croire à ce moment là que  le danger viendrait de lui-même ? 


J’aurai dû rentrer chez moi retrouver ma famille. Mais je n’ai pas pu me résoudre à m’en aller. Tellement de chose à dire restent scellées en moi. 


***Adrien***


Je suis appelé d’urgence par Fernande pour un cas de menace d’accouchement prématuré s’est présenté à la clinque. Puisque l’enfant prématuré présente souvent des problèmes d’adaptation respiratoire, des troubles de l’homéostasie thermique, des hypoglycémies ainsi qu’un risque infectieux accru, le pédiatre responsable doit être informé lors de menace d’accouchement prématuré. C’est pour cela qu’elle m’a appelé. J’arrive aussi vite que je le peux en faisant attention à ne bruler aucun feu rouge. Ce n’est pas le moment de faire des bêtises et de me faire arrêter par les flics. Je ne suis pas bien dans ma tête et je sais que dans ces moments là j’ai tendance à faire de mauvais choix. 


Aujourd’hui, je voulais aller fleurir la tombe de Claire… Je voulais lui parler, lui expliquer ce que j’ai pu accomplir et ce qui me restait à faire. J’ai souvent rêvé de l’accident. Mais elle même jamais elle ne m’est apparue en rêve. Comme si elle avait décidé de couper définitivement les ponts avec  moi. Comme si elle ne me pardonnait pas. 


J’arrive et trouve une famille entière à l’accueil. Le père m’accoste immédiatement. 


- Vous êtes le docteur Adan ?


Dans les situations de crise, c’est bien trop long de corriger les gens et leur expliquer que mon nom ne contient pas que ces deux premières syllabes. Il se réfère au nom de la clinique, ce n’est pas grave. C’est le nom que Claire voulait donner dès le départ à sa clinique de toute manière. Quand je lui disais que ce n’était pas ça notre nom, elle répondait : on sera différent, au service des patients et non là pour faire de la promotion sur un nom de toute manière imprononçable. C’était le genre de chose qu’elle disait en rigolant même devant notre père qui ne lui en tenait jamais rigueur. Il la trouvait aussi brillante que lui… ça passait. Malgré tous les efforts que j’ai pu faire pour entrer dans ses bonnes grâces ou lui faire oublier ce que je considérais comme une tare, je n’ai jamais été à la hauteur… pour lui.  


- Oui c’est moi, que se passe-t-il ? 

- C’est ma femme, elle ne devait pas accoucher maintenant, je ne sais pas ce qui s’est passé. Elle est au bloc en ce moment… Docteur faites quelque chose pour l’enfant… 


Fernande apparait aussi alerte que d’habitude et me tire vers un coin tandis qu’une autre des infirmières de la clinique prend la famille en aparté pour leur donner des informations sur l’état de la patiente. L’ainé semble très inquiet. C’est un grand garçon filiforme et dégingandé. Il parle à celui que je suppose être son père d’une voix assez autoritaire… 


- Karl t’es sure que ça va aller ? 

- Je t’ai déjà demandé de m’appeler papa. 

- Karl !

- Ne vous inquiétez pas ça va aller, intervient l’infirmière qui les pousse vers la salle réserver à l’attente.


On est à la 32e semaine d’aménorrhée de ce que j’ai compris. Les enfants prématurés de cette catégorie d’âge présentent plus de complications à la naissance et durant les premiers jours de vie et nécessitent une prise en charge médicale et des soins infirmiers spécifiques. La prise en charge des prématurés et de leur mère, est toujours une affaire délicate. Beaucoup de facteurs entrent en compte : mais celui auquel j’aime le moins penser c’est celui de la location de la couveuse et des ressources en personnels que tout cela requiert. 


Une clinique est un investissement qui doit rapporter de l’argent pas un hôpital public. Je dois engranger de l’argent chaque mois pour rembourser mon prêt sinon, la clinique sera saisie et je me serai battu toutes ces années pour … rien. Un cas exceptionnel une fois en passant ne fait pas de mal bien entendu mais lorsque c’est tous les jours, c’est impossible à tenir sur le long terme, je tournerai à perte. Heureusement que les locaux sont à moi. Sinon j’aurai un loyer à payer chaque mois et vu la structure ce ne serait pas du pipi de chat. J’ai des factures d’électricité, des fournisseurs de matériel et de médicaments, des employés, des impôts à PAYER et cela chaque mois! Mais ça, les gens dans la détressent l’oublie bien souvent. Lorsqu’une personne a faim, elle n’entre pas dans un magasin pour y manger des biscuits et après demander au gérant du temps pour payer la marchandise. Personne ne penserait à faire cela. Et dans une clinique ce devrait être pareil. Sauf que le facteur émotionnel et humain est tel que la situation dès lors ne peut être évaluée aussi froidement. Ici chez nous, des vies sont en jeu et un refus d’agir de notre part par peur de ne pas être payé entraine souvent une condamnation à mort. 

Les parents accaparés par l’événement heureux à venir ne prévoient jamais ce type d’incident  et les couts que cela entrainent. J’espère que ça ira. Je n’ai pas envie de me prendre la tête avec de telles décisions en ce moment car il faut une assez lourde caution pour que la clinique commence la prise en charge du prématuré dans la couveuse. 


Voilà pourquoi je n’ai jamais aimé les imprévus !


- Docteur ? 

- Oui Fernande. 

- On y va ? 

- Ok. 

- Alors on a administré à la mère des corticoïdes avant la naissance pour accélérer la maturation du fœtus…


C’est une bonne chose, le bébé restera immature, mais la production de surfactant alvéolaire dans ses poumons, notamment, sera favorisée juste avant la naissance. 

Dès que Fernande sent que je me suis pleinement concentré sur le cas, elle commence à me faire un résumé oral très détaillé du dossier parce qu’elle sait que je ne veux pas perdre du temps à le lire. C’est pour cela que j’aime travailler avec elle, elle sait parfaitement comment je fonctionne. J’ai une mémoire visuelle et auditive surentrainée par mon handicap que j’ai appris à contourner avec le temps. 


Il est temps de sauver le bébé. 


Elle continue de m’expliquer le dossier…

La naissance prématurée a été provoquée, pour des raisons médicales, c’est pourquoi une césarienne était nécessaire. Il fallait préserver la santé de la mère, qui était en danger. C’est un cas de pré-éclampsie, qui met en péril la survie de la mère et de l’enfant.


Ce n’est pas notre premier cas, nous en recevons beaucoup de ce type alors l’organisation de la naissance est assez rodée. Je me prépare et rejoins le bloc d’accouchement avant la naissance de l’enfant. Je suis là pour assister la transition de celui-ci entre une physiologie intra-utérine et une physiologie extra-utérine, voire de pratiquer les gestes de réanimation nécessaires. Beaucoup de bébés prématurés ne savent pas respirer par eux-mêmes, il faut être là pour les aider. 


Ca y est, il est sorti du ventre de sa mère encore inconsciente sur la table d’opération. Je stabilise l’enfant et le fais transférer de la salle de naissance à l’unité de réanimation néonatale. On le soignera dans une "couveuse", c’est-à-dire un incubateur. C’est un endroit chaud et humide, qui assure une température et une hygrométrie optimales, et une protection à l’enfant.


***Elle***


On pense toujours qu’on ne touchera plus le fond. En pense toujours avoir retenu la leçon mais la vraie leçon : c’est que la vie est un perpétuel défi à relever, rien n’est jamais acquis. 

Peut-être fallait-il que la situation me sorte de ma « zone de confort », celle dans laquelle je suis tout simplement en attente … 

La vie ce n’est pas attendre que de bonnes choses vous arrivent. Il faut les vouloir tellement fort et ça je ne sais plus le faire apparemment …  Je me rends compte qu’à force de ne croquer que de tous petits morceaux de bonheur, je suis affamée de plus… J’en veux plus, pour moi. Les miettes ou les fonds de poubelles, je ne fais plus dans ça. 


Adrien…


Je n’ai pas dormi de la nuit. Annie qui a été très heureuse de voir son papa, était tellement excitée qu’elle n’a consenti à fermer les yeux que très tard dans la nuit. 

Dès qu’elle s’est endormie, j’ai tenté d’appeler Adrien pour qu’on s’explique entre adultes. Il n’a pas décroché comme je m’y attendais. J’ai même tellement insisté qu’il a fini par éteindre le téléphone. J’ai appelé Leila avant de me rendre compte qu’il était 3 heures du matin. Elle m’a rappelée. On a parlé, analysé la situation. Elle en a déduit qu’il avait dû me voir avec Denis encore une fois à mon insu et estimé que c’était une fois de trop. 


Adrien…


Le réveil de mon téléphone sonne et je l’éteins pour ne pas réveiller Annie qui dort profondément. Je me lève pour prendre ma douche et commencer à m’occuper des enfants. 


Une fois tous douchés et attablés pour le petit déjeuner, l’ambiance de la maison commence à se réchauffer et les rires des enfants me font un peu oublier ma peine. 


- Il a dit qu’il va venir aujourd’hui pour bébé Africa, me chuchote Annie à l’oreille. 


C’est son truc en ce moment, chuchoter ce qu’elle estime être un secret aux oreilles de tout le monde.


- Qui ? demande Oxya en remettant du lait dans le bol d’Obiang

- Le docoeur …


Je la regarde. Elle parle d’Adrien là. Quand lui a-t-elle parlé au téléphone ?  


- De quoi tu parles Annie ? 

- Il a dit au téléphone qu’il va venir aujourd’hui. Je l’attends. 

- Il t’a dit ça quand ? 

- Au téléphone. Après il a dit qu’il veut te parler et je t’ai donné le téléphone quand tu étais avec le tonton. 


Je me souviens juste qu’elle l’a posé près de moi. Il n’y a jamais eu de conversation avec Adrien. Je regarde dans l’historique des appels d’Adrien. Son dernier appel date de cette soirée et a duré près de 15 minutes. Je commence à sentir une migraine poindre à l’horizon. Elle m’a déposée le téléphone alors qu’il était à l’écoute ? 


Seigneur ! Je respire un grand bol d’air pour me détendre. De toute manière, je ne peux pas revenir la dessus. Cette horrible soirée est définitivement la pire de ma vie, autant penser à comment réparer les choses. Annie peut se montrer très têtue quand elle le veut alors il est mieux que je lui explique qu’il est très peu probable qu’il vienne … pour son poupon. 


- Ecoute mon bébé, docteur Adrien sera très occupé donc je ne pense pas qu’il sera là. 

- Est-ce qu’il y a quelque chose qu’on devrait savoir sur lui ? demande Oxya les bras croisés sur sa menue poitrine qu’on voit à peine. 

- Comment ça ? 

- Je ne suis pas aveugle maman. Tu veux remplacer papa alors que tu avais promis de faire un effort pour que vous vous entendiez de nouveau. On ne le verra même plus si tu te maries avec quelqu’un d’autre. 


Comme si c’était de ma faute s’il ne participait quasiment plus à notre vie ! J’ai fait les efforts nécessaires avec Gaspard, je ne peux pas en faire plus. 


- Premièrement, ton père restera toujours ton père. Personne ne le remplacera dans ton cœur et deuxièmement je ne permettrai jamais à qui que ce soit de vous empêcher de voir votre père. 

- Alors pourquoi on ne le voit plus ? 


Qu’est-ce que je dois répondre à ça ? 


- Il a changé de travail et est très occupé en ce moment. Tout redeviendra normal dans peu de temps. Dis-je d’un ton rassurant en regardant chacun d’eux dans les yeux. 


Un peu plus tard, tandis que les enfants sont installés devant la télévision et que la ménagère s’occupe de la propreté de la maison, j’appelle Gaspard. 


- Allo ? 

- Oui bonjour Gaspard. 

- Bonjour. 


Je prends sur moi et me montre conciliante dès le départ. 


- Les enfants voudraient te voir un peu plus. 

- …

- Tu m’as entendu. Je ne parle pas de la pension. Ils veulent juste passer du temps avec toi. On peut s’organiser ça cette semaine si ça ne dérange pas ta femme. 

- Ca ne va pas être possible là, on va en France pour trois semaines. 


Ok. 


- Et après ? 

- Je ne sais pas trop. Je te rappelle. 

- Est-ce que tu as besoin de réfléchir autant pour recevoir tes propres enfants chez toi ? Même un week-end ce serait déjà pas mal Gaspard ! 

- Ecoute, je ne veux pas de friction avec ma femme. Alors j’ai dit je te rappelle. 


Je sais que contrairement à moi qui ai accepté d’élever certains des enfants qu’il a eu après notre mariage dans notre maison conjugale, dès que Vanessa a pris possession des lieux, elle les a fait renvoyer chez leurs mères respectives. Je le sais parce que la mère de Gaspard m’appelle souvent pour avoir des nouvelles de ses petits enfants, surtout d’Obiang qui est son portrait caché. Elle passe une bonne moitié de la conversation à se plaindre de Vanessa qui parce qu’elle n’est pas fang (ethnie du Gabon), a du mal à s’intégrer à la famille et exige beaucoup de sacrifices de la part de Gaspard. Elle me demande de revenir à de meilleurs sentiments et reprendre ma place auprès de son fils. Ce serait tellement facile de lui pourrir la vie comme elle a pourri la mienne dans les derniers moments de mon mariage. Mais je me suis toujours dit que l’attitude des femmes envers leurs rivales dépendait en grande partie de l’attitude du mari lui-même envers sa femme. Si elle a pu autant s’immiscer entre nous, c’est parce que Gaspard l’a permis. C’est à lui que j’en veux, elle, je m’en fiche. 

C’est pourquoi, j’évite de rentrer dans le jeu de la grand-mère de mes enfants et de me mettre à la critiquer. Mon temps est précieux, je ne peux pas le perdre ainsi. Tout ça ne me regarde plus. 


Mais je ne peux pas le laisser couper complètement les liens avec mes enfants, nos enfants. 


- Non Gaspard, je sais que tu ne vas pas rappeler. Tu ne rappelles jamais. Passe-moi ta femme. 

- Quoi ? s’exclame-t-il immédiatement sur la défensive.

- Passe-moi ta femme ou je vais débarquer à son bureau. Tu préfères que je règle ça maintenant ou à son lieu de travail ? 


Un petit bruit plus tard et je lui parle pour la première fois de ma vie. 


- Bonjour Vanessa. 

- Bonjour, répond-elle du bout des lèvres. 


Je ne veux pas la guerre avec elle, j’ai tourné la page de Gaspard et c’est ce qu’il faut qu’elle comprenne. Elle aussi désormais a des enfants avec lui. Je ne comprends pas cette peur qu’ont les femmes d’accepter les enfants de leur mari. 


- Excuse-moi de te déranger ainsi. Mais je voudrais que les enfants passent un week-end avec leur père après votre retour de France. 


Ah je serre le cœur. Même aller au cap estérias (lieu de villégiature) avec moi là, en plus de dix ans ca ne s’est jamais fait. Hum. Quand un homme n’est pas le tien, c’est à ces choses là qu’on le comprend. 


- La maison est petite et avec tes trois enfants ça ne va pas être possible. Répond-elle après un moment. 


Hum. La maison qu’elle qualifie de petite a quatre chambres. Je le sais puisque je l’ai construite avec Gaspard. La maison dans laquelle elle refuse d’accueillir mes enfants, mon salaire y est passé. Je suppose que ça, il ne lui a pas dit ça. 


- Vanessa je vais te parler de femme à femme. Gaspard, c’est avec toi qu’il est. C’est toi qui porte sa bague, c’est ton mari plus le mien. Les enfants, ce n’est pas un moyen de le récupérer, de te le voler. Gaspard et moi c’est fini, bien fini. Tu es une femme et une mère comme moi. T’es enfants sont les frères des miens. Que tu le veuilles ou pas nous formons une famille. Je n’entrerai pas dans la maison. Je les prépare et si tu veux tu les récupères au portail et je viens les reprendre de la même manière. C’est juste pour qu’il passe du temps avec leur père. 


Je n’arrive pas à croire que je suis en train de m’humilier ainsi devant une fille qui a une bonne dizaine d’année de moins que moi. Mais c’est dans l’intérêt des enfants… ils passent avant moi et mon amour-propre. 

Pourquoi une fois séparés, les parents oublient d’être parent ? Bien que souvent absent, Gaspard aimait beaucoup ses enfants, surtout Oxya qui ressent cruellement son absence depuis le divorce. Et maintenant c’est à peine s’il pense à demander de leur nouvelle parce qu’une nouvelle femme lui a donné de nouveaux enfants ? 


- Ecoute Elle, moi je n’aime pas les histoires de garder les enfants des autres là… Ca emmène toujours des problèmes… Et je ne veux pas de problème. Je ne suis pas mauvaise, je me protège juste. 

- Tu l’as épousé, les enfants là étaient déjà là que ce soit les miens ou ceux de toutes les autres. Tu savais qu’il en avait, que tu deviendrais forcément belle-mère. Il ne s’agit ni de toi ni de moi mais d’enfants. Tu sais, les tiens sont encore petits mais s’ils avaient tous le même âge, ça ne me dérangerait pas de tous les garder certains week-end. Tu le sais que je l’ai fait avec les autres, ça ne s’est jamais mal passé. Je suis une mère avant tout, comme toi à présent. Ce sont des frères et sœurs, ils méritent de grandir tous ensemble. 


Elle soupire. 


- Je ne suis pas toi. Si toi tu acceptais les conneries comme ça, ce n’est pas mon cas. 

- Ce sont mes enfants que tu traites de conneries ou je saisis mal ? 

- …

- Ah c’est mieux ainsi. Dis-je comme elle n’a pas osé répéter. 


Je garde mon calme. M’énerver avec elle ne servirait à rien. Mais il faut qu’elle sache dès à présent que ce qu’on lui a raconté sur ma gentillesse là, c’est le haut de l’iceberg hein. Je suis en train d’émerger complètement avec tous les problèmes qui me dépassent là. Et je ne veux pas verser ma colère sur elle. 


- Vanessa, retiens une chose : que tu le veuilles ou pas tu compteras avec moi dans ton équipe ou contre ton équipe. Et crois moi, je connais Gaspard mieux que toi, je connais sa famille mieux que toi, je connais ses amis mieux que toi. Tu ferais bien mieux de m’avoir de ton côté parce que pour le moment c’est là que je suis, de ton côté car tu es la mère des frères de mes enfants. Parce que ma belle, les temps difficiles que tu es en train de vivre là, et ça je le sais parce que la famille vient m’en parler … ça va s’empirer si je m’en mêle. Et je ne veux en aucun cas m’en mêler. Est-ce qu’on se comprend ? 

- …


Un long silence après :


- Ok, on va organiser ça à mon retour. Je vais en parler avec lui. 

- Pas de problèmes. Bonne journée et désolée pour le dérangement. 


Elle soupire une nouvelle fois. 


- Elle ? 

- Oui. 

- Merci. 

- Merci à toi aussi. Prends soin de ta famille. 


Nous avons raccroché en même temps. Je me suis rendue compte que j’étais assez contente de comment les choses se sont passées mais je ne me suis pas trop attardée dessus. 


Il me fallait aller faire les courses de la semaine. Je me suis préparée pour sortir et ai décidé de prendre Annie avec moi. Je voulais passer le plus de temps possible avec elle avant que son père qui allait de mieux en mieux ne vienne la récupérer définitivement. 


- Qui veut quoi ? ai-je crié en cherchant les clefs de la voiture. 

- Des glaces… a crié Obiang en se précipitant vers le frigo pour vérifier ce qui manquait. 


Oxya quant à elle m’a fait une liste tellement longue que j’ai éclaté de rire. Ekang lui pendant ce temps, s’apprête à aller jouer au foot chez le voisin. Je lui donne les recommandations habituelles : pas plus d’une heure trente là bas et pas de bêtise avec des filles.  Il a bougonné comme à son habitude en m’expliquant qu’il n’était plus un bébé et qu’il savait déjà tout ça. Je l’embrasse contre son gré et nous partons avec Annie. 


Tandis qu’Annie babillait avec bébé africa, mes pensées se sont envolées vers Adrien. Quand c’est parti en vrille avec Denis et son secret, je me suis tranquillement gérée. J’ai retiré mes billes comme une grande. Mais là, je ne sais pas quoi faire. 


J’ai la frousse. C’est idiot mais j’ai la frousse. Parce qu’avec Adrien c’est déjà parti trop loin. Les dés étaient jetés dès qu’on s’est vu à la clinique… même si à ce moment là je  n‘avais aucune idée de comment les choses allaient tourner entre nous. 


Il m’en veut tellement et il y a tellement d’ombres entre nous : des silences, des non-dits qui nous empoisonnent. Est-ce qu’il faut se battre ? 


Mais à qui mens-tu Elle me dit ma conscience. A qui mens-tu ainsi ? 


Tu le sais déjà que tu vas te battre. 


C’est Adrien. Et ce simple nom veut tout dire pour ton cœur … 


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Je t'ai dans la peau