Chapitre 17: Dette

Ecrit par Lalie308


Après une douche froide, Lysga entra dans sa chambre en esquissant des gestes las tandis que les images de sa dispute avec Solenna puis de la séquence où il avait eu à brûler le livre s'imposaient à lui. Il ne savait pas ce qui s'était passé, mais une force étrange avait pris possession de lui et l'avait poussé à sourire. Pourquoi ? Face au chaos ? Il n'en avait aucune idée ; il se sentait simplement comme un baudet. Sa volition avait été inexistante — elle n'avait quasiment jamais été. Il se vêtit sans engouement avant de se rendre dans le parc du village. Il se laissa tomber au pied d'un arbre. Tête contre le géant végétal, paupières closes et lèvres pincées, il lâcha une expiration bruyante. 


Lorsqu'il se redressa, il ne put s'empêcher d'observer ceux qui passaient, leurs va-et-vient constants, leur paix. Ils savaient que ces fragments de vie ne reposaient que sur un fil. Il croyait d'ailleurs entendre leurs pensées : folles, filantes, incongrues ou minablement prudes. Ils pouvaient les sentir cogiter sur les tâches kilométriques de la journée, leur envie démesurée de perfection, d'un monde parfait, mais encore leurs fantasmes interdits. Un vague sourire se dessina sur ses lèvres. Quels idiots ! pensa-t-il. Dès qu'il pensa à son teint atrocement pâle, les vagues de nausées qui le turlupinaient constamment et ses mains tremblantes, il se rendit compte qu'il n'en était pas différent. 


Il avait l'impression que le monde tournait trop vite et brutalement, aussi pianissimo qu'une longue symphonie dont les sons crachaient d'épaisses notes amères. Son regard croisa celui de Solenna qui se promenait encore avec les plus jeunes, sourire aux lèvres. Pour lui, elle était le parfait dessin de la jeune fille ingénue. Lorsque le regard de celle-ci croisa le sien, Lysga sentit tout son corps se paralyser. 


Il avait encore plus de mal à respirer, à penser. Solenna tomba à genoux, crachant de grosses gouttes de sang. Sa poitrine mouvait à un rythme effréné à l'instar de la quinte de toux violente qui la secouait. Tout le monde se mit à paniquer autour d'elle. Lysga, à contrario, resta immobile, pris de court. Quand ses forces lui revinrent, il se leva maladroitement pour courir vers elle. 


            — Muvimenti ( Dégagez) ! cria-t-il en poussant tous ceux qui étaient sur son chemin. 


            Il prit Solenna qui tremblait excessivement dans ses bras puis courut jusqu'à la résidence de ses parents. Il déposa Solenna dans un des fauteuils avant de se saisir d'un sac de soin que sa mère gardait dans l'un de leurs rangements. 


            — Lysga, gémit Solenna en grimaçant de douleur.


            Il sentait son sang pulser exagérément dans ses veines, une colère sourde s'y déployer. Il savait que Galista était derrière tout ça, et il ne pouvait rien y faire. Il nettoya, tremblant, le sang qui couvrait le menton de Solenna tandis que celle-ci continuait de hurler. 


            — Lena ! 


            Lysga leva la tête vers sa mère qui marchait vers eux à pas de loup, accompagnée de Célesta. 


            — Les villageois nous ont raconté, expliqua Luz à son fils. Laisse-moi voir. 


            Luz s'agenouilla près de la victime qui, en sueur, avait une température très élevée. 


            — Brad est à la cité, il viendra très vite. D'accord ? tenta-t-elle en nettoyant le visage brûlant de Solenna. 


            Elle acquiesça de la tête avant de pousser un nouveau cri en retenant son ventre. 


            — Lena, écoute-moi, dis-moi ce qui ne va pas. Tu as mal au ventre ? 


            Célesta et Lysga se tenaient à quelques mètres d'eux. Lysga ne cessa de taper nerveusement du pied. Il ne faisait décidément rien de bon. Il aurait dû repousser Solenna depuis le début, elle ne serait jamais devenue une cible.


 Luz posa ses deux mains contre le ventre de la malade en récitant plusieurs incantations. Après plusieurs minutes, Solenna arrêta enfin de trembler, semblant enfin soulagée. L'entrée de Brad se fit remarquer par le bruit de ses pas rapides. 


            — Elle ira bien, lui promit Luz en se relevant pour le laisser prendre place près de sa fille. 


            Il lui caressa le visage. 


            — Tu vas bien ma puce ? lui demanda-t-il doucement. 


            — Oui, beaucoup mieux, l'assura Solenna de sa voix faible. 


            — On va la monter dans une de nos chambres pour qu'elle se repose, déclara Luz. 


            Brad acquiesça. Célesta et Luz touchèrent Solenna puis elles disparurent. Il ne se leva pas, fixant ses poings serrés. Lysga ne put s'empêcher de le regarder, incertain de quoi faire. 


            — Est-ce que je peux compter sur toi pour protéger ma fille ? 


            Lysga fronça les sourcils, surpris par la question.    


            — Non, répondit-il sincèrement. 


            — C'est elle qui te protège, remarqua Brad en relâchant lentement ses doigts. 


            — Oui, avoua Lysga. 


            — Que tu sois loin ou près d'elle, Galista l'a dans le collimateur, n'est-ce pas ? 


            Lysga trouvait Brad trop calme, ce qui le déstabilisait. 


            — Oui. 


            Brad se leva enfin pour marcher vers lui. 


            — Alors, tu répares ce que tu as causé. Si elle doit vivre la colère de cette cinglée, autant t'avoir avec elle. Tu connais Galista mieux que tous ici, je sais que tu nous caches des choses. Pourquoi ? Je n'en ai aucune idée. Je sais aussi que tu es une victime, donc je ne te blâme pas. Fais juste le meilleur que tu peux Lysga, avant qu'il ne soit trop tard. 


            Lysga ne répondit d'abord rien, essayant de prendre le dessus sur les forces cachées qui déployaient de plus en plus en lui l'envie de détruire, de casser, de briser.


            — Je vais voir Lena, termina Brad. 


            Lysga serra son poing, regardant dans le vide. Il pouvait sentir Galista se réjouir. Il pouvait sentir son souffle contre son cou, la voir sourire de satisfaction. Il la savait en pleine préparation de plans encore plus tordus. 


Les battements de son cœur s'intensifiaient depuis l'incident de Solenna, il savait que Galista n'était plus loin, qu'elle viendrait bientôt, très bientôt pour lui. Il sortit en fureur du salon, marcha rapidement jusqu'à la sortie du village, déterminé. 


            — Où vas-tu comme ça, petit démon ? 


            Il s'arrêta subitement après avoir entendu la voix de Fiona. Il se tourna lentement vers elle. 


            — Je t'ai vu sortir de chez toi, et quelque chose me disait que tu allais faire une ânerie. 


            — Je vais en finir avec tout ça, siffla-t-il, le visage fermé. 


            Fiona éclata d'un rire jaune. 


            — En finir ? Finir les rituels ou tuer Galista ? Je veux dire, te faire tuer par Galista ? le nargua-t-elle en le regardant de haut. 


            — Comment est-ce que tu arrives à te retenir ? Tu n'as pas envie d'en finir ? D'arrêter tout ça ? explosa-t-il.


            Fiona marcha vers lui, pointa son index sur son torse en articulant très nettement. 


            — Elle sait manipuler, elle veut que tu viennes, elle veut que tu sois aussi pathétique que maintenant. Tu y vas, et rien ne s'arrêtera, tout s'empirera et tu te sentiras encore plus coupable si tu n'es pas déjà trop mort pour le faire. 


            Elle ne lui laissa pas le temps de rétorquer qu'elle disparut. Lysga se tourna, fixant longuement la sortie avant de se retourner. Une fois chez lui, il se rendit dans la chambre où se reposait Solenna. Il vit Brad à son chevet — tous deux en rires. Solenna, assise, le regarda avant que Brad n'en fasse de même, les rires s'évaporant. 


            — Je vais voir Cody à la cité pour finir notre boulot. À plus ma puce. 


            Il lui déposa un baiser sur le front puis sortit de la pièce en n'oubliant de poser un regard plein de sous-entendus sur Lysga. 


            — Cu sì ? ( Ça va ? ) demanda ce dernier.


            — Oui, répondit-elle en hochant la tête. 


            Lysga s'installa près d'elle.


            — Je suis désolé. 


            — Ce n'est pas de ta faute Lysga, j'ai insisté, alors ce n'est pas de ta faute. 


            Il regarda ses mains qu'ils serraient fortement autour de ses genoux.


            — Et puis depuis quand t'excuses-tu ? le taquina-t-elle ensuite avec un sourire au coin des lèvres. 


            — Je suis désolé que tu sois aussi idiote, je voulais dire, répliqua Lysga avec un air faussement méchant.


            Solenna fit la moue avant d'éclater de rire. Ses yeux s'agrandirent exagérément lorsqu'elle nota le petit sourire qui ornait le visage de Lysga. 


            — Je crois que j'ai reçu un coup à la tête, ou tu souris Lysga ? s'étonna-t-elle.


            Le visage de ce dernier redevint neutre tandis qu'il leva les yeux au ciel. 


            — Tu as définitivement reçu un coup à la tête.


            Fiona apparut dans la chambre, bras croisés. 


            — Génial, tu es là, ironisa-t-elle en voyant Lysga. 


            Il leva la tête vers elle, les traits durcis. 


            — Qu'est-ce que tu veux, Fiona ?


            — Parler à Solenna, en privé.


            — Et depuis quand tu parles à Solenna ? rétorqua-t-il en se levant.


            — Tu finiras par dépasser ma limite petit imbécile, et je me ferai un malin plaisir à te faire la peau, le menaça-t-elle. 


            — Dis celle qui tremble comme une fillette devant Galista. 


            Elle fixa la gorge de Lysga qui sentit sa respiration le quitter rapidement. Il réussit à tordre un objet cylindrique en terre posé sur une commode qui entoura le cou de Fiona avant de la plaquer au mur. 


Il récupéra sa respiration en marchant vers elle, alors qu'elle se détachait difficilement de sa prison. Elle sauta sur Lysga et lui griffa le visage si fort qu'il laissa échapper un cri. 


            — Stop ! Arrêtez, hurla Solenna, faisant sursauter les deux combattants. Dehors ! Si vous voulez vous tuer, faites-le dehors ! 


            — S... commença Lysga. 


            Elle le coupa en pointant la sortie. Il lança un regard noir à Fiona avant de sortir, suivi d'elle. Ils tombèrent sur Luz qui montait vers la chambre. Elle posa son regard sur chacun d'eux. 


            — Ne me dites pas que vous vous êtes battus, dit-elle en riant jaune. 


            — Ton fils est une plaie. 


            — Et tu es quasiment sa grand-mère Fiona, lui reprocha Luz, exaspérée. 


            Elle prit un air sévère en marchant vers eux.


            — Qu'importe ce que Galista a pu faire de vous deux, qu'importe qu'elle vous ait transformés en des animaux, sachez vous contrôler, ou je le ferai. 


            Elle les ignora ensuite pour se rendre dans la chambre de Solenna. 


            —  Tu as raison, on doit en finir, souffla Fiona. 


            — Tu... as aussi ressenti ça ? s'étonna Lysga. 


            — Pourquoi crois-tu que je me serais presque battue avec un morveux dans ton genre ? J'ai fait des efforts, okay ? Et je ne laisserai pas des forces idiotes reprendre possession de moi, cracha-t-elle amèrement. On aura définitivement besoin de Solenna, et je venais lui parler. J'ai une idée. 


*


            Ils étaient tous dans le patio, écoutant attentivement Fiona et Lysga qui avait été soigné par sa mère. 


            —  Mais elle sait ce qui se passe dans la tête de Lysga, non ? demanda Nalu. 


            — Je n'arrive pas à croire que tu sois même d'accord avec ça Nalu, ils vont dans la gueule du loup, s'indigna Brad. 


            — Non. J'ai utilisé deux trois astuces que j'avais utilisées avec Peter et grâce à mon extraordinaire découverte sur le diabolo, j'ai pu brouiller l'accès à Lysga, mais pour une courte période de temps. Dès que Solenna ira mieux, on ira voir Galista tous les trois, on lui fera croire qu'on a cédé et là... on donnera tout. 


            Fiona avait enfin avoué à Lysga qu'il y avait une substance étrangère dans le sang du diabolo, et que cette substance donnait l'accès à l'esprit du diabolo par son maître. Elle avait donc utilisé le liquide pour brouiller les pistes vers l'esprit de Lysga. Galista verrait plutôt un vrai néant correspondant au subconscient du diabolo.


            — Et si elle vous grille ? demanda Nerdy. 


            — Alors, on ira directement à l'attaque. 


            — Je ne suis pas sûre de ce plan, avoua Luz. 


            — Mais arrêtez d'être aussi lâches. Hier je me suis battue avec ton fils, bientôt, qui sait ce qu'elle nous fera faire ? Je déteste être une marionnette, OK ? 


            Ils s'observèrent pendant un long moment. 


            — Je ne voudrais pas impliquer Lena, mais j'étais là quand elle a atteint Galista, et je crois que ça peut marcher. Il suffit qu'elle retrouve ses forces, déclara Lysga. 


            — Glami ! Glami ! 


            Ils se précipitèrent tous vers la nelcalienne qui courait vers le patio.


            — Que se passe-t-il ? demanda Luz, inquiète. 


            Essoufflée, la nelcalienne tenta de parler, mais sa bouche forma un o d'où coula un filet de sang avant qu'elle ne s'effondre. Derrière elle, se tenait Galista, sourire aux lèvres et le cœur battant de sa victime en main. 


            —  Hala.                  


            — Ne faites pas ces têtes, voyons, continua l'ancienne nelcalienne en jetant le cœur sur sa victime.


            — Qu'est-ce que tu fais ici ? cracha Lysga qui tentait de masquer sa peur. 


            — Pour toi, voyons Lysga. Tu me dois quelque chose, n'est-ce pas ? répondit-elle en souriant de plus belle. 


            Lysga jeta un coup d'œil à son père avant de marcher vers Galista. 


            — C'est entre toi et moi. N'ose pas...


            D'un coup de tête rapide vers la droite, Galista fit projeter Lysga contre un arbre, le visage fermé.


            — Au cas où tu aurais oublié que je suis celle qui t'a tout donné. 


            Luz disparut pour apparaître derrière Galista. Avant même qu'elle ne fasse un geste, Galista la fit également projeter contre un arbre. 


            — Tellement prévisible, se moqua-t-elle. Je vous connais tous par cœur, tellement bien. Donnez-moi ce que je veux, et tout ira bien. 


            Fiona la regardait de sa plus belle expression noire en serrant les poings. Lysga et sa mère se relevèrent lentement. Les cris dans tout le visage les interpelèrent. 


            — Allez-y, dit Fiona en regardant derrière elle. Et toi, précisa-t-elle pour Solenna. 


            Elle soupira avant qu'ils ne disparaissent, laissant Luz, Lysga et Fiona avec Galista. 


            — J'avais oublié de préciser que mes petits disciples voulaient un peu se défouler, gloussa Galista. 


            Lysga se releva en colère, entourant les pieds de Galista de terre et faisant apparaître plusieurs épines comme celle qui était entrée dans le pied de son père. Galista disparaissait et réapparaissait rapidement, évitant toutes les embuches. Fiona savait qu'elle ne réussirait pas à paralyser Galista ou avoir accès à son corps interne.




 Elle fit un signe de tête à Luz. Elles dirigèrent des branches d'arbres sur elle, venant de toutes les directions. Les branches s'arrêtèrent autour de Galista qui esquissa un sourire au coin des lèvres avant de les diriger vers ses adversaires qui les dirigèrent aussitôt vers le côté. Les cheveux de Luz étaient devenus blancs et ses yeux verts. 


*


            Tous les autres s'étaient dispersés pour aller aider les nelcaliens. Certains nelcaliens et nelcahumains bien entraînés s'étaient rendus à la cité avec Brad et Nalu. Les autres étaient restés au village pour éliminer les créatures. 


            — Je dois y retourner, dit Solenna à Célesta après avoir grillé un groupe de bêtes. 


            — Tu ne pourras rien y faire, tu es encore trop faible. Elle a choisi ce moment pour venir. 


            Leurs yeux s'agrandirent quand ils virent des diabolos se diriger à vive allure sur eux. Célesta communiqua rapidement avec Nalu, Nerdy et Cody pour les avertir. Fiona leur avait dit qu'il fallait retirer les yeux des bêtes. 


Solenna fit apparaître une étoile de lumière en face du diabolo qui filait vers elle avant de disparaitre pour apparaître sur son dos. Elle respira profondément en plongeant ses mains dans les orbites de la bête. Dès que la bête s'écroula, elle réapparut à son poste initial en toussant et respirant bruyamment. 


            — Repose toi un peu, je te couvre, fit Célesta en tapant des mains et poussant les bêtes vers l'arrière. 


            Quelques-uns qui maitrisaient la télékinésie faisaient élever les créatures dans les airs avant de les projeter au sol. Ils s'y mettaient à plusieurs sur une seule créature. 




Les maitres du sabre n'hésitaient pas après la diversion de leurs paires à trancher la gorge des créatures puis à retirer leurs yeux. Un nelcalien sourit à une humaine lorsque plusieurs des disciples de Galista foncèrent sur eux. Cody fronça les sourcils. 


            —  Flora pousse, c'est un piège, hurla-t-il. 


            Aussitôt, le nelcalien se transforma en diabolos. Cody lui lança plusieurs décharges électriques, donnant le temps à Flora de s'enfuir. Nerdy se posa en face de la bête en murmurant. 


            — Ùn mobilāks ( Ne bouge pas). 


            La bête lutta pendant un moment avant d'obéir.


            —  Ça marche sur eux, se réjouit-il avant de retirer les yeux de la bête en grimaçant. 


            À la cité, les humains se servaient de toutes les armes avancées que Hongust avait fait développer. 


*


            Une dizaine de diabolos, beaucoup plus géants et sanguinaires que les premiers galopaient jusqu'à Galista. 


            — Je vous laisse vous amuser aussi, dit-elle en les regardant.


            Luz qui semblait de plus en plus en colère disparut rapidement pour apparaître en face d'une créature et lui retirer les yeux avant même qu'elle ne bouge. En quelques secondes, cinq des créatures se trouvaient à terre. 


            — Occupez-vous d'elle, cria-t-elle lorsque de nombreux autres se dirigeaient vers eux. 


            Elle les fixa, les faisant tous projeter contre des arbres avant de crier : 


            — Lysga !


            Son fils ne se fit pas prier avant de faire brûler les créatures. 


            — Impressionnant, remarqua Galista, pas déstabilisée. Je suis ravie de rencontrer la glami Luz. 


            Un diabolo se dirigeait à vive allure vers elle. Elle se rappela la fois où elle avait découvert le pouvoir de Nerdy et se retourna vers les diabolos qui étaient à présent dix fois plus nombreux que les premiers. 


            — Esi mobilāks (Ne bougez plus), cria-t-elle tandis que ses cheveux flottaient. 


            Les bêtes dans tout le village s'immobilisèrent. Le visage de Galista s'obscurcit. 


            — Ce sont des créatures de l'ombre, elles ne devraient pas t'obéir. Ça leur passera dès que tu seras déconcentrée.


            Elle fixa Luz, tentant de tordre ses os pour la déstabiliser. Fiona se jeta sur elle pour lui donna des séries de coups qu'elle esquivait rapidement en détachant ses yeux de Luz. Lysga fit apparaître des centaines de flammes qu'il lança sur Galista qui les fit toutes tomber.


 Lysga lui adressa un sourire puis l'immobilisa avec des morceaux de terre, deux mains de terres se saisirent des mains de Galista puis il lança une énorme flamme sur elle. Galista tempêta une série d'incantations, brisant les barrières. Elle leva une main vers Fiona et Lysga en continuant ses incantations. Les marques sur leurs visages devinrent comme des brûlures qui leur laminaient le visage tandis qu'ils poussaient des cris. 


            — Aghju fattu. Ingrates. (Je vous ai fait. Ingrats), tonna-t-elle tandis que sa capuche tombait. 


            Les écritures apparurent sur leur corps alors qu'ils criaient de plus belle. Les yeux de Galista se détachèrent de leurs orbites. Chaque œil se rendit chez l'un des deux. Ils s'arrêtèrent avant qu'un fluide rougeâtre n'émerge de la pupille pour se déverser sur eux. Des milliers de forces noires se mirent à se déchainer sur eux, murmurant, hurlant, maudissant. Ils s'effondrèrent. Les yeux retournèrent à leurs places. Galista se tourna vers Luz. 


            — Muvimenti, ( dégagez), cria Luz. 


            Toutes les créatures disparurent du village, sauf les disciples de Galista. Luz se redressa en respirant bruyamment, sachant que les créatures reviendraient d'un moment à l'autre. Elle regarda rapidement Lysga et Fiona qui criaient en gigotant dans tous les sens. 


            — J'ai toujours été malade de vous les dieux, même si tu n'es qu'une bâtarde. Ton père était un idiot, un faible, dit-elle calmement tandis que Luz reprenait sa respiration. Je ferai de son royaume poussière. J'y sèmerai angoisse, peur, rage, douleur. Je ferai descendre les sept malheurs sur vous. 


            — Libère mon fils tout de suite où... 


            Luz ne put par finir sa phrase qu'elle sentit des fourmillements douloureux dans tout son corps. Elle respira lentement pour tenter de reprendre le contrôle. Elle n'avait pas le choix, elle devait faire ce qu'elle avait à faire sans y mêler personne cette fois. Elle ne supporterait pas de voir son fils mourir ou de mourir et le savoir en danger. 


Elle se mit à réciter une série d'incantations silencieuses. Galista déplaça son index vers la gauche, une déchirure apparut sur le coup de Luz. Elle ne se laissa pas décourager. Galista refit la même chose plusieurs fois ; quelques minutes plus tard, le corps de la glami Luz était parsemé de blessures. Le même cercle que celui qui était apparu lors de son combat avec Peter Jones apparut autour d'eux. Dès que Galista le remarqua, son expression s'obscurcit plus profondément. 


            — Tu me prends pour Peter Jones ? Tu penses que ça marchera avec moi ? se moqua-t-elle doucement. 


            Lysga qui ne criait plus rassemblait toutes ses forces pour ignorer les démons qui l'assenaient. Il se concentra et forma progressivement une queue d'eau de la rivière qui serpentait lentement jusqu'à eux. 


Pendant ce temps, Galista brisa les tibias de Luz qui s'effondra. Le cercle disparut. Elle dirigea des centaines de branches sur Galista, disparut et réapparut à plusieurs endroits. Elle la fit projeter contre un arbre, mais Galista retrouva son équilibre avant même de toucher l'arbre. Luz se releva, tremblante, certaine que la guérison de ses os n'était pas encore certaine. 


            — Je m'ennuie. Mettons-y un terme, railla Gallista. 


            Soudain, la longue queue d'eau se saisit de son pied, puis se divisa. Une partie plongea dans sa bouche pour l'étouffer. Lysga se concentra de plus belle tandis que sa mère observait la scène, stupéfaite. Il fit apparaître plusieurs flammes qui furent avalées par l'eau qui se réchauffait. Une autre division de la longue queue entoura le cou de Galista qui s'agitait. 


Lysga et Fiona sentirent progressivement les démons s'éloigner. Ils se relevaient, épuisés. Lysga ne s'arrêta pas de fixer sa cible. Soudain, Galista disparut. Il regarda autour de lui, essoufflé. Elle apparut derrière lui, lui souffla quelques mots à l'oreille avant de disparaitre. Il fit les gros yeux en se tournant vers Fiona. 


            — Fiona, où est Lena ? cria-t-il. 


            — Dans le grand parc. 


            — Maman, allons-y. 


            Luz ne comprit rien, mais s'empressa de les faire apparaître dans le grand parc. Tout y était calme : quelques disciples de Galista, des humains ou nelcaliens blessés ou tués jonchaient les lieux. 


            — Je ne comprends pas, où est-elle ? paniqua Lysga en regardant partout. 


            — Que t'a-t-elle dit ? demanda Luz. 


            — Elle... a dit... Elle a dit qu'il était l'heure des comptes, mais qu'avant elle devait se venger... 


            — Contre Lena ? s'étonna Luz. 


            — Je ne sais pas... 


            Luz les fit apparaître et disparaitre un peu partout, avec Fiona à leurs côtés. 


            — Attends ! 


            Lysga semblait être pris d'une révélation, regardant partout autour de lui. 


            — Dent pour dent.


            — Quoi ?


            — Dent pour dent, elle a ajouté dent pour dent. Elle ne l'a pas dit, mais elle l'a pensé. Dent pour dent. La rivière ! Maman, la rivière. 


            Luz les fit apparaître rapidement. Galista était debout dos à eux et face à la rivière. Solenna et Cody étaient immobiles, paralysés. Luz voulut courir vers eux, mais Galista parla :


            — Un geste brusque et j'ouvre la terre sous eux. Un geste brusque et je les laisse se faire dévorer par les démons sous terre. 


            Luz s'arrêta. Galista se tourna vers eux. Elle ne souriait plus, elle présentait plutôt une profonde tristesse dans laquelle baignaient ses yeux de sang. 


            — Dent pour dent Lysga. Je te disais bien que nous étions connectés, fit-elle d'une voix modulée. Eau pour eau. 


            Elle fit une longue pause en marchant vers Solenna. Elle fixa son cou, une veine en ressortit en se brunissant progressivement sous les cris de Solenna qui respirait bruyamment. 


            — L'heure du choix Lysga. Donne-moi mon dû et je la laisse saine et sauve pour l'instant. Sinon, je ferai éclater le cou de ta très chère, puis le crâne de chaque être sur cette planète. 


            — Que veut-elle Lysga ? s'osa à demander Luz. 


            Lysga regarda Solenna, puis son père. Si Galista voulait tant de Cody, pourquoi ne pas le faire elle-même ? 


            — Je m'impatiente Lysga. 


            — Ne l'écoute pas Lysga, tu peux la vaincre, gémit Solenna avant de pousser un nouveau cri. 


            — Lysga, dis-leur pourquoi tu es revenu. Dis-leur ce que je veux, dit Galista, sans sourire.


            Elle parlait avec détresse, comme absorbée par un tsunami de pleurs. 


            — Je ne suis pas venu pour ça, je n'ai jamais accepté, se défendit-il en reculant. 


            — Dis-leur, insista Galista. Dis-le à Luz. 


            Lysga, tremblant, se tourna vers sa mère. 


            —  Elle voulait papa. Je t'assure que je n'ai jamais accepté. 


            — Je te crois mon amour, je te crois, lui assura Luz. 


            Fiona resta silencieuse, les observant. 


            — Laisse-la partir Galista et je reviendrai, soupira Lysga. 


            — Quoi ? s'étrangla Luz.


            Cody qui était silencieux savait que son fils évitait de le regarder. Il comprenait à présent le comportement de Lysga depuis son retour. 


            — Si c'est ce qu'elle veut, offre-moi lui, Lysga, articula-t-il difficilement. 


            — Dis-leur Lysga combien de fois tu as rêvé de mille manières de lui trancher la gorge. 


            Les images lui revenaient toutes violemment sans qu'il ne puisse les repousser. 


            — Que tu m'as souri, que tu rêves de revenir, de servir le mal. Dis leur Lysga. 


            Il se mit à respirer bruyamment, se sentant de plus en plus étranger à lui-même. 


            — Dis leur Lysga, que chaque soir tu te prosternes, que chaque seconde tu étouffes. Dis-leur que l'ombre est en toi et que tu veux la vivre librement. 


            Lysga qui avait la tête baissée la releva lentement. Les trois quarts de ses cheveux devinrent purement blancs et la moitié de ses yeux noirs. Il était absent, abimé, mort. Il marcha de pas lourds jusqu'à Cody, le regardant sans le regarder. Il entoura son poignet de sa main puis posa à nouveau son regard sur Galista. 


Tous les observaient, stupéfaits, paralysés. Le regard de Solenna croisa celui de Lysga. Elle tenta de le faire revenir, de le supplier de ne pas se laisser faire, mais elle ne le voyait plus. Il n'était plus là. Elle avait définitivement perdu, elle le sentait. Galista et Cody disparurent. Lysga était parti, perdu, égaré, piégé, comme un rat. Luz tomba à genoux, les disciples de Galista disparaissaient progressivement. 


Puis, il n'y avait plus rien. Solenna resta immobile, fixant le vide. Fiona, elle, n'avait pas bougé d'un poil. Elles restèrent ainsi jusqu'à l'arrivée de Nalu, Brad, Nerdy et Célesta dont les combinaisons étaient abîmées ; quelques bleus parcouraient également leurs corps.



            — Que se passe-t-il ? Les monstres ont disparu, s'enquit Brad en marchant vers sa fille.


            Lorsqu'il voulut la toucher, elle recula en levant sa main. 


            — Ils sont partis. 


            — Qui ? demanda Célesta. Comment as-tu fait pour disparaitre ainsi tout à l'heure ? Je ne t'ai pas vu partir.


            Solenna esquissa un sourire triste. 


            — Elle a gagné. Elle a Lysga. 


            Les nouveaux arrivants se regardèrent, perdus.


            — Où est Cody ? demanda Brad.


            — Il est... commença Luz, parlant difficilement. Le dû de Galista. 


            Elle ferma ses yeux puis l'ouvrit, comme si la réalité montrerait enfin le bout de son nez. Rien ne changea, certes. Le silence fut brisé par Fiona qui éclata en sanglots pour la première fois. Elle s'écroula, en larmes, tremblante. Nerdy courut vers elle pour la prendre dans ses bras. Fiona ne cessait de fixer ses mains en pleurant, comme si elle y lisait quelque chose. Elle ferma ses yeux, sans les ouvrir à nouveau... espérant ne plus jamais les ouvrir. 






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Lalie.

L'ŒIL BLEU