CHAPITRE 17 : La dure réalité

Ecrit par delali


Tout se passe bien durant les heures d’observation, très vite Kady est autorisée à rentrer chez elle. Maman Claudine a eu le soin d’aménager un coin de la chambre de Kady pour le bébé. Comme si elle l’a su que cette dernière ferait un garçon : son berceau et la grande majorité de ses affaires sont d’un bleu très apaisant. Une semaine passe, Kady se remet tout doucement de son accouchement. Elle s’est abstenue de dire le prénom de son garçon durant ces sept jours comme si elle a voulu respecter la tradition africaine dite « cérémonie de sortie d’enfant ». Son fils ne peut avoir droit à cette cérémonie parce que ni la famille de son père, ni sa famille à elle ne sont présents, et sans eux cela ne peut se faire. Toutefois, maman Claudine et Rosine ont veillé à ce que le petit ange soit accueilli avec le rituel traditionnel du jet de quelques gouttes d’eau pour lui souhaiter la bienvenue à la vie, ce dès son arrivé à la maison le premier jour. La voisine Rosine s’est particulièrement amarrée ces jours durant à donner son bain au bébé et à sa mère comme cela se fait dans les villages. Elle profite aussi par la même occasion pour lui apprendre comment en prendre soin toute seule. Cette dernière, quand elle n’est pas en train d’allaiter son bébé ou de lui changer sa couche, elle passe son temps à l’observer endormi dans son berceau ou dans ses bras :
- Ton bébé ne va pas s’enfuir tu sais !!! Lui dit maman Claudine qui vient la trouver dans la chambre.
Kady sourit, mais sans se retirer de sa contemplation, maman Claudine reprend :
- Tu n’as toujours pas pensé à un prénom pour lui ?
- Si !
- Mais alors, abrège le supplice et dit le nous.
- Je pense l’appeler Rowen !
- Rowen ? C’est rare comme prénom ça !
- Exactement maman Claudine, un prénom rare pour un petit garçon unique ! … mais ….
- Mais quoi encore ?
- Depuis tout ce temps, je me demandais quel nom de famille portera-t-il ?! J’ai pas la copie de la carte d’identité de son père, alors sais pas quoi faire…
- Si tu veux, on peut lui donner le mien ?
- Ça ne vous gêne pas ?
- Mais non, voyons ! J’aimerais, moi lui donner un prénom si cela ne te gêne pas ?!
- Pas du tout ! Vous êtes comme sa grande mère.
- Je veux le prénommer Issa, pour ne pas que tu oublies de là d’où tu viens.
En l’absence de Rosine, maman Claudine prend soin de Rowen comme si c’est son propre petit fils. Durant ces nombreuses années de service auprès de certaines mères qui n’ont pas eu le temps de s’occuper vraiment de leur bébé parce qu’elles devraient se rendre au travail, maman Claudine a appris beaucoup de chose concernant la prise en charge et l’éducation d’un nouveau-né. Elle s’attèle aussi à l’inculquer à la jeune fille, vu que cette dernière n’a pas sa propre mère à ses côtés. Celle-ci trouve un réel plaisir à s’occuper de son fils.
***
Six mois viennent de passer. Durant ces mois, Kady s’est débattue tant bien que mal entre nuits blanches, tétés et biberons en passant aussi par la gestion des couches, sans oublier les poussées de fièvre qui les a conduits souvent tout droit à l’hôpital. Elle a connu des moments de fou rire avec son garçon, mais aussi des moments d’angoisse et de stresse à la seule idée qu’il puisse lui arriver quelque chose. Rowen déborde d’énergie, il s’assoit comme un grand à présent. Et si on n’y prend garde il casse déjà tout autour de lui quand on le laisse faire, raison pour laquelle elle ne laisse jamais seul. Grâce à lui, elle sait aujourd’hui ce que c’est que d’être maman, plus elle passe du temps avec son garçon, plus elle ressent son instinct maternel se développer. L’instinct maternel, ce ressentir-là qui fait que quoi qu’il puisse arriver, une mère ne cesse jamais d’aimer son enfant. Alors elle n’arrive toujours pas à comprendre cet acte d’abandon qu’a fait sa propre mère. Elle n’y croit toujours pas, qu’est ce qui peut bien expliquer cette attitude de sa mère à son endroit.
Ce jour-là, sa décision est prise, elle ira à sa rencontre. Après avoir donné son bain à Rowen et nourrit, elle le prend avec elle, emporte une ombrelle et sort de la maison. Le soleil ne manque jamais sa course au zénith ces derniers jours et elle ne veut pas prendre le risque d’exposer le bébé trop longtemps à ses rayons. Elle emprunte un taxi, destination : Dioulabougou, le quartier de ses parents. Elle n’a pas le courage d’aller devant la maison familiale, elle s’arrête en chemin, par là où elle sait que sa mère passera pour aller au marché. Elle n’a pas attendu longtemps qu’elle voit sa mère s’approcher. Elle est restée silencieuse pour apprécier sa réaction parce que de là où elle se tient, celle-ci ne peut pas la manquer. A sa grande surprise ; sa mère en compagnie des deux petites sœurs Mariam et Abiba ; l’ont dépassée. Kady étonnée les interpelle, Mariam et Abiba lui sautent dessus parce que toutes contentes de la revoir, ce qui ne manque pas d’attirer l’attention de certains passants. Mariam lui prend Rowen des bras :
- Grande sœur ! On t’a pas reconnue ! waouh ! C’est ton bébé ? Il est joli !
En effet Kady a vraiment changé physiquement. Elle a pris un peu de poids, et s’est composée avec l’aide de maman Claudine une nouvelle garde-robe complètement différente de ce qu’elle avait l’habitude de porter chez ses parents. Elle parait comme une jeune femme à présent qui, si on ne connait pas son histoire, on aurait dit être épanouie au sens propre du terme. Mariam et Abiba essayent d’avoir de ses nouvelles en lui posant tout un tas de question en leur dialecte :
- Grande sœur mais d’où vient tu comme ça ? Commence Mariam
- Pourquoi tu es partie ? Puis Abiba en prenant Rowen des bras de Mariam : Il s’appelle comment ?
- Tu es où maintenant ? Ensuite Mariam
- Mais une à une, les filles. Répond Kady
Mais la minute qui suit, leur mère interrompt la conversation :
- Oooh ! Arrêtez-moi ça tout de suite ! Mariam et Abiba, allez vite m’étaler ma marchandise. On est déjà en retard.
Kady récupère Rowen, puis les filles continuent leur chemin en faisant un aurevoir de la main à leur grande sœur. Kady leur agite aussi la main et se tourne vers sa mère :
- Maman, regarde, c’est ton petit fils, on l’a appelé Issa Rowen.
Sa mère l’observe un bout de temps, Kady soutient son regard mais n’arrive pas à déterminer ce qu’elle y lit. Sa mère détourne alors son regard et continue son chemin. Kady est sous le choc, elle l’interpelle à haute voix :
- Maman !!!
Elle se fiche d’être l’attraction des passants qui ne manquent pas d’ailleurs de ralentir le pas une fois arrivés à leur niveau, histoire de savoir ce qui se passe. Dans ce quartier assez peuplé, les habitants, mis à part leurs activités quotidiennes, n’ont pas grande distraction, alors ils raffolent des occasions de ce genre pour pouvoir en faire des sujets de discussion ensuite. Kady ne leur prête pas grand intérêt, car pour sa part, elle estime en avoir déjà connu pire. Ce qui la taraude à l’instant c’est qu’elle refuse de croire que sa mère ait pu cesser de l’aimer :
- Je suis ta fille maman, tu peux pas faire comme si j’existais plus !
Assita stop son élan, reviens vers elle, rien que pour parler à l’abri des oreilles indiscrètes et lui répond :
- Kady ! si tu n’as pas eu pitié de toi-même, au moins ait pitié de tes petites sœurs et ne me fais pas expulser pour qu’elles se retrouvent orphelines de mère. Toute la famille se remet difficilement de ta trahison, alors fait toi oublier et ne revient plus !
- Trahison ? J’étais à l’hôpital maman !
- Oui ! Pour tout le monde, tu es partie avec celui de ton choix et tu es allée dénoncer ta propre famille pour maltraitance à la police…
- Quoi ?
- C’était le seul moyen d’empêcher ton père d’aller te trouver sur ce lit d’hôpital et demander qu’on stoppe même tes soins. Tu aurais préféré ça peut être !?? Pour qu’il t’oublie et que moi je puisse rester auprès de tes sœurs, parce que tu as refusé le choix qu’il a fait pour… je devais faire un choix.
Assita prend une pause, la regarde comme si elle a envie de l’étreindre et reprend :
- J’espère seulement que tu es et sera heureuse ma fille.
Ce sont les derniers mots que Assita a prononcé avant de continuer son chemin. Une fois sa mère partie, Kady reste là un bon moment à s’en remettre de cette discussion. Les passants ne font plus attentions à elle également. Elle se sent un peu triste, comme elle aurait aimé partager sa joie d’avoir eu Rowen avec ses proches. Et comme si le hasard est de son côté, elle aperçoit Fatou, son amie, en route aussi pour le marché. Indubitablement comme l’a espérée Fatou de son mariage, elle est rayonnante. Parée de tissus onéreux, de parfums et huiles orientaux assez recherchés, elle est élégamment coiffée et couverte de voile chèrement brodé. Kady est contente de la revoir, elle veut un peu de réconfort et l’interpelle :
- Eh ben dis donc ! Je ne t’ai pas reconnu hein !
- ééééh Fatou tu m’as manqué, tu sais !!
Kady est toute heureuse de retrouver un visage familier, mais à sa grande surprise, Fatou la tient à distance, cela surprend vraiment :
- Tu as vraiment rejeté ta famille pour partir avec ce jeune homme quoi ?!!
- Fatou !!! c’est moi Kady.
- Toi Kady, je t’assure que je ne t’ai pas comprise. Tu n’as pas vu comment moi j’ai fait pour me marier ?! Pourquoi tu n’es pas venu me voir ? J’allais te trouver rapidement une solution pour ce que tu as dans la main là.
- Ne traite pas mon fils comme ça, je te le permets pas !
- Fils ?! Tu appelles ça là enfant ! Un enfant de la honte comme ça !
- D’ailleurs tu es enceinte, tu comprendras bientôt ce que c’est que d’être maman.
- En tout cas ! Moi je sais ce qui est important pour moi. Je ne ferai jamais ce que tu as fait. A cause de toi, ta mère a subi les pires humiliations venant de ses coépouses. Ton père l’a accusée de tous tes actes ! Il a même failli l’a tué tellement, il l’a battue. Ta mère, la pauvre à du supplier ses mégères de coépouses de l’aider à convaincre ton père à choisir parmi une de tes demis sœurs pour épouser Abdoul ! ça n’a pas été facile, lui aussi, il ne voulait que toi. Je sais même pas ce qu’il te trouvait.
- Au moins, je suis contente de n’avoir pas épousé celui-là !
- Ah bon ! Je ne savais pas que tu étais une si mauvaise fille ! Vraiment Excuses moi hein Kady, ce serait vraiment pas bien pour moi qu’on nous voit ensemble, surtout avec ce petit « toubab » que tu as dans les mains.
- ééééh Fatou !!! C’est moi que tu traites comme ça !? Demande Kady ahurie.
- Et puis après ??! S’il te plait, évites de chercher à me rencontrer. Je ne veux pas de problèmes !
Sur ces mots, Fatou passe son chemin. Kady est sous le choc, elle n’en revient pas du fait que même sa meilleure amie Fatou lui tourne le dos. Elle pousse un soupir, resserre Rowen contre elle, lui adresse un sourire et lui dit :
- Ne fais pas attention à ce qu’elle raconte mon chéri ! viens, on rentre.


« Le petit Rowen me charge de vous souhaiter un bon début de semaine, big love

L'enfant de la Honte...