Chapitre : 18

Ecrit par MoïchaJones

Des coups secs frappés à la fenêtre, me réveillent brutalement. J’ouvre grand les yeux, l’habitacle est plongé dans les ténèbres. J’ai du mal à me rappeler où je me trouve. Ma main passe lentement sur mon visage, et efface toutes les dernières traces de sommeil dans mes yeux. Une deuxième salve de coups est frappée et un individu louche, au regard menaçant me dévisage sans gêne. Sa respiration fait un nuage de bué sur la vitre, et sa bouche laisse entrevoir quatre dents luisantes. Je me demande si c'est du vrai argent, ou alors un vieux portail en aluminium qui trainait dans le coin.  


Je me redresse, mal à l'aise d'avoir été surprise. Je n'aurai pas dû m'endormir. Je me dis en posant la main sur le contact. Avant que je ne puisse démarrer, le gars donne un autre coup sec, et je remarque l'objet qu'il tient dans sa main. Une arme. Il la laisse trainer exprès, pour que je ne la rate pas. 


- Princesse, c'est moi que tu attends? 


Il parle tout en me faisant signe de baisser la vitre, mais je tourne la clé d'une main tremblante. Quand je démarre sur des chapeaux de roue, ses cris m'accompagnent. Je manque une embardée en rejoignant la route, quand un bruit de verre brisé se fait entendre, après qu’un coup de feu ait été tiré. Mes oreilles sifflent tellement que j'ai l'impression qu'elles vont exploser. Mon cœur bat la chamade et mes mains agrippent violement le volant. Je garde les yeux fixés sur la route, et le pied sur le champignon. Je ne réfléchis plus, je me contente d’agir. 


La circulation est fluide et je rejoins rapidement la maison. Le gardien m’ouvre et je peux enfin m’arrêter. Je prends une minute pour rassembler mes esprits, la tête sur le dossier, les yeux fermés. Mon cœur manque encore de s’emballer quand le gardien se rapproche et donne un léger coup sur la vitre. Il me regarde avec inquiétude, et je peux lire toute sorte de question, défiler dans ses pupilles. Je sors sans un mot et regagne rapidement la maison. Elle a été nettoyée de fond en comble, respire la fraicheur, mais j’ai toujours l’impression que c’était hier que tout ça a eu lieu. 


Je ne m’attarde pas en bas. La chambre elle aussi a été passée au crible. Je vais me débarbouiller et finis par me plonger dans les draps frais. Je ferme enfin les yeux, et commence une prière au milieu de laquelle je m’endors lourdement. 


*

**


Quand j’ouvre de nouveau les yeux, je retiens de justesse un mouvement de frayeur. Ils se perdent dans le noir profond de ceux d’Uhu. Il est assis à quelques centimètres du lit, dans une posture désinvolte. Les coudes sur les genoux et la tête en appui dans ses mains. Ses yeux ne me quittent pas une seconde, j’ai subitement honte de moi. Je me souviens enfin qu’il a essayé de me joindre hier, mais que je ne l’ai pas rappelé. Je me redresse lentement, entrainant le drap avec moi, tout en réfléchissant à ce que je vais bien pouvoir lui dire. Il donne l’impression d’être calme, mais je sais au contraire que ce n’est qu’une impression.


Il se redresse à son tour, les bras maintenant croisés sur la poitrine. Il attend. Toute son attitude parle pour lui, mais je ne sais pas quoi lui dire qui puisse abaisser la tension entre nous. Elle est palpable. On pourrait la couper au couteau, tellement elle est raide. Il ne dit toujours rien, et moi non plus. Je ne sais pas par où commencer. De toute manière, rien que je puisse dire en ce moment, ne jouera en ma faveur. J’ai merdé. 


La tension est rehaussée quand il se lève, toujours sans rien dire et va se mettre debout près de la fenêtre. Sa silhouette musclée se dessine bien à contre-jour. Je devine plus que je ne vois la courbure de ses fesses, que son pantalon moule encore plus, avec ses mains dans les poches. Je laisse mon esprit se balader comme d’habitude dans ces moments-là. Un petit tour dans ces souvenirs de nous, où tout allait bien dans le meilleur des mondes. 


- Belinda…


Il s’est tourné et je ne m’en suis pas rendue compte. Je détourne le regard, embarrassée, pendant qu’il se rapproche. Il a murmuré mon prénom, mais j’arrive à déceler un soupçon de chagrin. 


- Qu’est-ce qui t’arrive ? 


Il se met face à moi. Un genou à terre, surement pour être au même niveau que moi, et une main sur le drap près de ma cuisse. Même à distance, la chaleur de sa main est perçue par mon corps ingrat. Je frissonne. 


- Regarde-moi.


Il prend mon menton du bout des doigts et me force à lui faire face. Je garde les yeux baissés.


- Belinda, reprend-t-il placidement.


Mes yeux lui obéissent malgré moi. Il est triste, ça me brise le cœur. 


- Dit-moi ce qui se passe. Tu m’en veux c’est ça ?


J’hésite avant de lui répondre. Je peux jouer la grognace, qui en veut à la terre entière, mais ça ne m’avancera pas plus. 


- Non. Je souffle seulement.

- Mais alors, qu’est-ce qui t’arrive ?

- Ri…

- Ne me dit pas rien, s’il te plait. Tu disparais sans rien dire à quiconque. Je t’appelle et tu m’envoies dans ta messagerie. Tu viens te réfugier ici. Tout ça ne me semble pas être rien. 

- Ma batterie est morte quand j’ai voulu décrocher, et je n’avais pas pris le chargeur. 


Il secoue doucement la tête. 


- Ne me prend pas pour un idiot. Je t’ai appelé plus d’une fois. 

- Je…


Il pose une main douce sur mes lèvres, pour me faire taire.


- N’aggrave pas ton cas. Tu étais où ?

- Au centre pour enfant, j’avais besoin de voir les autres. 


Je détourne une fois de plus les yeux. Je déteste lui mentir, mais il ne me laisse pas le choix. 


- Tu le cherches… J’en étais sûr... Belinda, tu as perdu la tête ?


Ca y est, c’est repartit. Il a fini de jouer l’impassible. 


- Il faut bien que quelqu’un le fasse sérieusement.


Il se lève rageusement.


- Je t’ai déjà dit que la police s’en occupe.

- Ils ne vont pas assez vite pour moi. Plus le temps passe, moins on a de chance de le retrouver vivant.

- Tu es devenue inspecteur de police, toi, maintenant.

- L’ironie n’a pas sa place là, Uhu. J’ai l’impression d’être la seule qui me préoccupe du devenir de Jason. Je ne gêne personne en faisant mes propres recherches que je sache.

- Tu mets ta vie en danger.

- Tu dramatises.


Il revient vers mois en deux grandes enjambés. Je peux voir la fureur déformer ses traits.


- Ah ouais ? L’état de ta voiture prouve le contraire. 


Je me tais, ramène mes genoux sur ma poitrine et pose ma tête dessus. Il marque lui aussi un temps d’arrêt et tente de se calmer. Il se pince l’arrêt du nez, en régulant sa respiration. Au bout de deux minutes, il relève la tête et me regarde maussade.


- Tu veux me dire comment c’est arrivé ?


Hésitation.


- Je l’ai trouvé comme ça, quand je rentrais. 


Silence.


- Je t’ai dit, d’arrêter de me prendre pour un abruti, Bell. 


Mon nom de jeune fille résonne comme une insulte dans sa bouche. Le ton est monté d’un cran et je sais que bientôt tout va aller en vrille. Le calme a assez duré, s’en était même trop beau.


- Je ne fais rien de la sorte.

- Alors dit moi ce qui s’est passé. 


Il a crié encore plus fort. Ses narines dilatées sont avec sa voix, les seuls signes qui prouvent qu’il est en train de perdre patience.


- Ne crie pas s’il te plait, j’ai la migraine.

- Je ne t’ai pas envoyé jouer les justicières à la con dans la ville. 


Il plonge la main dans sa poche et en ressort avec un morceau de métal. 


- Tu vas aussi me dire que ceci, a atterrit par magie sur le siège arrière de ta voiture ?


Il martèle chaque mot avec rage, mais je réussis quand même à garder un semblant de contenance.


- Je ne vois pas de quoi tu parles. 

- Tu ne vois pas de quoi je parle, hein ? Tu ne vois pas ?


Il vient me mettre la balle pratiquement dans le nez.


- C’est une balle. Une putain de balle, Belinda. On t’a tiré dessus. 

- Je t’ai dit que j’ai trouvé la voiture comme ça quand je suis allée la récupérer devant le centre.

- Et ça ne t’a pas inquiété. Non. Madame s’est dit qu’elle allait tranquillement rentrer se coucher, comme si de rien n’était. Il ne t’est pas venu à l’esprit d’appeler de l’aide.

- Pourquoi ? Ma vie n’était pas en danger… 


Il lance rageusement la douille à l’autre bout de la pièce, puis en deux pas il est au-dessus de moi. Il m’empoigne par les cheveux et me lève du lit avec force. 


- Arrête, tu me fais mal. 


Il est en colère, il ne m’écoute plus. Il me tire, manquant de me trainer sur le sol comme un vulgaire bagage, jusqu’à la porte d’entrée qu’il ouvre à la volée. 


- Uhu, arrête s’il te plait. 

- Tu veux te faire tuer ? Tu veux mourir pour un enfant qui n’est pas le tien ?


Il met mon visage à un centimètre d’un débris de verre qui tient encore miraculeusement sur la carcasse de taule. Je coupe ma respiration, en attendant qu’il se calme un peu. 


Il me lâche et donne un coup violent sur la voiture.


- Merde à la fin Belinda, ce n’est pas un jeu.


Je le regarde durement.


- Je n’ai jamais dit que s’en était un. 


On se jauge pendant un laps de temps.


- Rien ne me fera lâcher prise, tant que je ne le retrouve pas.

- Tu vas arrêter sur le champ, c’est moi qui te le dis. 


Il rugit, un doigt furieux braqué sur moi. 


- Comment tu vas t’y prendre, tu vas m’attacher et m’enfermer dans une cage ? 

- C’est ça que tu veux ? Hein…. Dit moi, tu veux que je te traite comme une esclave ?

- Ton frère commence vraiment à déteindre sur toi. 


Il m’agrippe le cou et me ramène près de lui. 


- C’est toi qui me rends comme ça.

- A la bonne heure. Dit plutôt que c’est ton naturel qui reprend le dessus. Tu as bien caché ton jeu, depuis le temps qu’on se connait. Je ne te reconnais vraiment plus. 

- Tu ne me reconnais plus ? 


Il lance un rire dénué de joie en m’entrainant vers la maison. 


- Lâche-moi Uhu, tu me fais mal.


Il ne dit rien, se contente de me tirer avec force.


- Tu n’es vraiment qu’une sale brute.

- Oui c’est ça… 


Il me ramène à l’intérieur et ferme à double tour derrière lui. Il glisse la clé dans la poche de son pantalon et va dans la cuisine sans que je ne comprenne ce qu’il fait. Je le suis bêtement, et le vois qui ferme tour à tour les portes de la cuisine et du couloir, qui donne sur la cour arrière. Il récupère une fois de plus les clés, et les fait disparaitre au fond de sa poche. 


- Qu’est-ce que tu fais ?


Il ne répond pas et ressors. 


- Uhu, qu’est-ce que tu fais ? 


Il va sur la terrasse, fait pareil et à ce moment précis je réalise ce qu’il a en tête.


- Ne me dit pas que tu veux me garder prisonnière.

- Si ça peut t’empêcher de mettre ta vie en danger. 


Je plonge sur lui pour lui arracher la clé, mais il vient à bout de moi facilement. 


- Tu vas rester ici jusqu’à ce que tu retrouves la raison. Je suis fatigué de parler à un mur.

- Tu ne vas pas oser, Uhu. Je ne te laisserai pas faire. 


Il éclate d’un rire désabuser et continue de descendre l’escalier. Je tente une nouvelle fois de récupérer les clés, mais tout ce que je réussis à faire, c’est nous faire manquer de dégringoler des dernières marches. 


- Tu vas te calmer maintenant. Lance-t-il en me tenant par les épaules. J’en ai marre que tu zappes mon autorité. Tu me fais passer pour un émasculé auprès de tout le monde. Tout ce que tu t’appliques à faire, c’est le contraire de ce que je dis. Tout ça pourquoi ? Un gosse de Kibera ? - Non mais, tu t’entends parler ? Tu crois que tu as épousé quoi, un objet que tu as à ta disposition ? 

- Tu fais bien de te rappeler que je suis ton époux. Tu me dois obéissance et respect. 


J’ouvre grand les yeux, effarée par ce qu’il dit.


- Tu n’es trompé d’époque, on se croirait au 16e siècle. 

- Cause toujours, moi je vais remettre les pendules à l’heure dans ton cerveau.


Je me débats pour lui faire lâcher prise, mais il est plus fort que moi. 


- Enlève tes sales pates sur moi.

- Très bien.


Il me repousse avec force et se retourne vers la porte. Pendant qu’il la déverrouille, je refais une nouvelle tentative qui se solde elle aussi en échec. Il me pousse encore une fois, et je finis assise sur les carreaux. 


- Uhu ! Arrête. Ne fais pas ça. 


Il referme derrière lui. 


- Uhu ! Revient ici. Jamais je ne te pardonnerai, tu m’entends… Jamais. 


Je crie avec rage. 


- Connard ! 


Quelques minutes plus tard, le bruit de sa voiture qui s’éloigne me nargue douloureusement. 

Jamais sans elle