Chapitre : 19

Ecrit par MoïchaJones

Je tourne en rond comme un lion en cage. Moi, Belinda Bell, enfermée dans ma propre maison comme un vulgaire animal dans un zoo ! J’ai encore du mal à le croire, même après 3 heures de confinement. Il est parti, me laissant livrée à moi-même de cette manière, sans téléphone fonctionnel. Bien sûr, il y’a le fixe, mais n’étant pas du genre à mettre mes contacts dans un calepin, je me retrouve désœuvrée. De toute manière qui aurais-je bien pu solliciter ? Les parents d’Uhu ? Pour être encore plus humiliée que je ne le suis déjà ? Monsieur Ifousa … Même pas en rêve. Aba ? Oui pourquoi pas. En fait, à bien y réfléchir, c’est la seule personne, qui serait capable de me venir en aide, sans que j’aie trop besoin d’insister pour le convaincre.


Depuis la fenêtre de la cuisine, je fais de grands signes en direction du gars de la sécurité. Je ne connais pas son nom. Il est loin de se douter que j’essaie d’attirer son attention, concentré qu’il est dans la contemplation de son téléphone portable.


- Eh oh !


J’ai des scrupules à l’interpeller ainsi, sans ménagement, mais c’est soit ça, soit continuer à moisir ici… 


- Eh toi là !


Il lève enfin la tête et me lance un regard étonné. Je lui fais signe de s’approcher.


- Excuse-moi, j’ai oublié ton nom, dis-je en lui adressant un sourire faussement embarrassé.

- C’est Emmanuel, madame.

- Ah oui Emmanuel, où avais-je la tête. Excuse-moi mais j’ai égaré mon chargeur de téléphone, tu peux aller m’en acheter un ?


Il hésite et me regarde comme s’il m’était poussé une deuxième tête.  


- Monsieur m’a demandé de ne pas bouger.

- Monsieur n’en saura rien.

- Mais madame…

- Tu préfères que monsieur découvre que je t’ai commissionné et que tu as dit non ?


Il me regarde encore plus effaré, et je me sens misérable de jouer ainsi avec ses nerfs. C’est un homme entre deux âges, pas très imposant physiquement. Je me demande ce qui l’a poussé à vouloir faire agent de sécurité. Les critères de sélection de son agence ne doivent pas être très exigeants


- Non madame.

- Alors dépêche-toi d’y aller, avant que monsieur ne revienne.


Je lui tends deux billets de 1000  shilling qu’il s’empresse de prendre. Quand il s’en va, je me retrouve de nouveau à errer, comme une âme en peine. Ca lui prendra un temps fou de sortir du quartier et de trouver une échoppe qui vend des accessoires de téléphonie. Je m’assoie à la salle à manger et prends mon mal en patience. Mon esprit vagabonde sans but précis, puis soudain, une idée me vient à l’esprit. Je fronce les sourcils, alors que la scène de cet incident me revient en mémoire. La nuit où Uhu a couru après Jason dans le quartier, le chenapan s’était enfui par la fenêtre de sa chambre.


- Mais oui ! je m’exclame en me frappant le front. Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt.


Je vais faire un repérage, s’il avait réussi à sauter sans se faire mal, alors moi aussi je peux y arriver. Une fois fait, je vais mettre un jeans confortable et des baskets. Je fourre rapidement des trucs dans mon sac à main et prend un drap que je fixe sur le pied du lit. Je jette mon sac en premier et m’engage à mon tour. Je me glisse habilement jusqu’au bas du mur, et souris en mon fort intérieur, pas peu fière de mes prouesses. Contourner la maison ne me prends pas beaucoup de temps. Je traverse très vite la cour et une fois devant le portail, j’hésite à poser le pied dehors. Est-ce que je devrais faire ce que je suis en train de faire ? L’heure n’est plus aux questions. Je ne peux pas me résoudre à rester là, les bras croisés, à espérer que quelqu’un d’autre agira à ma place.


Le champ est libre, je saute dans le premier taxi que je rencontre. Je fais un arrêt rapide en ville pour me prendre un chargeur et je vais au centre pour enfant. Ifousa est là, nous discutons longuement sur ce que j’ai vu hier. Il est estomaqué de tous les risques que j’ai pris, mais se réjouit tout de même que j’aie retrouvé la trace du petit. J’appelle Aba et lui donne rendez-vous à la maison. Je prends congé d’Ifousa avant la tombée de la nuit et regagne la maison. Emmanuel me regarde pousser le portail, totalement déconcerté. Je lui fais un sourire figé, en m’arrêtant devant lui.


- Alors, tu as pu trouver un chargeur ?


Il bégaye un oui, en entrant dans la petite case qui lui sert d’abri et en ressort avec un sac plastique qu’il me tend.


- Merci, c’est très gentil. Monsieur était là ?

- Euh… Non. Il n’est pas encore arrivé.

- Très bien. Merci. Tiens, tu achèteras de quoi bien manger ce soir.


Je lui donne un autre billet de 1000 shilling qu’il regarde, les yeux ronds, avant de s’en saisir  fébrilement. Je tourne le dos, mais au bout de trois pas, je m’arrête et fais volte-face. Il est toujours planté là, le regard fixé sur moi.


- Tout ceci reste entre nous Emmanuel, J’espère que je me fais bien comprendre ?

- Oui madame.


Il est raide comme un piquet.


Je rejoins rapidement mon chenal et rentre à l’intérieur avec plus de difficultés qu’au départ.


- Shit ! Ce n’est plus de mon âge tout ça.


Je vais me débarrasser de mes effets dans la chambre et à peine j’enfile un pantalon de jogging en coton que j'entends un bruit de moteur à l'extérieur. Mon pied foule la dernière marche quand la porte centrale s'ouvre sur lui. Il marque un temps d'arrêt, la main sur le manche et un pied encore à l'extérieur. On évoquerait une peinture d'époque, immobile que nous sommes, à nous jauger du regard. Le sien est impénétrable, l’espace d’un instant, je me demande si Emmanuel ne l’a pas mis au courant de ma petite escapade. Mais non...Il ne resterait pas aussi calme, il sortirait de ses gonds comme à chaque fois que je le contrarie. Pas une seconde je ne cille, alors qu’il continue de me fixer en silence.


Au bout de quelques minutes, il bouge enfin. Il rentre et ferme derrière lui. Mes yeux se posent sur la clé dans la serrure et je souris, narquoise.


- Je crois que tu as oublié quelque chose.


Il avance, les mains fourrées dans les poches.


- Il faut qu'on parle.

- Je ne suis disposée ni à t’écouter, ni à te parler. En ce qui me concerne, tu peux bien retourner d’où tu viens, et surtout, n’oublie pas de refermer derrière toi!

- Belinda, on ne va pas la rejouer cette scène. Ok, j’ai un peu pété les plombs, c'est vrai, mais tu n’en fais pas un peu trop là? Ecoute, je pars dans 2 jours…

- Tant mieux! ça nous fera des vacances, je réplique, en ignorant son allusion à notre dernière dispute, et à sa longue absence qui s’en est suivie.

- Belinda…

- Merde, Uhu. Merde! M’enfermer? M’enfermer dans ma propre maison comme une...une...une BAGNARDE! Je suis quoi pour toi, dis-moi? Je suis quoi? Une marionnette? Ta femme? Ta gamine? Hein, réponds, je suis quoi au juste? Ta propriété?

- Ok, tu veux des excuses? Je te présente mes putains d’excuses. C’est bon?


Je laisse échapper un rire sans joie, s’en est presque comique.


- Tu peux bien ricaner et me lancer toutes les piques que tu veux. Au fond de toi, tu sais que j’ai eu raison. C’était pour ta propre sécurité. Belinda…


Il marque une pause le temps de chercher, dans mon regard, un signe de ma part. 


- Merde à la fin, essaye de le comprendre. Je ne ferai jamais rien contre toi. Jamais! tu es ma femme et je veux ton bonheur.


Il parle avec passion, tout son corps est tendu. Il fait un pas vers moi, mais s’arrête quand il me voit reculer.


- Tu peux comprendre ça ?


Sa voix n’est plus qu’un murmure. Le voir comme ça me ferait presque oublier, l’animal furieux qu’il était il y a encore quelque heures. Un être vil, qui a perdu une part d’humanité. La réplique exacte de son jumeau. Je ne veux pas de cet homme-là dans ma vie. Ce n’est pas lui que j’ai épousé. Ce n’est pas de lui dont je suis tombée amoureuse. 


- J’aimerais bien, mais ça risque d’être compliqué, tu sais? Avec le petit pois qui me sert de cerveau.

- Si tu le dis toi-même…


Je n’arrive pas à réprimer un sursaut de surprise. Qu’il ne me contredise pas, me blesse. Mais qu’il le fasse aussi spontanément…


- Pardon…? Je t’ai mal entendu.

- Je ne dis pas que tu manques de jugeote. 


Il semble peser tous les mots qu’il s'apprête à prononcer. 


- Je dis juste que ce n’est pas raisonnable de mettre ta vie en danger en continuant tes investigations.  Imagine un instant que tu tombes sur ces fils de pute et que tu reçoives une balle. Non mais tu y as pensé ?

- Je ne vais pas rester une seconde de plus à écouter ces foutaises, dis-je en me dirigeant vers la porte.

- Arrête-toi, on n’a pas encore fini de discuter.


Je continue à avancer sans un regard en arrière.


- Belinda, arrête! Tu sais bien que tu ne bougeras pas d’ici, dit-il d’un ton doucereux.


L’entendre ainsi ne fait que décupler mon agacement.


- Essaie de m’en empêcher, je siffle entre mes dents.


En quelques enjambées, il s'interpose entre la porte et moi


- Laisse-moi passer Uhu

- Pas avant qu’on ait fini cette discussion

- Ok, tu sais quoi, tu as gagné. Comme d’habitude! Tu veux parler?  Parle, ton esclave écoute!

- C’est vraiment comme ça que tu vois les choses? Que tu nous vois?


L’intonation de sa voix me fait comprendre que je l’ai profondément blessé. Ca me calmer légèrement. 


- Tu peux t’en aller, reprend-il en s’écartant 


Je retiens un soupir frustré. Nous y voilà, c’est lui qui a tort, mais c’est moi qui me sens coupable. 


- Mes paroles ont peut-être dépassé ma pensée, je voulais dire…

- Rien à foutre. Va-t’en


Il me regarde, un bras tendu vers la porte central, et l’autre ballant le long du corps. Pourquoi est-ce autant compliqué. Je pousse un soupir las, je suis fatiguée de toute cette comédie. Fatiguée des cris et des prises de tête. Fatiguée d'être toujours dans la peau de celle qui doit faire un effort. Mais j'en ai aussi plus que marre, qu'il ne se plie pas plus en quatre pour moi.


- D’accord! je réponds en reprenant ma progression vers la porte. 


Il lâche un juron et je me retrouve de nouveau face à lui, sans trop savoir comment.


- Tu ne peux pas faire amende honorable, et te rabaisser un peu. Toujours à faire la fière.


Il parle en me parcourant lentement du regard. Nous sommes à un centimètre l’un de l’autre, ses mains me retiennent par les coudes.


- Non mais tu t’entends parler? Me rabaisser?  réponds-je furieuse en croisant les bras. Va te faire foutre. 


Ses lèvres s’incurvent dans un sourire carnassier qui me donne des frissons.


- Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de toi. 

- Si tu voulais d’une esclave…


Il lève une main vers moi, excédé.


- Arrête avec ça, j’ai compris. Tu es une femme forte et une tête pensante, mais ça ne te ferai pas de mal d’écouter de temps en temps des suggestions extérieures.

- Je n’ai pas….


M’entendre répliquer à chaque fois l’agace. Ca se voit à ses doigts qui massent ses tempes et à ses yeux qui se ferment une seconde. 


- Wapenzie… pose les armes un instant. Murmure-t-il en reprenant contenance.

- C’est facile pour toi de dire ça, tu es l’homme.


Mon ton a baissé en intensité, jusqu'à n’être plus qu’un souffle à peine audible. Je commence à respirer avec difficulté, bientôt je n’arriverai plus à masquer le trouble que cette proximité provoque chez moi.


- Lâche-moi


Il faut que je m’éloigne de lui au plus vite.


- Je doute que c’est ce que ton corps veut.


Il arrive toujours à lire en moi avec autant de facilité. 


Je fais un pas en arrière. Il fait un pas en avant. Je continue à mener inconsciemment ce ballet sensuel, jusqu’à ce que je me retrouve dos au mur.


- Laisse-moi partir… S’il te plait.


Mon cœur a pris les commandes. Je n’entends que le son désordonné de ses battements dans mes oreilles.


- De quoi as-tu peur?


Le souffle court, je n’arrive plus à agencer mes pensées. Je suis inlassablement attirée par l’enflure de la veine saillante sur sa tempe. Ca m’évite en même temps de croiser son regard pesant.


- Tu ne devrais pas t’amuser à jouer comme ça… à me pousser à bout tout le temps… Wapenzie, murmure-t-il d’une voix étouffée, en faisant un pas de plus vers moi. 


Je ne pensais pas qu'il y avait encore suffisamment d’espace entre nous pour que ce soit possible. La bosse dans son pantalon atterrit sur mon bas ventre et je sens la chaleur s’insinuer plus bas. Bien plus bas, dans un marécage en fusion.


Mes yeux passent lentement de sa tempe à ses lèvres. Loin d’être lisse, sa peau est parsemée de petits boutons, sur lui c'est charmant. J’ai envie d’y passer un doigt et inconsciemment, je mordille ma lèvre inférieure. Sa réaction est immédiate. Il pousse un grognement sourd, et pèse de tout son poids sur moi.


- Laisse-moi partir!


Je répète juste pour la forme. Le désir brûlant a fini d’envahir le creux de mes reins, et même s’il décidait de m’écouter, mes jambes, elles, resteraient immobiles. 


- D’accord! lance-t-il en déposant un baiser troublant dans le creux de mon cou. Mais pas maintenant


Je ferme les yeux pour savourer la brûlure de ses lèvres sur ma peau. Je fonds littéralement. Ce pouvoir qu’il a sur moi m’agace, et m’excite en même temps. Mes mains remontent jusqu'à sa poitrine et agrippent son polo. J'ai chaud. J'ai soif. Je suis au bord de l’évanouissement. Surtout quand ses lèvres tracent tous ces sillons humides sur ma peau brûlante, dans le rythme craquelant de ma résistance qui tombe. 


Il remonte vers mon oreille, tout en murmurant des mots que je n’arrive plus à intégrer. Son souffle chaud sur moi. Sa langue. Ses mains. Les digues cèdent. Mes doigts cherchent sa peau. Comme ça m’a manqué, de le sentir si fiévreux contre moi. 


- Que vais-je faire de toi.


Il le répète comme s'il s’agissait d’une révélation. 


Sa main se pose sur mes seins tendus. Ses pouces jouent malicieusement avec mes tétons durcis, pendant que sa bouche cherche la mienne. Son baiser est à la fois doux et ferme. Ses lèvres gourmandes. J’halète, mais ne peux m’empêcher de répondre à son étreinte. 

Jamais sans elle