Chapitre 18

Ecrit par Auby88


Nadia Page AKLE


- Milena ! Milena !


J'ai beau me répéter, j'ai beau crier jusqu'à en perdre la voix, Milena ne m'écoute pas. Elle continue de courir et de sauter dans tous les sens.


Finalement, j'abandonne. Après tout, elle a le droit d'exprimer toute cette joie qu'elle a en elle. Elle est heureuse, heureuse de n'être pas partie, heureuse que son père l'ait enfin acceptée.


Quelqu'un cogne contre la porte.

- Je peux entrer ?

C'est la voix de son père.

- Oui, monsieur, confirmé-je en me levant aussitôt de mon lit.

- Papa ! crie Milena en se jetant contre lui.

Son père vacille, mais se rattrape de justesse. Ses bras robustes la soulèvent.

- Je vois que tu débordes d'énergie !

- Oui. Je suis heureuse. Heu-reu-se !

- Je suppose que c'est tout ce bonheur intérieur que tu as transmis à ta chambre !


L'homme fait ainsi référence à tout le désordre qui règne dans la pièce. Tout y est sens dessus-dessous, en particulier les jouets. Je n'ai pas eu le temps de ranger et j'en suis gênée.

 

- Zut ! fait Milena en posant ses doigts sur sa bouche.

- Il faudra tout ranger après !

- Oui, promis ! Tu veux jouer avec moi ?

- J'aimerais bien, à condition que tu ralentisses un peu ton rythme.

- Super ! s'extasie-t-elle en descendant précipitamment.


Elle perd l'équilibre. Son père la rattrape aussitôt. Ce geste anodin a beaucoup de sens à mes yeux. C'est comme s'il lui disait : "MA FILLE, JE NE TE LAISSERAI PLUS JAMAIS TOMBER !"


Sur le lit de Milena, ils vont s'asseoir. Je les observe avec attention. C'est si beau de les voir ainsi. A son père, la petite ne donne aucun répit, lui montrant ci et ça, lui demandant de jouer à ci ou ça.


Ça se voit que l'homme n'est pas à son aise, que le rythme de sa fille le dépasse. Pourtant, il n'abandonne pas. Et cela me touche beaucoup.

 

Une heure plus tard

Depuis, je n'ai dit mot. Et l'homme ne m'a dit mot. Il est sûrement toujours fâché contre moi. De toutes façons, je préfère rester effacée. La complicité naissante entre cet homme et sa fille est si belle, si magique, si précieuse que je ne voudrais pas la rompre. Même pas pour 1/60 de secondes. (Sourire)



J'entends l'homme expirer bruyamment puis s'exclamer :

- Milena, je n'en peux plus. Tu m'as complètement vidé !


Lui semble complètement exténué, tandis qu'elle continue de sautiller.

- Allez papa ! Tu ne peux pas déjà être fatigué !

- Oh oui, je le suis. D'ailleurs, je risque de m'écrouler sur le sol, si je continue.

- Allez !

- Je suis sérieux, Milena !

- Ok, Papa. Je t'autorise à prendre une petite pause.

Il lui pince le nez.

- Aïe, papa !

- C'est tout petit comme ça et ça donne déjà des ordres !

- Je suis une grande fille, moi !


L'homme pouffe de rire. J'avoue qu'il est encore plus beau quand il est gai.

- Papa ! Je suis sérieuse, moi !

- D'accord, mademoiselle Milena !

- Donc Papa, je t'autorise à prendre une petite pause.

- Juste une petite pause ? Ce dont papa a besoin, c'est d'une bonne sieste !

- Alors, couche-toi dans mon lit.


L'homme se marre à nouveau.

- Tu es sérieuse, Milena ? Tu vois la taille que j'ai !

- Zut, j'avais oublié. Mais ce n'est pas bien grave. Tes pieds vont un tout petit peu déborder, mais la plus grande partie de ton corps restera sur le lit.


Là, l'homme explose de rire tandis que sa fille poursuit sur un ton plutôt sérieux, en croisant les bras :

- Mais je ne blague pas, papa ! Si mon lit ne te plaît pas, tu peux toujours utiliser celui de tata Nadia. N'est-ce pas, tata Nadia ?


Elle m'a pris au dépourvu. Je sors un "Oui" en haussant les épaules, puis me lève de mon lit.

- On va faire plus simple, ma jolie. J'irai faire ma sieste dans ma chambre.


Elle s'accroche à lui.

- Non, papa, ne me laisse pas ! Je te veux près de moi.

- Mais je ne vais nulle part, Milena. Je serai là. A quelques centimètres de toi.

- Non, je ne veux pas que tu partes.


Je ne vois pas son visage. Mais rien qu'à entendre sa voix, je sais qu'elle pleure. J'ai bien envie d'intervenir, de me rapprocher d'eux pour réconforter Milena et permettre à son père de s'en aller. Mais je me ravise.


- Regarde-moi, Milena.

Avec sa main, il essuie le visage de sa fille et lui demande :

- Ça te dirait de venir avec moi dans ma chambre ?

- Pour de vrai ?

- Oui, pour de vrai !

Elle saisit son bras et le presse.

- Allons-y, papa ! Vite ! Vite.

- Je…

Son père est à peine debout que déjà, elle le tire vers la sortie. Pauvre homme ! (Rire)


- A tout à l'heure, tata Nadia !

Je lui fais un signe discret de la main en souriant. Me voilà seule avec ce grand bazar autour de moi. Je soupire, puis me laisse tomber sur le lit.



*******


Eliad MONTEIRO


- Waouh ! Qu'est-ce qu'elle est grande ! Qu'est-ce qu'elle est jolie ! s'étonne Milena en franchissant le seuil de ma chambre. Waouhhhhhh ! Il y a plein de photos de maman sur les murs !

- En effet !

- Tu peux me parler d'elle ?

A cette question, je ne m'attendais pas. Parler de Camila n'est pas facile pour moi. Parce que ça me renvoie vers de douloureux souvenirs.

- Je pensais que nous étions ici pour nous reposer.


Son visage s'assombrit tandis qu'elle enchaîne :

- Oui, mais je ne connais pas grand-chose sur ma maman, à part ce que tata Nadia m'a dit.


La curiosité me pousse à l'interroger :

- Et qu'est-ce qu'elle t'a dit, ta nounou ?

- Que ma maman s'appelle Camila, qu'elle est espagnole et qu'elle ressemble à ça.


En parlant, elle me montre le pendentif à son cou ; celui-là même que je voulais arracher de son cou, le jour de son anniversaire. Quel "monstre", j'étais !


J'inspire énormément, tout en… réfléchissant à la suite de la conversation.

- Viens, mon enfant.

Je m'assois dans le canapé et la fais monter sur mes genoux. Je lui parle de la manière dont j'ai rencontré sa mère, de ses qualités, de ce qu'elle aimait, de notre vie en Espagne…


Au début, je me sens pas trop à mon aise, mais je finis par me détendre. Et même le rire se mêle à mes mots . J'admets que me livrer à cet exercice me fait beaucoup de bien.


- Attends-moi là, Milena. Je reviens dans un instant.

Dans le canapé, je la pose et me dirige vers mon dressing...


- Qu'est-ce que tu as en main, papa ?

Près d'elle, je reviens m'asseoir.

- Un coffret qui contient plein de souvenirs. Tu veux les découvrir ?

- Oui, papa ! me répond-t-elle avec enthousiasme.

- A toi l'honneur, Milena !

Je lui tends une clé que ses petits doigts attrapent rapidement et insèrent dans l'ouverture.

- Des photos de maman ! Avec moi dans son ventre ?


Je confirme ses dires.

- Ma maman est vraiment très belle !

- Oui, murmuré-je. Aussi belle que toi !

Elle étire ses lèvres, puis continue à visionner les photographies, sans faire la moindre allusion au crâne chauve de sa mère ou à son importante perte de poids. Elle pose sur ses photos le même regard qu'elle pose à chaque fois sur moi ; ce regard-là qui voit le père méprisable que je suis comme un super-héros.

C'est à croire que ses yeux d'enfant, pleins d'innocence, ne voient pas les imperfections.


- J'aurais tant aimé la connaître ! Elle me manque beaucoup, tu sais !

- A moi aussi ! N'oublie jamais qu'elle t'aimait énormément et que tu as été la plus grande réussite de sa vie.


Son visage s'attriste.

- Elle serait encore avec nous, si je n'étais pas née. N'est-ce pas, papa ?


Ses yeux me fixent, attendant ma réponse. J'ai subitement chaud, très chaud.

- N'est-ce pas papa ? Tata Nadia dit que je ne suis pas coupable de la mort de maman, mais j'en doute encore.


Je me lève sans dire mot et me précipite vers la baie vitrée qui donne sur la terrasse. Dehors, j'inspire et expire plusieurs fois successives...


Je me sens mieux. J'inspire une dernière fois puis rentre à l'intérieur. Sa tête est baissée. On dirait qu'elle pleure. Je crois qu'elle a pris mon silence pour un "OUi". Je m'en veux de n'avoir rien dit tout à l'heure. Je m'en veux de m'être "dégonflé".

J'hésite à me rapprocher d'elle, mais finis par le faire.


- Milena, regarde-moi !

Elle secoue la tête.

- Milena !

- Non, papa !

Je relève sa tête et vois ses yeux humides. Je m'arme de courage et lui assure, en maintenant mes yeux dans les siens :

- Si dans le passé, mes actes t'ont fait croire que tu étais coupable de la mort de ta mère, sache que je me suis trompé. Si quelqu'un t'a dit ou t'a fait penser que tu étais responsable de la mort de ta mère, sache que cette personne aussi s'est trompée. Tu n'y es pour rien, mon enfant. Toi, tu es un ange. Et les anges ne font de mal à personne. Il n'y a qu'innocence en eux. Rien de mauvais. C'est ce que je veux que tu retiennes dès maintenant. N'en doute plus jamais, mon enfant. C'est compris ?

- Oui, papa.

Ses bras se resserrent autour de mon cou. Je l'étreins fortement.


* *

 *

Elle est maintenant détendue ;  tellement détendue qu'elle sautille sans arrêt sur le lit. Instant sieste, à l'eau pour papa Milena. Que c'est dur d'être un papa ! (Sourire)


- Fais attention Milena, tu peux tomber !

- Non, papa, je suis prudente. Ton lit est génial et j'adore sa forme ronde. On dirait un trampoline !


Elle vient de parler de trampoline et ça me rappelle quelque chose.

- Prends une pause, Milena. Il faut que je te demande quelque chose.

- Quoi ? demande-t-elle en continuant de sauter.

- On se doit d'obéir aux parents. Sinon gare à la punition !

- Tu me punirais vraiment ? s'enquiert-elle en souriant.

- Oui, petite, je le ferai si nécessaire !

- C'est bon papa, je fais ce que tu dis.  J'arrête de sauter.

- Est-ce qu'il y a des endroits que tu aimerais que nous visitions ensemble ?

- Oui papa ! Il y' en a beaucoup : parc d'attractions, salle de cinéma, zoo….


Elle me cite, sans prendre une pause, une longue liste d'endroits. On dirait qu'elle avait tout mémorisé à l'avance.

 

- C'est vrai qu'il y en a beaucoup ! reconnais-je. On va procéder comme suit : Je prendrai un congé d'une semaine pour qu'on puisse visiter une partie de ta liste.

- Juste une semaine ?

- C'est déjà "beaucoup" pour papa de rester toute une semaine sans aller au boulot, alors qu'il y a beaucoup à faire là-bas !

- Mais c'est toi le patron !

- Oui, je suis le patron. Mais je ne peux me permettre tout ce que je veux, sinon cela affectera l'entreprise. Mais il viendra bien un moment où je prendrai plus de jours pour pouvoir être avec ma princesse.

- Tu me le promets ?

- Je ne suis pas trop du genre à promettre. Disons plutôt que je mettrai tout en œuvre pour que ça devienne réalité. Ça te va ?

- Oui. Tu es le meilleur des papas !

Ses mots me touchent.

- Le meilleur. Pas encore, Milena ! Mais je compte le devenir.

- Pour moi, tu l'es déjà.


Sur son front, je presse mes lèvres et lui souris.

- Dis papa, tata Nadia pourra venir avec nous ?

- Bien sûr que oui. Sinon avec une tigresse comme toi, je risque de ne pas pouvoir tenir une journée.


Elle éclate de rire. J'attends qu'elle finisse de s'esclaffer pour l'interroger.

- Tu l'aimes beaucoup ?

- Tata Nadia ?

J'acquiesce.

- Beaucoup, NON. Énormément !

- Ah !

- Oui. Tata Nadia, c'est mon amie, ma grande sœur et ma deuxième maman.


Je souris.

- Mais tu n'as pas à être jaloux. Porque tú, te quiero aún más (Parce que toi, je t'aime encore plus).


Je hausse les sourcils, en l'entendant parler espagnol ! Avec un très bon accent en plus.

- Hmm ! Ça, c'est l'oeuvre de ta nounou.

- Oui. Elle m'apprend à parler l'espagnol et même le fongbé.

- Ah bon !

- Oui, papa. Et j'adore ça !

- Ta nounou est …

Je ne trouve même pas de mot pour qualifier cette femme qui se dévoue autant à Milena.

- … Génialissime !

- Génialissime ! répété-je, étonné que ma fille puisse connaître ce mot à son âge.

- Eh bien, oui. Ça qualifie ce qui est extrêmement Génial !


Je continue de la regarder, avec fierté.

- Tu vois, j'avais bien raison quand je disais que je ne suis plus une petite fille.


Je ne peux m'empêcher de rire. Elle me fixe un long moment avant de dire :

- C'est tellement beau de te voir rire. J'aimerais que tu le fasses tout le temps ! Oui, tout le temps.


Je passe simplement ma main dans sa tignasse frisée.

- Je t'aime tellement, papa !

- Moi aussi ! terminé-je en l'enlaçant.

Tout à l'heure, je n'ai pu lui assurer que le rire sera toujours ma compagne. Comment aurais-je pu faire une promesse pareille, quand mon coeur continue de souffrir, quand mon âme demeure meurtrie à cause de l'absence de sa mère ?




********


Nadia Page AKLE


- Milena, reste attentive… ! Milena, regarde devant toi ! Milena… ! Milena…!


Ça c'est monsieur Eliad, qui angoisse. Nous sommes dans un parc d'attraction pour enfants. J'hésite à dire à l'homme qu'elle ne risque rien et qu'elle n'est pas si imprudente. Parce qu'il a le droit de s'en faire pour sa fille. J'avoue que moi aussi, j'ai eu la même frayeur la première fois où nous sommes venues ici, elle et moi.

- A cette allure, je risque de vite avoir des cheveux blancs !


Je continue de regarder droit devant moi. Ce n'est sans doute pas à moi qu'il s'adresse.

- Je réalise maintenant ce qu'a dû être le quotidien de ses précédentes nounous et le vôtre aussi, PAGE !


Je regarde dans sa direction. Il vient d'appeler ce prénom que je déteste tant. Mais au lieu de me dégoûter, de me répugner comme d'habitude, je le trouve très beau à entendre. Monsieur Eliad l'a prononcé en murmurant presque et en le lisant à l'anglaise.


- Vous voyez ! Je ne suis pas si tête en l'air que cela. Il m'arrive de garder des prénoms en mémoire.

- Je vois. Mais mon prénom se prononce "PAJ" et non "PÉIDJ".

- "PAJ", comme vous l'aviez déjà suggéré, est trop plat et trop rigide pour les oreilles. Tandis que "PÉIDJ"— lu comme le prénom anglais PAIGE que j'aime beaucoup — est bien plus subtil, raffiné, joli et n'écorche pas les oreilles. Vous ne trouvez pas que j'ai raison ?

- Oui monsieur, je l'admets. C'est vraiment très joli, prononcé ainsi.


Je le vois me sourire. Son visage est si radieux. Je détourne vite la tête pour rester concentrée.


- Vous aimez beaucoup ma fille. N'est-ce pas ?

- Beaucoup, NON. Énormément !


Ses yeux se recentrent sur Milena et un sourire se dessine sur son visage. Il reste ainsi quelques secondes avant de se retourner vers moi.

- C'est bizarre. Elle m'a dit la même chose vous concernant. C'est certain, vous êtes très complices, toutes les deux.


Je ne sais quoi répondre.

- Merci pour tout ce que vous faites pour elle, PAGE !

- C'est mon travail, monsieur, et je le fais avec grand plaisir.

- Votre attachement pour elle va-au-delà de votre responsabilité en tant que sa nounou. Ça semble plus personnel. Elle vous rappelle vous-même, n'est-ce pas ?


Je réponds par un faible "Oui". Je n'ai pas envie de parler de ça, parce que ça me rappelle mon triste passé.

- Votre…

- Je…

Les mots "Votre" et "Je" sortent au même moment, respectivement de la bouche de monsieur Eliad et de la mienne.

- Je vous écoute.

- Eh bien monsieur, je profite de l'occasion pour vous présenter mes sincères excuses pour…

- ...la manière désinvolte avec laquelle vous m'avez traité d'insensé, de père indigne et je ne sais quelle autre insulte !


Je fais Oui de la tête, en me pinçant les lèvres.

- Je ne vous en tiens pas rigueur cette fois-ci car vos paroles tranchantes, telles des lames d'acier, m'ont aidé à reconsidérer les choses avec ma fille. Et je vous en remercie. Mais ça aurait pu mal finir pour vous. Lawrence J. Peter, un pédagogue canadien a dit : "Parle lorsque tu es en colère et tu feras le plus grand discours que tu regretteras toujours". Alors à l'avenir, tâchez de vous rappeller de cette citation ! C'est compris ?

- Oui, monsieur ! acquiescé-je en levant les yeux vers lui.

- Au fait, je tiens aussi à m'excuser…


J'écarquille les yeux.

- ... pour l'inconfort que j'ai sans doute causé à vos yeux et vos épaules, cette nuit-là où j'ai bu un verre de trop.


Il le dit sur un ton hilarant. Je fais pression sur moi pour ne pas rire.

Il me regarde droit dans les yeux et complète :

- Mais ne vous inquiétez pas, je saurai payer ma dette au moment opportun !


Je souris juste en sa direction.

- Vous…

Sa phrase reste interrompue. Ses yeux viennent d'apercevoir Milena qui lève une main vers nous. Il fait deux pas en avant.


- Milena, attention ! crie-t-il en direction de sa fille.

Des têtes se tournent vers lui, l'obligeant à se taire puis revenir vers moi.

- Vous trouvez que j'exagère ?

- Un tout petit peu.

- C'est tout nouveau pour moi et je continue de tâtonner, tel un bébé qui commence à marcher. J'ai tellement commis d'erreurs la concernant, que j'ai peur de la décevoir à nouveau. J'ai peur de ne pas être à la hauteur. J'ai peur de ne pas être un très bon père pour elle. Elle trouve que je suis déjà le meilleur des pères. Mais j'en doute.

- Si elle le dit, c'est qu'elle le pense. Vous n'avez pas à vous mettre la barre trop haute. Laissez parler votre coeur quand vous êtes avec elle. Agissez le plus naturellement possible. Sans forcer. Sans vouloir la surprotéger... De toutes façons, vous vous débrouillez déjà très bien, monsieur.


Il prend une respiration profonde.

- Quand je pense à toutes ces années que j'ai gâchées, je ne peux m'empêcher de me sentir mal vis-à-vis d'elle.

- C'est normal que vous vous sentiez ainsi. Cependant, bien que ce soit un peu tard, vous avez décidé de changer les choses. Et c'est l'essentiel.

- « Il n'est jamais tard pour bien faire les choses ! », dixit mon nouveau coach parental PAGE.

- Moi ! non hein, monsieur ! répliqué-je aussitôt. Moi aussi, je continue de me chercher avec Milena dêê !


Je viens d'utiliser mon langage de rue devant le patron.

- Oups ! m'exclamé-je en portant ma main à la bouche. Je m'excuse d'avoir employé un…

- … langage argotique ?


Je hoche faiblement la tête, en fuyant son regard.


Il éclate de rire. Le rire étant contagieux, je me retrouve à faire comme lui. Cependant, j'y mets vite un terme dès que je m'en rends compte. C'est mon patron après tout !


- Allez, PAGE. Faites-vous plaisir. Marrez-vous autant que vous voulez. Parce que vous n'en aurez pas toujours l'occasion, en ma présence !

- Non, ça me suffit !

- Si le vous le dites ! Enfin ! s'écrie-t-il en direction de Milena qui vient vers nous.

- Papa, je peux essayer les chaises volantes ? Tata Nadia a toujours refusé, à condition que tu donnes ton accord. Alors maintenant que tu es là, dis-moi OUI.

- Non, Milena. J'ai un coeur très fragile.

Il pose une main sur sa poitrine pour appuyer ses dires. Milena, quant à elle, me fait des clins d'œil pour que je supplie son père.

- Ton papa a dit NON. Alors, c'est NON.

- Mais…

- NON, mon enfant. Il y a d'autres jeux plus convenables pour ton âge.

- Je te rappelle que je suis une grande fille, papa ! rétorque-t-elle.

- Pas aussi grande que moi ! D'ailleurs, quand papa ou la nounou parle…

- … Milena se doit d'obéir !

- Alors, on y va.

Elle fait un peu la moue puis accepte, mettant sa main dans celle de son père. Je les suis, en restant derrière. A un moment donné, Milena regarde en arrière.

- Tata Nadia, viens !

J'hésite.

- Allez, attrapez sa main tendue ! Autrement, elle aura une crampe !

- D'accord !

Je serre promptement la main de Milena et tous trois avançons dans la grande allée du parc d'attraction.


 

ÂMES SOLITAIRES