Chapitre 19
Ecrit par Auby88
Maëlly FREITAS
Je me prélasse dans ma baignoire balnéo, en contemplant le cadre posé sur le rebord. De mes lèvres, j'approche la photographie d'Eliad et y dépose un baiser.
Le sourire apparaît progressivement sur mon visage, tandis que je me remémore tous les bons moments passés avec Eliad, depuis l'enfance.
Il me revient à l'esprit ces mots qu'il répétait aux garçons qui m'approchaient de trop près.
- Touche pas à Maëlly ou je te refais le portrait !
Et quand ils lui rétorquaient :
- Tu veux la garder pour toi tout seul ou quoi ?
Il répondait fièrement :
- Oui. Et alors ?
Je me sentais si bien quand il parlait ainsi de moi, quand il tenait à tout prix à me protéger. C'est sans doute à cette période-là que j'ai commencé à le voir autrement, qu'il a commencé à s'insinuer dans mon cœur et dans mes pensées. D'ailleurs, quelle femme pourrait ne rien ressentir en elle en voyant Eliad ? Aucune. S'il en existe, c'est qu'elle est aveugle !
Eliad a ce beau visage qu'on ne se lasse pas de contempler, cette voix grave qui le rend plus viril, ces yeux vifs qui accrochent au premier regard, ce sourire irrésistible et ces lèvres charnues… hmmm… qui donnent envie d'être embrassées...
A l'époque, elles étaient pleines à lui tourner autour. Et je restais là, à regarder défiler ses petites amies.
Ça peut paraître incroyable, mais Maëlly FREITAS n'a pas toujours été la femme pleine d'assurance qu'on connaît aujourd'hui. J'étais plutôt une adolescente timide. Tellement timide que je n'ai pas eu le cran d'avouer mes sentiments à Eliad jusqu'à ce qu'il parte pour l'Espagne, jusqu'à ce qu'il revienne avec sa Camila.
Dieu sait combien je déteste cette femme ! Car même morte, elle continue d'être un obstacle entre Eliad et moi.
Eliad, mon amour ! murmuré-je.
Aujourd'hui encore, j'ose à peine avec lui. Il est vrai que je ne cesse d'insister, mais j'ose à peine dépasser les limites qu'il m'impose. Et quand bien même, je les dépasse, il suffit qu'il me dise "Maëlly, STOP" pour que je réfrène mes ardeurs. C'est peut-être là mon défaut, c'est peut-être cette passivité-là qui le tient éloigné de moi depuis.
Les remous de l'eau me donnent l'impression de caresser ma peau. Je ferme les yeux et m'imagine dans les bras d'Eliad qui promène ses doigts sur ma peau. Comme ça fait du bien ! Plus je pense à Eliad, plus mon corps brûle d'envie pour lui.
Je devrais peut-être changer ma façon de l'aborder. Je devrais peut-être me "montrer" plus entreprenante, plus impétueuse, plus aguichante. Je devrais peut-être user de mes charmes, le séduire et continuer d'insister même quand il me repousse, même quand il dit NON. Voilà, Je devrais désormais agir comme ces femmes fatales, ces séductrices confirmées qui usent de tous les stratagèmes possibles pour "dompter" tous les mecs qu'elles veulent.
Non, Maëlly ! Oublie tout ça. Tu es une dame et une dame, ça se conduit décemment !
Malheureusement, le feu ardent qui brûle en moi m'empêche de continuer à écouter la voix de la sagesse. Il faut que j'agisse vite avant que je consume complètement...
* *
*
Je reluque la fadasse devant moi, avant de lui demander :
- Ton patron est là ?
- Bonsoir, miss Maëlly. Je ne sais pas si monsieur Eliad est présent.
Ce sourire impertinent qu'elle affiche à l'instant ne me plaît pas.
- Ôte-toi de mon chemin, nounou de pacotille ! achèvé-je en la bousculant.
- Bonsoir, miss Maëlly !
Voilà une autre idiote, Jeanne la gouvernante.
- Ton patron est là ?
- Oui, il est dans sa chambre. Patientez un instant, que je vous annonce.
- Ce n'est pas la peine. Je connais le chemin.
- Mais…
Je ne l'écoute pas. J'emprunte les escaliers et me retrouve devant la porte de la chambre d'Eliad, que j'ouvre sans préalablement frapper.
Je le vois sursauter, se lever précipitamment du lit et me faire face. Le livre, précédemment logé dans ses mains, échoue sur le drap.
- Maëlly ! Que fais-tu chez moi à une heure pareille ? Et pourquoi as-tu fait irruption ainsi dans ma chambre ?
Pour toute réponse, je tire vers le bas la fermeture à glissière de ma robe et la laisse tomber sur le sol.
- Maëlly, qu'est-ce ça signifie ?
- Je n'en peux plus d'attendre, Eliad. Mon cœur, mon âme et par-dessus tout mon corps se meurent d'amour pour toi !
Ses yeux restent fixés sur moi ou plutôt sur mon corps nu, tandis que ses pieds avancent vers moi.
Sans dire mot, il approche son visage du mien. Je sens son souffle chaud. Suis-je entrain de rêver ? Non, c'est la réalité. Ses lèvres sont sur le point de frôler les miennes. Je ferme les yeux pour ressentir au maximum ce moment que j'ai tant attendu. Je rabats mes paupières pour m'approprier ce moment magique.
Mais au lieu de sentir ses lèvres sur les miennes, je sens plutôt le contact d'un vêtement sur mon épaule. J'ouvre aussitôt les yeux.
- Eliad, Non !
Je tente de l'empêcher de me rhabiller. Sans succès. Il est bien plus fort que moi. Je le regarde, impuissante, achever sa vile besogne. Et le pire, c'est qu'il n'a éprouvé aucune gêne à me revêtir !
- Je te déteste, Eliad ! crié-je encore et encore. Pourquoi me rejettes-tu autant ?
Il demeure muet. Je lui assène des coups. Il finit par saisir mes bras.
- Calme-toi !
- Non, je ne me calme pas ! Ce n'est pas normal, Eliad ! Ce n'est pas normal que tu ne ressentes rien devant mon splendide corps. Ce n'est pas normal que tu ne me désires pas... Tu es malade, Eliad ! Malade ! Qu'est-ce qu'elle t'a fait, ta blanche ? Oui, qu'est-ce qu'elle t'a fait ? Un philtre d'amour, sûrement ! Tu devrais te faire soigner ou mieux encore te faire exorciser par un prêtre !
- Calme-toi Maëlly ! Tu dois être surmenée par ton travail. Une bonne nuit dans ton lit te replacera les idées en ordre !
- Arrête de me prendre pour une idiote ! Je sais ce dont j'ai besoin cette nuit et c'est toi !
J'attrape son bras mais il le relâche aussitôt. Il me laisse là et va près de la porte :
- Moi, je suis épuisé et j'ai besoin de dormir. Alors, bonne nuit Maëlly !
- Je ne vais nulle part, Eliad ! Je reste ici.
- Maëlly, je t'attends.
- Rien, ni personne ne me fera bouger d'ici !
- Ah bon !
- Oui ! appuyé-je sur un ton arrogant.
- Bien. Tu l'auras voulu !
Il se ramène vers moi. Je le défie du regard. Je sais qu'il ne fera pas du mal, alors je reste confiante.
Mais qu'est-ce qu'il….
- Eliad ! Non ! hurlé-je, tandis qu'il me soulève de terre pour me poser par-dessus son épaule.
J'ai la tête à l'envers.
- Eliad, fais-moi descendre ! continué-je à crier, tandis que nous avançons dans le couloir.
Je donne des tapes dans son dos ; je le mords, mais il ne m'obéit pas.
Au premier étage, je remarque la gouvernante, la nounou et la cuisinière qui nous observent et murmurent entre elles. Je me tais pour ne pas me ridiculiser davantage devant ces bonniches. Aux coins de leurs lèvres, j'entrevois des sourires moqueurs. Je me chargerai de ces trois cancanières plus tard.
* *
*
Nous sommes devant ma voiture. Eliad me libère enfin.
- Jamais personne ne m'avait traitée ainsi ! Tu m'as humiliée, Eliad ! Humiliée ! Et le pire, c'est que tu l'as fait devant tous ces miséreux qui peuplent ta maison !
- Où sont les clés de ta voiture ?
- Cherche-les toi-même ! craché-je en le fixant droit dans les yeux.
Il se met à fouiller mes poches. Je ne résiste pas. Un sourire de satisfaction se dessine sur mon visage quand il m'interroge à nouveau.
- Où sont tes clés, Maëlly ?
- Dans mon sac.
- Et où il est, ton sac ?
- Dans ta chambre ! murmuré-je en gardant le même sourire. Tu vois, mon amour, tout me ramène vers ton lit.
- John ! John ! tonne-t-il.
L'individu accourt vers nous.
- John, apprêtez ma voiture. Je sors.
- Bien, monsieur.
J'écarquille les yeux.
- Eliad, qu'est-ce que tu trames ?
- Je t'emmène chez toi. Demain, je te ferai parvenir ta voiture et ton sac.
- Je ne bouge pas d'ici !
- Qui t'a dit que j'avais besoin de ta permission ?
- Eliad !
Il me tire par le bras et me fait monter de force dans sa voiture.
- Tu me paieras cet affront ! vocifèré-je à son encontre. Sois sûr que…
ll ne m'écoute même pas. Il allume une station radio où on joue de la musique pop et met le volume à fond. Je parle dans le vide. Finalement, je me tais...
On vient d'arriver chez moi.
- Descends ! m'ordonne-t-il en ouvrant ma portière.
- Je ne bouge pas d'ici !
- Tu veux que je te prenne de force pour te conduire devant tes parents ?
- Tu n'oserais pas !
- Ah vraiment !
- C'est bon, je descends ! dis-je prestement en voyant ses bras robustes s'approcher de moi.
- Après toi, miss Maëlly !
J'avance en invectivant contre lui. Il n'y prête même pas attention.
- Monsieur et madame FREITAS sont là ? demande-t-il au majordome.
Je fais signe à l'employé de dire NON à Eliad, mais cet idiot lui répond quand même par l'affirmative.
Eliad saisit ma main et nous entrons à l'intérieur du séjour. Seul papa s'y trouve.
- Eliad ! commence mon père en le voyant.
- Bonsoir papa !
- Ça fait un moment qu'on ne t'a pas vu par ici !
Il tente de s'expliquer en invoquant ses obligations professionnelles.
- Seul le travail libère l'homme ! conclut mon père. Allez, Assois-toi mon fils !
- Je vous remercie, papa, mais je n'attendrai pas. Je suis juste venu raccompagner ma très chère amie. N'est-ce pas, Maëlly ? s'enquiert-il en soutenant mon regard.
- Oui, c'est exact.
- Il y a une chose qui m'intrigue, Maëlly. Tu n'étais pas censée être dans ta dépendance à cette heure-ci ?
- Oui, papa, mais… je… euh…, bafouillé-je.
- Tout est de ma faute ! intervient Eliad. J'avais urgemment besoin de son avis sur un projet personnel.
- Voilà ! soutiens-je devant papa, qui détourne la tête.
- Eliad, merci d'avoir ramené ma fille.
Il se met debout pour ajouter :
- Attends que je te reconduise dehors.
- Oh non, papa ! Ne vous dérangez surtout pas pour moi ! J'insiste. Bonne nuit à vous !
Eliad vient de partir. Je suis seule avec papa qui me fusille du regard.
- Tu devrais avoir honte, Maëlly. Honte de courir ainsi derrière Eliad !
- Mais c'est lui qui …
- Tais-toi ! Je ne suis pas dupe. Je sais qu'il a inventé une histoire pour te couvrir.
- Je t'assure que…
- Seul un sot ou un aveugle n'aurait pas remarqué la tension qu'il y avait entre vous deux !
- Mais ..
- Va-t'en, Maëlly ! Mes oreilles ont assez d'entendre tes mensonges !
Toute honteuse et encore déçue par l'attitude d'Eliad, je quitte la pièce.
* *
*
Des jours plus tard.
Mon âme s'illumine quand j'entends la voix d'Eliad à l'autre bout du fil.
- Eliad ! Enfin, tu décroches ! Cela fait des jours que j'essaie de te joindre pour m'excuser. Je ne sais vraiment pas ce qui m'a pris. J'ai honte, rien qu'en y repensant. Tu me pardonnes ?
-…
- Eliad, tu me pardonnes ? reprends-je.
- Oui, Maëlly, Mais à condition que tu ne refasses plus pareille bassesse !
- Je te le promets...Merci Eliad. Merci d'être aussi compréhensif avec moi. J'espère que cela n'affectera pas nos rapports !
- Non, pourvu que tu saches bien te tenir. Comprends, Maëlly, que j'ai une grande estime pour toi et que tu comptes beaucoup à mes yeux. Alors, ne me déçois plus !
- Je compte beaucoup pour toi, tu dis ?
- Oui et tu le sais.
- Donc, je peux continuer d'espérer qu'un jour, nous serons ensemble toi et moi ? N'est-ce pas Eliad ?
-...
- Eliad ! Eliad !
Zut ! Il a raccroché, sans même me prévenir. Je tapote ma tête en murmurant :
"Quelle idiote, je suis ! Pourquoi a-t-il fallu que je lui parle encore de nous ? Pourquoi ?"
*********
Eliad MONTEIRO
J'ai mis un terme à ma conversation avec Maëlly au moment même où elle a parlé de "NOUS".
J'expire profondément, puis continue de feuilleter le journal que je tiens en main. Je le parcours en attendant la venue de la nounou de Milena. Justement, c'est elle.
- Entrez, PAGE !
Elle avance, en regardant discrètement vers la bibliothèque. Ses yeux s'arrêtent là à chaque fois qu'elle pénètre le salon souterrain. Je me lève du canapé et la rejoins.
- Je vous autorise à emprunter des livres de la bibliothèque.
- Je…
- Allez, servez-vous ! Ne faites pas la timide. Ça se voit que vous en mourez d'envie depuis longtemps !
- Merci monsieur.
Elle promène ses yeux sur toute l'étendue de la bibliothèque. Je la sens indécise.
- Vous avez du mal à choisir ?
- Oui, monsieur. Il y a tellement de bouquins ici !
- Oui, c'est vrai. Tout ça, c'est l'oeuvre de mon épouse. Elle adorait lire et faire de la critique littéraire. Quel type d'ouvrage privilégiez-vous : poésie, roman, nouvelle, essais, culture générale … ou plus précisément romance, polar, fantastique… ?
- Eh bien, je…
- Laissez-moi deviner. Vous préférez les romans à l'eau de rose ! C'est ce dont les femmes raffolent le plus !
- Moi, pas ! rétorque-t-elle en haussant légèrement le ton de sa voix.
- A cause d'une déception amoureuse ?
- Non. Je n'aime pas, c'est tout.
- D'accord ! acquiescé-je sans insister davantage. Revenons au sujet principal. Finalement, vous choisissez quoi ?
- Je ne sais toujours pas.
- Alors, laissez-moi vous suggérer ceci.
- Un recueil de poèmes en espagnol ! s'exclame-t-elle.
- Oui, affirmé-je. A moins que vous ne…
- C'est bon. J'adore !
Son enthousiasme à l'instant me confirme que son "J'adore" est sincère.
- C'est bien. Vous ne serez pas déçue. D'ailleurs, mon épouse aussi adorait ce recueil. Mieux encore, elle adorait m'écouter lui déclamer les vers.
Elle semble m'écouter avec attention. Alors, je complète :
- Comme ce temps-là me manque ! Comme j'en suis nostalgique ! PAGE, cela vous dirait de me redonner l'opportunité de remettre ma voix à profit ? Vous me comprenez, j'espère.
- Oui, monsieur.
- Cela ne vous gêne pas, j'espère.
- Non, monsieur.
- Par la même occasion, nous pourrons plus souvent parler espagnol. Ainsi, vous pourrez vous améliorer.
- D'accord, monsieur.
Je la fixe. Elle fuit mon regard.
- J'espère que ce n'est pas parce que je suis votre patron et que vous ne voulez plus me contrarier, que vous acceptez tout ce que je dis.
- Eh bien, en partie oui.
Je souris.
- PAGE ! Vous n'avez pas à vous sentir obligée. Je préfère mille fois la PAGE qui me tient tête et qui utilise un jargon de rue, à celle trop docile devant moi actuellement.
Je la vois sourire.
- D'accord, monsieur.
- Bien. Au fait, si je vous ai fait appel, c'est pour m'assurer que tout est fin prêt pour Milena.
- Oui, monsieur. Tout est prêt. D'ailleurs, elle dort déjà. Et demain, je veillerai à l'apprêter à temps pour qu'elle reprenne le chemin de l'école.
- C'est bien. Merci PAGE. Ce sera tout. Je vous aviserai plus tard par rapport à nos "petites séances privées". En attendant, je vous laisse vous familiariser avec le recueil de poèmes.
- Merci monsieur. C'est gentil.
- Je vous en prie.
Livre en main, elle quitte la pièce. Je l'observe un moment, puis reviens parcourir mon journal.
*********
Nadia Page AKLE
Je souris en repensant aux semaines précédentes ; aux merveilleux moments que j'ai passés en présence d'un père et sa fille, qui se redécouvrent ; à tous les endroits que j'ai visités à leurs côtés.
J'ai partagé leur joie et la fillette triste, cachée en moi, a enfin souri. C'est comme si en étant témoin de leur bonheur à eux, je réécrivais mon enfance.
- Nadia ! monsieur te demande.
- Ah, il est déjà là ?
- Oui, Nadia. Allez, dépêche-toi. Ne le fais pas attendre.
- Oui, madame Jeanne ! agréé-je en me levant de l'îlot central.
En m'éloignant de la cuisine, je continue d'entendre la conversation bien drôle entre la gouvernante et Sarah.
- Nadia par ci, Nadia par là. Eh Dieu, si seulement j'étais claire, jolie et j'avais pas tous ces kilos superflus, peut-être que moi aussi monsieur allait m'appeler pour me lire poème !
- Sarah !
- Faut me laisser pleurer mon malheur ohhh ! Toi-même, vois. Depuis qu'on est ici là, est-ce que monsieur nous a jamais appelées, même pour nous lire notice de médicament ?
- Sarah, cesse de dire des âneries ! Si tu aimes tant la lecture, achète-toi un livre et lis-le !
- Ce n'est pas la même chose dêêê !
- Sache que celui qui sera capable de s'asseoir en face de toi et supporter ta langue fourchue qui s'ouvre en permanence là, n'est pas encore né.
- Tchié ! Donc, moi là je suis une vipère !
- Pense ce que tu veux, Sarah !
Dehors, je m'exclaffe.
* *
*
J'écoute l'homme lire le poème avec intérêt, comme à chaque fois. J'adore l'entendre et le regarder faire ses déclamations. Il a cette belle intonation et cette voix grave qui captivent. Je ne pense pas qu'on puisse l'écouter sans rester admirative, sans être fascinée, sans être émue. En tout cas, c'est mon cas...
"(…)
Muere lentamente quien no viaja,
quien no lee, quien no oye música
quien no encuentra gracia en sí mismo.
(Il meurt lentement celui qui ne voyage pas, celui qui ne lit pas,
celui qui n’écoute pas de musique, celui qui ne sait pas trouver
grâce à ses yeux.)
Muere lentamente quien destruye su amor propio, quien no se deja ayudar.
(Il meurt lentement celui qui détruit son amour-propre, celui qui ne se laisse jamais aider.)
Muere lentamente quien se transforma en esclavo del hábito, repitiendo todos los días los mismos trayectos, quien no cambia de marca, no se atreve a cambiar el color de su vestimenta, o bien no conversa con quien no conoce.
(Il meurt lentement, celui qui devient esclave de l’habitude, refaisant tous les jours les mêmes chemins,
Celui qui ne change jamais de repère, Ne se risque jamais à changer la couleur de ses vêtements
Ou qui ne parle jamais à un inconnu.)
Muere lentamente quien evita una pasión y su remolino de emociones, Justamente éstas que regresan el brillo a los ojos y restauran los corazones destrozados.
(Il meurt lentement celui qui évite la passion et son tourbillon d’émotions,
Celles qui redonnent la lumière dans les yeux et réparent les coeurs blessés.)
Muere lentamente quien no gira el volante cuando está infeliz con su trabajo, o su amor,
quien no arriesga lo cierto ni lo incierto para ir atrás de un sueño,
quien no se permite, ni siquiera una vez en su vida, huir de los consejos sensatos.
(Il meurt lentement celui qui ne change pas de cap lorsqu’il est malheureux au travail ou en amour,
celui qui ne prend pas de risques pour réaliser ses rêves,
celui qui, pas une seule fois dans sa vie, n’a fui les conseils sensés.)
(…)
¡ Vive hoy !
¡ Arriesga hoy !
¡ Hazlo hoy !
¡ No te dejes morir lentamente !
¡ No te impidas ser feliz !
(Vis maintenant !
Risque-toi aujourd’hui !
Agis tout de suite !
Ne te laisse pas mourir lentement !
Ne te prive pas d’être heureux !)
Martha MEDEIROS, Muere lentamente (Il meurt lentement). Titre original en portugais : Morte devagar."
Je joins les mains pour applaudir monsieur Eliad.
- Comment l'avez-vous trouvé ?
- Magnifique comme toujours !
- Celui-là est le "coup de coeur" de mon épouse.
Je souris.
- Je crois que je partage le même avis que madame. Ce poème est très motivant. Il nous pousse à sortir de notre zone de confort, à dépasser nos peurs, nos angoisses…, à nous lancer des défis, à réaliser nos rêves aussi grands soient-ils !
- En effet. Malheureusement, je fais partie de ces gens-là qui donnent l'impression de mourir lentement. Je m'emprisonne tellement dans les tracas du quotidien que j'oublie ce qu'est réellement vivre. Mais qu'est-ce que j'y peux, PAGE, si je suis devenu ainsi ? Qu'est-ce que j'y peux si…
Sa phrase demeure sans suite. Il pousse un long soupir, puis baisse la tête. Il pense sûrement à son épouse.
Un silence morbide s'installe entre nous, un silence qu'il finit par briser.
- Excusez-moi, PAGE, pour cette petite pause. J'en avais grand besoin.
Je rabats puis rouvre mes paupières pour lui signifier que je le comprends.
Nous poursuivons notre discussion concernant le poème. Puis, comme d'habitude, il me parle de son épouse. Je l'écoute avec grand intérêt.
J'attends qu'il finisse pour lui faire cette remarque quelque peu indiscrète.
- Votre histoire d'amour avec madame est très belle !
- Oui, notre romance a été brève mais merveilleuse, unique. Chaque être humain devrait pouvoir vivre un amour pareil ! Vous l'avez déjà connu ?
Je secoue la tête.
- Ce n'est pas bien grave. Vous êtes une personne charmante, sensible, agréable… Je suis certain que vous finirez par rencontrer l'homme de votre vie, celui-là qui vous fera vivre un amour inoubliable.
Je suis flattée par tant de compliments. Je souris juste, ne sachant pas quoi dire.
- Je vois qu'aborder de pareils sujets vous met mal à l'aise. Pourtant, ce ne devrait pas être le cas. Nous sommes deux adultes, sains d'esprit, qui discutent de sujets relatifs à l'existence humaine !
- Oui, mais vous êtes mon patron. Et avec son patron, les familiarités ne sont pas… vraiment permises.
Il éclate de rire.
- OK, PAGE. Dès à présent, imaginez que je suis votre ami.
- Ce sera dur dêê !
A nouveau, il pouffe de rire.
- PAGE, je comprends maintenant pourquoi Milena et vous êtes si complices. C'est parce que vous êtes pareille qu'elle. Vous avez gardé votre âme d'enfant.
Quoi dire à part sourire ?
Il se lève et se dirige vers le mini-frigo.
- Parler m'a donné soif ! Qu'est-ce que je vous sers, PAGE ?
- Rien, merci.
- D'accord.
Il revient avec deux verres et une grande bouteille de jus de fruits.
- Mais monsieur… !
- Assez de modestie, PAGE !
- Merci ! murmuré-je.
Il est sur le point de remplir les verres, mais je m'y oppose.
- Non, laissez monsieur. C'est à moi de vous servir !
- Jusqu'à quand allez-vous refuser que je vous serve ? J'avoue que tant d'attention, de respect envers ma personne me plaît bien, mais non ! Aujourd'hui, l'homme galant que je suis avant tout vous servira. Et ce sera désormais ainsi tant que vous serez en ma présence.
- Mais…
- N'insistez pas. C'est un ordre ! ajoute-t-il en me souriant.
Vaincue, je suis. Je le laisse faire.
- PAGE !
- Oui, monsieur ! acquiescé-je en déposant mon verre vide.
- Parlez-moi de vous.
A cette question là, je ne m'attendais pas du tout.
- Il n'y a ... rien d'important à savoir sur moi.
- Peut-être. Mais je souhaite en apprendre plus sur vous. Je sais que, par le passé, je vous ai dit que cela n'avait pas d'importance. Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui.
Puisqu'il insiste, je lui parle brièvement de moi, de mon village natal, de comment j'ai atterri en ville, de mon niveau d'études.
Je ne fais nullement mention de la prostitution et des parties sombres de mon enfance.
- Vous voyez, monsieur, ma vie est banale.
- Aucune vie n'est banale, PAGE. La vôtre encore moins. Mais dites-moi, qu'avez-vous fait après avoir quitté l'école ?
Sa question me met mal à l'aise. Je ne peux quand même pas lui dire que j'ai passé mon temps à me prostituer.
- Eh bien, je … cumulais de petits boulots.
- Je vois, dit-il simplement.
Ouf !
- Et vous n'avez aucune famille en ville ?
- J'avais une soeur, Carine, mais elle n'est plus.
- Je suis désolé. Mais qu'est-ce qu'elle a eu ?
- Elle est décédée dans… un accident de circulation.
- Bien triste. Que son âme repose en paix ! Ce n'est facile pour personne de perdre un être cher. C'est comme si l'on arrachait une partie de soi, un organe sans lequel l'on ne peut pas vivre normalement. En tout cas, c'est mon cas ; c'est ce que je ressens. Ma vie n'est plus pareille depuis que la femme de ma vie est partie. Sans elle, je ne vis plus. Je survis simplement. Je m'accroche juste à la vie. Surtout pour Milena. Je…
Il ne termine pas sa phrase. Ses yeux semblent fixer l'horloge au mur.
- Oups ! J'étais si absorbé par notre discussion que je n'ai pas vu le temps passer. C'est certain, PAGE, votre compagnie m'est très agréable.
- Merci, monsieur.
- Il est à présent temps que nous regagnons nos chambres respectives. Car demain, nous devrons nous réveiller tôt : Vous, pour apprêter Milena et moi, pour me rendre à mon cabinet d'architecture que j'espère pouvoir faire visiter à toutes les deux très bientôt.
- Bien, monsieur. Une fois encore, je vous remercie pour ces moments privilégiés. Bonne nuit !
- Je vous en prie, PAGE ! Bonne nuit à vous aussi !
Mes yeux tombent sur les verres vides. J'entreprends de les enlever mais…
- Non, PAGE, laissez-ça ! Je m'en occuperai plus tard.
En parlant, sa main touche la mienne.
- Bien, mon..sieur, baragouiné-je en fuyant son regard.
Me voici à l'extérieur de la pièce. J'expire profondément... Aux commissures de mes lèvres, se dessine un sourire.