Chapitre 18 : Indécise
Ecrit par Auby88
Margareth IDOSSOU
J'ai finalement réussi à parler au père de Sibelle. Elle va beaucoup mieux, ce qui me rassure. Je lui ai dit que je passerai la voir, mais il a insisté sur le fait que ce n'était pas nécessaire et qu'elle avait besoin de beaucoup de repos. Je n'ai pas insisté non plus. C'est sans doute mieux ainsi. Je pourrai peu à peu, plus facilement me défaire de Sibelle. Et puis à présent, j'ai retrouvé mon meilleur ami. Et je compte rattraper tout le temps qu'on a perdu, en passant plus de temps ensemble. Et lui aussi. Du moins, autant que nous le permettrons nos occupations professionnelles.
D'ailleurs, il m'a invité à déjeuner. Je le rejoins tout à l'heure à la Clinique.
C'est lui qui a choisi le coin cette fois-ci. D'après sa description, c'est un petit restaurant, genre maquis de quartier, sis pas loin de son lieu de travail. C'était dans ces genres de resto bon marché que nous déjeunions quelques fois quand nous étions encore au collège. J'ai accepté sa proposition, même si je dois avouer que ce n'est plus de mon genre. Je préfère les endroits chics, classes. Les prochaines fois, je m'arrangerai pour que ce soit toujours moi qui choisisse.
Nous arrivons au maquis "Chez Nangan" à une heure où il semble bondé de monde. J'imagine déjà toute la chaleur que je devrai supporter, sans compter les discussions incessantes qu'il y aura. Nous parvenons à trouver une table vide. David s'empresse de s'asseoir, sans même prendre le temps de m'aider à m'asseoir. Je pose mes fesses sur ma chaise en soupirant longuement. Il ne fait pas attention à moi.
Comme je m'y attendais déjà, il n'y a pas de menu à consulter. David s'évertue à me faire une liste des spécialités, pour la plupart locales, excepté les frites de pomme de terre au poulet. Il se lève et va passer commande pour nous deux. Je remarque que des yeux d'hommes me scrutent depuis peu. David revient quelques minutes plus tard. En attendant d'être servis, nous papotons un peu. Je ne sais trop pourquoi, mais c'est lui qui est servi en premier. Je suppose que les frites au poulet sont seulement faites sur commande.
Mon cher ami commence à manger sans moi, en me souhaitant bon appétit par avance. Je me demande où il a rangé ses bonnes manières. Certes, il doit avoir très faim après une dure journée de travail, mais cela ne l'empêchait pas d'attendre quelques minutes.
En tout cas, je n'ai pas eu à me plaindre longtemps. J'ai reçu mon plat de frites, qui n'était pas pas mal. Je le mange, sans grand entrain, occupée à fixer David qui plonge avidement ses doigts dans la sauce d'arachide après avoir fait escale dans le plat d'igname pilé. Il mange avec un naturel qui me déconcerte beaucoup. Nos yeux finissent par se croiser.
- Tout va bien ? me demande-t-il.
- Oui, ça peut aller.
- Tu devrais arrêter de manger ces trucs pour goûter à la bonne cuisine.
- Un plat aussi gras ! rétorque-je. Jamais plus de ma vie ! Je tiens à garder ma ligne.
- Il te le faudra pourtant, Mélanie ! Je te trouve maigrichonne.
Je suis piquée au vif. J'ai même failli avaler de travers.
- "Maigrichonne" ! Je trouve le mot exagéré. Et puis je m'aime comme je suis.
- Je m'excuse, Mélanie.
Je hoche juste la tête.
- Allez, goûte-moi cela.
Je secoue vivement la tête, tandis qu'il approche sa bouchée de mes lèvres.
- N'insiste pas, David !
Cette tête de mule ne m'écoute pas. Pour l'éviter, je détourne prestement ma tête. Malheureusement, la sauce atterrit dans le haut de mon tailleur.
- Tu ne pouvais pas faire attention ! dis-je en haussant le ton.
Il s'empresse de me tendre un torchon en papier, que j'arrache presque de ses mains.
- Je suis désolé.
- Tu viens de tâcher un ensemble qui m'a coûté très cher ! Je doute que la tache s'en aille.
- Je vois, dit-il en me scrutant bizzarement. Ce n'était pas mon intention. Rassure-toi. Je t'en rachèterai le même si nécessaire. L'argent n'est pas un problème pour moi. Ça te va ?
Son regard est triste.
- Je ne voulais pas te vexer, David !
- Oublions tout cela, Mélanie. Finissons de manger et allons-nous en.
J'acquiesce. Je n'ai plus vraiment d'appétit, mais je m'y efforce. Nous demeurons silencieux jusqu'à ce qu'il demande l'addition.
- Tu paies la moitié et moi l'autre moitié, me dit-il en se lavant les mains dans le récipient prévu pour ça.
Je n'en crois pas mes oreilles. Nous avons à peine mangé pour 5000 francs CFA et monsieur tient à ce que je paie la moitié.
- T'es sérieux, David ?
- Oui, nous avions toujours fait ainsi.
J'inspire profondément et sors de mon sac un billet de 5000 francs CFA que je remets à la serveuse, en soulignant que je paie pour tout.
- Non, rétorque David. La demoiselle paie juste la moitié du coût total.
La serveuse me rend ma monnaie. Et David complète l'autre moitié.
- David ! Je ne sais pas à quel jeu tu joues, mais sache qu'il ne me plaît du tout pas ! m'insurge-je.
Pour toute réponse, il se lève et sort. Je le suis, tout en lui demandant des explications.
Il finit par s'arrêter.
- Mélanie, en t'amenant ici, je voulais juste te faire revivre toutes ces petites joies du passé, toutes ces choses simples qui nous plaisaient tant.
- J'ai changé, David. Je ne suis plus cette adolescente, qui avait une joie de vivre immense, qui se contentait de choses banales.
- Oui, je l'ai remarqué. Tu n'es plus la simple et naturelle Mélanie DALI. Aujourd'hui, tu es la chic et moderne Margareth IDOSSOU. Tu n'es même plus capable de rire aux éclats.
- Et je ne m'en plains pas, David ! J'ai dû apprendre à être forte pour ne pas sombrer, j'ai dû m'efforcer d'oublier mon passé.
- Et ce faisant, tu y as aussi laissé ton coeur.
- David ! Tu ne peux pas comprendre. Sache juste que nous sommes différents à présent. Toi, tu t'acharnes à garder ton coeur d'enfant, à agir comme tel, à te contenter de cette voiture simple et démodée que tu conduis alors que tu es un éminent docteur et que tu es issu d'une famille immensément riche.Tandis que moi, je...
Il ne me laisse pas achever ma phrase.
- Le luxe et tout ce qui va avec n'ont jamais été importants pour moi. J'aime la vie, les choses toutes simples, l'affection que je donne et que je reçois des autres. C'est tout.
Ses mots me touchent. Je le regarde, sans trop savoir quoi lui dire.
- Ecoute Mélanie, nous avons décidé de passer plus de temps ensemble et je ne voudrais pas qu'un malentendu vienne entacher cette … amitié qu'on essaie de reconstruire. Alors, oublions ce qui vient de se passer. À l'avenir, je te laisserai choisir où l'on déjeunera. C'est bon ?
Il plonge des yeux implorateurs dans les miens.
- Oui, avec grand plaisir, David ! dis-je en essayant de sourire.
Il pouffe de rire en voyant mon visage. Des passants se tournent vers nous. Toute honteuse, je suis.
- David ! m'exclame-je. Ce n'est pas sérieux !
- Tu devrais te voir dans un miroir quand tu souris. C'est affreux et hilarant. Depuis quand tu ne sais plus sourire, parce que je me rappelle que tu avais l'un des plus beaux sourires ?
- Je n'en ai aucune idée, dis-je en soupirant. Disons que mes déboires ont fini par m'ôter le sourire.
Il me prend une main.
- Alors, je me chargerai de remettre un beau sourire sur ce joli visage. Et tu sais qu'il n'y a pas meilleur que moi pour te redonner le sourire.
- J'espère que tu réussiras ta mission impossible !
Il m'offre un large sourire.
- Viens, je te raccompagne à ta voiture !
En parlant, il met un bras au dessus de mon épaule.
A mon grand étonnement, il prend mes clés et débloque la voiture. Puis, il m'ouvre la portière et me prie de m'asseoir.
- Merci, David !
- Je t'en prie, Mélanie. Au fait, tu sors du boulot à quelle heure ce soir ?
- Autour de 19 h ou 20 h tout au plus. Pourquoi ?
- Parce que je n'ai pas de garde ce soir et demain, je suis à la maison. J'aimerais donc en profiter pour connaître chez toi, ce soir !
L'idée me plaît bien, même si j'habite de l'autre côté de la ville et qu'il y a parfois des embouteillages. Je le lui mentionne ; ce qui ne le gêne du tout pas. J'en suis bien ravie. J'aurai de la compagnie ce soir.
Quelques heures plus tard.
David N'KOUE
Je viens d'arriver au bureau de Mélanie. Dans la salle d'attente, je suis. Apparemment, la secrétaire est déjà partie. Mélanie ne devrait plus tarder. Elle m'a dit qu'elle réglait quelques détails avec son associé.
Je balaie la salle du regard. Endroit très classe...
Une porte s'ouvre. Je vois un homme en sortir, suivi de Mélanie. Elle m'aperçoit et vient vers moi. Je me lève prestement.
- J'espère ne pas t'avoir trop fait attendre.
- Non.
L'homme, élégamment vêtu d'un costume noir, vient à notre hauteur.
- Margareth, tu nous présentes ? demande-t-il.
Elle le fixe avant de répondre.
- Je te présente le docteur David N'KOUE, un grand ami à moi.
- Ah ! Je vois, fait-il en me toisant et me regardant de haut.
A mon tour, je le regarde d'un air amusé. Ce genre d'homme prétentieux qui aime afficher son opulence et sa réussite, j'y suis habitué.
- En tout cas, j'espère qu'il restera juste un ami, et pas plus. Car ce serait dommage que je te perde pour un … simple docteur ! ajoute-t-il en ricanant.
- Franck ! Cela t'arrive parfois de ne pas dire des bêtises ? rétorque Mélanie.
Je préfère ne rien dire. Cet idiot n'en vaut même pas la peine.
- Allons-y, David.
Mélanie me prend par la main et m'entraîne avec elle. En partant, je regarde une dernière fois ce Franck, avec un sourire narquois au coin des lèvres. Son visage vire au noir. Je jubile, rien qu'à l'idée qu'il puisse penser qu'il y a plus qu'une simple amitié entre Mélanie et moi…
Près d'une heure plus tard, nous arrivons chez Mélanie. Nous avons perdu un peu de temps dans les bouchons. Elle insère une clé dans la porte et allume les lampes. Je découvre un luxueux appartement bien rangé, aux meubles très modernes mais trop empreint de solitude.
- Fais comme chez toi, David.
La cuisine est juste là. Tu trouveras des rafraîchissements dans le frigo. Je monte me changer. Je ne serai pas trop longue.
- Ne t'inquiète pas pour moi. Je n'ai pas soif.
- Ok. Je reviens tout à l'heure.
Je hoche la tête.
De la bibliothèque au salon, je m'approche et parcours du regard les livres de Mélanie. Droit, Droit et Droit. Je me demande si elle lit autre chose. Il me faudra peut-être lui offrir un roman.
Une sonnerie résonne dans l'appartement. J'appelle Mélanie, mais elle ne m'entend pas. Alors, je vais ouvrir. Grande est la surprise qui m'attend derrière la porte.
- Toi, qu'est-ce que tu fais ici ?
- Je devrais te poser la même question. Allez, barre-toi de mon chemin. Il faut que je parle à Mel.
- Tu n'entreras pas ici, Charles !
- Et qui compte m'en empêcher ? Un lâche et idiot comme toi ! s'exclame-t-il en se moquant de moi.
- Oui.
- Mon petit ! J'ai toujours su que tu avais un faible pour elle. Mais sache qu'elle m'aime encore.
- Pense ce que tu veux de moi ! Mais je doute fort qu'elle t'aime encore après tout le mal que tu lui as fait.
Il essaie de me pousser. Je résiste.
- Va-t'en, Charles !
- David, laisse-le entrer, me dit une voix derrière.
Là, je suis perdu.
- Mais, Mélanie ! Il …
- Tu l'as entendu, petit toutou.
- Arrête, Charles ! intervient Mélanie. Ne me fais pas changer d'avis.
A contrecoeur, je cède le passage à Charles.
- David, tu voudras bien m'attendre sur la terrasse, me suggère Mélanie.
- Non Mélanie, ne me demande surtout pas ça ! Je suis de trop ici et je préfère m'en aller. Après tout, c'est ta vie et tu en fais ce que tu veux.
- David, attends !
Elle essaie de me retenir. J'esquive son geste. En sortant, Je passe tout près de David en le regardant avec des yeux noirs de colère. Il sourit, ce qui me met encore plus en rage.
Margareth IDOSSOU
David vient de partir. Je me sens mal vis-à-vis de lui. Je me sens mal pour lui.
- Qu'est ce que tu me veux encore, Charles ?
- Je passais dans le coin et j'ai voulu te saluer.
- Si c'est juste pour cela, tu peux déjà t'en aller.
- En réalité, je n'arrive pas à oublier le baiser que nous nous sommes donnés la dernière fois.
- Oublie tout cela. Ce n'était qu'une erreur. J'étais juste perdue.
- Tu n'aimes encore, n'est-ce pas ?
- Arrête Charles ! Comment peux-tu venir me parler d'amour alors que tu es marié ?
- T'as raison. Je suis marié et j'aime ma femme. Et je m'efforce de lui rester fidèle. Mais depuis que je t'ai revue, tu hantes mes pensées, Mélanie. Tu es tellement belle, tellement différente, tellement désirable, tellement irrésistible...
En parlant, il s'approche près de moi. Tout contre le mur, je me retrouve avec lui. Je ne sais pourquoi, mais je n'arrive pas à résister à ses yeux qui me regardent intensément. Une fois encore, je lui offre mes lèvres qu'il embrasse avec volupté. J'ai l'impression de brûler.
- Je te désire tellement, Mel. Laisse-moi te faire l'amour à nouveau.
En parlant, il soulève un pan de ma jupe et promène ses doigts sur ma cuisse. Son geste me ramène dix ans plus tôt dans sa chambre. Je me revois sous lui, "agonisant" presque. Tout me revient soudainement. Je le repousse violemment.
- Va-t'en, Salaud ! Sors de chez moi et ne te ramène plus jamais ici ! Je te hais, je te déteste ! Tu n'es qu'une sale brute ! finis-je par dire en éclatant en sanglots.
- Qu'est-ce qui t'arrive, Mélanie ?
- Sors de ma vie, Charles !
Je le pousse vers la porte. Il est tellement désorienté qu'il se laisse faire. Dès qu'il est dehors, je referme ma porte avec force et m'effondre sur le sol. Je reste là quelques minutes, puis je vais prendre mon téléphone. Je compose le numéro de David.
David N'KOUE.
Je viens d'arriver chez moi, encore contrarié. Je pensais passer une belle journée avec Mélanie, mais au final, c'est une catastrophe.
Mélanie n'est plus la même. Mélanie est tellement différente de l'adolescente que j'ai connue avant. Plus superficielle que naturelle. Plus hautaine qu'humble. Tout se brouille dans ma tête.
Là maintenant, j'enrage juste à l'idée de les savoir seuls, Charles et elle, en train de s'embrasser ou pire de faire l'amour.
Mon téléphone sonne. C'est Mélanie. Ils doivent avoir fini leurs jeux coquins. Que peut-elle encore me vouloir ? Je laisse le téléphone sonner indéfiniment. La musique finit par s'arrêter.
Je sais que c'est sa vie, qu'elle n'a aucun compte à me rendre, mais je me sens tellement humilié. D'autant plus que ... je ....l'aime. Pas comme un frère devrait le faire. Mais comme un homme.
Je ne le lui ai jamais avoué, mais j'ai toujours eu un faible pour elle. Et la revoir après tant d'années a remis au goût du jour tout cet amour enfoui en moi.
J'inspire profondément pour me calmer. Mais cela ne marche pas. J'aimerais bien lui avouer mes sentiments, mais j'ai peur que son coeur meurtri ait du mal à me croire. Pire encore, elle me considère comme un frère et semble encore avoir des sentiments pour Charles. Je n'ai pas le choix. Il me faut à tout prix extirper ce sentiment de mon coeur.
Quelqu'un frappe à ma porte. Je me demande qui cela peut bien être. Je n'attends personne. Je vais quand même ouvrir. J'ai une belle surprise devant mes yeux.
- Tiens, tiens, Belvida.
Belvida est l'une de mes "dépanneuses". Eh oui, les conquêtes j'en ai beaucoup, mais jamais sur mon lieu de travail. J'ai rencontré Belvida à l'un des galas de charité que mes parents organisent parfois. Elle est très canon, avec un balcon assez bien fourni. Entre elle et moi, il n'y a rien de sérieux. Rien que des plans cul de temps en temps. Elle ne s'en plaint pas et moi non plus. En tout cas, ce soir dans ses bras, je compte m'employer à oublier cet amour impossible que je nourris pour Mélanie.