
Chapitre 19
Ecrit par Spice light
– MINE FOKE –
Je suis arrivée hier. Mon mari et moi avons des investissements à Muanda, et j’en ai profité pour assister aux présentations d’Ivy. Je suis descendue directement chez les parents ; ce n’est qu’après que je rejoindrai Muanda avant de retourner à Cabinda. J’aide maman à préparer les repas pour les invités. Ivy s’occupe des boissons.
Le petit prince est en route. Apparemment, il s’est disputé avec Sun. Sur le coup, je ne peux pas dire que ce soit la faute de Joan. Sun est très compliqué.
[…]
La famille de Norbert vient à peine de partir que maman Mado, la voisine, prend leur place.
— Bonsoir à tous.
— Bonsoir mère Mado, répondons-nous en chœur.
— Je reviens du village. Cela fait quelques jours que l’argent dont la famille m’a portée garante a disparu. (Elle parle de son kodia.)
— Et quel est le rapport ? demande papa, impatient. Il ne la supporte guère.
— J’y viens, répond-elle. C’est une liasse de 12 500 FC (25 billets de 500). Je l’ai perdue et j’ai interrogé tous mes enfants, bien qu’ils ne touchent jamais à mon argent. J’ai donc contacté le doyen de la famille, et c’est ainsi que je me suis rendue au village. Après les rituels, on m’a dit que c’est Joan qui a volé cet argent, tranche-t-elle.
Papa se lève furieux et sort du salon. Il revient avec Joan qu’il est en train de frapper comme un ennemi.
— Toujours à me faire honte ! (Coup de pied.) Je ne peux même pas un peu compter sur toi ! Tu voles en classe, au quartier, partout ! Je vais en finir avec toi aujourd’hui ! dit-il en l’empoignant.
Joan est méconnaissable.
Je me lève et m’interpose.
— Maman Mado, s’il vous plaît, rentrez vous reposer. Je vais rester pour parler avec mon frère, et demain, dès la première heure, je viendrai vous voir, lui dis-je.
— Hum… moi ce n’est pas pour mon argent hein, qu’il me le rende simplement, boude-t-elle.
— Je compatis avec vous, mais laissez-nous en discuter avec lui, reprend maman.
— Ah, Elsa, mais tu dois arrêter ton fils hein… dit-elle en s’en allant.
Papa rentre dans la maison. Heureusement qu’Ivy et sa belle-famille ne sont pas là. Pfff…
Je libère le petit prince et demande à maman d’essayer de calmer son mari. Je reste seule et appelle Light.
— Vraiment, je suis déçue de MUAMBA, franchement, dit Light au bout du fil.
— Là n’est pas la question. La vraie question est : que faire, puisque cet argent est mystique ?
— Je vais dire quoi ? D’ailleurs, tu as parlé avec le concerné ?
— Pas encore. Son père l’a mis dans un état lamentable. Mais je compte lui parler pour mieux comprendre.
— Ah, ça me donne mal à la tête, franchement. Mais s’il faut qu’il aille dans le village de cette dame pour les rituels, allez-y.
— NON, je réponds fermement.
Peu importe, Joan reste mon frère. Je ne permettrai pas qu’il aille se livrer à de la sorcellerie. Demain, il ira présenter ses excuses à cette dame et lui remboursera son argent. Qu’elle rentre seule dans son village chercher un autre kodia. Nous avons nos us et coutumes, mais on ne peut pas aller n’importe où. Ça, c’est de la sorcellerie.
— Mine, le kodia n’est pas de la sorcellerie, c’est aussi une coutume, me dit Light.
— De quelle coutume tu me parles ? Maman Mado n’a pas d’enfants. Elle élève ceux de sa famille en plus de se saigner pour ramener de l’argent à toute la famille. C’est le cas pour la plupart des femmes qui ont cette chose. Quant aux hommes, leurs enfants passent pour moins utiles alors que leur père souffre pour la famille. Coutume ou pas, pour moi c’est de la sorcellerie, et Joan n’ira pas là-bas. Par-dessus tout, nous sommes chrétiens. Donc non merci.
— Ouf, c’est toi qui vois. Bon, je te laisse, je dois m’occuper des enfants, dit Light.
— D’accord, à plus.
Je raccroche et entre dans la chambre de Joan. Il est assis, le regard vide.
— Je ne sais pas ce qui m’a pris, Mine. C’est comme une voix qui me pousse à le faire. Je te jure que je n’aime pas ça. Je ne suis pas un voleur. Avec tout ce que j’ai enduré, il faut encore que je devienne voleur ? (Il éclate en sanglots. En vrai, cela me peine. Je ne suis pas proche de lui, non. C’est plutôt Light qui l’est. Mais là, je ne me retiens pas et le prends dans mes bras.)
— Je te crois, Joan. Cesse de pleurer.
— Papa ne cesse de me dire que je lui fais honte. Je vais vous ressembler pour ne plus lui faire honte, pour ne plus lui infliger cette peine. Je vais simplement disparaître, aller là où personne ne me verra…
— Ne dis pas ça. Demain, on ira voir cette dame.
— J’ai peur. Ils vont m’emmener dans un village ? Oui, je comprends, ils vont me tuer pour rembourser leur argent. Comme ça, j’irai travailler dans le spirituel pour eux. Je serai leur esclave…
Il est vraiment angoissé. Il fait une crise. Maman a dû lui faire une injection pour qu’il dorme.
— Ouf, c’est vraiment lourd tout ça, me dit maman, toute peinée. Même si elle ne le dit pas, Joan c’est son fils, et elle l’aime comme elle nous aime.
— Demain à son réveil, on ira voir cette dame, et il va s’excuser. Le mieux pour lui est qu’il parte vraiment pour longtemps de cette ville. Et parle à ton fils : qu’il soit indulgent avec Joan. Comme ça, il n’aura pas à faire des allers-retours entre ici et là-bas parce que Sun se croit plus parfait que tout le monde.
Même avec nous, ses grandes sœurs, Sun a toujours à redire. Alors, imagine avec ce petit garçon ? Je la laisse et vais dormir dans notre ancienne chambre. Ivy n’est pas encore rentrée, et je ne veux pas qu’elle sache quoi que ce soit. Cette histoire doit rester entre nous pour préserver l’image de Joan. Pfff… la vie d’adulte, pardon. Je suis si fatiguée que je n’appelle même pas Côme (mon mari) pour avoir de leurs nouvelles.
[…]
— STP Joan, dépêche-toi, lui dis-je alors qu’il traîne depuis une demi-heure dans sa chambre.
— J’arrive, dit-il en sortant enfin.
Je le lorgne : il est vêtu d’un pantalon noir et d’un survêtement noir à capuche.
— Enlève-moi cette capuche, là, lui dis-je, et il s’exécute.
Papa est sorti tôt ce matin, en même temps que maman, qui est de service.
On sort de notre parcelle pour rejoindre celle de la voisine.
— Bonjour Blanco. Maman Mado est là ?
— Oui, elle est à l’intérieur, nous dit l’un des nombreux enfants qu’elle élève.
Je frappe à la porte avant qu’on nous invite à entrer.
— Bonjour, maman Mado, la salué-je, tandis que Joan reste en retrait.
— Bonjour Mine, comment vas-tu ?
— Ça va bien, maman. Je suis là comme promis.
— D’accord, installez-vous, dit-elle en désignant le fauteuil en face d’elle.
— Merci.
— Je vous écoute.
— Maman, j’ai eu le temps de parler hier avec mon frère, et il a reconnu avoir pris votre argent. Connaissant la source de celui-ci, je m’engage à vous le rembourser, même le triple, mais je vous en prie… n’emmenez pas Joan pour des rituels. C’est contre nos croyances, dis-je en m’agenouillant, suivie de Joan.
— Maman, stp… je ne sais pas ce qui m’a pris, mais je vous en supplie, épargnez-moi. Je ne souhaite pas mourir. D’ailleurs, plus jamais je ne viendrai vous voler. Pardon… dit-il, les mains jointes, en larmes.
Il refait une autre crise d’angoisse.
— Je comprends. Levez-vous. Je vais essayer d’en parler avec ma famille. Mais Joan, la prochaine fois, où que tu sois, ne touche pas à l’argent d’autrui, même pas celui de ton père. Tu ne sais pas comment cet argent a été gagné. Tu as bon fond, tu feras de grandes choses, mais cherche à te sécuriser spirituellement. Ce sera bien pour toi.
— Merci, dis-je en lui tendant deux billets de 50 dollars.
C’est largement suffisant.
On quitte chez elle pour rentrer à la maison. Ce soir, Joan présentera ses excuses à ses parents, et demain, il rentrera à Kinshasa. C’est mieux. Moi aussi, je rentre demain.