Chapitre 18

Ecrit par Spice light





— Joan MUAMBA FOKE —



Je suis arrivé hier, et je vis avec Sun. Ce n’est pas l’idéal, mais c’était la seule option pour moi. Tant qu’avec Light, ça se passe crème. Mine, elle, me montre clairement sa distance. Sun le fait silencieusement, sans rien dire. Ivy, c’est Ivy : m’emmerder, c’est son passe-temps favori.


Je sors inspecter le quartier, histoire de maîtriser les allées. Et je vois un groupe de jeunes. Pas besoin de me le dire, ce sont les kulunas. Je crois que c’est leur QG.


— Euh, toi, viens là, me dit l’un d’eux.


Il est petit de taille, mais tout le monde semble avoir peur de lui.


— T’es nouveau, toi, renchérit le plus baraqué de tous.

— Comme tu peux le constater, leur dis-je.

— Et je peux savoir où tu habites ?

— La parcelle avec le portail noir, juste derrière.

— Je vois. Tu ressembles au petit là, qui se prend pour un pasteur rempli d’orgueil, dit leur chef.

— Sun, c’est mon frère. Et moi, c’est Joan.

— Joan ? C’est encore quel nom, ça ? Tu étudies au moins ? me demande le même chef.


J’suis vraiment en train de passer un interrogatoire, là.


— Ouais, je fais des études de médecine.

— Mieux. On t’appelle Docta. Tiens, dit-il en me tendant une cigarette.

— Je ne fume pas.

— Ahah, drôle tu es. Vous dites tous ça pour, au final, aller vous droguer. Du whisky, t’en prends ?

— Oui, oui, j’en prends.


Je m’assieds avec eux et on passe du temps ensemble. Ils m’expliquent ce qu’ils font.


— Vous n’avez pas d’autre issue ?

— Tu crois qu’on a choisi cette vie ? Des parents qui ne pensent pas à demain, non. Rien qu’à faire des enfants. J’aimais l’école mais je ne pouvais plus y aller. À quoi bon rester à la maison ? Être kuluna me permet d’évacuer ma peine, et quand je veux quelque chose, je l’obtiens. Tu t’opposes ? Je te fais mal, dit l’un d’eux tout en désignant sa machette.

— Estime-toi heureux d’étudier. Si tu décides de tout gâcher, bah même dans la rue tu seras le dernier, puisqu’aucun d’entre nous ne te laissera sa place.


Je les écoute d’une oreille attentive et je réalise la chance que j’ai, même si ce n’est vraiment pas ce que j’aurais voulu. Et les paroles de mon père me reviennent en boucle :


— Ne me fais plus honte, plutôt honneur. Je compte sur toi.


— Tata parlait tout le temps de toi. Elle disait que peut-être tu te plaisais chez ton père et ne voulais pas la déranger, mais elle gardait espoir de te revoir…

… résonne la voix de mon cousin.


Je suis pris d’un chagrin hors pair en repensant à ma mère. Je dois quitter ce pays par tous les moyens. Maman voulait le Canada. J’irai, pour sa mémoire.


— Euh oh, t’es là ? Vous, les gosses de riche, avez de sérieux problèmes hein… se moque un autre.

— Ton vieux est là, dispose avant qu’il ne te trouve là, me dit leur chef.

— J’en ai rien à foutre de ses humeurs. Chacun ses platebandes, je lui réponds.

— Les conflits familiaux, pas chez moi. Ici c’est la rue, pas le terrain familial, donc disparais.

— J’irai nulle part, je proteste.

— Tiens tiens… à peine arrivé que tu te lies d’amitié aux voyous ? Que je me fasse agresser un jour par ta faute, tu sauras ! m’attaque Sun.


Je le dévisage et prends la route de la maison.







— Je ne te permets pas de me regarder de haut, face à ces voyous, Joan. Tu es chez moi, tu te dois de suivre mes ordres.


— Si c’est le fait de vivre chez toi qui te donne le droit de m’humilier en public, alors je préfère rentrer.


Je le défie du regard. Il en fait autant avant de quitter le salon pour sa chambre.

Cette rivalité, c’est dès le premier jour que j’ai posé mes pieds dans leur parfaite famille. Pfff.





— Victor FOKE —



— Je voudrais qu’on coupe les ponts, Alésia.

— Et pourquoi ? répond-elle, piquée à vif.

— Bah Ivy, ton amie, Sun, ton crush, et Joan avec qui t’as couché… ça ne te dit rien ?

— Euh… alors ? C’est du passé.

— Oh que oui, mais je ne peux simplement plus continuer avec toi. Je t’avais dit de rester à ta place, non ? C’est toi qui t’agites devant ma femme. Tu sais par quoi on est passés pour être là où on est aujourd’hui ? N’importe quoi, dis-je en ramassant mon portable et en quittant le lounge.


Elle pensait que je n’allais rien savoir ? Elle se fout le doigt dans l’œil. Une fille sans pudeur comme ça.

Je vais en toucher deux mots à Ivy.

Quand on parle du loup, la voici qui m’appelle.


— Allô ? je réponds d’un ton neutre.

— Papa ! crie-t-elle au bout du fil.

— Ma chérie, tu dis quoi ? je réponds amusé.

— Paa… Norbert (un frère de son église) veut venir pour les présentations.

— Euh Ivy, c’est toujours toi dans des trucs bizarres… jusqu’à un homme qui porte un prénom bizarre (je me moque d’elle).

— Papaaa, je risque de me fâcher ! (boude-t-elle).

— Hum, j’ai compris ma chérie. Je suppose que ta mère est au courant ?

— Oui oui, d’ailleurs Mine sera là, elle m’informe.

— Ah c’est tant mieux. Et tes frères ?

— Sûrement, sûrement. Petit prince sera là. Pour Sun, aucune idée.

— Pff Ivy, ça te coûte quoi de dire simplement “Joan” au lieu de “petit prince” qui est si long ?

— Ah père, je suis habituée. Et s’il te plaît, parle à ton fils. Comment une personne peut se comporter comme s’il n’avait pas de famille ? Rien ne l’intéresse, rien du tout. Et c’est lui, le plus grand des garçons…

— Que dire ? Bon, je suis en route. Je te rappelle après, Ivy.

— D’accord papa. Norbert te salue. Il est ici avec moi.

— Bien. Mais dis-lui qu’il ne me saluera qu’une fois que je l’aurai reçu chez moi.

— Bien, dit-elle avant de raccrocher.


Je rentre directement à la maison. Cette Alésia m’avait vraiment remonté. J’ai horreur des femmes qui n’ont pas de dignité… mais quand même.

Tu es amie à la sœur, tu crush sur le grand frère, tu couches avec le petit frère, et te voilà avec le père, sans manquer de manifester ta misérable présence à la mère. N’importe quoi.

Anael est mieux… sauf qu’elle ne me veut plus. Bon, j’en trouverai d’autres, pourquoi pas ?





— IVY LIYONGO FOKE —



Après l’appel avec papa, je reporte mon attention sur Norbert.


— Alors, il dit quoi ?

— Bah, il n’était pas à la maison. Je crois qu’il doit se concerter avec maman pour arrêter une date.

— Tu sais que je dois rentrer pour le travail…

— Je sais. J’ai déjà tout expliqué à maman. D’ici demain, on aura une date s’ils en parlent aujourd’hui.

— Bien, là je dois filer. Bisous.

— Bisous.


Norbert a tout juste 26 ans. Il travaille comme expert-comptable à la DGI. Mais il est à Goma en mission. Il vient de temps à autre pour déposer ses rapports et aussi pour des réunions importantes.

On s’est croisés à l’église. On a parlé une ou deux fois. J’ai apprécié sa vision, donc on s’y colle.


Amoureuse ? Je ne pense pas. Mieux vaut être dans une relation où tu ne te soucies pas des sentiments que dans une relation où l’amour te donne des crampes constantes à l’estomac.


J’espère que papa recevra Norbert la semaine prochaine, puisqu’il a dû prolonger son séjour pour ça.


POUR QUELLES RAISONS...