Chapitre 2

Ecrit par Lilly Rose AGNOURET

Chapitre 2

 

Khazey Omanda

 

 
   

Il est 10h30 quand j’arrive dans le quartier décrit par mon frère Frédéric, dans un moment d’indignation. Les détails, je les ai gardé en tête. Le quartier est appelé Masuku. La route qui y mène est sinueuse mais en très bon état. Je peux donc atteindre le point repère très vite. Ensuite, tout se complique car je dois engager la voiture dans un chemin de sable. Heureusement pour moi, je conduis un 4x4. Quand les petits qui jouent de part et d’autre du chemin, voient ma voiture, ils se mettent à courir comme pour accompagner mon avancée vers l’inconnu. Les habitations sont certaines précaires, d’autres saines. La végétation est dense par endroit. Il y a énormément de poules et de cabris ci et là. Je ralenti le véhicule puis baisse la vitre de mon côté et demande aux enfant :

- Connaissez-vous Azaliah Onanga !

Ils me répondent que oui. Ils connaissances tantine Azaliah. Elle habite la maison peinte en bleu là-bas. C’est elle qui est là-bas, debout en train de mettre le linge à la corde.

Je regarde dans la direction indiquée. Je vois une femme vêtue d’un pagne attaché au niveau des aisselles. Elle est occupée à installer du linge. Et elle est enceinte jusqu’au cou. Je pose mon esprit un instant me demandant pourquoi personne ne m’a prévenu qu’Azaliah est de nouveau enceinte. Là, je comprends mieux les envies de meurtre de ma mère. J’avance tranquillement avec des gamins qui n’arrêtent pas de me poser des questions. L’un d’eux pars en coutant en disant qu’il va annoncer mon arrivée à « tantine Azaliah ».

C’est ce qui est fait quelques minutes plus tard. Je remarque le regard que pose sur moi, ma petite sœur Azaliah. Elle lâche alors le drap bleu qu’elle s’apprêtait à mettre à la corde. Là, saisie d’une panique certaine, je l’entends qui crie en direction de la maison :

« Chéri, mon grand frère arrive ! Mon grand frère arrive ooooh ! »

J’entends alors que le chéri en question demande :

« Ton grand frère ! Ton, grand frère qui ?

Deux secondes après qu’Azaliah aie répondu « mon grand frère Khazey ! », je vois un mec sortir de la maison et déguerpir à vive allure, dans le sens opposé à celui d’où j’arrive. Je n’ai même pas le temps de voir le visage où la couleur du tee-shirt que porte la personne qui fuit. J’entends simplement l’un des garçonnets qui m’accompagnent, dire : « Mais pourquoi tonton Mbina fuit ? Il a peur de qui ? »

Je n’ai pas de réponse à cette dernière question car ce Mbina, je ne le connais qu’à travers les récits faits par ma mère ou mon petit frère Frédéric. Je n’ai jamais eu « l’honneur » de discuter avec lui. Je suppose que s’il s’est enfuit, c’est qu’il est vraiment l’abruti dont parle ma mère.

J’arrive face à Azaliah et lui dis :

- Bonjour mademoiselle Onanga. Comment vas-tu ?

Elle baisse le regard, se triture les doigts, remue ses pieds nus dans le sable. Je pourrais rester là une éternité avant qu’elle n’ose affronter mon regard et me répondre. Alors, je lance :

- Tu as deux minutes pour aller dans ce taudis, faire tes bagages, prendre tes enfants et me suivre. Sinon, je casse la gueule à ton fameux mari, là devant tout le monde.

Sans broncher, elle tourne les talons et va vers la « maison » dans laquelle elle vit avec son fameux « mari ». S’il s’agit d’une maison, cela veut dire que le palace de Buckingham est une termitière !

Une heure plus tard, c’est aidés par les enfants du quartier, que nous quittons les lieux. Je marche derrière ma petite sœur qui avance avec son gros ventre et quatre enfants de moins de 5 ans qui la suivent en mangeant du pain sec ou en tenant un biberon dans la main. Je porte deux gros sacs de voyages alors qu’à mes côtés, d’autres portent encore plus de bagages.

Installés dans ma voiture de location, les enfants jubilent comme si c’était Noël et qu’un carrosse était venu les chercher pour les emmener à Disneyland. Il en faut vraiment très peu pour faire sourire un enfant. Là, je n’ai pas le courage de m’agacer du fait qu’ils mangent dans la voiture. Je me laisse captiver par leurs rires, les expressions de leurs visages. Le silence que me sert ma petite sœur nous conduit tranquillement vers la maison de mon père, au bazar de la Mosquée. C’est un quartier populaire que mon père n’a jamais voulu quitter malgré le fait qu’il ait fait construire deux villas dans deux quartiers résidentiels de la ville. Je gare la voiture devant le portail. Les enfants crient alors :

- Oh, on est chez papi Théo. On va manger du couscous.

Dès que je pousse le portail, les enfants qui sont descendus de la voiture, vont en courant en direction de la maison. La grande cour devant la maison, est vide. C’est de l’intérieur qu’arrive mon père, Théodore Onanga, en personne. Comme dans mes souvenirs, l’homme est vêtu d’un pantalon et d’un maillot de corps de couleur blanche. Il accueille ses petits-fils dans ses bras avant de s’étonner de ma présence :

- Monsieur Omanda ! C’est bien toi ! Sois le bienvenu, fils ! Mais, dis-moi, quand es-tu arrivé ? Où as-tu trouvé ces enfants ?

Je n’ai pas le temps de répondre car déjà, les enfants en question réclament du couscous !

Mon père lève les yeux au ciel puis éclate de rire avant de crier :

- Pauline ! Tes invités réclament du couscous.

Dès qu’elle entend le mot couscous, ma belle-mère arrive en vitesse pour prendre les petits dans ses bras. Quand elle remarque ma présence, elle s’écrit :

- Khazey ! toi, ici ! Khazey, bon retour. Entre, mon fils. Entre !

Je me retourne vers le portail et dis :

- Est-ce qu’il y a des bras pour m’aider à décharger la voiture ?

Ma belle-mère se tourne vers l’intérieur de la maison et crie :

- Charles, Francis, sortez ici ! On a besoin de vous.

J’attends quelques minutes que les deux costauds qui sont mes neveux, arrivent. Après les salutations d’usage, ils me suivent vers la voiture. Je retrouve Azaliah toujours assise à l’arrière, prostrée comme si elle avait décidé de se changer en statue ! J’ouvre la portière et l’invite à descendre. Elle hésite un instant avant d’obtempérer. C’est avec beaucoup de réticences qu’elle passe le portail. Mes neveux me demandent alors :

- Tonton, par quel miracle tu as réussi à ramener tantine Azaliah à la maison ?

Je leur réponds alors :

- Contentez-vous de descendre tous ses bagages. On parlera plus tard.

Quand mon père voit arriver sa fille, il me regarde et dit :

- Fils, quand je te disais qu’il fallait que tu reviennes remettre de l’ordre dans cette famille ! Tu as trop tardé ! Ce couillon a encore réussi à la mettre enceinte. Si j’étais encore jeune, il y a bien longtemps que je lui aurais foutu mon coup de pied dans le derrière.

Après avoir salué papa, Azaliah disparait de ma vue en allant tranquillement dans la maison. Mon père me donne alors une sérieuse tape à l’épaule droite et me dit :

- Quand je te disais que rien ne va ici. Tu pensais que j’exagérais, n’est-ce pas ?

- Pourquoi ne m’as-tu pas dit qu’elle était de nouveau enceinte ?

- ça fait des mois que je n’ai pas vu Azaliah. C’est la semaine dernière que l’on m’a mis au courant de son état. Elle était à l’hôpital. Une infirmière qui me connait, m’a appelé pour me dire qu’il lui fallait dix mille francs pour payer une consultation médicale.

Je n’ose même pas imaginer les détails de cette affaire. J’en ai mal à la tête rien que d’y penser. Je regarde papa dans les yeux et lui dis :

- Vous n’auriez pas dû la laisser à ce type. Il a pris la poudre d’escampette en me voyant arriver.

- Pourquoi a-t-il fuis, cet idiot ! il y a 6 mois, il m’a craché à la figure qu’il n’a peur de personne, non !?

- Il a osé te dire ce genre de chose ? fais-je étonné.

- Fils, bienvenu à la maison. Si j’ai oublié de dire à tes sœurs qu’elles ont de la valeur, à toi de le leur rappeler.

- Que se passe-t-il avec Imani ?

Papa secoue la tête et me répond :

- Fils, il va être midi. On n’insulte pas les gens le ventre vide.

- Papa, que se passe-t-il avec Imani ? fais-je en insistant.

Il me regarde, se passe une main sur le visage puis me dit :

- Fils, sois le bienvenu à Port-Gentil !

 

De la cuisine, je peux entendre l’épouse de mon père se plaindre du fait que son garde-manger soit vide. Elle regrette de ne pouvoir me préparer un plat de nyemboué comme je les adore. Depuis le salon, je lui lance :

- Ma Pauline, fais comme tu peux. Je suis là pour longtemps.

Elle me répond d’une voix douce :

- Oh, ça fait cinq ans que l’on ne t’a pas vu. Je ne peux quand même pas te servir les restes d’hier, mon fils.

Je sais qu’elle se débrouillera comme à son habitude pour garnir la table. S’il y a bien une qualité qu’on lui reconnait dans la famille, c’est qu’elle est une cuisinière inégalable. Je ne m’inquiète pas pour cela.

Je préfère reporter mon attention sur l’intérieur de cette maison de 4 chambres que mon père a bâti il y a des années et qu’au fil des ans, il a agrandi et métamorphosée. Les murs sont peints en blanc. Le salon est décoré de façon sobre avec un portrait de mariage au mur et sur un autre mur, les photos des petits-fils, mis en valeur. Le salon est divisé en deux ; un côté pour les jeunes, un côté pour les adultes. Vu que les jeunes et les plus âgés n’ont ni les mêmes conversations, ni les même programmes télé, mon père a toujours eu horreur qu’on le dérange ou qu’on critique son gout pour les programmes soporifiques de la chaine nationale. Il répétait qu’il nous laissait nous abrutir avec les programme de Canal Sat et qu’il se tenait au courant de la marche du pays pour mieux critiquer le pouvoir en place. Bref, cela faisait naitre de très longs débats entre nous.

La salle à manger a changé depuis le temps. Une grande table massive s’est imposée dans la pièce et l’on peut voir sur les deux meubles qui l’agrémentent, des napperons fait par ma belle-mère.

Mon père et elle sont mariés depuis une quinzaine d’années. Ils n’ont eu ensemble, qu’un enfant, mon petit frère Maxence, 20 ans, qui entame son cursus de chimie à l’université de Lille.

Avec ma mère, mon père a eu un fils, Frédéric, qui est Analyste contrat dans une compagnie pétrolière de la place, ainsi que deux filles : Imani et Azaliah. Frédéric a 30 ans. Imani a 28 ans. Azaliah a 26 ans.

Je suis Khazey Omanda. J’ai 35 ans. Je suis né à Libreville un matin de septembre. Dix jours après ma naissance, ma génitrice m’a abandonné à mon père car elle ne voulait pas que je l’empêche de vivre sa vie. Mariah Azizet, celle qui était la compagne de mon père et que je considère comme ma mère, m’a baptisé. Elle m’a donné pour prénom le nom de son village natal. Et pour nom, le nom de feu son père. Cette femme m’a pris et adopté comme le sien, comme un cadeau du ciel. J’avais 18 ans lorsque mon père et elle se sont séparés. Mon père est parti de la maison que nous avons toujours habité du côté de cité Shell et la lui a cédée. Mon frère Frédéric et moi, y sommes restés. Les filles, Imani et Azaliah ont préféré suivre mon père qui s’est tout de suite installé avec Ma Pauline, qui déjà était sa maitresse.

Contrairement à ma mère, Mariah Azizet, qu’il n’a épousé qu’à la coutume, papa a épousé légalement Ma Pauline. Quand on lui demande comment Ma Pauline l’a convaincu de passer devant monsieur le maire, il répond que le caractère de Ma Pauline est l’opposé de celui de maman.

Ma mère parle peu. Mais il suffit de la provoquer pour qu’elle crache du feu. Ma Pauline est d’une douceur incomparable.

Voilà ! C’est ça ma famille. La famille que je n’ai pas revue ces 5 dernières années. J’étais trop occupé à gérer ma vie en France et à gravir les échelons professionnels.

 

J’ai eu mon bac à 19 ans. J’ai décroché une licence professionnelle à l’Institut de Gestion à Libreville et j’ai tout de suite été recruté dans une banque ; la BICIG. A 22 ans, je gagnais tranquillement ma vie à Libreville. Je louais un appartement propre et accueillant au quartier Derrière l’Ecole Normale. Les astres semblaient s’être alignés pour que ma vie décolle sans souci. Pourtant… Après deux ans et demi à travailler dans cette banque, j’ai tout plaqué et suis monté dans un avion pour aller faire un master à Paris. Il fallait que je parte. En fait, la vie me chassait de Libreville, parce que, eh ben, parce que… Parce que parfois la vie se montrer chienne et vous montre le trou de son cul pour vous faire comprendre que rien, qu’il ne faut jamais jurer de rien.

Je me retrouvai en France à 25 ans la tête plongée dans les études pour oublier. Oublier, quoi ? Oublier euh… Oublier cette peau de banane que la vie avait posé sur mon chemin et sur laquelle j’avais glissé alors que j’étais fou amoureux, aux anges et infiniment heureux. Deux ans à faire le mort à Paris et ensuite, ma sœur Azaliah a décroché son baccalauréat. Je l’ai accueilli à Paris. Elle a décroché son master II en 5 ans et est rentrés au Gabon. Je suis resté à Paris car, pour la première fois depuis fort longtemps, j’étais amoureux, heureux et l’espoir renaissait dans ma vie à travers la naissance d’iris, ma fille aînée.

 

En dix ans de vie à l’étranger, je ne suis revenu au Gabon, qu’une fois, pour passer deux longs mois de vacances ici, en compagnie de celle qui aujourd’hui est mon épouse. Mais, peu importe ce qu’a été la distance, maman m’appelait tout le temps quand papa m’écrivait de longs mails pour se plaindre du fait que je fuis mes responsabilités d’aîné en restant si loin de tout. Il désespérait de me voir revenir un jour. Il poussait le bouchon en disant qu’il n’en avait plus pour longtemps. Si ces cinq dernières années, l’éloignement s’est imposé entre mes deux sœurs et moi, avec mon frère Frédéric, cela a été tout le contraire. Nous a toujours tenu à passer à Paris pendant ses congés annuels et sa fiancé et mon épouse sont amies, de même pour mes enfants et les siens.

 

Je savais qu’un jour je rentrerais chez moi. Il me fallait juste la bonne opportunité. Me voilà de retour. Me voilà attablé face à mon père qui parle de façon fort énigmatique. J’essaie de le suivre et de comprendre quand il me dresse le portrait de ce qu’est devenue la famille.

- Il fallait que tu rentres. Il fallait vraiment que tu rentres, me dit-il. Serres-toi un verre de Bordeaux et dis-moi comment vont mes petites-filles.

Evanéscence