Chapitre 2 : Révélation

Ecrit par Moktar91

Chapitre 2 : Révélation

L'intérieur était plongé dans une obscurité maladive. La puanteur qui salua la fratrie les firent porter instinctivement les mains à leur nez. Seul Naimath gardait un calme imperturbable. Elle gardait cette expression qui ne saurait permettre de déchiffrer ses ressentis. Cette fille aura toujours été un peu mystère. Un peu comme son père. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles le patriarche l'a préférait. Elle avait ce qu'on pouvait appeler un calme olympien. Ce calme qui faisait d'elle la préférée de son père... Une préférée, qui même l'ignorait. 

Moriane, devant, la main portée vers son nez avançait à pas lent vers le fauteuil dans lequel se trouvait son père. Avançait-elle ou plutôt essayait-elle d'arrêter le temps pour ne pas y aller? Ses frères suivaient derrière... Seule Naimath restait à la porte, interdite, incapable d'avancer. Les mouvements de son cœur se confondaient à son immobilité... Ils étaient lents. Elle scrutait la chambre, c'était bien évidemment la deuxième fois qu'elle y entrait, qu'elle y mettait les pieds pour de vrai. La première fois c'était ce jour où elle avait fait connaissance avec son père. Quel âge devrait-elle avoir ? S'en rappelait-elle ? Elle savait juste qu'à cette époque, elle utilisait encore les sacs de jutes pour l'école. Non... Elle se rappelait bien de cette époque, mais son souvenir refusait de s'afficher, de lui laisser revivre cet instant. Elle se fit un sourire timide, comme si se rappeler de la lueur dans les yeux de son père à cet instant était tout ce qu'il y avait de plus précieux. Oui, elle aimait cet homme, ce père qu'elle n'a connu que récemment. Elle savait que le décès de son père sera certainement l'occasion pour elle de se voir éjecter de la fratrie à jamais. En ces instants, elle voulait s'imprimer chaque millimètres carré de ce que représentait la chambre de son père. Elle voulait garder ses souvenirs dans son esprit d'adolescente pubère comme pour les remplacer par l'amour paternel qu'elle n'a connu que récemment, les remplacer par le luxe qu'elle n'a jamais eu malgré la fortune de son père. Pendant ses sept jours dans la demeure partenelle, elle a pu se prendre à rêver de luxe, de goûts, de bonheurs. Elle, que sa mère avait habitué au strict minimum dans leur appartement de Godomey Togoudo*. Habituée ? Non, pas vraiment... Elle y avait été contrainte du fait de la précarité ambiante dans laquelle elles vivaient, elle et y'a Madinath. Elle avait réussi en quelques jours à oublier tout son monde, les railleries de ses camarades de lycée et le bonheur de se composer un avenir avec un père riche, mais qui était à l'article de la mort.

-<<Approche ma fille>>. 

La voix de son père la réveilla de sa torpeur. Elle remarqua que tous les cinq paires d'yeux étaient tournés vers elle. Elle avança lentement, presque maladroitement et s'arrêta à quelques pas du lit de son père qui servait de reposoir pour ses aînés. Son attitude glacée et interdite fixaient au travers de son regard son géniteur. Elle l'observait comme si elle la découvrait pour la première fois. L'homme avait changé et ne représentait pas du tout celui qui quelques minutes plutôt se dressait dans son kanvo*. Elle se rappela sa conversation avec sa mère à son départ lorsque cette dernière entre deux verres de whisky avait réussi à lui dire : <<Méfie toi de lui. Il n'a pas changé>>. 

En quoi n'avait-il pas changé ? Après tout c'est mon père, se dit-elle.

-<<Asseois-toi>>. C'était encore son père. Naimath baissa la tête et de ses mains commença à plisser passablement sa robe atchouta* qu'elle portait. La plus belle d'ailleurs de sa garde robe fade. Elle l'avait acheté à 1500 à Missebo. Le marché de fripperie de Tokpa.  Elle voulait rester debout mais son père ne voulait point.

-<<Non, pas là.>> Il lui désigna son siège à lui, celui-là même qu'aucune âme qui vive n'a jamais osé y poser ses fesses.

La jeune fille obtempéra.

-<<Bien!>> Lança Maurille, le patriarche Amoussou. 

Il se dressa dans son fauteuil et commença son récit. Son chat vint se lover à ses pieds.

<<Je vais mourir... Commença-t-il. Je vais mourir empoisonné. Mon meurtrier se trouve à l'instant parmi ceux qui sont dans cette maison. Vous savez mes chers enfants, je n'ai pas toujours été le père aimant qu'il vous faut. Je vous demande pardon pour mes absences, surtout à toi Moriane.>>

A ces mots, l'aînée se glaça et referma son visage. On pouvait y lire de la douleur, la haine, le dégoût mais surtout un autre sentiment que nul ne saurait interprèter. Était ce de l'amour ?

-<<Quand vas-tu me pardonner? >>, continua t-il. 

Le vide et le silence qu'il recevait le fit contraindre à continuer son récit.

<<Je suis aujourd'hui à la tête d'un consortium énorme. Le plus grand du Bénin et de la sous région. Tout cela vous reviendra de droit conformément à mon testament mais tout cela a eut un coût. Ma richesse n'a jamais été simple. J'ai quitté un poste d'enseignant de lycée agricole pour construire un empire. Cette richesse m'a été octroyée en grande partie par la reine de la côte moyennant un pacte. Chaque année je devais lui servir une jeune fille vierge et pendant dix huit ans j'ai continué ainsi. Mon empire s'agrandit et s'étendait à des pays comme le Niger et le Burkina. Mais tout à basculé le jour où j'ai rencontré Madinath, la mère de Naimath, elle était dans mon équipe de campagne pour les législatives. C'était en 2003. J'étais devenu fou amoureux de cette jeune dame, communicatrice qui était la seule à pouvoir me recardrer dans mes déviances lors de la campagne. J'étais tête de liste et à coup sûr je devrais être élu. Quoi de plus normal ? J'étais jeune, la quarantaine à peine entamée et riche magnat du pays. Pendant une dizaine d'année, j'ai été le pourvoyeur de plusieurs partis  tous me permettant de tirer mon avantage. Je manipulait à dessein pour mes avantages. Et pourtant il fallait qu'il  y ait Madinath. Entre les réunions, les briefings, on finit par s'amouracher. Une seule fois! C'était Naimath. Je ne pouvais me permettre un scandale. Je lui avais demandé de s'en débarrasser en vain. Maintes menaces et intimidations... Elle décida quand même de la garder, cette grossesse. Entre temps, je fus élu. Mon rôle de député me laissait très peu de temps. Par ailleurs, la fin d'année approchait et je n'avais aucune vierge sous la main. Je décidai donc de jouer au quitte ou double : livrer le fœtus et la mère pour sauvegarder ma richesse... Mais mon coup échoua et elle s'enfuit avec ma fille à l'extérieur, je n'avais plus de leurs nouvelles jusqu'à il y a sept mois où je reconnus mon sang. 

Entre temps j'avais commencé à perdre de mon influence. Mes biens lentement s'effritaient. La reine de la côte en demandait Toujours plus. Elle réclamait maintenant mes enfants, mes sangs... Toujours est-il que j'avais commencé par dégringoler financièrement. Un collègue me fit entrer dans le Kôvi*. C'était une ses sectes du village Agonli*. En peu de temps, je devenais plus prospère et plus fort. Je gravis les échelons et je finis ministre, ambassadeur, président de l'Assemblée... Mais la contre partie était lourde. Je du me résoudre à contre coeur à livrer votre mère. Il y a  treize ans déjà. Par la suite, je me devais de sauvegarder la notoriété par des gestes. J'ai réussi à vous épargner en échangeant mes années de vie. Je devais mourir à mes soixante dix ans. Mais quelqu'un a décidé que cela soit plus tôt.>>

Maurille s'arrêta et bu un peu d'eau. Son visage se décomposait déjà. Ses enfants se regardaient. On y lisait l'incrédulité.

Personne n'osait parler. Nul ne pouvait sortir le moindre mot... Le silence était bien pesant. Chacun aurait donné tout l'or du monde pour ne pas être présent, mais une fois encore la nature semblait leur jouer un coup, celui de ne point être en mesure de changer de père et de dimension.

-<<Vous devez trouver mon meurtrier. Contactez l'Inspecteur de Police Amos Zinsou. Il saura vous aider.>>

Le vieillard se reposa alors lentement dans son fauteuil sur ses mots. 

A ses côtés, il attendait, impatient de repartir avec lui. Seul, il le voyait. Seul il savait que le Kôvi* l'avait envoyé pour prendre son âme. Il laissa voir un sourire entre ses faussettes. Il jeta un œil trompeur à l'horloge. Encore douze minutes et les trois heures allaient s'écouler. Il se redressa vivement et  dans un souffle, laissa entendre : 

<<Vous devez garder cet héritage pour vous au risque de devenir plus misérable que le dernier des pauvres. Tout se trouve dans la chambre basse. Vous saurez vous en sortir... Enfin, une d'entre vous reste indemne de cette malédiction.>>

Sa phrase venait de faire échos avec le tonnerre qui grondait fort. La pluie venait de commencer avec rage. Une pluie à vouloir déraciner les arbres. Marvin se leva et tira les rideaux. Son regard croisa celui de son père. Il était vitreux, et vide. Son père venait de trépasser et avec lui son chat.

Il passa une main sur son visage pour lui refermer les yeux. Le tonnerre gronda encore plus fort comme pour lancer un appel mystique à la communauté, celui de leur dire que le chef venait de partir.

Le hideux emporta l'âme du vieux dans un ricanement, comme pour dire qu'il reviendra après pour les enfants.

Aucun ne le vit.

Ils n'étaient pas initiés.

La puanteur s'évada elle aussi.

Le chef était bien mort, laissant un lourd héritage à ses enfants.

Meurtres au paradis