chapitre 20

Ecrit par leilaji

Chapitre 20


***Madame Evrard***


Une femme n’insiste pas avec autant de détermination quand l’enjeu n’est pas crucial et je sais que son enjeu c’est Latif. Le jour où je les ai vus ensemble dans son bureau j’ai eu envie de figer le temps et de retourner en arrière. J’ai eu envie d’effacer cette scène de ma mémoire.  Et la seule chose à laquelle j’ai pensé c’est : pourquoi est-il parti après l’accident sans rien me dire, sans aucune explication ? Que lui ai-je fait pour mériter un tel traitement ? J’ai l’ai élevé et nourri et c’est ainsi qu’il me remercie pour tout ce que je lui ai donné alors que même sa propre mère ne voulait plus de lui ? 


Puis tout de suite après, une colère sans borne s’est enflammée en moi. 


J’ai perdu ma seule et unique fille. Une femme au cœur d’or, belle et talentueuse qui aurait poursuivi ses études de médecine pour devenir une pédiatre renommée car elle avait un don pour s’occuper des enfants. Claire ne méritait pas ce qui s’est passée. Elle ne méritait pas de mourir ainsi, aussi bêtement… Sa mort n’a pas de sens. Elle portait mon petit-fils. Ce n’est pas juste. 


Pourquoi doit-il être heureux alors que ma fille git six pieds sous terre, pourquoi? Lui, il ne lui est rien arrivé, il est devenu un homme, un homme fort. J’entendais parler à la Fondation du nouveau pédiatre. Certaines des filles me l’ont même décrite pour me chahuter : docteur tattoo, il a eu dès sa première semaine de consultation des milliers de surnoms affectueux. Ce qu’elles m’ont dit de lui m’a plu et je me disais que Claire aurait aimé travailler avec un tel médecin, qui se moque des conventions et agit toujours dans l’intérêt de ses patients. Elle aurait aimé travailler avec lui. Mais je ne me doutais pas que ce fameux médecin c’était lui, celui qui a causé sa mort. 


J’ai élevé un garçon puis un adolescent… mais ce jour là c’est un homme que j’ai eu devant mes yeux ébahis. Il est parti sans que je n’ai pu lui demander ce qu’il faisait là, sans que je n’ai pu lui cracher au visage tout le mépris que je ressentais pour lui. Dans ce bureau, il avait l’air … heureux, avant que je n’apparaisse. 


Latif. Il a grandi et c’est désormais le portrait craché de son père. Ses gestes, son maintien, son regard… tout me rappelle mon défunt mari. 


Quand il était plus petit et qu’il a débarqué chez nous, Georges l’a tout de suite rejeté. Il voulait un héritier et il n’a obtenu de sa maitresse qu’un garçon gringalet d’une timidité agaçante face à lui. Georges était un homme massif et imposant à côté duquel on se sentait tout de suite aussi petit qu’un microbe. 


Latif est devenu cet homme massif et imposant. 


Elle. Oyane. Cette femme me ressemble tellement. Je me vois en elle et je suppose qu’elle est le genre de femmes que j’aurai souhaité pour mon fils, si Latif était resté … mon fils. Maternelle et assez persévérante pour garder sa famille soudée. Mais déterminée et assez résolue à dire assez quand il faut le dire. 


Je l’ai vu diriger la Fondation avec poigne sans étouffer pour autant les élèves. C’est une réussite. Elle a senti que certains élèves avaient besoin de cours d’un genre particulier sans même avoir eu de formation de pédagogue pour déceler les défaillances du système scolaire. Elle sait écouter, c’est une qualité rare. 

*

*

*


Nous sommes attablées à ma terrasse devant deux tasses de thé chaud et pour l’instant aucune de nous n’a ouvert la bouche. 


A la fondation, elle m’a toujours témoignée le respect dû aux ainés, preuve qu’elle a reçu une bonne éducation, mais en ce moment, je sens qu’il ne s’agira de rien d’autres que d’une discussion de femme à femme. 


- Qu’êtes vous venue faire Elle ? Je n’ai rien à vous dire, si je dois parler à quelqu’un ce sera à Latif. 

- Si vous n’aviez rien à me dire, vous n’auriez pas ouvert votre portail… dit-elle en me fixant droit dans les yeux. 


Je porte la tasse en porcelaine à mes lèvres et souffle légèrement sur le breuvage brulant pour le tiédir.  


- Quelles sont vos relations ? Parlez moi de lui, dites moi pourquoi en vous voyant vous avez tous les deux réagi ainsi ? 

- Et de quel droit poses-tu toutes ces questions ? Qui es-tu pour venir ainsi chez moi, remuer tout ce passé et réclamer des réponses? Vous voyez, moi aussi je  peux en poser des questions. 


Je finis ma tasse et la repose doucement sur sa soucoupe. 


- Je crois que je n’ai rien à ajouter, ça a été une erreur de vous faire rentrer. Je vais rappeler le gardien pour qu’il vous raccompagne au portail. Dis-je ne me levant. 


Je n’aime pas la manière dont ses yeux brillent quand elle parle de Latif. C’est trop douloureux de sentir l’attachement dans ses yeux à l’égard de Latif qui m’a tout pris. Elle finit sa tasse à son tour mais ne se lève pas. Au contraire elle s’installe un peu mieux dans le fauteuil en osier. Elle détourne la tête et débite d’une voix monocorde :


- Il y a la photo d’une jeune femme sur son téléphone et dans son portefeuille. Quand on voit la photo du portefeuille, elle est toute écornée et date de plusieurs années. Je crois qu’il l’a faite retoucher pour la mettre dans son téléphone. Je pourrai vous parler de Latif pendant des heures madame Evrard… je sais que vous mourrez d’envie d’avoir de ses nouvelles… Moi, je veux juste parler à quelqu’un qui saura m’éclairer sur son passé parce que lui refuse de le faire. Peut-être se dit-il que ce n’est pas important ou peut être est-ce douloureux ? 

- Assez !


J’ai les jambes coupées. Depuis tout ce temps ? Il a la photo de sa sœur avec lui…  J’efface rapidement les larmes de douleur qui coulent sur mes joues. 


- Parlez moi… insiste –t-elle. Etait-ce votre fille ? Latif était-il votre beau-fils ? Que s’est-il passé pour qu’il soit si opaque sur son passé ? J’ai besoin de savoir. Je sais que vous ne me devez rien mais si Latif a un tant soit peu compté pour vous, parlez moi s’il vous plait. 


Je la regarde … 

A sa place j’aurai eu le même courage pour venir demander des comptes si c’était pour être avec Georges. Si ni les années de différence ni la différence de couleur de peau n’ont pu m’éloigner de lui, ce n’est pas son passé aussi obscure soit-il qui aurait pu le faire. 


Je trouve qu’elle a du cran de venir ainsi me réclamer des réponses, au nom des sentiments qu’elle ressent pour lui. 


- Oui Latif est mon beau-fils mais pas comme vous le croyez…


Je me suis mise à lui parler de son enfance puis du jour où il s’est installé chez nous… Je lui parle de Claire et de la relation très étroite qu’elle a nouée avec son frère. Je lui parle des difficultés scolaires de Latif et des solutions qu’on y a apporté petit à petit. Je lui parle de l’exploit qu’était Latif à  mes yeux. Il a vraiment bataillé pour se mettre à niveau et contourner sa dyslexie. Moi-même je ne croyais pas vraiment qu’il y serait arrivé. Avec Claire, ils faisaient ma fierté de mère. Mais Latif restait méfiant malgré tout. C’est le jour où il a défendu sa sœur que j’ai su à quel point lui aussi finalement s’était attaché à nous. 


Cette année là, Dieu m’a comblé de toutes les grâces possibles. Puis mon mari est mort. Latif a appris qu’il n’hériterait de rien. Il a commencé à travailler deux fois plus fort qu’auparavant. C’était une injustice, mais jamais il ne s’en est plaint. Jamais. Il a ravalé sa colère et a continué sa route auprès de nous. Jusqu’à cette semaine avant le drame. 


Claire s’inquiétait pour lui car elle avait découvert qu’il était amoureux d’une fille qui se moquait éperdument de lui et que ça le perturbait. A le voir si grand, j’en avais oublié que la vie n’ayant jamais été très tendre avec lui, il avait du mal à se faire aimer parce qu’au fond de lui, tout au fond de son inconscient il ne se sentait pas digne d’être aimé. 


Je lui parle alors du jour fatidique. Comment j’ai reçu un coup de fil qui a tout fait basculer. Mon cœur est mort quand on m’a annoncé le décès de ma fille mais c’est mon âme qui a brulé lorsque j’ai compris qu’Adrien était impliqué de très près dans l’accident et qu’il n’avait pas daigné rentrer à la maison. 


Il a fui.  


Elle m’a écoutée avec beaucoup d’attention. Je l’ai sentie crispée tout au long de mon long déballage, comme si chaque phrase était un poignard dans son cœur … 


- Voilà ce qui s’est passé. L’homme que vous aimez a tué ma fille et s’est enfui. Cet homme là ne mérite rien de la vie. 

- Oh mon Dieu réussit-elle à souffler à travers ses lèvres serrées par la douleur. 

- J’ai élevé l’homme qui a tué ma propre fille. Je ne pourrai jamais me le pardonner et jamais le lui pardonner non plus… 


Ma dernière phrase a été dite avec tellement de violence qu’Elle a sursauté. 

Voilà ce qu’on récolte quand on remue le passé : de la colère, destructrice et sans pitié. 


***Elle***


Alors c’était ça !!! Derrière les sourires d’Adrien, cette éternelle joie de vivre c’est ce secret morbide qui se cache ? 


Adrien. Adrien. Adrien. 


Et c’est avec un tel homme que je désire continuer ma vie ? J’ai moi-même des enfants et je touche du bois pour ne jamais en voir partir un avant moi. C’est intolérable et tellement injuste que l’ordre des choses soit bousculé ainsi. Aucune mère ne devrait voir son enfant partir avant elle. Jamais. 


Madame Evrard est dans son droit. Qui pourrait lui reprocher de haïr Adrien ? Qui ? Même pas moi. 


Pourtant…


Il avait dix-sept ans. A cet âge là qui n’a pas fait d’erreur ? Le sien a eu une conséquence catastrophique mais c’était une erreur de jeunesse. 


Je suis moi-même issue d’un milieu social pauvre mais très tôt, j’ai su que j’étais une belle femme. Etre une belle femme est une bonne chose mais le savoir en est une autre, moins bonne. J’ai très tôt su manipuler les hommes pour obtenir ce que les poches de mes parents ne pouvaient m’acheter ou m’offrir. Pour moi c’était un jeu auquel je gagnais à tous les coups et je le trouvais amusant.  


Puis j’ai rencontré Gaspard, un homme qui m’a fait comprendre que de belles femmes il en fréquentait tous les jours et que parmi toutes celles qu’il connaissait j’étais la plus belle. La séductrice juvénile que j’étais a été pour la première fois séduite à son tour. Jamais au grand jamais ne n’ai pu imaginer une seule minute  que je faisais vraiment du mal à Adrien. Et jamais au grand jamais je ne pensais qu’une telle réaction en chaine pouvait se produire. 


Les malheurs de l’effet papillon : un battement d’aile dans une vie qui a causé un tsunami dans une autre. On oublie bien trop souvent que toutes les vies sur cette terre sont liées les unes aux autres d’une manière ou d’une autre. Agir impunément, ça n’existe pas. Il y a un prix à tout. 


Je me moquais d’Adrien, il en a souffert, et c’est Claire qui est morte. 


Je suis sonnée par ce que je viens de découvrir… Mais j’estime qu’ils ne peuvent tous les deux s’arrêter sur cet événement. La vie a repris ses droits sur la mort, c’est de cette même manière que la joie devrait le faire sur la peine.  


Quand j’ai rencontré Adrien, j’étais une femme blessée et plutôt revancharde. Mais il m’a enveloppée de son aura passionnée et ces idées noires m’ont quittée. 


Au bout de quelques minutes, je me suis levée. 


- Merci de m’avoir reçue Madame Evrard. 

- Je ne comprends pas pourquoi mais au final … ca m’a fait du bien d’en parler à quelqu’un. Elle, vous êtes belle et compétente. Il ne vous fera que du mal. 


Il m’en fait déjà. 


- Madame Evrard… je peux continuer à compter sur vous pour aider les élèves ou pas ? 


Elle m’a souri faiblement. 


- Vos élèves sont tout ce qui me reste. Ne vous inquiétez pas, je reprendrais ma place mais je ne veux pas voir Latif et je suppose que je ne peux pas vous demander de ne plus travailler avec lui.

- Oh, ne vous inquiétez pas pour ça. Vous ne travaillerez pas avec Latif. Venez demain à la fin des cours vers 17 heures, je vous présenterai quelqu’un… lui ai-je répondu. 


Ces yeux se sont mis à briller et elle a acquiescé, soulagée. Je suis partie quelques instants plus tard.


En montant dans ma voiture, je me suis rendue compte à quel point toute cette histoire est dévastatrice. Surtout pour Adrien qui refusé d’affronter son passé. Un passé tel que le sien s’affronte et ne se fui pas. Il est des coups qu’il faut recevoir et non éviter. 


Si je veux nous donner une chance, je dois lui donner à son tour une chance de faire amende honorable. Et après son mea culpa, que Madame Evrard accepte ou refuse ses excuses, ne le concernera plus, il se sera ôté un énorme poids de la conscience.   


On pourra dès lors décider d’avancer ensemble ou non. Si jamais… il veut encore avancer avec moi. 


Le soir avant de me coucher et après avoir retourné mille et une fois la situation dans tous les sens, je me suis décidée à lui envoyer un nouveau message parce qu’il ne répondait toujours pas à mes appels. 


Moi : « je vais faire rompre notre contrat de collaboration parce que les choses ne peuvent continuer ainsi. Je ne peux t’appeler et n’obtenir aucune réponse de toi. Si sur le plan personnel tu peux te le permettre, c’est un grave manquement à tes obligations professionnelles. Je souhaiterai que tu discutes des indemnités à octroyer à ta clinique pour la rupture de notre contrat avec celle qui est chargée de la gestion de l’ensemble des contrats que signe la fondation »


Le cœur battant j’ai attendu la réponse qui ne s’est pas fait attendre. 


Adrien : « Ok. Quand ? »


Je pensais qu’il aurait décroché pour me gueuler dessus. Mais il a comme d’habitude choisi de ne pas se battre pour se défendre. 


Moi : « Demain 17  heures à la fondation dans mon bureau »


Adrien : « OK »


***Le lendamain à la Fondation vers 17 heures***


Madame Evrard pense avoir élevé un assassin, lâche de surcroit,  mais mon cœur de femme en doute…  Et je vais le lui prouver. Elle est assise dans mon bureau et attend que je lui présente le nouveau pédiatre. Je jette un coup d’œil rapide à ma montre et pianote nerveusement sur la table. 


- Je crois qu’il sera là très bientôt. 

- Oh j’ai toit mon temps vous savez. 


Mamara m’appelle sur notre ligne interne et me signale que le pédiatre est là. Je lui demande de le faire entrer. 


Adrien entre. Se fige. Me regarde avec un mélange de courroux et de désespoir. 


- Je vais vous donner l’occasion de lui dire ce que vous avez à lui dire. Dis-je à madame Evrard qui s’est levée de sa chaise. 

- Hum, fait-elle avec mépris en le regardant. Il a fui le jour de l’accident et il a encore fui dans votre bureau la dernière fois que je l’ai vu. Je ne parle pas aux lâches. 


Elle veut s’en aller mais je l’en empêche : 


- Asseyez-vous madame Evrard. 


Mon ton est tellement cinglant qu’elle s’exécute immédiatement. Quant à Adrien ses yeux me disent : pourquoi as-tu fait ça, de quoi te mêles-tu ? 

Mais il reste là, la main bloquée sur le poignet de la porte. Il n’est pas parti ! C’est ce que je voulais, qu’il reste affronter ses fantômes. 


- Madame Evrard, je vous avais promis de vous présenter quelqu’un aujourd’hui alors c’est ce que je vais faire. Je vous présente Adrien. Je vous présente l’homme qui a su ouvrir une clinique haut de gamme et qui y sauve des vies comme votre fille en avait rêvé. Il ne me connaissait pas et a accepté de me recevoir alors que ma fille était malade et que les consultations ne se faisaient plus depuis plus d’une heure. Je vous présente l’homme qui a accepté d’être payé moins bien que d’habitude pour consulter les filles et femmes de cette fondation qui ont choisi malgré leur situation difficile de s’occuper de leur enfant. Je vous présente, l’homme qui a su faire battre de nouveau mon cœur malgré mes angoisses, je vous présente l’homme que votre fille rêvait de voir son frère devenir. Je vous présente votre fils Adrien. Celui que vous avez éduqué et qui a fait une bêtise d’enfant. Une grosse bêtise je l’avoue mais qui mérite d’être non oubliée mais pardonnée par la mère que vous êtes pour lui. Vous l’avez bien élevé Madame Evrard. C’est un homme bon, vous avez de quoi être fière de vous. Je n’en ai pas connu beaucoup mais parmi ceux que j’ai connu c’est le meilleur qu’il m’ait été donné de rencontrer. Il est … passionné, envoutant, entier et doux. Je vous présente votre fils madame Evrard. Celui qui vous aime et s’est dit qu’il ne méritait plus votre amour après ce qu’il avait fait. Je vous présente Adrien. ..


Madame Evrard serre très fort son sac contre elle puis elle se lève une nouvelle fois, se dirige vers Adrien pour se planter devant lui les épaules secouées par des larmes de colères. 


Clap ! Sa main s’abat sur la joue d’Adrien. La gifle a été tellement violente qu’elle a fait dévier la tête d’Adrien. 

Une nouvelle gifle s’abat puis une autre et encore une autre. Elle le frappe et il ne bouge pas, ne l’empêche pas de lever la main, ne dit rien. A bout de souffle Madame Evrard finit par s’abandonner contre lui en pleurant de plus bel et par mon regard, je fais comprendre à Adrien qu’il est plus que temps qu’il agisse en homme et fasse sa part du chemin. 


En quelques secondes  tout bascule de nouveau. 


Il lève une main doucement et enlace sa mère, puis quelques temps plus tard, la seconde main suit la première tandis que les larmes de Madame Evrard continuent d’alourdir l’ambiance. Je n’ai jamais vu une femme pleurer autant. 


Il la serre très fort, tellement fort… Puis les premiers mots sortent de sa bouche. Ils sont douloureux :


- Je suis désolé … maman. Pardonne-moi. Je ne voulais pas… Je suis désolé…

- Oh Latif, tu m’as laissée toute seule affronter la mort de ta sœur … Tu m’as refusé le rôle de mère quand ta sœur m’a été enlevée. Je l’ai perdu et toi au lieu de rester avec moi tu m’as aussi abandonnée. Je n’avais plus personne pour faire face. Mon fils tu m’as fait du mal en partant… Je suis restée toute seule Seigneur que t’ai-je fait pour mériter ça ? 

- Je suis désolé maman…


Ses sanglots déchirants me touchent tant que les larmes me montent aux yeux. Hier encore c’était une femme en colère remplie de haine et aujourd’hui la voila dans les bras aimants de son fils. Je me décide à les laisser seuls… reconquérir leur monde et le temps qu’ils ont perdu. 


***Elle***


Je ne sais pas comment les choses se sont terminées. Je suis partie et j’ai demandé à Mamara de fermer mon bureau après leur départ. 

Adrien ne m’a pas appelée… je n’ai reçu aucun message de sa part. 

Je me suis dit que je devais lui laisser du temps. 


*

*

*


Il n’y a rien de pire que d’aller à un mariage sans cavalier. Heureusement que c’est le mariage d’une de mes cousines et qu’il y a très peu de chance pour que je n’y connaisse personne. Je serai tiraillée à droite et à gauche par les demandes incessantes de la famille mais je pense que je  vais au final passer une bonne soirée. Il faudra juste que j’oublie toutes les méchancetés qui ont été dites à mon sujet et que je marche la tête haute. Je serai sans cavalier mais je garde le moral. 


Je vais passer une bonne soirée parce que j’ai décidé : de m’amuser. La vie est courte, très courte. Il faut profiter de tous les instants qu’elle nous offre, car la mort rode toujours là où il y a la vie vacille sous le poids des difficultés. 


L’espoir que demain sera sans doute meilleur qu’aujourd’hui ne doit plus jamais me quitter. C’est une promesse que je me fais, quand je vois le temps qu’on peut perdre à se haïr au lieu de se pardonner, je me dis que je fais bien de positiver malgré tout. 


Malgré le silence d’Adrien. 


Je devrais être fière de moi, de ce que j’ai accompli, du chemin que j’ai parcouru et des armes que je me suis forgée pour batailler sur le reste de la route. Ca devrait être ainsi pour tout le monde. On devrait tous  brandir avec fierté les cicatrices de  notre âme comme les sourires de notre cœur. 

Des cicatrices j’en ai à revendre, j’ai fait des erreurs que je ne regrette aucunement car je ne serai pas qui je suis sans ces erreurs. Les sourires quant à eux me viennent de mes enfants, Annie y compris. Je les aime, d’un amour sans bornes, ils sont la raison qui fait que je me lève forte le matin… Je réussirai pour eux, avec les moyens que Dieu m’accordera et ils auront de quoi être fiers de leur mère. 


Pour la soirée, je me décide à mettre une robe bleu nuit avec des talons noirs quand Oxya entre dans la chambre accompagnée par Annie qui la suit partout comme son ombre. 


- Maman, Annie veut que tu lui fasses la frange de Nicky Minaj. Dit Oxya en pouffant de rire alors que la concernée lui fait de gros yeux parce qu’elle ne voit pas ce qu’il y a de drôle dans sa demande. 

- Oxya moi je n’aime pas ça… Tu arrête de regarder trace (chaine musicale) et ses clips décadents avec la petite. Je ne suis pas d’accord sinon je coupe l’abonnement à canal. 

- Ca veut dire quoi décadent maman? 

- Ca veut dire que ce n’est pas bien. 

- Mais maman, elle sait allumer la télé toute seule de toute manière. Mais comme elle ne sait pas mettre Tiji (chaine pour enfant) elle regarde ce qu’elle trouve. Ce n’est pas de ma faute quand même. 

- Tu es l’ainée c’est à toi de la surveiller. 


Oxya soupire en levant les yeux au ciel. Je déteste quand elle fait ça mais c’est quasiment un tic chez elle quand elle n’est pas d’accord avec ce qui se dit. Elle n’y peut plus rien. Tandis que je mets des pendants offerts par mon mari (enfin mon ex-mari, le reflexe ne s’en va pas toujours totalement), Annie s’approche de moi avec son sourire enjôleur. 


- Elle est pas belle d’abord. Hein non Oxya ? 

- Je t’ai déjà dit de m’appeler yaya Oxya. Réplique Oxya en fronçant les sourcils. 

- Hé toi tu es yaya de qui ? je lui demande en rigolant. Non mais !

- Mais je suis plus grande qu’elle. Elle doit m’appeler yaya. 

- Laisse la tranquille. 


Elle lève une nouvelle fois les yeux au ciel. 


- Elle a raison. Finit-elle par dire en pianotant mon téléphone sans même lever les yeux vers moi alors qu’elle me parle. 


J’espère qu’elle ne fouille pas ma messagerie pour tomber sur les messages chauds qu’Adrien m’envoyait quand on avait du mal à se voir, occupés qu’on était par nos boulots respectifs! 

De là où je suis, je vois qu’elle est s’est connectée à Facebook. Moi je crois que j’ai raté le train de Facebook depuis trop longtemps pour m’y mettre maintenant. Je sais bien que de nos jours même les grand-pères possèdent leur compte pour dialoguer avec leur petit-fils mais je n’y peux rien, ce n’est pas mon truc. Exposer ma vie au regard des gens me dérange. Même quand je ne veux pas me faire remarquer pour éviter les critiques on parle de moi, alors ce n’est pas quand je vais aller moi-même au devant des insultes que ça ira mieux. 

Mais concernant Oxya, il va falloir que je fasse un effort pour mieux contrôler tout ça.  


- Annie a raison sur quoi  Oxya? 

- Ta robe, elle est trop moche… tu vas au mariage de tantine Rosie non ? 

- Oui et alors ? Si c’est pour m’y accompagner ce n’est pas la peine puisque tu trouves que ma robe est moche.  


Avec juste quelques mots, ces enfants détruisent tous mes efforts de l’après midi. Je n’ai pas eu le temps d’aller chez Béatrice pour me faire faire des soins et j’ai choisi de mettre la première robe qui m’est tombé sous la main… Bon on ne peut pas appeler cela faire des efforts, je le reconnais en mon fort intérieur. Je regarde de nouveau mon reflet dans le miroir. C’est vrai que l’effet produit par la robe est loin d’être saisissant mais tout de même, de là à estimer qu’elle est moche…

 

- Bah toute la famille sera là et … 


Son ton hésitant m’alarme. J’arrête de me maquiller sentant venir une discussion importante et je m’assois près de ma fille. Oxya est parfois tellement mature qu’elle se prend toujours en pleine figure la dureté de la vie. Je dois lui servir de paravent, c’est à ça que servent les mères. Et si je n’arrive pas à la protéger, je dois au moins lui expliquer le pourquoi des choses. 

C’est l’ainée de ma famille, celle qui prendra les décisions lorsque moi je ne pourrai plus le faire et j’espère qu’elle gardera jusqu’au bout son fort caractère pour ne pas se faire marcher sur les pieds par ses frères. 


- Parle Oxya je t’écoute. 

- Tantine la dernière fois disait que … je sais que c’est mal d’écouter les méchancetés des autres mais j’étais obligée parce qu’elle parlait de toi. 

- Ok. Dis-moi ce que tu as sur le cœur. 

- Elle a dit que papa a été très malin de te faire beaucoup d’enfants parce que maintenant qu’il n’est plus avec toi, tu ne pourras plus jamais te remarier parce qu’aucun tonton n’acceptera de nous élever à sa place. 


Je soupire parce que c’est le genre d’inepties que d’autres chuchotent derrière mon dos mais je ne pensais pas qu’un jour mes enfants auraient à l’entendre. 


- C’est même pas vrai ce qu’elle disait. Tu sais quoi ma chérie ? Tantine est bête et méchante car quand un homme t’aime, il t’aime comme tu es et avec tes bagages. 


Dans ces yeux, mille questions sans réponses. Je sens qu’elle ne comprend pas ce que j’ai voulu dire et réfléchis sur comment lui présenter la situation. 


- Tu te rappelles que tu voulais un chien. 

- Oui. 

- Si je t’en avais ramené un avec des puces, tu l’aurais refusé ? 


Elle réfléchit un bref instant et répond par la négative mais elle pousse la réflexion plus loin encore : 


- Alors nous sommes comme des puces ? Maman personne n’aime les puces et tout le monde cherche à tuer les puces du chien. Donc si tu rencontres un nouveau tonton tu vas nous tuer ? 


Oups ! J’ai peut-être pas pris le bon exemple, comme quoi les adages n’ont pas que du bon… 

Je la rassure immédiatement en lui rappelant combien de fois je l’aime et pourquoi je ne laisserai jamais personne lui faire de mal à elle ou ses frères. Pour une fois, elle n’essaie pas de jouer les grandes et ne refuse pas mon câlin.


- Si tu portes pas tu me donnes… dit aussitôt Annie. 


Je finis par me demander si ce n’était pas le but de l’opération… Cette Annie vraiment. 


- Moi je préférerai que tu portes ça, dit Oxya en me tendant mon téléphone où s’affiche une photo que je peine à reconnaitre avant de me mettre à sourire lorsque les souvenirs affluent.


Il s’agit d’une robe que j’ai essayée et achetée à Mumbai (Inde) lorsqu’on a dû y rejoindre Leila. J’en suis tombée folle amoureuse à l’époque car elle dessinait délicieusement mes courbes mais je n’ai jamais eu l’occasion de la porter. Trop osée. Le tissu très fin, en mousseline vaporeuse scintille de mille feux grâce aux cristaux cousus dessus à la main. C’est une robe couture. Le vendeur du magasin m’a aidé à la porter sous les yeux ébahis de Leila et j’ai pris une photo souvenir avant de la rendre pour prendre une robe rouge avec un décolleté audacieux à la place. Mais au dernier moment, à la toute dernière seconde, je suis revenue sur mes pas et l’ai prise. 


- Moi je veux que tu sois la plus belle.  Mets la robe… S’il te plait maman. 


Si jamais je porte cette robe, c’est pour que les hommes de la soirée aient une crise cardiaque en la voyant sur moi! Non, je ne vais pas la porter…


Mais en même temps, je me dis que je vais bien rabattre le caquet de celles qui pensent que parce que j’ai trois enfants, je suis un produit périmé !!! 


Je me décide : Ce que fillette veut ! Femme veut !      


J’hésite une seule seconde avant d’enfiler la robe incendiaire… et d’écouter les conseils make-up du duo Oxya et Annie. 


***Leila***


Je suis attablée et contemple avec ennui les invités de la soirée de mariage de la cousine d’Elle. Gaspard est là avec sa nouvelle femme et je l’ai salué aussi poliment que j’ai pu parce que Xander m’a fait son regard : « sois polie !!! ». Les hôtesses l’ont installé à notre table. J’ai tourné la tête vers mon mari. 


Les gens nous regardent, bavardent, se demandent ce que nous faisons ensemble… J’en ai l’habitude. Je m’en fiche, surtout que pour une fois Denis est là avec nous. J’ai pu enfin le forcer à venir à une soirée avec nous. Et cette fois ci, il ne s’est pas ramené avec une de ces pin-up qui m’énervent… Quelques instants plus tard, un homme s’approche de notre table accompagnée d’une femme portant une robe de soirée rouge. A mesure que le couple s’approche, je les reconnais enfin. 


Mais n’est-ce pas là, docteur loubard en costume ?… Hummmmm. 


- Bonsoir Madame Khan, Monsieur Khan je crois que nous n’avons pas encore été présentés…

- Bonsoir Docteur Adanlosessi, j’ai beaucoup entendu parler de vous répond Xander en me regardant. 


Adrien est agréablement surpris par l’accueil que lui a réservé Xander. 


- Bonsoir Adrien. Je dis à mon tour en lui souriant puis en saluant docteur Moutsinga. 


Adrien se tourne vers Denis et le salue poliment. Denis fait l’effort de répondre sans faire de vague. Je suis bien soulagée. 


- Il me semble que nous sommes à la même table. Constate-t-il pour rompre le silence. 


Aucun de nous n’a le temps de lui répondre car Elle vient de faire son entrée et tous les regards, je dis bien tous les regards sont tournés vers elle. 


Elle est … SPLENDIDE AVEC SON AURA DE SEX APEAL. Seigneur quelle robe, quelle femme. 


Je retrouve enfin ma meilleure amie. Et il me semble qu’elle est en mode séduction… 


Le problème c’est qu’il y a Gaspard, Denis et Adrien … dans la même salle, sur la même table que nous. 


Finalement je crois que la soirée va être passionnante. 


*

*

*











Je t'ai dans la peau