Chapitre 20: Pour l’éternité
Ecrit par Lalie308
Une larme roula sur la joue de Lysga après le départ de sa mère. Il fixa le mur en face de lui, faisant violence sur le peu de volonté qu'il avait pour ne pas se retourner vers l'endroit où se tenait précédemment son père. Agis, Lysga. Libère-toi.
Il serra si fort les poings que ses ongles se marquèrent profondément dans ses paumes. Fiona, quant à elle, était redevenue silencieuse, le sang de Nerdy couvrant ses mains. Poïsdon et Galista s'adressèrent un sourire en admirant leur œuvre.
*
Enveloppé dans des tenues de plantes et de nuage, Cody se tenait au pied d'une rivière qu'il reconnut aussitôt. Il avait cru entendre la voix de Luz, ses pleurs, sa douleur avant de ne plus rien entendre. Il ne ressentait plus aucune douleur, il se sentait léger, trop léger. Lorsqu'il tourna sa tête, il découvrit Fabos et Julia, debout, visages tristes.
— Je suis mort, comprit-il en se tournant complètement vers eux.
— Nous sommes désolés fiston, s'excusa Fabos.
— Luz ne pourra pas supporter ça, ajouta-t-il amèrement en jetant un coup d'œil à la rivière.
Les petites vagues dansaient en harmonie sous une lumière aussi éclatante que celle provenant du soleil, des jils chantaient des mélodies modulées, tout sentait bon : bien et beau. Ce lieu aurait pu être le paradis pour lui dans d'autres circonstances.
— Vos âmes, n'est-ce pas ?
Il acquiesça à la question de Julia.
— Je sais qu'il y a un moyen de retourner dans le monde, proclama-t-il en esquissant un pas vers l'avant.
— Nous ne pouvons pas te laisser passer par le cercle. Si tu y retournes, Poïsdon reprendra et tout se répètera infiniment, s'opposa Fabos.
— Et que dois-je faire ? Attendre patiemment que Luz meure également ?
Le silence lui fit comprendre la réponse de ceux qui lui faisaient face. Il soupira bruyamment en se passant la main dans les cheveux.
— Vous ne pouvez pas faire ça... C'est de la résignation, déplora-t-il en baissant le regard.
*
Luz était allongée dans une pièce isolée, le teint pâle, plongée dans un sommeil qui ne pouvait hélas pas être réparateur. Elle dépérissait atrocement vite, ne laissant que de fines lamelles de chair sur ses os. Nerdy quant à lui, était dans le lit opposé au sien, réveillé et observant Luz sans bouger. Il ne pouvait s'empêcher de revoir Fiona lui planter cette lame en plein cœur, et Luz donner le peu de forces qu'elle avait en elle pour lui.
Elle avait insisté que l'on conserve le corps de Cody, elle était persuadée qu'il reviendrait grâce au cercle de la dérision. Nerdy finit par se lever pour sortir de la pièce et rejoindre les autres dans la grande salle. Il se rapprocha directement de Brad qui buvait une espèce de boisson humaine que Nerdy n'avait jamais tentée. Brad avait perdu sa femme, et maintenant son meilleur ami ; sa peine se lisait clairement à travers lui. Lorsqu'il ressentit la présence de Nerdy à ses côtés, il parla :
— Ravi, que tu ne sois pas aussi passé de l'autre côté, ça se serait transformé en épidémie.
La tristesse dans sa voix ruinait la blague qu'il tentait de faire. Nerdy s'installa près de lui pour observer Solenna avec Brad. Celle-ci portait un faux sourire aux lèvres, assistant Nalu dans la distraction des peuples.
— Je lui avais promis qu'il reviendrait, se reprocha-t-il d'une voix neutre.
— Je m'étais promis de ne pas le laisser filer, répliqua Brad en serrant si fort les dents que la dureté de sa mâchoire en était exposée.
Après quelque temps de silence, il poursuivit amèrement :
— Cody était celui qui ne méritait pas ça. Soyons francs, nous tous qui avons survécu avions une fois merdé, si fort que nous en payons le prix à présent. Mais Cody, mon frère, mon meilleur ami, il était le pilier de ce peuple.
Nerdy ne dit rien, approuvant silencieusement.
Célesta venait de sortir de la chambre de Luz, après lui avoir apporté quelques soins. Elle tomba sur Hongust dans un des couloirs qui menaient aux salles de bains et autres facilités des souterrains. Elle se laissa tomber sur un banc en soupirant.
— Je crois que tout le monde me déteste en ce moment, et pas au point que je me déteste moi, déclara-t-elle tristement.
— Personne ne vous déteste. Axa est juste déçue, voilà.
— J'ai promis à mon frère de prendre soin du peuple, de sa fille. Je voulais juste respecter ma promesse.
Hongust la considéra pendant un moment :
— Vous avez au moins compris que cacher des choses est l'une des pires manières de protéger.
Célesta acquiesça.
— Cody mort, c'est tellement absurde et injuste. Ce garçon méritait sa chance. La vie ne lui a pas fait de cadeau. Et ma Luz, elle... s'en ira aussi.
Sa voix se brisa à la fin de sa phrase. Hongust posa tendrement sa main sur la sienne en la serrant. Il ne pouvait se résigner au sort qui attendait son Axa. Tout ce qui arrivait n'était qu'injustice pour lui.
*
Galista se prosterna devant Poïsdon avant de se redresser.
— Aghju finitu a mo missione, hè ora di partì. (J'ai fini ma mission, il est temps d'y aller), déclara-t-elle.
Fixant le maître de ses grands yeux rouges qui ne reflétaient que trop bien la noirceur de son être, elle pencha légèrement sa tête sur le côté. Ses longs cheveux dévoilés tombaient en cascades sur ses épaules couvertes par son épais accoutrement. Elle avait l'air heureuse, satisfaite, accomplie. Bras ballants le long de son corps, elle récita une série d'incantations avant de s'agenouiller.
— Un roi descendra sur Nelca et y fera régner terreur et ténèbres. Un roi, mon roi, puisera de la vie de son disciple le plus fidèle pour renaître de ses cendres. Un roi transmettra son savoir à son héritier, récita-t-elle cérémonieusement.
Au fur et à mesure qu'elle parlait, elle se désintégrait progressivement. Le sourire de Poïsdon s'agrandit après qu'il ne restât plus rien de Galista. Il posa son regard sur Lysga.
— Galista vient de me montrer à quel point elle était fidèle en me laissant me nourrir d'elle. Sauras-tu me le prouver ?
Il ne reçut aucune réponse de Lysga.
— Je pense que m'être loyal serait la meilleure chose que tu ferais pour sauver ton peuple, poursuivit-il.
Lysga rassembla ses forces pour regarder le maître. Pour un être qui venait d'assister au sacrifice de sa plus fidèle alliée, il ne révélait aucun regret.
— La loyauté se mérite. Je ne la dois qu'à ma famille, l'informa Lysga.
Ses phrases ressemblaient plus à des assemblages de mots prononcés par un robot, sans humanité, sans présence.
— Hè bonita (Ça tombe bien), répliqua Poïsdon. Tu vas devoir démontrer ta loyauté pour ta famille en accomplissant le sixième rituel.
Après quelques secondes de silence, Poïsdon se tourna vers Fiona.
— Spieghjite a situazione ( explique-lui la situation), lui dit-il.
— Ton père et ta mère ont lié leurs âmes sans le savoir. Ton père est mort, alors ta mère suivra bientôt.
Poïsdon leva la main pour la faire taire.
— Un royaume ne peut avoir deux rois, commença-t-il. Ta mère est une déesse, son corps lutte trop fort contre la mort. Elle souffre terriblement Lysga. Je te propose d'abréger ses souffrances pour lui montrer combien tu es loyal. Sinon, elle expérimentera ce que tu as vécu à chaque seconde, mais en plus intense. Elle souffrira horriblement, tellement qu'elle souhaitera se donner elle-même la mort. Ce qu'elle ne pourra faire, je te propose alors de l'aider.
Lysga fit un pas l'arrière en regardant les mains de Fiona.
— Jamais, s'opposa-t-il en un souffle. Elle est forte.
— Tu deviens têtu, Lysga. Alors tu ne me laisses pas le choix.
— Non ! hurla-t-il lorsque Poïsdon leva sa main.
Des centaines d'ombres émanèrent de sa paume pour envelopper Lysga qui se débattait. Ses cris percèrent le silence mordant qui dominait la pièce. Il ferma les yeux, serra les dents, essayait de penser à sa mère, à Solenna, à son père. Après des minutes de lutte, elles s'incrustèrent dans sa peau et il se calma. En boule sur le sol, il se balançait d'avant en arrière en récitant des incantations. Ses cheveux devinrent blancs, un blanc cendre plus terne que celui des nelcaliens. Toutes les marques présentent auparavant sur le visage de Galista apparurent sur le sien.
— Lève-toi à présent et accomplis ta destinée.
Lysga se leva machinalement, marchant vers Poïsdon qui lui tendit une lame. Il disparut ensuite. Fiona voulut détourner son regard, mourant d'envie de l'arrêter.
*
Dès qu'il apparut dans la chambre où se trouvait Luz, il l'observa pendant quelques moments. Il marcha vers elle de pas lourds et lents. À l'intérieur de lui, toutes les ombres s'étaient mobilisées pour le forcer à accomplir la sixième étape. Il s'agenouilla près de Luz. Il observa ses traits fatigués, les os qui se laissaient entrevoir sur son corps.
— Je t'aime maman, souffla-t-il en sentant des larmes mouiller ses joues.
Il ferma les yeux, luttant âme et corps pour se planter lui-même la lame en plein cœur. Il pouvait malheureusement sentir toutes les ombres retenir sa main loin de sa poitrine. Les forces opposées qui s'appliquaient sur son corps lui infligeaient des douleurs inhumaines. Il avait l'impression de tordre ses os. Luz ouvrit les yeux, découvrant Lysga à ses côtés. À peine put-elle ouvrir la bouche qu'une force énorme se saisit du poignet de Lysga pour planter la lame dans la poitrine de Luz dont la bouche resta ouverte.
Il lutta pour retirer sa main, mais rien n'y fit. Sa mère n'émit aucun son, se contentant d'assister à son propre meurtre... de la main de son fils. Les larmes de Lysga devinrent du sang qui s'échouait sur Luz. Un de ses yeux devint purement noir tandis que l'autre devint purement bleu. Il retira finalement la lame qui s'échoua au sol. Luz garda ses yeux sur lui, incapable de mouvements. Avant qu'il ne disparaisse, elle garda son regard sur son œil bleu. Lysga disparut. L'œil bleu s'en alla, la laissant agoniser.
Dès son départ, Célesta et Solenna entrèrent dans la chambre pour donner ses soins à Luz. Dès qu'elles la découvrirent baignant dans une marre de sang, leurs yeux s'agrandirent.
— Luz, non, non, hurla si fort Célesta que tout le monde pouvait l'entendre dans la grande salle.
Elle se jeta sur Luz, appuyant des dizaines de compresses sur sa poitrine en tremblant. Luz respirait fort, sans produire de son. Solenna vit la lame à ses côtés, qu'elle prit.
— Célesta, appela-t-elle en retenant les larmes qui la menaçaient.
Hongust, Nerdy et Brad firent leur entrée dans la pièce.
— Axa ! cria Hongust en se jetant aussi sur elle.
Célesta se concentra pour la guérir, mais rien ne changea. Elle nettoya furieusement ses joues mouillées, se retrouvant barbouillée du sang de sa nièce. Elle prit la lame des mains de Solenna.
— Non, non... pleura-t-elle en tombant à genoux.
— Fais quelque chose Célesta, la supplia Nerdy.
— Je ne peux pas, déplora-t-elle en pleurant de plus belle.
— Si tu peux, insista Nerdy.
Hongust s'acharnait sur les compresses. Ignorant tous ceux qui étaient autour de lui. Il pouvait revoir son petit bébé Axa, il pouvait à nouveau la sentir dans ses bras, il la voyait grandir : forte, déterminée. Il la voyait partir, s'envoler, en face de lui.
— Non. La lame est enchantée. Ils l'ont conçu pour... la tuer.
Elle éclata en sanglots avant de s'asseoir près de Luz. Brad serra fort les poings en ne pouvant pas retenir les larmes qui mouillaient ses joues. Célesta secoua Luz par les épaules en pleurant :
— Je t'en prie, bats-toi.
Elle ne bougeait plus. Elle ne vivait plus. Célesta laissa sa tête tomber dans le creux du cou de sa nièce en pleurant de douleur.
— Elle reviendra, murmura-t-elle. Elle reviendra.
Brad prit sa fille dans les bras, tous deux pleurant silencieusement.
*
Lysga apparut à genoux dans l'antre de Poïsdon — plus celui de Galista — en respirant bruyamment. Il manquait d'air. Il luttait pour respirer, pour voir clair. Tombant à quatre pattes, tout le contenu de son estomac — pourtant vide — se déversa au sol. Il pleurait, vomissait, respirait. Pleure. Vomis. Respire. Meurs.
L'image de sa mère le regardant si profondément alors qu'elle mourait était gravée dans sa mémoire. C'était si douloureux qu'il pouvait ressentir cela dans sa chair. C'était insupportable. C'était trop.
— Ce n'était pas aussi difficile, déclara Poïsdon.
Dans un excès de colère, Lysga se leva pour se jeter sur Poïsdon, mais il fut projeter violemment contre le mur derrière lui dans un énorme fracas.
— La septième étape se fera trois jours après tes dix-huit ans. Je suis aussi impatient, mais c'est ainsi que doivent se passer les choses.
Il regarda tour à tour Lysga et Fiona.
— Nous avons moins de deux années pour te préparer, termina-t-il. Pour le clou du spectacle. Toi et moi, nous ferons un dès tes dix-huit ans. Un. Le maître et son héritier.
*
Trois jours après la mort de Luz, tous étaient rassemblés autour du géant lit de nuage qui se trouvait dans la grande salle. Luz et Cody étaient vêtus de blancs, allongés l'un près de l'autre. Célesta et le guérisseur s'étaient servis d'une ancienne pratique de conservation des corps pour les garder, dans l'espoir qu'ils reviendraient bientôt. Tous étaient rassemblés autour d'eux. Visages tristes, cœur gros. Ils avaient définitivement perdu, perdu leur déesse, leur protectrice. La peur avait atteint son extrême.
Ils étaient perdus, désespérés. Célesta, le visage neutre observait avec attention sa nièce, à l'affut du moindre signe de résurrection, dans l'espoir d'assister à nouveau au même miracle que quelques années auparavant. Hongust, était près d'elle, morose. Il avait aussi failli à la mission principale de sa vie, il avait perdu la dernière famille qu'il lui restait. Il avait d'ailleurs le sentiment que sa femme et ses filles se trouvaient là en face de lui, près de son Axa.
Lorsqu'elle sentit un nouveau sanglot lui secouer la gorge, Solenna se mordit si fort les joues qu'elle sentit le gout métallique du sang dans sa bouche. Elle avait mal, surtout de savoir qui aurait pu faire ça. Elle refusait d'y croire. Elle refusait de penser que Lysga aurait pu faire ça.
*
Lorsqu'elle apparut sur la rivière, elle ne montra aucune surprise, observant Fabos, Cody et Julia qui se tenaient sur la terre ferme. Elle marcha vers eux, en maintenant la tête haute.
— Je viens d'observer mon fils m'ôter la vie, les informa-t-elle. Quel paradoxe !
Le trio se regarda, surpris par la nouvelle. Ils décidèrent silencieusement de ne pas faire de commentaires, de ne pas creuser dans une plaie déjà béante. Julia marcha vers elle pour la prendre dans ses bras. Elle entoura aussi les siens autour de son épaule en se retenant de pleurer. Elle pensait qu'une fois morte, elle se sentirait libérée, mais ce poids demeurait sur sa poitrine. Elle regarda ensuite Cody.
— Je pensais que tu reviendrais, lui dit-elle, confuse. On doit passer par le cercle de la dérision.
Il jeta un coup d'œil à Fabos.
— Je suis désolé chéri. Mais ce n'est pas possible. La lecture des prophéties a plongé notre monde dans un chaos énorme. Même nous n'avons plus le contrôle sur quoi que ce soit. Seul Lysga peut arranger cela, en se libérant de Poïsdon.
— Comment ferait-il ça ? s'indigna-t-elle. Tu ne l'as pas vu pleurer du sang, tu n'as pas vu combien il souffrait quand ce monstre l'a obligé de planter une lame dans le cœur de sa mère.
— Je comprends, ma puce. Je comprends.
Elle se passa une main nerveuse dans les cheveux.
— Que veux-tu alors qu'on fasse ? On ne peut pas rester les bras croisés !
— Se battre n'a pas fonctionné. Alors je pense que ce qui est le mieux pour le monde est de battre en retraite. Ils doivent essayer de faire profil bas pour le moment.
— Pour l'éternité tu veux dire, cracha Luz. Papa, tu es un dieu. Nous sommes censés les sauver, nous battre.
— Je sais.
— Mais comment peux-tu être aussi calme ? Maman, dis quelque chose toi. Cody !
Elle les observa pendant un moment avant de tomber assise au sol, le visage dans les mains. Cody s'avança vers elle pour poser sa main sur la sienne. Elle savait qu'il pensait pareil qu'elle, mais ils étaient pieds et mains liés. Elle se pencha en arrière pour le regarder dans les yeux. Elle comprit son regard : ils avaient perdu la bataille.
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Lalie