Chapitre 21

Ecrit par Meritamon

Amara Badr était différent de ses frères. Il était le cadet, coincé entre l'intransigeance de Tahaa et la personnalité libre et artistique d'Idy. Les choses de la vie matérielle l'intéressaient très peu, voire pas du tout, de telle sorte que la vie glissait sur lui.  Il était indifférent aux choses et à ce que pouvaient penser les gens.


Ce que sa femme Nafy appréciait comme un trait de caractère charmant et original au début de leur mariage, se transforma en un agacement permanent. Ce qu'elle prenait pour de la douceur devint à ses yeux de la faiblesse, un manque de caractère évident… qu’Amara se contentait de ployer sous le leadership de Tahaa et de suivre le cours de la vie.

 Alors qu’il lui suffisait de vendre ses terres pour améliorer leurs conditions de vie, pratiquer une autre activité que l’agriculture. Elle, qui rêvait de vivre dans la grande ville, de faire du commerce entre Dubaï et la Guinée.

 

Le couple habitait encore dans la grande bâtisse familiale des Badr, qui, bien que ne manquant pas de confort, n'était pas propice à l'intimité, à cause de toute la parenté des Badr, des cousins, neveux, nièces, oncles qui vivaient là une partie de l'année ou de façon permanente pour certains, qui s'entassaient, qu'il fallait nourrir, pour qui il fallait constamment cuisiner.


Nafy se sentait étouffée. Et avec la grossesse, les hormones, sa morosité empirait.

Amara en eut le cœur brisé de la voir le repousser constamment, de la voir malheureuse, et il ne savait pas comment réagir à cela.


    -         Tu retireras assez d'argent en vendant tes terres répétait-elle continuellement.

    -         Nafy... je pensais que le sujet était clos! tu m'harcèles avec cela. Tahaa a besoin de moi.

   -         Tahaa t'exploite, il te fait travailler sans relâche, pourra-t-il continuer de te payer? Pendant ce temps, tu es assis sur une mine d'or. Tes terres, je suis sûre valent beaucoup d'argent! Nous pouvons avoir une meilleure vie. Ne me dis-pas que tu manques d’ambition!

Comme son mari gardait le silence, Nafy attaqua en sachant pertinemment que cela le blesserait et le ferait bouger.

     -         Ton fils a aussi le droit d’avoir une meilleure vie que celle qu'on a.

    -         C’est un garçon? Demanda Amara surpris, en caressant le ventre rebondi de sa femme, au terme de sa grossesse.

Manipulative, elle lui avait caché cette information et attendait le bon moment pour lui sortir cette carte.

    -         Oui. C’est un garçon. Et il mérite d'avoir une maison à lui... il mérite que son père se batte pour lui offrir cela. Ne nous déçois pas.

 

S'il y a une chose qu'il ne faut jamais attaquer chez un homme, c'est sa fierté et son orgueil d'homme.


Blessé, Amara entama des démarches en secret pour revendre ses terres. Il n'en parla à personne, gardant ce lourd secret pour lui. Il prit contact avec un homme à Conakry, un "démarcheur" comme on les appelle, quelqu'un qui savait mettre les gens en contact dans le marché de l'immobilier. Après des semaines infructueuses au cours desquelles Amara, rempli de remords, faillit annuler maintes fois son projet, le démarcheur le rappela enfin et lui fit savoir que ses terres avaient trouvé preneurs au prix qu'il voulait.

Amara avait pourtant espéré ne jamais recevoir cet appel. Le cadet des Badr demanda un temps de réflexion.


      -         C'est une opportunité à saisir. Il faut faire vite!  C'est des personnes de l'étranger. Cette offre ne va pas durer longtemps, ils peuvent être intéressés ailleurs, l'avait pressé l’intermédiaire, nommé Bachir.

     -         Tout ce que je demande c’est de me donner quelques jours, Bachir...

      -         Combien de jours as-tu besoin ?

    -          Trois jours ... Ce n'est pas aussi simple, c'est plus qu'un héritage, c'est toute notre vie et l’Histoire de ma famille…

    -         Tu m'avais pourtant confié que vos terres ne rapportaient plus d'argent, qu’elles représentent seulement un gouffre financier... moi je vois une question de temps avant que vous soyez à la ruine.

    -         Oui, c’est vrai que les temps sont plus difficiles pour le domaine. Mais le fait est que je ne peux pas effacer le passé d’un coup de chiffon. Appelle cela du sentimentalisme.

Amara était anxieux de laisser des intérêts étrangers s'accaparer de Diarri... d’une partie de Diarri, d’un tiers des terres. Il savait qu’il n’en dormirait pas, qu’il en serait tourmenté.

    -         Pense à ce que cela va te rapporter de revendre. Surtout maintenant! Je suis sûr qu'on peut aller chercher 10 % au-dessus du prix à ces gens d’affaires.

     -         Tu crois vraiment ?

     -         Bien sûr. Tu n’ignores pas que l'économie actuelle n’est pas propice pour l'immobilier... en partie à cause des taux d'intérêts élevés... mais ces gens veulent payer au prix indiqué sans même négocier. Ce qui est rare de nos jours.

     -         Ils viennent d'où, ces acheteurs ? s’enquit Amara, inquiet.

     -         Ha!... fit d’un ton mystérieux Bachir. À toi je peux le dire, tes acheteurs sont du Kenya.

     -         Du Kenya, tu dis? C'est loin d'ici...

    -         C'est le marché ouvert, la mondialisation, qu’est-ce que tu veux? Je connais des chinois qui ont acheté certaines terres agricoles sur la basse-côte pour cultiver du riz qu'ils exportent en Chine... comme quoi! rien ne me surprendra plus jamais.

 

« Écoute, je vais y aller. J'attends ton appel dans 3 jours pour conclure. Ensuite, je m'occupe de la paperasse, tu viens signer à Conakry où un beau chèque t'attendra ».

Oui, Amara se dit qu’il lui fallait se résigner à vendre. L’opportunité était trop belle, trop inespérée pour se renouveler de sitôt. Après cela, sa femme arrêtera peut-être de se plaindre qu'il n'était pas un homme brave. Par sa faute, il était prêt à vendre son âme, à trahir son sang et tout ce qu'il a connu...

 

Fairplay, Amara aurait voulu en parler à Tahaa, confronter son frère pour l’obliger peut-être à améliorer ses conditions en haussant son salaire. Mais Tahaa avait d’autres préoccupations ces derniers temps. La preuve, son aîné avait repoussé plusieurs demandes de rencontre. Ce dernier semblait plutôt obsédé par la fille, l’étrangère qui vivait sous leur toit, cette Serena Hann qui semblait lui tenir tête, qu’il disait avoir du mal à cerner. Il fallait être complètement aveugle pour ne pas voir qu’il s’en était entiché, même sous ses dehors bourrus.

Un soir, après le repas, alors que les hommes s’étaient retrouvés à l’écart pour jouer aux cartes, l’un des ouvriers, nommé Driss avait sifflé appréciateur en désignant Serena en compagnie d’un groupe de femmes de retour du marché…

     -         Malgré ses grands airs, commenta Driss, c’est une très belle petite.

Les autres hommes avaient éclaté de rire alors que Tahaa gardait le silence, les yeux rivés sur ses cartes pendant que le nommé Driss continuait de parler de Serena.

     -         Une fille comme ça… est-elle célibataire?

     -         Tu n’as aucune chance, Driss! Qu’est-ce qu’une fille de la ville ferait avec toi? s’exclama un autre ouvrier.

     -         Puis ce corps qu’elle a…  Je donnerais ma vie pour la voir sans ses vêtements.

Des rires gras suivirent. Et l’un des ouvriers confia qu’il avait surpris la jeune femme se baigner nue dans la cascade cachée dans la forêt. Qu’elle l’avait extirpé à temps de sa cachette en l’injuriant.

     -         Je te casserais la gueule si jamais tu te reprends à l’espionner quand elle se lave!

Gagné par une incontrôlable fureur, Tahaa avait lancé son jeu de cartes sous le silence abasourdis de ses compagnons de jeu et d’Amara qui n’y comprirent rien. Que lui arrivait-il?

     -         Et que cela soit valable pour tous! Continua Tahaa.

     -         Patron… je ne faisais que plaisanter…


 

******

Tahaa en avait assez que Serena prenne des initiatives sans le prévenir. La fille de Malick Hann n’avait pas chômé et avait carrément ouvert son carnet de contacts pour Idy Badr. Elle avait mis leur frère en relation avec un certain Big Curry, ancien rappeur de la Côte Ouest américaine, reconverti en producteur d’un label musical basé en Californie, qu’elle connaissait pour avoir étudié avec l’une de ses filles. Après qu’elle lui eut envoyé quelques enregistrements sonores et une vidéo d’idy, le producteur avait été conquis par l’écriture et la voix du jeune prodige.

 Le moment était bien choisi, l’un de ses artistes qui devait se produire sur la scène d’un festival de musique en Afrique du Sud, s’était désisté à la dernière minute. Idy allait le remplacer au pied levé. Ensuite, suivrait un contrat juteux de production. Idy Badr s’en allait. Tout était prêt pour qu’il s’envole vers le destin lumineux qui l’attendait.

Dire qu’il y avait quelques mois encore, il était un musicien inconnu dans une zone rurale, avec un immense talent certes, mais qui s’était résigné à accomplir son destin. Puis, déboula Serena dans sa vie à un moment où il se sentait sclérosé dans sa création. Elle lui offrait cette opportunité incroyable.

Ils étaient dans la chambre de Serena à discuter pour son départ. Idy remarqua sa morosité.

     -         Qu’est-ce que tu as?

La jeune femme regarda Idy dans les yeux et lui avoua :

     -         Mon père voudrait me ravoir auprès de lui. Il considère que l’accord avec Tahaa est à son terme….

Mentalement, elle compta les jours qu’elle avait passé sur le domaine, le temps avait si vite filé, lui avait échappé comme les fils d’une pelote de laine…  Son père précipitait la fin du séjour.

    -         Tu devrais t’en réjouir. Tu retourneras enfin à ton monde, à ce que tu connais le mieux, dit Idy, préoccupé quand elle lui lança ce regard découragé.

 

     -         Pas vraiment. En fait, il y a un homme. Le choix de mon père. Malick Hann veut que je le rencontre dès mon retour à Nairobi.

Puisqu’elle était rendue aussi loin, la jeune femme sortit son téléphone, trouva une photographie que son père lui avait fait parvenir.

Elle le lui montra.

     -         C’est lui. Il s’appelle Ryan Stander et mon père pense qu’il a tout ce qu’il faut pour m’épouser : très riche, descendant d’une des meilleures familles de Cape-Town, ambitieux et un avenir éblouissant. Un pur produit d’Harvard.

     -         Il est blanc… constata Idy, en fixant le profil du jeune blanc-bec brun au regard déterminé, belle gueule d’ange, sportif, au polo Lacoste.

 

Elle avait haussé les épaules.

     -         Il est du même monde que moi, c’est ce qui importe. Comment vous dites ça ici? « De la même condition sociale ».  J’ai l’obligation de me marier aux gens de ma sorte pour une question d’équilibre dans la classe sociale, je suppose, dit-elle sarcastique.

 

Idy lui rendit son téléphone.

     -         Qu’est-ce que tu en penses toi?

     -         Mon avis ne compte pas, répondit-elle avec une pointe de tristesse dans la voix. Je fais ce que Malick veut, comme toujours.

     -         Admettons que ton avis compte pour une fois, te vois-tu pour le restant de ta vie avec ce Ryan?

Elle contempla la photo du fils d’Harold Stander,  avec son sourire crispé. L’homme avait l’air de sortir du même moule que son père. Une espèce de robot voué à performer toute sa vie. Elle soupira et se laissa tomber dans le lit.

     -         Pour être condamnée à mourir d’ennui? Je ne supporterais même pas qu’il me touche.

     -         Mais alors?

     -         Idy, je ne veux pas retourner à Nairobi… ni ailleurs. Je voudrais rester ici, confia-t-elle avec une petite voix.

Sans s’en rendre compte les larmes lui coulaient sur les joues. Serena s’était préparée à quitter un jour le Fouta-Djalon pour retourner à sa vie normale, n’importe qui à sa place aurait été heureux, mais la perspective de retourner dans la grande villa silencieuse de son père pour faire ce qu’il voulait d’elle, lui brisait désormais le cœur. Elle avait repoussé les délais de Malick Hann en prétextant se reposer, réfléchir… elle qui avait appris à aimer la vie à Diarri, ces gens, cette famille, et Tahaa bien entendu.

Idy la regarda avec fierté :

      -         Tu es différente de la personne qui est arrivée ici il y a deux mois, et je trouve que ça te va bien.  L’amour te va bien… ajouta-t-il avec un sourire entendu pour elle.

Elle avait fermé les yeux en évoquant Tahaa et enfoui son visage dans l’oreiller.

     -         Ce n’est pas l’amour.

     -         Alors, dis-moi ce que c’est? Parce qu’il suffit d’être aveugle pour ne pas voir la tension entre vous deux… Dès le premier jour, j’ai su que vous vous ressemblez tous les deux, vous êtes faits de la même écorce…

      -         Ce qui ne veut rien dire. Ton frère Tahaa m’ignore totalement, coupa-t-elle froidement. Et puis nos mondes sont différents. Il se fera un plaisir de me renvoyer chez moi.

      -         Pas avant que tu lui parles, Serena… Tahaa a besoin d’être rassuré. Tu déboules et tu chamboules tout sans explication. C’est normal qu’il se sente menacé.

"Jusqu’ici, on ignorait tous que tu avais autant d’argent…"


Parce que oui, elle chamboulait leurs vies. Et la pilule ne passait pas pour le chef de la communauté de Diarri.



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Hello.... Can you hear me?

"Hello from the other side
I must've called a thousand times
To tell you I'm sorry
For everything that I've done
But when I call you never
Seem to be home"

Coucou, Que dire? Cette chanson tirée de "Hello" d'Adèle :-) pour vous dire que je suis désolée. Je n'ai pas fait d'infidélités, je prenais soin de moi, un peu. C'était pas la forme olympienne, tu sais, quand même le goût de lire, de jouer avec tes enfants, ou d'écrire, quand t'as plus cette drive là, c'est un signe qu'il fallait que je prenne le temps...  le temps d'être vulnérable.

Merci pour vos mots, pour les messages en privé, ou sur la page, même pour les coups de gueule parce que ça traînait, que le tango durait :-) 

Love.



 
L' héritière