chapitre 20

Ecrit par Meritamon


Banque centrale.


Tahaa rencontra son conseiller financier de la banque pour lui exposer les derniers développements dans son dossier. Un pli barrait son front soucieux. Il fixa le formulaire que ce dernier lui tendit et cocha sur les cases appropriées.

Il se souvint de cet appel sur son numéro privé qu’il avait eu d’une avocate du Luxembourg avec un fort accent britannique. Ses associés et elle, représentaient une compagnie qui voulait explorer les possibilités d’investissement en Guinée, notamment dans l’agriculture biologique.

      -       Dois-je me méfier? S’enquit-il auprès de son banquier.

« Dans ma situation actuelle, je ne peux pas dire non à autant d’argent. C’est comme un rêve qui se réalisait. D’habitude, je suis celui qui court désespérément après les investisseurs, et pour la première fois il y a des gens quelque part qui s’intéressent à ce que je fais. C’est comme une bouffée d’air dans ma situation. Cet argent me sortira de la merde, ça nous aidera dans les projets en tout cas ».

     -       Mais que dit ton instinct, Tahaa? Lui demanda Richard Conté, le conseiller financier de sa banque, qu’il savait compétent et rigoureux.

      -       D’agir avec prudence. De me méfier parce que c’est trop beau pour être vrai?

      -       Tu as raison d’être prudent pour le moment. Quel est le nom de cette structure?

     -        Aucune idée. J’ai fait mes recherches personnelles et je ne les trouve nulle part. Pas de page internet, aucune mention nulle part ailleurs.

     -       Parce que les personnes qui se cachent derrière cette structure ne veulent pas être découvert…  Qui est leurs représentants?

      -       Un cabinet d’avocats au Luxembourg qui agit en leur nom.

Pendant que Richard prenait des notes, Tahaa se renversa dans son fauteuil en soupirant et se passa la main dans les cheveux.

    -       Quelle histoire… Ces gens, ces investisseurs veulent mettre un million de dollars sur mes terres seulement pour la première année! Tu te rends compte? Ils promettent de m’aider à obtenir la certification biologique au niveau international afin que je puisse exporter mes produits autant en Afrique que sur les marchés occidentaux.

     -       Ça a l’air d’être le jackpot. Mais il est préférable de ne pas s’avancer trop tôt. Veux-tu, Tahaa, que j’investigue aussi sur ces investisseurs avant de t’engager à quoi que ce soit?

 

     -       Oui, s’il te plaît. C’est pour cette raison que je suis venu te voir. Et pour savoir si avec les prévisions financières, je serais en mesure de payer mes travailleurs jusqu’à la fin de l’année.  C’est mon principal souci, en fait.

Richard Conté qui connaissait le dossier de Tahaa mieux que quiconque lui annonça sans surprise que les prévisions financières n’étaient pas satisfaisantes pour boucler la fin de l’année. Il fallait qu’il mette à pied des centaines de travailleurs pour que le domaine soit viable. L’avenir s’annonçait plus sombre que prévu sans financement.


Et au milieu de tout cela, les versements de Malick Hann arrivaient au terme de leur accord puisque le père de Serena la réclamait désormais auprès de lui. Elle était sur le point de plier bagages. Et Tahaa se dit qu’il allait enfin se débarrasser de cette sorcière.

Bon débarras! Se mentit-il à lui-même, partagé entre le soulagement ainsi que la frustration de n’avoir pas succombé à ses pulsions envers elle.


Lorsque Tahaa se rendit quelques jours plus tard à sa banque dans la localité principale de Labé dans sa région, il se trouva que son conseiller avait eu des nouvelles des investisseurs.

 

        -       D’après mes recherches, tout porte à croire qu’il s’agit d’une société-écran, une entreprise fictivele plus souvent offshore créée dans le but de dissimuler des bénéfices ou de blanchir de l’argent. Les bénéficiaires sont difficilement identifiables. La provenance de l’argent peut aussi venir de milieux douteux.

Il y eut un silence pendant lequel Tahaa encaissa cette nouvelle.

        -       C’est criminel?

      -        Tout dépend de la provenance de l’argent…  Je suis tombé aussi sur ce nom, NUBIA Capital… ça te dit quelque chose?

       -       Non, je n’en ai jamais entendu parler auparavant. Qu’est-ce que c’est?

      -       Il s’agit d’une espèce de fonds privé d’investissements située aux îles Caïmans. C’est un paradis fiscal. Ce fonds utilise des structures d’entreprise ou de fiducie où on ne peut pas clairement identifier les bénéficiaires; en plus d’avoir des ententes de propriétés douteuses...

L’homme Peul soupira, découragé. Le destin se jouait de lui. Il avait besoin d’argent mais pas de façon illégale.

      -       Tu avais raison de me prévenir de me méfier de ces gens, Richard. Merci.

     -       C’est mon travail. Enfin, j’ai pu trouver un nom associé, ça n’a pas été très facile, un certain Jayrunda Patel de Nairobi au Kenya.

      -        Au Kenya? Fit Tahaa, intrigué. C’est étrange…

      -       Le connais-tu?

      -       Je ne connais personne de ce nom. Je disais que c’était étrange parce que j’ai été au Kenya et par le hasard des choses, il y a une fille de ce pays qui séjourne en ce moment sur mes terres. Son père est un grand argentier de ce monde…. Attends, Jayrunda Patel, tu dis? Jay?

Tahaa se tut, soudain aux prises avec le doute. Une intuition comme un arrière-goût désagréable qu’il garda pour lui. Il avait déjà entendu Serena au téléphone avec un certain Jay, il en était à présent sûr. La fille s’arrangeait souvent pour converser en Swahili, afin de cacher la nature de ses conversations.

« Serena » murmura-t-il alors que ses pensées le dirigeaient inexorablement vers elle.

Son expérience des femmes lui avait démontré que ces dernières n’apportaient que des ennuis. Et cette fille-là particulièrement! 

Il se rappela de leur récente confrontation quand Serena avait insinué au milieu d’une conversation en présence de certains ouvriers que son domaine tombait en ruine.

La fille s’était mordue la lèvre parce que ça lui avait échappé par maladresse. Trop tard…

-         Que viens-tu de dire à propos de mon domaine? Avait interrogé Tahaa, furieux d’une fureur qu’il contenait à grande peine.

Les ouvriers, au milieu d’un champs de tomates, s’étaient raclés la gorge, embarrassés. Voyant l’orage qui grondait, ils s’étaient éloignés prudemment de leur patron en prétextant le travail.

Le cœur de Serena battait à grands coups désordonnés dans sa poitrine. Toutefois, elle avait eu le courage de lui faire front. Ce que personne n'osait faire.

-         Qu’il tombait en ruine, articula-t-elle avec calme. Je connais tes difficultés, tes problèmes d’argent… comme tout le monde ici.

La jeune femme eut le temps de voir l’intolérable douleur qui avait erré pendant un instant dans les yeux clairs de Tahaa, de telle sorte qu’elle se sentit coupable de lui avoir lancé ces propos.

-         Pourquoi ne m'avoir rien dit ?... avait-elle répété.

-         Parce que ça ne te regarde pas. Je n’ai pas besoin de me plaindre, de me lamenter puisque je sais que je vais m’en sortir…

-         Mais tu n’as aucun sou! Il faut pourtant rembourser les banques, trouver des ressources nouvelles sur tes terres et…

Elle regarda autour d’elle pour s’assurer que personne ne les écoutait. Elle semblait préoccupée.

« Comment vas-tu faire pour payer tes employés? Parce qu’il y a la grogne.... les bergers commencent à se plaindre du retard dans le traitement de leur paie. Tu as déjà perdu une dizaine d’ouvriers et… ça va continuer… »

Tahaa la coupa durement. Il ne supportait pas qu’elle lui rappelle sa situation précaire.

-         Je trouverais un moyen… en attendant, je te demande de te mêler de tes affaires, la rabroua-t-il.


Une fois arrivé à destination, son premier soin serait de la renvoyer chez elle, sans ménagements. Tahaa se ravisa. Ça serait trop facile pour elle. Il savait que Serena ne se laissera pas faire puisqu’elle avait déjà gagné le cœur d’Inna, sa grand-mère.

Et lui, avait-il sincèrement envie qu’elle s’éloigne de lui ?


Tahaa accéléra en faisant vrombir le moteur de la jeep pour regagner Diarri. Il l’entendit le narguer.


« Le progrès te fait peur, l’avenir t’effraie au lieu de le prendre à bras le corps ». Sacrée bonne femme!

 L'homme s’arrêta dans un premier village pour parler aux paysans. Il lut l’inquiétude dans leurs regards, les soucis financiers du domaine entraîneraient fatalement le chômage, la pauvreté et l’exode rural. Peut-être qu'il devait accepter de signer avec ces investisseurs inconnus pour le bien des gens... malgré l'opacité de la nature de NUBIA Capital.


*******

-         Donne-moi une bonne nouvelle, Jay, supplia Serena, en proie à l’inquiétude.

Elle s’accrochait à cet espoir là puisque désormais Tahaa, méfiant et hostile, gardait ses distances avec elle, pour toutes sortes de raisons.

Il lui était intolérable de le côtoyer tous les jours et d’être confrontée à sa froideur, surtout après avoir été assez intime avec lui.

Plus d’une semaine avait passé. Jay avait bossé comme un fou, avait fait des allers-retours auprès des donateurs. Il avait calmé leurs appréhensions et les avait convaincus comme il se convainquait lui-même de faire confiance à Serena.

-         Ça va être compliqué. Ton bonhomme, ce Tahaa…  il se méfie, il n'embarque pas.

-         Comment ça, il n'embarque pas? Demanda la jeune femme incrédule, au téléphone.

-         À croire que ce n’est pas qu’un simple agriculteur ordinaire ignorant des rouages des affaires… Il prend ses précautions.

 

-         Tu as bien fait ce que je t'ai demandé? 

 

Jay, de soupirer exaspéré par sa remarque.

-         Oui madame! Comme convenu, Amanda White du cabinet d'avocats au Luxembourg a pris contact avec lui au téléphone. Ton Tahaa était plus intrigué qu’excité par la collaboration pour le moins inattendue pour lui.

 

-         D’abord, ce n’est pas « mon » Tahaa, corrigea Serena, en clarifiant les choses.

Jay soupira, agacé.

-         À d’autres, Serena! Je sais qu’il y a beaucoup plus que tu ne veuilles me dire sur votre relation à tous les deux. As-tu été intime avec cet homme ?

Lorsqu’elle marqua une pause à l’autre bout du fil, Jay sut instinctivement que les sentiments avaient peut-être embarqué et pour les affaires, ça le préoccupait.

-         Je n’ai pas couché avec Tahaa Badr si c’est ce que tu insinues… avança Serena.

-         Certes, mais il existe différentes formes d’intimité, Serena. J’ai trouvé un article qui parlait de lui dans un hebdomadaire guinéen. J’ai vu sa photo. Il est très bel homme. Le genre à faire tomber n’importe quelle femme, même un iceberg comme toi... le genre à déflorer des filles à l'arrière d'une auto.

-         Je suis lucide! je garde la tête froide, je peux te l’assurer, se défendit-elle sans trop y croire.

-          Peu importe, c’est ta vie… Je ne t'en veux pas. De mon côté, je sais qu'on ne peut pas forcer les papillons à éclore...

Il y avait de la tristesse dans la voix de Jay, preuve qu'il avait encore des sentiments pour elle.

-         Jay, nous sortons du sujet principal…

Un autre soupir.

-         Oui, tu as raison. Inutile de te mettre mal à l'aise. 

   Comme je disais, Tahaa a posé des dizaines de questions assez pertinentes : par exemple, par quel moyen nous avons obtenu son contact, l'identité et la nationalité du fonds d'investissement qui s'intéresse tant à ses terres, la raison de notre intérêt? Pourquoi il n'a jamais entendu parler de nous auparavant?  Je suis certain qu'il est allé plus loin pour tenter de nous retracer.

-         Oh shit...

-         J'ai réagi de la même façon. Notre homme est renseigné... en partie parce qu'il a déjà fait le tour des banques, de tous les fonds qui existent. Il semblerait aussi que par le passé, il y a eu toutes sortes de spéculateurs qui l'ont approché pour ses terres...

-         Donc, Ça complique les choses. J'espère qu'il n'a eu aucune information sur ce que nous sommes… sur NUBIA Capital…

-         Pourquoi tu ne lui en parles pas directement, Serena? Tu es proche de lui, non?

-         C'est compliqué… En ce moment, il a l’impression que je me mêle un peu trop de sa vie, de façon invasive. Et, il déteste cela.

-         Avec raison. Tu as réussi à faire partir son frère Idy?

-     Pas encore. Nous attendons sa bénédiction… Tahaa est comme le chef. Ils ont des façons de fonctionner assez hiérarchisée par ici. Sans compter qu' il refusera mon aide. Il est orgueilleux, il a des valeurs et un sens de l’éthique. Et tu connais la nature de notre fonds… Nubia Capital n’est pas légitime.

Elle se garda de mettre un adjectif à la structure, par prudence.

 Lorsqu’ils avaient franchi leur premier 20 millions de dollars il y avait deux ans, Jay avait prédit :

-         On devrait être en prison si NUBIA est un jour révélé au public... La bête est devenue énorme Serena… putain! on s'est fait beaucoup d'argent en spéculant... sans payer un sou aux impôts... sans rien déclarer au fisc... et on continue de le faire. 

Bien que NUBIA Capital commençait à devenir encombrante, il devenait impossible d’arrêter une pareille machine à faire de l’argent.

-          Bon, Je suis quand même déçue que Tahaa n'ait pas mordu à l'hameçon. En ce moment, je suis à cours d’option.

Jay Patel se racla la gorge, signe qu’il avait une idée.

-         Qui t'a dit que ça a échoué? Laisse-moi finir, Serena.

-         Il y a une bonne nouvelle?

-         Oui, tu me dois cette nouvelle. J'ai fait mes recherches aussi, sur le domaine de Diarri. J'ai eu accès à des infos, et en passant le dossier bancaire n’est pas très reluisant…, donc je disais que j’ai fait mes recherches aussi…. pas que je me méfie de toi ou que je ne te fasse pas confiance, mais il fallait que je comprenne pourquoi tu t'es entichée de ce coin de région, spécialement...  Attend, donne-moi deux minutes....  

Un bruit de fête à l'arrière, Jay Patel parlait à deux femmes qu'il venait de faire entrer dans sa suite. Agacée, Serena leva les yeux au ciel, son partenaire d’affaires ne chômait pas.

         -       Tu n’es pas seul?

         -       Dieu merci, Non! S’Exclama-t-il en rigolant.

         -       C’est qui?

         -       Deux nanas russes, Natacha et Ivanka.

Elle entendit Jay leur crier : « les filles, dites bonjour à ma partenaire Serena! » Elles répondirent en chœur en minaudant, « hello, Serena! ».

La jeune femme tiqua.

        -       Sérieusement? Pendant qu’on discute business…

        -        Excuse-moi, mais j’ai des besoins Serena, ce n’est pas tout le monde qui est vierge comme toi...

Jay marqua une pause. Elle l’entendit renifler au loin. Le même type de reniflement quand il sniffait de la cocaine. Elle sut qu’il continuait à prendre des drogues et s’en inquiéta mais ne lui fit pas la remarque tout de suite.

     -       Voilà, je disais donc que j'ai eu accès à des registres, j'ai fait des comparaisons, à savoir qui vend des terres comparables à celles de Diarri, pour voir un peu le business... et tu ne me croiras pas.

      -       Quoi? Abrège! dit impatiemment Serena.

      -       C'est possible de racheter des parts de terres sur ce domaine.

      -       Par quels moyens?

      -       Il y a un membre de la famille Badr qui est sur le point de vendre les siennes.

      -       Non... incroyable!

Elle pensa à Idy. Pourtant, le jeune chanteur avait refusé sa proposition de façon catégorique. Un doute s’empara d’elle.

     -       Qui alors?

     -       Un certain... Amara Badr...

Serena déglutit, choquée

     -       merde...  pas lui.

     -       Tu le connais?

    -       Oui! C’est le cadet de la famille Badr. Pourquoi il ferait une chose pareille? Surtout sans en parler à ses frères?

     -       Pour le pognon, qu’est-ce que tu crois? Et la bonne nouvelle est qu’on peut lui acheter ses terres, Serena. On en a largement les moyens, le mec est un peu désespéré, on peut le presser comme un citron…. Mon contact, la ressource qui m'en a parlé à Conakry, pense qu'il est pressé de vendre. Alors, tout ce que j’attends c’est ton Go.


Serena secoua la tête, encore sous le choc de la nouvelle.

     -       J’ignore si Tahaa est prévenu de la situation… Je n’en reviens pas. Amara…  Faire une telle chose à sa famille…  Je ne l’aurais jamais imaginé… Est-ce que c’est de la trahison?

     -       Une apparence de trahison, en tout cas. Que veux-tu que je fasse avec ça?

Serena prit son courage à deux mains.

     -       Jay, je veux que tu rachètes ces parts avant que quelqu’un d’autre le fasse.

     -       Au nom de Nubia?

     -       Oui, au nom de Nubia. 

 

     -       Je voudrais que la transaction se passe rapidement avant qu’Amara se dégonfle ou que son frère soit mis au courant... Pire, avant que quelqu’un d’autre mette la main dessus. Il me faut aussi de l’argent liquide… ouvre-moi un compte dans une banque guinéenne et transfère-moi des fonds.

Jay hésitant, refréna l'impulsivité de Serena.

    -       Serena, on va trop vite, tu ne crois pas? Nous voulions une collaboration au début, et là nous achetons carrément des terrains. C’est beaucoup trop d’engagement et je n’aime pas ça… On devrait peut-être évaluer.

     -       Parce que nous n’avons pas de minute à perdre, Jay. Nous n’avons pas le choix.


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Coucou! Chapitre à lire attentivement, les amis! Parlons Business. Serena est-elle imprudente? Fait-elle la bonne chose? Est-ce une nature prédatrice? prudente? avisée en affaires? Est-ce de l'impulsion? ou une forme d'altruisme?

Comme vous le savez, j'écris au fur et à mesure. Ce qui est drôle c'est que ce n'est pas ce que j'ai prévu au début. Mais les personnages ont tendance à m'emmener ailleurs. On va suivre cette piste.


Merci de suivre! bisous.




   


L' héritière