Chapitre 21
Ecrit par leilaji
The love between us
Chapitre 21
Le caddie plein de courses, je continue de raturer les mots sur ma liste mentale. J’ai toujours la même technique depuis notre installation dans notre chez nous : faire les grosses courses du mois en une seule fois en passant par tous les rayons pour être sûre de ne rien oublier. Il ne me manque plus que les desserts et je pourrai enfin rentrer à la maison. Je laisse passer un couple avec deux enfants puis pousse mon caddie jusqu’au rayon des chocolats. Je n’ai pas besoin de réfléchir longtemps car je connais les gouts de mon mari par cœur en matière de chocolat. Il me faut des Crunch, des Poulains et des Milka et il sera l’homme le plus heureux de la terre. Moi par contre, il faudra que je fasse sans. J’essaie de ne plus prendre de poids comme me l’a conseillé mon médecin. Alors je me prends des yaourts allégés et des biscuits sans sucre pour le grignotage. Heureusement que pour le moment, je n’ai pas encore d’envie de grossesse étrange donc j’en profite pour manger équilibré et sain. Je dois tout faire pour garder ce bébé dans mon ventre jusqu’au neuvième mois. Tout ce qui est en mon pouvoirs et si je dois manger des biscuits sans sucre pendant les sept prochains mois, je suis prête à le faire. Lorsque mon téléphone sonne, je fouille rapidement mon sac et décroche lorsque je vois qu’il s’agit d’un appel de Bintou. La dernière fois, on n’a pas pu se parler parce qu’elle avait rendez-vous avec un homme dont elle n’a pas voulu me parler. C’est bien la première fois qu’elle me fait des cachoteries concernant sa vie sentimentale.
- Devine ? demande-t-elle d’entrée de jeu, la voix pleine d’excitation.
- Vas-y raconte.
- Il y a ta belle-mère qui est venue faire ses ongles au henné chez moi.
- Sérieux ?
- Elle vient à peine de partir. Elle était toute gentille et elle a laissé un bon pourboire à mon esthéticienne. Et moi, elle m’a fait plein de compliments. Puis elle s’est mise à demander aux filles si elles étaient mariées, si elles voulaient se marier dans les prochains mois etc. C’était un peu bizarre. Dis-moi ton mari a un frère ou un cousin qui veut se marier ?
Comme je suis devant la caisse et que la conversation devient angoissante, je laisse passer le client qui est derrière moi et qui n’a que quelques articles en main. Il me fait un sourire pour me remercier et je fais de même.
- Non pas que je sache.
- En tout cas, elle fait peur hein cette femme.
- Tu n’as encore rien vu. Au moins elle était gentille avec toi. Quand elle est énervée, tu as juste envie de la fuir. Franchement, elle en impose tellement qu’on dirait un homme. Moi qui ai un mari si doux, je me demande comment une femme comme elle a fait pour élever un homme comme lui.
- Ah ça ! Ça craint.
- Je me contente de faire ce qu’elle aime me voir faire comme ça, j’évite les problèmes.
- Hum. Mais tu connais l’homme sénégalais non ! Sa mère c’est sacré.
- Toi-même tu sais qu’Idris n’est pas comme ça. Il s’oppose à elle quand elle dépasse les bornes. Moi je n’ai pas ce courage, pardon.
Je l’entends donner quelques consignes pour traiter l’acné d’une cliente.
- C’est ça le mariage. Les belles mères et compagnie ! Je crois que je ferai mieux de profiter de mon célibat pour le moment plutôt que de courir après la bague, conclut Bintou.
- Comme tu es grande gueule, j’espère que tu en auras une comme elle. Elle va bien te dresser.
Elle éclate de rire. La caissière me fait signe de ranger mes affaires sur le tapis roulant. D’une main, je pose les articles un à un, tout en continuant ma conversation. La musique d’ambiance du supermarché me fait dodeliner de la tête en cadence.
- Ça me fait penser qu’il faut que j’ajoute gentille mère à ma liste de qualité à avoir chez un homme.
- Donc si on résume tes exigences, il doit être riche et avoir une gentille mère.
- Exactement.
- Parce que tu crois que ça existe les gentilles belles-mères ?
- Forcément. Ce n’est quand même pas que chez les blancs les bonne belle-mère.
- Donc l’histoire de cendrillon ou de Blanche neige ne t’a rien appris. Chez les blancs aussi, il y a des sorcières.
- T’es folle toi ! s’exclame-t-elle en riant.
- Bonne chance pour en trouver. Elles sont gentilles tant que tu corresponds à l’image qu’elles se font de la femme parfaite pour leur fils. Dès qu’elles se rendent compte que ce n’est pas le cas ou que tu changes leur enfant, elles montrent leur vrai visage.
- Tu sembles amère.
- Pas vraiment. C’est juste que moi j’ai deux pieds dans le mariage donc je préfère te dire les choses telles qu’elles sont pour que tu ne te fasses pas d’illusion Bintou.
- C’est noté oh. Bon je raccroche, je n’ai plus de crédit, ça va couper.
- Pas de souci. Je t’en enverrai dès que je serai à la maison.
- Merci c’est gentil. Salue la famille pour moi.
- Ok.
- Hé Zeina !
- Oui ?
- Fais quand même gaffe à tes fesses. Cette histoire de demander à toutes les filles si elles sont mariées ou pas ne me dit rien de bon.
- D’accord. Je ferai attention.
Une fois les courses payées par chèque, un jeune caddie m’aide à tout ranger dans d’énormes sacs recyclables qu’il range dans mon chariot. Je le remercie de m’aider à transporter tout ça dans le taxi qui m’attend garé dans le parking et sors du magasin à pas rapides. J’ai un thiep bou guinar à préparer pour ce soir.
*
**
J’ai bien fait de faire mariner mon poulet toute la nuit passé, il n’en est que plus succulent. Par contre, je ne suis pas satisfaite de la cuisson de l’aubergine et du chou blanc, mais la qualité du plat n’en est pas altérée pour autant. Demain, il faudra que je fasse du yassa avec le reste de poulet.
Pendant que j’installe la table, Idris pianote sur son ordinateur avec dextérité. Ses doigts parcourent le clavier a une vitesse incroyable d’autant plus qu’il se contente de regarder l’écran en tapant. Même les bruits de cascades du film d’action qui passe à la télévision ne peuvent le distraire, une fois qu’il s’est installé pour travailler. Il est rentré tôt aujourd’hui parce que je lui ai demandé de le faire. Alors il rattrape le temps en envoyant ses mails depuis la maison. Ce ne devrait pas me gêner. S’il travaille autant, c’est pour que je ne manque de rien. Mais parfois j’ai l’impression qu’il en fait trop. Je me rapproche de lui pour allumer les lampes du salon.
- Tu en as encore pour longtemps ?
- Accorde moi encore trente minutes, je n’ai plus que trois mails à faire.
- Ça ne peut pas attendre, ça va refroidir.
- Il faut absolument que ça parte aujourd’hui. C’est mon dernier délai. J’avais demandé à ma secrétaire de le faire mais, elle a oublié.
- Ah ! et tu la gardes encore avec toi ?
- Elle a fait une erreur ce n’est pas la fin du monde. travailler dans le stress de se faire virer c’est ce qui fait faire des bêtises aux gens. J’ai gueulé un coup. Je pense que c’est suffisant.
- Tu es trop gentil Idris.
- Elle a trois enfants à sa charge et trouver du travail à Libreville en ce moment c’est difficile. Que voulais-tu que je fasse d’autre ?
- Rien. Tu as bien fait.
- Qu’est-ce que c’est ?
- Quoi ?
- Qu’as-tu préparé ? Ca sent bon.
- Du bon thiep.
Il lève la tête de son écran et mon sourire s’agrandit.
- Mon thiep va-t-il réussir à te convaincre de venir manger d’abord puis de continuer ton boulot après ?
- Ton thiep convaincrait un pacifiste comme moi de gifler le pape ! dit-il en se levant.
Je lui tire sa chaise et on s’installe tous les deux pour déguster mon plat. A peine s’empare –t-il de sa fourchette et de son couteau qu’il me signale que les légumes sont trop cuits de quelques minutes. Je grogne de frustration en lui demandant comment il fait pour s’en rendre compte avant même d’avoir gouté le plat. Il sourit de manière énigmatique puis entame son plat avec appétit non sans m’avoir complimentée au passage. Idris et les bonnes manières, c’est comme le thiep et le riz. L’un ne va pas sans l’autre.
- Comment as-tu passé ta journée ? Tu ne m’en parles jamais.
- Je ne vais pas t’importuner avec des broutilles.
- Ça n’en sera pas si tu me racontes. Je ne peux pas être le seul à parler de mes journées. Tu dois aussi me raconter les tiennes non ?
Je me lève et reviens avec des ensembles pour bébé que j’ai acheté dans le magasin. Ils sont tellement mignons que je n’ai pas pu résister. Je les lui montre et il y jette un coup d’œil amusé sans pour autant les toucher. Je sais pourquoi il garde ses distances. Je sais pourquoi, il ne se laisse jamais à rêver de notre enfant dans nos bras. Il l’a fait tellement de fois déjà, sans avoir jamais pu vivre ce moment. Il ne veut plus se laisser à espérer. Parce que ça revient au même que de courir sur une route avec les yeux bandés. Tôt ou tard, on risque de se faire percuter par une voiture.
- Ça va faire deux mois que tu n’achètes plus rien pour toi. Tout ce que tu prends c’est pour le bébé. Il a déjà trop d’affaires Zeina. Il va falloir que tu arrêtes d’acheter des vêtements.
- C’est parce que je pense déjà comme une maman, je lui réponds en pliant soigneusement le tout pour le remettre à sa place initial.
Les mamans ne pensent jamais à elle en premier. Jamais. Elles sacrifient tout ce qu’elles possèdent pour le bonheur de leur enfant.
A mon retour, Idris a débarrassé la table et posé les assiettes dans l’évier. Il plie les manches de sa chemise et savonne l’éponge.
- Qu’est-ce que tu fais ?
- La vaisselle.
- Non. Laisse. Tu as des mails à envoyer non ?
- Ecoute il n’y a que deux assiettes, quelques couverts et deux verres. Ce n’est pas la mer à boire.
Je n’aime pas quand il fait ça. Je sais que c’est bête car il pense tout simplement à m’aider. Mais je ne vois pas les choses ainsi. Je me sens comme minimisée quand il lave les assiettes, passe un coup d’aspirateur ou repasse sa chemise lui-même si j’ai oublié de le faire. Parce que tous ces gestes m’indiquent qu’il peut très bien vivre sans moi, il n’est pas perdu sans moi.
- Ce n’est pas comme si on était tout une populace dans cette maison, continue-t-il avant de se taire lorsqu’il se rend compte qu’il a peut-être gaffé.
- Ca je le sais Idris. Je sais que la maison est vide. Je sais que tu as hâte d’être père et que ta mère attend son petit-fils depuis le jour de notre mariage. Je le sais tout ça.
- Ne va pas t’imaginer quoi que ce soit Zeina. S’il te plait.
Je soupire pour me calmer et prends place sur la chaise pour l’observer travailler. Je le connais comme ma poche. Je sais que plutôt que de crever l’abcès et d’admettre à quel point la situation le rend malheureux, il voudra encore une fois changer de sujet. Le médecin qui me suit depuis ma première fausse couche est devenu un confident. Je peux lui parler de mon mal-être et lui me soutient comme il peut. Mais Idris à qui parle-t-il ? Je ne lui connais pas d’amis. Evidemment, il se peut qu’il sorte parfois avec ses cousins ou des neveux de son âge mais je sais qu’il ne se confie à aucun d’entre eux. A chaque fois que quelqu’un de la famille nous demande quand est-ce qu’on fera des enfants, il répond toujours quand on sera prêt. Pour que personne ne puisse jeter la faute sur moi.
Mais moi je sais que c’est mon corps qui est déréglé.
Tout est de ma faute.
- Tu peux les essuyer si tu tiens tant que ça à faire quelques chose alors que tu es restée debout toute la matinée pour faire les courses puis toute la soirée pour cuisiner, dit-il en me tendant les assiettes propres.
J’essuie tout. Quand il finit, il s’empare du torchon pour s’essuyer les mains et se tourne vers moi l’air préoccupé.
- Je veux que tu te reposes Zeina.
- C’est ce que je fais pourtant. A part m’occuper de nous, je ne fais rien d’autre. Si ça ne tenait qu’à toi, je serai attachée au lit 24 heures sur 24.
- Parce que s’il devait arriver quelque chose à ce bébé…
- Idris ! je coupe aussitôt en essayant de ne pas me laisser gagner par la peur que je lis dans son regard.
- Je ne le supporterai pas Zeina, pas après tout ce que nous avons déjà traversé. Et je suis sûr que toi non plus. Donc on doit prendre toutes les précautions possibles et prendre soin l’un de l’autre OK ? Et si ça inclut que je fasse la vaisselle…
- Alors que tu as déjà travaillé toute la journée ?
- Ce n’est pas comme si j’avais soulevé des briques Zeina. Je suis resté assis devant mon ordi et j’ai reçu des clients.
Il est inutile de discuter avec lui quand il décide quelque chose pour le bien du bébé. Alors je capitule et fais contre mauvaise fortune bon cœur en me m’approchant de lui pour l’embrasser.
- Le baiser c’est pour quoi ?
- Pour te remercier d’être le plus aimant de tous les maris du monde.
- Ah, tu trouves que je suis le plus aimant ?
- Sans aucun doute.
- Alors tu ne m’en voudras pas si je fais ça, dit-il en mordillant mon cou, puis mon menton et enfin mes lèvres.
Son baiser se fait insistant. Je peux laisser ses lèvres aussi voluptueuses que celles d’une femme tracer des sillons de feu partout où elles passent. Je le laisse briser la barrière de mes lèvres pour que nos langues valsent ensemble. Mes bras s’enroulent autour de son cou. Il me soulève et me pose sur la table de la cuisine avec une facilité déconcertante lorsque je pense à notre différence de poids. Idris est longiligne tandis que je suis ronde. Je ne pense plus à rien d’autre qu’à laisser les mains de mon mari me déshabiller puis me caresser. Qu’il y a –t-il de plus envoutant que de faire l’amour avec l’homme qu’on aime ? Rien. Je déboutonne sa chemise tandis que lui se débarrasse de sa ceinture. Chaque seconde, chaque soupir, chaque gémissement sont une invitation à la luxure. Mais pas celle qu’on méprise et qu’on tente d’oublier la seconde d’après. Non. La luxure entre deux époux qui se confond comme une sœur à la félicité.
*
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Pour moi, le pire quand on est enceinte et qu’on a préalable perdu plusieurs fois ses bébés, c’est d’être dans une salle d’attente de gynécologue entourée de femmes avec des bras remplis d’enfants. De voir que la souffrance que vous affrontez, vous l’affrontez seule car elles n’ont aucune idée du miracle qu’elles ont obtenu à chaque fois qu’elles ont mis au monde leur progéniture. De voir d’autres agrippées à leur téléphone tandis que leur enfant vagabonde dans la salle d’attente à la recherche d’une attention que leur mère est incapable de leur donner.
Attendre le cœur battant, sans savoir si c’est ce jour que le rêve s’arrête ou si le ciel permettra de s’y accrocher encore un peu. Aucune femme ne devrait avoir à vivre cela.
Heureusement pour moi, ce n’est pas aujourd’hui que le cauchemar s’attachera à mes pas. L’échographie du premier trimestre se passe à merveille et le docteur Sandra me félicite pour cette bonne nouvelle. Entendre le cœur de mon enfant battre m’a fait monter les larmes aux yeux et il a fallu qu’elle me donne un mouchoir pour que j’essuie mon visage. Même si c’est la quatrième fois que je suis enceinte, c’est comme si je vivais cet instant pour la première fois. Je suis tellement soulagée que j’ai envie de la prendre dans mes bras.
- Tout va bien dans le meilleur des mondes, confirme-t-elle en imprimant l’échographie qu’elle me donne.
- Al hamdu lillah (la grâce soit rendue à Allah), je réponds sans pouvoir un seul instant la quitter des yeux.
C’est ce bout de papier qui prouve que mon bébé est toujours là où il doit être : caché en moi.
- On va continuer sur cette lancée et tout faire pour que cette grossesse aille à terme. Il est important de rester positive pour ne pas stresser votre corps et de vous reposer. J’espère de tout mon cœur que tout se passe bien cette fois-ci.
- D’accord Docteur, je vais me reposer.
- Votre mari n’est pas là ? s’étonne-t-elle car elle sait qu’Idris me soutient comme jamais normalement.
Mais pour cette dernière grossesse, les choses ont été un peu différentes. Il n’est pas venu à la première échographie qui devait me confirmer que j’étais enceinte. Il en était incapable et je comprenais parfaitement pourquoi. Alors je n’ai pas forcé les choses.
- Si. C’est lui qui m’a emmenée. Mais comme j’avais un peu faim, il est reparti m’acheter à manger. Je ne pensais pas qu’on passerait aussi vite sinon, il serait resté. Pourtant il y avait beaucoup de patientes en salle d’attente.
- Oh la plupart était là pour récupérer des examens c’est pour ça que ça n’a pas duré.
- Je comprends mieux. C’est dommage parce que je suis sure qu’il aurait tellement souhaité être là. C’est de ma faute. J’ai fait un caprice avec la nourriture.
- Je pense que vous avez le droit de faire autant de caprices que vous voulez. Bon je vais vous faire une petite fleur alors. Après tout vous n’êtes pas une patiente comme les autres. Si vous revenez jeudi à 9 heures, je pourrai refaire l’écho en présence de votre mari. Je suis sure qu’il sera heureux d’entendre battre le cœur de son enfant aussi.
- C’est tellement gentil de votre part docteur.
- Bon. On se dit à jeudi alors ? A 9 heures. Ne venez pas en retard ou je recevrai une autre patiente à votre place et là il vous faudra encore attendre.
- On sera là. A jeudi docteur.
*
**
- On va être en retard Zeina. Dépêche s’il te plait !
- J’arrive, je cherche l’écho, je réponds à Idris en sortant la chemise dans laquelle je range tout ce qui concerne ma grossesse.
- Mais on en aura une autre aujourd’hui, à quoi ça sert de prendre l’ancienne ?
- Arrête de me stresser !
- OK. Je t’attends dans la voiture c’est mieux.
- Avance j’arrive.
Il m’embrasse sur le front et quitte la chambre. Je le rejoins dans la voiture quelques minutes plus tard.
- Si on arrive en retard et qu’on rate l’échographie, sérieux je vais péter un câble avec toi. Tu n’avais pas besoin de te maquiller pour aller faire une putain écho.
Je me tourne vers lui les sourcils froncés. Idris n’utilise le mot putain que lorsqu’il est très énervé, ce qui arrive très rarement. Je comprends qu’il est stressé. Il s’est levé très tôt ce matin pour faire des duas, les mains tendues et ouvertes. Je sais qu’Allah dans son immense miséricorde ne laissera pas les mains d’Idris vide de réponse. J’étais moi aussi stressée avant mon dernier rendez-vous de la semaine dernière. Aujourd’hui, je ne le suis plus. Je pose ma main sur sa cuisse et la serre un peu tandis qu’il tapote nerveusement sur le volant gainé de cuir.
- Chéri, dis-je en prenant son visage entre mes mains. Tout va bien se passer. OK. Pas la peine de t’énerver. Tu entendras comme moi son petit cœur battre et tu verras à quel point le ciel est bleu et le soleil brillant et l’amour merveilleux.
- T’es folle ! dit-il en me regardant droit dans les yeux, un léger sourire sur les lèvres. OK descends.
- Quoi ?
- Descends de la voiture Zeina.
Je me demande pourquoi il réagit ainsi alors que je pensais l’avoir rassuré. Mais j’obéis, alors je descends de la voiture la boule au ventre. Il prend ma main et me place devant la porte du garage.
- Il faut que je prenne une photo pour immortaliser ce jour, dit-il en sortant son téléphone pour prendre une photo de moi.
J’éclate de rire face à son air mutin et prends la pose après avoir vérifié que mon foulard était en place. Je ris tellement à chaque fois que nos regards se croisent qu’il me faut me mettre de trois quart pour qu’il puisse prendre enfin une photo potable.
- J’espère que tu as mis le filtre de Snapchat ! je lui demande en m’approchant de lui pour voir à quoi je ressemble avec mes trois mois de grossesse.
- Pas besoin de filtre. Regarde comment tu es belle Zeina, me fait-il constater en me montrant la photo.
Je ne sais pas quoi dire parce que je reconnais enfin l’Idris que j’ai épousé et qui n’a plus peur de croire au bonheur avec moi. Du moins c’est l’impression que j’ai.
- Et maintenant qu’est-ce que tu attends pour démarrer cette voiture ? Tu vas nous mettre en retard pour de vrai maintenant.
On regagne nos sièges. Il tourne la clef et une vingtaine de minutes plus tard, nous arrivons. En salle d’attente, c’est le seul homme présent. Les autres femmes me regardent avec envie alors je savoure le moment, en attrapant son bras et en posant la tête sur son épaule en attendant que l’infirmière nous fasse entrer. Je le vois pianoter son téléphone et mettre ma photo en fond d’écran pour remplacer une ancienne photo de moi. Une fois que c’est notre tour, Idris se lève d’un bon le sourire aux lèvres. Nous entrons dans la salle de consultation. L’infirmière ferme la porte derrière nous.
- Alors, alors… Comment ça va aujourd’hui ?
- Bien. je me sens en forme même, je dirai, je réponds en m’asseyant.
- J’ai hâte de vous voir faire cette échographie docteur, répond Idris en prenant place à son tour à mes côtés. Et surtout merci pour le second rendez-vous accordé malgré votre agenda chargé. Je sais que vous êtes très demandé.
- Oh ce n’est rien.
Elle tire un long feuillet blanc puis me fait signe de monter sur la table et prépare les appareils. Idris attrape ma main. Je sens la moiteur de ses paumes et souris pour lui donner du courage. Je ne regarde plus l’écran mais mon homme, pour pouvoir mémoriser l’expression qui s’affichera sur son visage quand il verra l’écran et surtout quand il entendra le cœur battre.
J’attends.
Encore et encore.
Et encore.
Et je ne lis aucune joie sur son visage. Juste de l’incompréhension.
Et je n’entends aucun cœur battre. Juste un affreux silence.
Alors je tourne la tête vers Docteur Sandra qui elle non plus ne dit rien. Elle semble bouleversée. Elle pose son appareil et ses épaules s’affaissent. Pourquoi ne dit-elle rien ?
Idris me serre la main. A me la broyer. Il respire par la bouche comme s’il manquait d’air.
Je les vois venir et de loin. Ils ne peuvent pas me faire ça. Alors je me lève et remets mon tee-shirt en place. Je récupère mon échographie dans mon sac et la pose sur mon cœur pour me donner du courage.
- Zeina… commence le docteur Sandra.
Mais je ne la regarde même pas. Tout ce que je vois c’est le visage d’Idris et la douleur qu’il n’arrive pas à dissimuler. Qu’il garde ses larmes pour une autre occasion. Pas pour moi ni pour mon bébé.
- Zeina…
- Je ne veux rien entendre docteur Sandra. Idris Chéri, je veux rentrer à la maison.