Chapitre 21 : Working girl

Ecrit par Néfi

********Environ 10 ans  plus tard********

« Toujours en retard comme d’hab », pensai-je en ouvrant la porte de mon bureau. Je déposai mon sac sur la petite étagère blanche, et ouvrit les volets. J’étais comme tous les matins, en admiration devant la vue qui s’étendait devant moi. J’aimais prendre le temps de contempler la ville, depuis le 14 ème étage où je travaillais. J’étais fière de moi. Je travaillais dans la plus grande société d’assurances du Bénin et j’étais la directrice du service informatique. J’en avais ramé pour arriver là. Qui l’eut cru, moi Dona, pauvre petit bout de femme, aujourd’hui à la tête d’environ cinquante personnes, dont plus de la moitié étaient des hommes.  Il faut dire que j’en avais eu de la chance, même beaucoup de chance. J’avais su être là au bon moment et mon prédécesseur, avait, depuis mon stage il y a bientôt 7 ans admiré mon dévouement et mes compétences. Ah Jacques, ce vieux monsieur me manquait, depuis son départ à la retraite, il y a tout juste un an. Il n’avait pas hésité à proposer mon nom au PDG, en tant que remplaçante, surprenant ainsi Philippe, son bras droit de l’époque. Tout le monde s’attendait à ce que ce soit ce dernier qui prenne la relève. Mais Jacques m’avait préféré moi, Dona.

 Un sourire éclaira mon visage, quand je me souvins du jour où, lui-même en personne m’annonça cette décision. Il me fit appeler dans ce même bureau et me fit asseoir, non pas sur les chaises, mais dans le petit salon à quelques mètres de sa table, là où il recevait les invités de marque, ou bien même où il se détendait, devant sa télévision.

-          Assieds-toi Dona, me dit-il avec son sourire si chaleureux.

J’obtempérai donc, un peu craintive. Ca n’était pas bon signe quand votre « boss » vous convoquait dans son bureau.

-          Dona, je vais aller droit au but avec toi.

(Mon cœur battait déjà la chamade. Avais-je fait quelque chose de mal ? Je me mis à scanner, du plus loin que je m’en souvienne, toutes les activités que j’avais faites ces dernières semaines).

-          Oui je vous écoute Jacques, répondis-je, anxieuse.

-          Tu n’es pas sans savoir que je vais à la retraite dans 3 mois Dona.

-          Oui, je suis au courant, en effet.

-          Eh bien, je dois donc m’assurer de choisir mon successeur, celui ou celle que j’estime être suffisamment compétent pour prendre la relève.

-          Oui, tout à fait Jacques. Votre départ nous attriste tous, mais nous sommes contents pour vous. Ce sera un repos bien mérité.

-          Merci Dona, Enfin, tout ça pour dire, que j’ai analysé chacun de vous, depuis que je vous connais, autant professionnellement, que sur le plan moral. J’ai analysé votre sens de devoir, de l’éthique, vos valeurs et vos principes. Et de mon avis de vieil homme fatigué, je pense que de tous ceux potentiellement capables, tu es la plus compétente et la plus sensée pour ce poste. C’est pour cela que j’ai proposé ton nom au PDG.

Je n’en revenais pas, j’écarquillai les yeux.

-          Whao, Jacques, vous êtes sur de vous ? C’est une grande responsabilité que vous me confiez. Et il y a des gens qui étaient là bien avant moi qui l’auraient largement mérité.

-          Certes Dona, tu as raison, mais comme je te l’ai dit, il n’y a pas que les compétences que j’ai pris en compte, mais aussi le comportement, la manière de résister au stress, à la concurrence entre vous etc. Si tu l’acceptes et je crois que le PDG n’ira pas contre ma décision, alors tu seras la nouvelle Directrice du Service Informatique d’  « Assurances Bénin ».

Sans hésiter, je répondis donc :

-          Oh j’accepte Jacques, avec plaisir. C’est un véritable honneur et un défi pour moi.

C’est donc ainsi que depuis bientôt un an, j’étais à ce poste. Je gagnais très bien ma vie. Je vivais dans un appartement à la haie-vive, quartier chic de Cotonou, non loin de la mer. Professionnellement, j’étais épanouie, mais sentimentalement, ma vie était un vrai désastre depuis près de 10 ans. Depuis ce jour où Alex m’avait encore une fois abandonnée. Alex, rien que de penser à lui, mon cœur se serrait et je ressentais une vive douleur. Il m’avait laissé tomber, encore, comme une vieille chaussette, depuis notre conversation dans ce bar. J’avais bien essayé de le recontacter, mais toutes mes tentatives étaient restées vaines : appel, mail, visite chez lui, tout ça fut inutile. Parfois j’allais chez lui et quand bien-même sa voiture était garée dehors, on me disait qu’il n’était pas là. J’avais mis une longue année à panser mes plaies, à refermer encore ce chapitre. A force de penser, d’analyser, de réfléchir, j’avais fini par conclure qu’il avait finalement pris la décision d’obéir à ses aînés, et de ne pas aller contre les prévisions qu’on lui avait faites. Mais il aurait pu me dire au revoir, me reparler une dernière fois. Mais non, il avait préféré m’abandonner, partir sans un mot, comme si j’étais une inconnue. Qu’avais-je donc fait pour mériter cela ? Je le détestais à nouveau encore. Il avait détruit ma vie.

J’avais tant bien que mal essayé de remonter la pente. J’avais eu des copains, plusieurs même. Mais je fuyais telle une coureuse de 100 mètres, dès que ces derniers voulaient aller plus loin. Il me manquait quelque chose à chaque fois, comme si je n’étais pas épanouie. Pourtant j’étais sortie avec des mecs bien, beaux, gentils, respectueux, qui étaient à mes pieds. Mais ma famille ne comprenait toujours pas pourquoi je finissais par rompre. Ne supportant plus mes multiples petits amis, ma mère avait fini même un jour par me dire : « Dona, je ne veux plus que tu me présentes quelqu’un, tant que tu n’es pas sure et certaine de toi. Je ne veux plus accueillir ces pauvres hommes, les choyer en tant que futur beau-fils, m’attacher à eux pour qu’au final, tu m’annonces que c’est fini entre vous ».  Au début, je lui en voulais à ma mère, mais j’avais fini par la comprendre elle aussi. Du haut de mes 27 ans, j’étais l’une des rares filles célibataire de la famille et non mariée ou fiancée. Toutes mes sœurs et mes cousines étaient engagées ou allaient le faire très prochainement. Lors des réunions ou des fêtes de famille, je devenais le sujet de conversation de toutes mes tantes, qui ne comprenaient vraiment pas ce qui clochait avec moi.

« Hé ma fille, jusqu’à quand nous allons attendre hein, le temps passe, tu auras bientôt 30 ans »

« Mais il est où notre beau-fils, tu attends quoi hein Dona ?»

« Dona, ne sois pas trop dure envers les hommes, baisse un peu le niveau »

« Tu finiras par regretter ton arrogance Dona, aucun homme n’est parfait ».

Telles étaient le florilège de phrases aussi touchantes que blessantes que je recevais régulièrement. Mais je n’arrivais pas à passer à autre chose. Je ne savais pas comment l’expliquer, mais j’étais juste bien comme ça, toute seule. Mon travail, mes amis et ma famille me suffisaient pour l’instant.

 

Un coup à la porte me fit sortir de mes pensées.

-          Entrez, répondis-je, tout en prenant place à mon bureau.

Esther, ma secrétaire, entra donc, un plateau à la main.

-          Bonjour Dona, je t’apporte ton petit déjeuner. Thé aux fruits rouge et ton pain au chocolat, comme tu aimes, dit-elle, le sourire aux lèvres.

-          Merci Esther, tu es un amour. Que ferais-je sans toi ?

-          Tu ne survivrais pas une seconde ici, lança-t-elle joyeuse.

-          Je sais bien, dis-je en lui faisant un clin d’œil.

Esther était une jeune femme d’une vingtaine d’années environ. J’aimais beaucoup sa joie de vivre et elle était mon bras droit. Elle était, malgré son jeune âge d’un dynamisme hors pair et de bon conseil aussi parfois. Dans mon service, j’avais instauré le tutoiement entre nous. Je voulais qu’on travaille dans une ambiance jeune, dynamique mais respectueuse de chacun. Le vouvoiement était limite vieux jeu pour moi.

-          Alors Esther, dis-moi quel est le programme de la journée ?

-          Dans 30 minutes, tu as un point avec le PDG, sur le futur progiciel de gestion de la comptabilité, comité de direction à 11h avec les autres directeurs de service, 16h, réunion avec Philippe et Mathias concernant la mise en ligne de la nouvelle version du site.

-          Merci, j’espère que les rendez-vous sont créés dans mon agenda.

-          Bien sûr, mais pour qui me prends-tu me demanda-t-elle en levant les yeux au ciel. Et n’oublie pas, demain, le directeur de la société ayant créé le nouveau progiciel sera présent pour une réunion avec toi à 15h.

-          Oui, tu fais bien de me le rappeler.

 

C’est ainsi que se déroulaient mes journées de travail. Toutes mes réunions s’étaient bien passées. Mais le PDG m’avait bien souligné qu’il était impatient de voir installé, ce nouveau progiciel de gestion de la comptabilité. Celui utilisé actuellement, créait tellement de problèmes et les bugs n’en finissaient plus. Nous avions décidé de faire appel au terroir, au made in benin dans le choix final du nouveau progiciel. Nous avions choisi une société béninoise (proTech), qui concevait à un coût moins élevé et avec plus de fonctionnalités, un outil efficace et durable. De plus, la maintenance était gratuite sur 5 ans. Les prix et les avantages proposés étaient imbattables, comparés aux offres que nous avions de partenaires européens.

 

Je rentrai donc chez moi, comme chaque soir, retrouvant mon grand appartement, mais vide. La solitude me pesait lourdement. J’aurais tellement aimé, comme toutes les filles, à cet âge-là, être mariée, avec des enfants, un chien. Oui c’était un cliché, un gros cliché même. Je m’endormis, cette nuit-là, comme toutes les autres, soucieuse, malheureuse, se demandant ce que l’avenir me réservait et surtout si il me réservait des moments de bonheur.

Amour ou raison