Chapitre 22

Ecrit par Auby88

"Le moment le plus solitaire dans la vie de quelqu’un, c’est celui où il voit que son monde s’effondre, et que la seule chose qu’il puisse faire, c’est regarder fixement la scène. (F. Scott Fitzgerald)"


****************


" Je suis une femme amoureuse -  Mireille Mathieu


Le temps qui court comme un fou

Aujourd´hui voilà qu'il s'arrête sur nous

Tu me regardes et qui sait si tu me vois

Mais moi je ne vois que toi

Je n'ai plus qu'une question

Tes yeux, mes yeux

Et je chante ton nom

Si quelqu'un d'autre venait

Je l'éloignerais et je me défendrais.


Je suis une femme amoureuse

Et je brûle d'envie de dresser autour de toi

Les murs de ma vie

C'est mon droit de t'aimer

Et de vouloir te garder

Par-dessus tout.


Hier, aujourd'hui, demain

Comptent un seul jour quand tu prends ma main

C'est comme un plan fabuleux tracé là-haut

Pour l'amour de nous deux

Qu'on soit ensemble longtemps

Ou séparés par des océans

Si un danger survenait

Je l'éloignerais et je me défendrais

(…)

Je suis une femme amoureuse

Et je te parle clair, et tu dois savoir

Ce qu'une femme peut faire.

(…)"



*************

Maëlly FREITAS


Autant j'ai eu mal en les voyant si proches, autant je me réjouis du sort que je réserve à cette voleuse d'homme.


Flashback

Quelques heures plus tôt.


Je viens d'arriver dans la demeure d'Eliad. Il a beau me repousser, moi je m'accroche à lui. Qu'est-ce que j'y peux, moi ? Je l'aime, mon Eliad !


NON ! NON ! NON ! Il ne peut pas me faire cela ! NOOONNNNN !

Il est là, devant moi, en compagnie de la bonniche. Les deux sont si occupés à flirter qu'ils ne me remarquent même pas. Je suis tant choquée que je reste là, immobile, à les regarder. Des larmes sortent, sans effort, de mes yeux témoins de cette trahison...


Le vent — qui semble être mon seul allié, à cet instant — ramène leurs propos vers moi :


- Tu es tellement belle, PAGE !

- Merci monsieur.


Je peine à respirer.


- Attends, PAGE, il te manque quelque chose.

- Quoi ?

- Ferme les yeux.

Elle s'exécute et je le vois passer par derrière elle, lui mettre un pendentif au cou puis y appliquer ses lèvres.


- Eliad ! crié-je aussitôt en avançant vers eux. Comment peux-tu me faire cela ? Comment peux-tu préférer la bonniche à moi, Maëlly FREITAS ? Comment ?


Sur un ton menaçant, il réplique :

- Ça suffit, Maëlly ! J'ai été assez patient avec toi. Mais aujourd'hui, j'en ai marre ! Oui, marre ! Marre de tes enfantillages ! Marre que tu me poursuives autant ! Comprends une bonne fois pour toutes que je ne suis pas intéressé par toi, que je ne t'aime pas !

- Eliad, mon amour ! Tu ne peux pas me dire ça !


Je tente d'attraper son bras. Sans succès.

- PAGE, on s'en va ! achève-t-il en prenant la main de cette idiote et me bousculant même au passage.


- Eliad ! hurlé-je une dernière fois avant de laisser mes genoux tomber sur le sol.

Il ne regarde même pas en arrière. Je les vois monter dans sa voiture, puis s'en aller.


J'éclate en sanglots. J'ai l'impression qu'on vient de me planter un poignard en plein cœur... Un amour que je chéris depuis tant d'années et qui m'échappe ainsi ! Pourquoi ?


Pourquoi est-ce si difficile pour Eliad de m'aimer, ne serait-ce qu'un tout petit peu ? Pourquoi continue-t-il à me rejeter autant si nous sommes destinés à rester ensemble ? Pourquoi ?


Je ne veux pas admettre que la voyante s'est trompée. Je refuse. Eliad est à moi. A moi et à personne d'autre !


J'essuie mes larmes et me relève du sol, avec les yeux pleins de rage. Une rage énorme. Personne ne se moque impunément de Maëlly ! Personne ! Cette bonniche, je l'ai trop négligée, trop sous-estimée. A présent, c'est fini. Elle se trompe si elle croit pouvoir me prendre mon Eliad ! Aujourd'hui, elle apprendra à ses dépens que qui se frotte à Maëlly FREITAS, se fait piquer.

 

Fin du Flashback


* *

 *


Edric vient d'arriver. Superbe ! Nous sommes tous réunis. Mon spectacle va enfin pouvoir commencer. Du coin de l'oeil, j'observe la bonniche. Elle semble terrifiée de voir Edric. Intérieurement, je ris.


- Connard, comment oses-tu venir chez moi ?

Eliad essaye d'empoigner Edric par le col. Je m'interpose.

- Arrête Eliad ! C'est moi qui lui ai demandé de venir.

- Pourquoi lui donner rendez-vous chez moi et non chez toi ?

- Parce que je tiens à ce que vous deux fassiez enfin la paix !

- Reste en dehors de ça, Maëlly ! m'ordonne Eliad.

- Tu vois, Maëlly, je t'avais bien dit que ce serait une perte de temps ! Il est préférable que je m'en aille.

- Enfin, Edric, tu dis quelque chose de sensé !

- Qu'est ce qui vous arrive ? interviens-je. Avez-vous oublié que vous êtes presque comme des frères ?

- Maëlly, je te le répète ! Ne t'en mêle pas. Cet énergumène, je le veux très loin de moi !

- Moi, je m'en vais !

- Non, Edric. Attends ! rétorqué-je.

- Viens, PAGE !

Eliad tend à la bonniche une main qu'elle attrape prestement. Ça se sent qu'elle est pressée de s'en aller en haut. Elle se trompe si elle pense pouvoir fuir la tornade que je prépare pour elle.


- Quoi ! m'exclamé-je en direction d'Eliad en haussant bien la voix. Tu ne vas quand même pas laisser planter ainsi deux amis de très longue date pour une partie de jambes en l'air avec cette… fille facile ?


Objectif atteint. Eliad est piqué au vif. Il laisse la main de la poufiasse pour se rapprocher de moi.


- Maëlly ! Ce que je fais avec elle ne te regarde pas. Et je ne te permets pas de la traiter de fille facile ! Ou dois-je te rappeler cette nuit-là où tu t'es mise nue devant moi, me suppliant de te faire l'amour ?


L'entendre parler de ce sujet pourtant personnel ne me plaît pas du tout. Mais je ne laisse pas cela m'atteindre.


- Oui, Eliad, je m'en souviens très bien ! répliqué-je fièrement. Et je n'en ai aucunement honte. Parce que contrairement à cette femme, je ne me prostitue pas !


Je remarque les yeux d'Edric grand ouverts.


- Tu me fais pitié, Maëlly ! Pitié !

- Attends, Eliad, tu penses que je n'ai rien d'autre à faire que de médire d'elle ? Si tu ne me crois pas, demande à Edric. Il connaît toutes les putes du pays ! Je t'assure qu'il peut certifier que cette jeune femme en est aussi une !

- Tu n'es qu'une garce, Maëlly ! Une garce ! s'insurge Edric, tout furieux.


Je me fous royalement de lui.


- Moi qui pensais que tes intentions à mon égard étaient nobles et que tu voulais réellement m'aider à me réconcilier avec Eliad ! Tu t'es bien foutu de moi ! Quel idiot, je fais !


Oui, je l'ai berné. Oui, je me suis servi de lui pour démasquer publiquement la bonniche. Et alors ? En quoi c'est mal ?

"Je suis une femme amoureuse" et tel dans la chanson de Mireille Mathieu, je suis prête à tout pour défendre mon territoire !


- Détrompe-toi, Edric ! mentis-je. C'était bien mon intention première. Mais je n'allais quand même pas laisser Eliad me ridiculiser devant cette femme aux moeurs légères, sans réagir ! Et toi la bonniche, pourquoi me regardes-tu ainsi ? Je ne fais que dire la vérité, moi ! achèvé-je en souriant grandement en direction d'elle et d'Edric.


- Est-ce que l'un d'entre vous va enfin me dire ce qui se passe ? tonne Eliad.


Silence.


Les yeux d'Eliad se posent sur moi.

- Oh NON ! Ne compte surtout pas sur moi. Tu m'as assez traitée de menteuse. Ça me suffit ! Demande plutôt à ta protégée. Même si rien qu'à voir comment elle tremble, je doute qu'elle puisse parler.



Eliad me délaisse et se tourne vers la poufiasse, qui semble toujours pétrifiée. Hahaha ! Mes yeux vont bien se régaler. Je jubile.



********


Nadia Page AKLE


- PAGE, toi et Edric, vous vous connaissez ?


J'entends monsieur Eliad, mais je n'arrive pas à lui répondre. Tout en moi n'est que peur. Une peur qui me trouble énormément.

- PAGE ! Tu le connais ?

- Oui ! finis-je par avouer.

- Comment ?

- Par... le… biais… d'une… amie.

- Carine, celle qui est morte ?

- Oui, murmuré-je.

Il fait face à Edric.

- Attends, Carine n'est-ce pas cette dévergondée que j'ai vue chez toi une nuit et qui a osé me proposer ses services ?

- Écoute, Eliad…

- Epargne-moi tout ça, Edric ! Je veux juste que tu me répondes par OUI ou par NON. Alors, est-ce la même Carine ?

- Oui.

Il fait volte-face vers moi.

- Alors, toi aussi tu es une pute ?


L'entendre m'appeler ainsi me répugne.

- Avant, mais plus maintenant ! réponds-je en fuyant son regard.


Je l'entends inspirer et expirer bruyamment.

- Tu t'es bien moqué de moi, Page !


Je secoue vivement la tête.

- Non, monsieur Eliad. Je pensais tout vous dire, mais je n'en ai pas eu le courage ! Mais je vous assure que je n'aurais jamais laissé les choses aller plus loin entre nous sans…


Ma phrase reste sans suite, car il m'interrompt.

- Est-ce qu'Edric est ton client ?


Sa question est vraiment blessante, d'autant plus qu'il parle au présent.

- Non. Il n'y a jamais rien eu entre lui et moi. Ni avant, ni maintenant. Vous pouvez me croire, monsieur !

- La parole d'une prostituée n'a aucune valeur ! clame miss Maëlly.


Elle pointe ensuite son doigt vers Edric puis moi pour ajouter :

- D'ailleurs, lors du dîner d'anniversaire, n'étiez-vous pas ensemble près des toilettes ? Vous êtes étonnés que je le sache ! Eh bien, je vous ai vus et entendus. Edric te menaçait de dire à Eliad que tu es une catin... Et le pire, Eliad, c'est qu'il la pelotait pendant que ta fille était juste à côté !


 Je ne suis pas en position de me défendre contre cette mauvaise femme. Alors, je ne dis mot. Mais je m'en veux de lui avoir donné l'opportunité de m'humilier ainsi.


Edric, quant à lui, est moins patient que moi. Il fonce droit sur miss Maëlly, qui se réfugie derrière Eliad.

- Tu ne touches pas à Maëlly ! C'est la seule personne digne de confiance ici... Donc, c'est à cause de PAGE que tu t'en es pris à moi ce jour-là !

- Non ! J'étais surtout contrarié par l'attitude de mon père et cette manie qu'il a de toujours te préférer à moi. C'est vrai que ce soir-là, j'étais un peu jaloux de voir Nadia près de toi. Mais c'est simplement parce qu'elle m'a toujours rejeté. C'est vrai que je l'ai suivi près des toilettes, mais contrairement à ce que Maëlly raconte, il ne s'est rien passé entre nous, je te l'assure. De toutes façons, c'est parce que j'ai trop bu que …


Un coup de poing subit atterrit dans le visage d'Edric, qui se retrouve au sol.

Monsieur Eliad pointe un index accusateur d'abord vers Edric puis moi.

- Je ne te crois pas, sale menteur ! Et c'est pareil pour toi, PAGE. Quand je pense que je t'ai laissée vivre dans ma maison, que je t'ai laissée approcher ma fille, que je t'ai traitée comme une dame, que je pensais qu'il pouvait y avoir quelque chose de sérieux entre nous, que je t'ai embrassée et que j'ai même failli coucher avec une pourriture comme toi !


Ses mots durs me font mal.


- Heureusement que tu m'en as empêché. Et pour cela, je te remercie. Parce que si les choses s'étaient passées autrement, je m'en serai voulu toute ma vie. Car il n'y a rien de plus vil, de plus sale, de plus ignoble à mes yeux qu'une prostituée ! Comment peut-on tenir sur deux pieds, disposer de deux mains, avoir un cerveau pour réfléchir et pourtant préférer vendre ce qu'il y a de plus sacré pour une femme ! Comment ?

- Tu n'as pas à être si désagréable avec elle, Eliad ! Elle n'a commis aucun crime ! rétorque Edric qui vient de se relever.

- Il n'y a qu'un paresseux, un irresponsable, un raté, un pervers, un sale type comme toi pour défendre une dévergondée pareille !

- Oui, je fréquente les putes. Et alors ? Ce ne sont pas des femmes comme toutes les autres ?

- Non. Une femme, une vraie ne court pas les trottoirs. Une femme, une vraie reste décente. Elle ne couche pas avec des tas d'hommes. Elle ne vend pas son corps ! De toutes façons, il n'y a pas de débat à faire là-dessus.


Il finit sa phrase en me fixant méchamment.


- Rien ne me fera changer d'avis concernant les prostituées. Pour moi, elles resteront toujours des personnes à fuir comme la peste et à traiter sans pitié !


- Monsieur Eliad, je suis désolée.

Je lève les yeux vers lui, mais il détourne la tête.


C'est vrai qu'il est cruel envers moi, qu'il me traite comme une ordure. Mais je sais que derrière cette colère, se cache une souffrance.

Je m'en veux de ne lui avoir rien dit à temps. Je m'en veux de troubler cette quiétude qu'il a difficilement acquise.


J'ai envie de le serrer très fortement dans mes bras pour lui répéter encore et encore que je suis désolée, mais je ne m'y hasarde pas.


- Jeanne ! Jeanne ! crie-t-il à répétition.

La gouvernante finit par s'amener en courant presque.

- Allez dans la chambre de Milena et mettez dans une valise tout ce qui appartient à la nounou. Elle quitte ma maison cette nuit-même !

- Monsieur Eliad, non ! supplié-je.

- Mais, monsieur, Nadia…

- Madame Jeanne, c'est un ordre ! Et on ne le discute pas. A moins que vous vouliez la suivre !

- Non, monsieur !

- Alors, dépêchez-vous !

- Monsieur Eliad, je…

- Tes pleurs et tes mots ne m'émeuvent pas, PAGE !

- Je ne veux pas laisser Milena.

- Ma fille n'a pas besoin de toi !

- Écoutez, monsieur Eliad. J'accepte de partir. Mais laissez-moi rester ici jusqu'à demain, pour que je puisse lui dire aurevoir ! En plus, il fait nuit et il pleut dehors.

- Ma fille, tu ne la verras, ni ne la toucheras plus jamais. Je te veux le plus loin possible d'elle. Je n'ai pas envie que tu finisses par souiller son innocence. Et puis, pourquoi te plains-tu de la nuit et de la pluie ? Est-ce que ces deux facteurs ont jamais affecté ton sale boulot ?

- Arrête, Eliad ! Cesse de la traiter ainsi ! C'est inhumain de vouloir la jeter hors de chez toi à une heure pareille !

- Ah bon ! Tu devrais plutôt t'en réjouir, mon cher frère ! Parce que maintenant, tu as l'opportunité de secourir ta protégée et de la ramener chez toi ! Vous allez si bien ensemble !

- Je ne te reconnais plus, Eliad !

- C'est plutôt toi Edric que je n'ai jamais bien connu. Mais aujourd'hui, je vois clair et je suis conscient du type de scélérat que tu as toujours été !

- Tu te trompes, Eliad. La vipère ici, c'est Maëlly !

- Moi ! s'exclame-t-elle.


Elle est là, assise dans le canapé du hall. Sur ses jambes, repose un magazine qu'elle feuillette. Quelle mauvaise femme celle-là ! Elle crée le chaos dans la vie des autres puis va s'asseoir toute peinarde pour lire une revue !


- Oui, toi Maëlly !

- Edric, tu laisses Maëlly tranquille ou sinon je t'enverrai direct à l'hôpital. Et ce n'est pas une blague !

- C'est sûr, Eliad, tu as perdu la raison ! Il vaut mieux que je me barre. J'espère vraiment que tu n'auras aucun regret plus tard !

- Allez, ouste, sale con !

La porte d'entrée s'ouvre puis se referme.

- Monsieur Eliad, reprends-je, je vous en supplie, laissez-moi…


Madame Jeanne vient de descendre, en tirant une valise derrière elle.

- C'est bon ?

- Oui, monsieur.

- Alors, remettez-lui sa valise.

 

La gouvernante se rapproche de moi.

- Je suis désolée, Nadia.

- Je sais. S'il vous plaît, dites à Milena que j'ai dû partir et que je l'aime très fort.

- Je le lui dirai.

- Merci.

- Qu'est-ce que vous vous murmurez encore ?

- Rien, monsieur ! répond la dame en s'éloignant aussitôt de moi.

- Allez me chercher mon chéquier et un stylo !



* *

 *


- Tiens, PAGE, c'est ton salaire du mois majoré d'un petit extra pour toutes les marques d'attention que tu as eues envers ma fille. Parce que tout le monde sait qu'une prostituée ne fait rien gratuitement.


Là, je suis outrée.

- En effet ! renchérit miss Maëlly.

J'inspire profondément pour ne pas lui sauter dessus. J'inspire profondément pour continuer à garder mon calme.

En revanche, je ne peux m'empêcher de donner une réplique à monsieur Eliad en le fixant droit dans les yeux.



- Je puis comprendre que vous soyez fâché contre moi. Je puis comprendre que c'est parce que vous avez de l'adversion pour les prostituées que vous me traitez ainsi. Mais je ne peux comprendre qu'aujourd'hui vous doutiez de cette affection sincère que j'ai toujours eue pour votre fille. Parce que s'il y a quelque chose de vrai, c'est que j'aime Milena comme vous ne pouvez pas l'imaginer. C'est avec le coeur vraiment peiné que je m'en vais sans pouvoir lui dire aurevoir. Et si je ne mérite plus une once de respect de votre part, si je ne mérite pas que vous me pardonniez de m'être tue, si je ne mérite plus toute l'attention que vous aviez pour moi, si je ne mérite plus d'approcher votre fille, alors ce pendentif ne mérite plus d'être à mon cou.


Je porte mes mains à mon cou et enlève le pendentif. Miss Maëlly dépose la revue pour mieux nous observer.


- Il n'a plus aucune valeur pour moi, de toutes façons !

Il me parle en évitant de me regarder.

- Pour moi encore moins, répliqué-je en jettant le bijou au sol.

- Très bien. Tiens ! enchaîne-t-il en me tendant le chèque.

- Je n'en veux pas !

- Prends-le ! ordonne-t-il en me forçant la main.


Le chèque se retrouve dans ma main. Je le déchire en plusieurs morceaux, tout en gardant mes yeux sur monsieur Eliad.

- Tu n'es qu'une idiote, PAGE ! Une idiote !


Je ne dis mot. Je lui tourne le dos et regarde une dernière fois en direction de Miss Maëlly, qui me fait aurevoir de la main en souriant largement. Je ne sais comment j'arrive à me contenir devant cette vipère, prête à briser les autres pour l'amour d'un homme. On me traite de saleté, de femme sans morale... Mais en réalité, entre miss Maëlly et moi, qui est plus à blâmer ?


Je tire la valise en direction de la porte déjà ouverte. Monsieur Eliad m'attend là. Je lève une fois encore les yeux dans sa direction, mais il détourne la tête. A présent que cet homme s'est infiltré dans mon cœur, comment réussirai-je à l'en faire sortir ? Comment ?


- Tata Nadia !

- Milena ! m'exclamé-je en regardant derrière moi.

J'essaie de faire un pas en arrière, mais mon bras reste retenu par son père.

- N'essaie même pas, PAGE ! Milena, tu restes là-bas !

- Vous me faites mal !

- Et je te ferai davantage mal si tu t'obstines !


Je ne l'écoute pas. Je force encore et encore et parviens à libérer mon bras pour atteindre Milena.

- Tu t'en vas ?

- Oui.

- Pourquoi ?

- Cela importe peu, ma chérie.

- Je ne veux pas que tu partes. Je veux que tu restes avec moi, tu entends ?


Je souffre tellement de la voir si triste. Je ne sais pas trop quoi lui répondre, alors je lui dis juste :


- Je t'aime énormément, Milena, n'en doute jamais !

- Ça suffit ! ordonne monsieur Eliad.


Il saisit mon bras fortement et m'oblige à me séparer de Milena.

- Laisse-la, Papa !

Il n'écoute même pas sa fille. Mon bras reste emprisonné par sa main qui se resserre davantage autour de mon poignet.

- Vous me faites mal, monsieur Eliad !

- Je t'avais prévenue ! Madame Jeanne, faites monter Milena dans sa chambre !


Je regarde, impuissante, la petite se débattre puis disparaître en haut. Mon âme est profondément meurtrie.

- Vous venez une fois encore de lui causer du chagrin ! Vous…

- Dehors ! hurle-t-il en me poussant à l'extérieur, avec la valise.

Je tombe sur le sol et le fixe une dernière fois. Son expression faciale traduit tout le dégoût qu'il ressent pour moi : les sourcils froncés ;  le nez plissé ; lèvre supérieure relevée, laissant apparaître ses dents supérieures.


Je ne peux m'empêcher de laisser mes larmes couler à nouveau.

Et tout en pleurant, je revois le visage attristé de Milena et entends ses pleurs qui résonnent encore et encore dans mes oreilles. J'imagine combien mal elle doit se sentir actuellement et j'en souffre terriblement. D'autant plus que j'ai contribué à sa peine…


Mon cœur est doublement brisé. Je viens, à l'instant, de perdre deux êtres auxquels je tenais tant. Si seulement…


Il fait nuit, il fait froid et surtout il continue de pleuvoir. Je troque mes talons contre des sandalettes et rentre sous la pluie.


- "Nadia, viens rester dans ma guérite jusqu'à demain ! Monsieur n'en saura rien." me dit le gardien, apparemment déjà au courant de ma situation. En plus, il pleut fort et ce n'est pas prudent pour une jeune femme de se promener seule à une heure si tardive !


Je remercie cet homme charitable, mais je ne veux pas qu'il ait des problèmes à cause de moi. Alors je décline son invitation et m'engage dans la rue. Il insiste encore et encore, mais je n'accepte pas.


Quelle heure fait-il ? Je n'en sais rien. Et je ne cherche pas à le savoir. Où vais-je ? Je n'en ai aucune idée. Peut-être que je louerai une chambre pour la nuit. Je vérifie combien d'argent j'ai sur moi. Pas grand chose. Je dispose d'une carte bancaire, mais je ne connais aucun guichet automatique bancaire à proximité.


J'erre dans la rue, en marchant dans l'eau qui atteint progressivement mes mollets. Ma valise atterrit sur ma tête. Je prends une pause par moments, puis reprends mon chemin.


J'ai peur, je l'avoue, peur de cette nuit silencieuse qui cache plein de choses sombres. Tu étais pourtant une habituée de la nuit, dirait-on ! Oui, mais tout ça c'était avant.


Tandis que j'avance, je remarque des jeunes assis sous un hangar. Ils semblent en train de boire et de fumer des cigarettes. J'inspire profondément pour ne pas paniquer. Je n'entends pas distinctement ce qu'ils disent, mais je les vois me faire signe de venir vers eux.


Je continue mon chemin, en espérant qu'ils ne me suivent pas. Heureusement non.


Je finis par prendre une longue pause sous une paillotte. Je commence à sentir le froid dans mon corps, mais je n'ai aucune envie d'ouvrir ma valise. Alors je résiste.



********

Edric MARIANO


Je déambule dans mon salon. Mon esprit reste préoccupé. Je remets ma veste, reprends mon parapluie puis repars chez Eliad.


Je suis venu bien tard. Le gardien vient de m'apprendre que Nadia est partie. Oh mince !


Je sillonne la rue à sa recherche. Elle ne doit pas être partie bien loin, à pied et sous cette pluie battante...


Je finis par l'apercevoir assise sous une paillotte. Je m'empare de mon parapluie et risque mes pieds dans cette mare d'eau.


- Nadia !

Elle tremblotte. J'enlève ma veste et la mets par-dessus ses épaules. Elle ne s'y oppose pas.

- Viens avec moi, Nadia.

- Non !

- Il fait froid.

- Pas vraiment.

- Pourtant tu trembles !

Pour toute réponse, elle tourne la tête.

- En outre, le coin n'est pas sûr. Tu pourrais te faire agresser.

- Qu'est ce que cela y changera ?

- Ne dis pas ça. Allez, quittons cet endroit.

J'essaie de toucher son bras, mais elle m'arrête.

- Je ne vais nulle part avec toi !

- Nadia, je sais qu'auparavant, je me suis mal comporté avec toi, mais je ne suis pas une mauvaise personne. Donne-moi une chance de te le prouver.

- Je me sens bien ici. Bientôt le jour se lèvera et je pourrai trouver un endroit plus décent.

- Je t'en supplie, laisse ta fierté de côté et viens avec moi. Je me sentirai très mal si je devais repartir en te laissant là toute seule. Viens !


Ma main reste tendue près d'une minute avant qu'elle finisse par l'attraper. Je l'aide à se lever puis la couvre avec mon parapluie. Elle me fixe un instant puis baisse les yeux.

Je n'échappe pas à la pluie, mais ce n'est pas grave. Nadia est protégée et c'est l'essentiel.


J'ouvre la portière, attends qu'elle s'assoit à l'intérieur avant de la refermer, puis cours chercher sa valise...


- Ta ceinture ! lui rappelé-je.

Elle ne semble pas m'entendre. Je me penche vers elle pour tirer la sangle de la ceinture de sécurité quand elle sursaute.

- Calme-toi, Nadia, je voulais juste te mettre ça !

En parlant, j'indique la ceinture.

- Je peux la faire moi-même !

- D'accord. Il y a-t-il un endroit où tu voudrais que je te conduise ?

- Pas vraiment... Peut-être une auberge ou une chambre d'hôtel où je pourrai passer la nuit.

- Pourquoi ne viendrais-tu pas chez moi ?

- Chez toi ? Tu es sérieux ?

- Oui, je vis dans un grand appartement où je dispose d'une chambre d'amie.

- Arrête-toi !

- Nadia !

- Je veux descendre tout de suite !


Elle tente de forcer la portière mais je l'en empêche.

- Calme-toi. Je te conduirai dans un hôtel pas loin d'ici.


Elle hésite un peu puis finit par accepter. Quelle tigresse celle-là ! (Soupir)


Quelques minutes plus tard. Dans la chambre d'hôtel.

Un silence lourd pèse entre nous. Je tente de le briser.


- Je suis vraiment désolé que les choses se soient passés ainsi. Si je ne t'avais pas approchée au dîner, Maëlly n'aurait rien su. Et Eliad encore moins.

- Il ne sert à rien de vouloir trouver un coupable. Nous avons tous une part de responsabilité dans ce qui s'est passé ce soir.

- Oui, mais Maëlly est la plus grande fautive. Et elle ne perd rien pour attendre. Je lui rendrai la monnaie de sa pièce au moment où elle s'y attendra le moins !

- Il ne sert à rien de vouloir se venger !


Je suis étonnée de l'entendre parler ainsi.

- Tu le penses vraiment ? Après la manière abjecte avec laquelle elle s'est débarrassée de toi ? D'ailleurs, je ne comprends toujours pas pourquoi tu n'as pas insulté copieusement cette chipie !

- Pour quoi faire ? Ce soir, nous étions comme assis autour d'une table de poker. Et miss Maëlly avait une quinte flush royale.

- La main imbattable au poker.

- Exact ! Le jeu était donc perdu d'avance pour moi ! Mais s'il y a une chose dont je suis sûre, c'est que tôt ou tard, la vie donnera une belle leçon à cette femme !


Je ne donne aucune réplique à ses paroles pleines de sens. Elle soupire puis se lève pour fouiller sa valise. Je l'observe. D'autres femmes à sa place se seraient effondrées complètement ou seraient encore en train de pleurer, de se lamenter, de crier vengeance, mais pas Nadia. On sent qu'elle a mal, mais elle ne le laisse pas transparaître. Quelle femme forte !


- J'espère que l'eau n'a pas mouillé tes vêtements !

- Pas vraiment, à part un ou deux habits.

- Heureusement donc !

- Oui, murmure-t-elle en revenant vers moi.

- Tiens, voilà ta veste !

- Tu peux la garder si tu veux !

- Non, je n'en ai plus besoin. Tout à l'heure, j'enlèverai cette robe pour un vêtement plus sec.

- Tu peux aussi prendre une douche chaude. La salle de bain en dispose.

- D'accord... Eh bien, ne le prends pas mal, mais j'aurai besoin d'être seule pour me changer et prendre ma douche.

- Bien sûr. C'est tout à fait, normal ! admets-je en me levant malgré moi du fauteuil. N'hésite surtout pas à m'appeler si tu as besoin de moi. Et ce quelle que soit l'heure. D'accord ?

Elle hoche juste la tête.

- A demain Nadia, conclus-je en me levant.

Elle me répond par un oui timide et va ouvrir la porte. Je quitte la chambre et la porte se referme aussitôt.


 

***********"


Le lendemain


Nadia Page AKLE


J'ai à peine touché au petit-déjeuner qu'on m'a servi. J'ai comme un noeud à l'estomac, qui m'empêche de manger convenablement.


Je quitte la pièce puis vais à la réception.

- Bonjour, madame ! commence la jeune femme derrière le comptoir, en me souriant largement.


L'entendre m'appeler "madame" me fait bizarre, surtout après tous les mots âpres d'Eliad à mon endroit.

Je lui renvoie sa salutation en m'efforçant de sourire.

- Que désirez-vous ?

- Je souhaite connaître le coût de la chambre.

- Monsieur MARIANO a déjà tout pris en charge.

- Je sais. Cependant, je veux le savoir.

- Un instant, madame.

- D'accord.


Elle me tend un feuillet où sont marqués tous leurs tarifs. Le nombre à cinq chiffres que je lis pour une nuitée me fait écarquiller les yeux.

- Vous voulez autre chose, madame ?

- Oui. Il y a-t-il un guichet automatique bancaire pas loin d'ici ?

- Oui, à l'intérieur de l'hôtel.


Elle me donne plus de détails. Je la remercie, fais un tour au guichet puis remonte dans ma chambre pour en ressortir un quart d'heure plus tard. Un employé de l'hôtel tire ma valise derrière moi. Vers la même jeune femme, je reviens.


- Vous partez ?

- Oui.

- Nous espérons que, bien que court, vous avez fait un bon séjour parmi nous et que nous vous reverrons bientôt !


C'est certain, cette jeune femme me transmet une énergie positive. D'aucuns diraient qu'elle fait juste son travail, mais pour moi, ça va au-delà des exigences du travail. Elle adore ce qu'elle fait. Et je sais reconnaître un sourire naturel. Et le sien l'est absolument.


- Oui ! finis-je par acquiescer en lui souriant réellement cette fois-ci. Je laisse cette enveloppe ici pour monsieur MARIANO. Vous voudrez bien la lui remettre quand il viendra.

- Bien, madame.

- Aurevoir.


Elle me répond cordialement, puis s'adresse à l'autre client qui vient de s'approcher. Je regarde une fois encore la jeune femme, en m'imaginant à sa place. Je l'avoue, ce qu'elle fait me plaît. Il me faudra trouver une nouvelle occupation très bientôt et je cogiterai peut-être dans ce sens.

Mais pour l'instant, je n'ai pas la tête à travailler. L'urgence pour moi, c'est de trouver où loger quelques jours en attendant de louer un nouvel appartement.



************

Edric MARIANO


J'appuie mon doigt contre la sonnerie de la chambre d'hôtel. Rien. Je cogne. Rien. Je fais plusieurs tentatives. Sans succès.


Je dispose d'une carte magnétique, mais je ne peux me permettre de l'utiliser pendant que Nadia se trouve à l'intérieur de la chambre. Alors, je descends à la réception.

J'attends mon tour pour m'approcher de l'une des réceptionnistes...


- Partie ! m'exclamé-je.

- Oui, monsieur MARIANO. Il y a deux heures environ.


Je n'arrive pas à y croire. Elle n'a même pas été fichue de m'informer. Quelle ingrate celle-là ! Je suis sur le point de m'en aller quand j'entends.


- Attendez ! Elle a laissé cette enveloppe pour vous.


Avec empressement, je l'ouvre. Il y a à l'intérieur des billets de 10.000 francs CFA et une note à mon intention :

" Bonjour Edric, j'ai préféré m'en aller car c'est à moi seule de trouver ma voie. Je m'excuse de l'avoir fait sans te prévenir. Une fois encore, merci pour ton aide, c'est gentil. Hier, je me suis rendue compte que je m'étais trompée à ton sujet. Tu es quelqu'un de bien au fond. Cependant, je ne veux rien te devoir. Nadia."


Quelle femme fière, celle-là ! commenté-je en souriant. Elle est sûrement dans le besoin et pourtant elle a tenu à me rembourser le coût de la chambre d'hôtel. J'espère vraiment qu'elle s'en sortira toute seule. Je regarde une fois encore les billets en me demandant ce que je pourrai bien en faire.







 

ÂMES SOLITAIRES