Chapitre 22 : Face à la vérité

Ecrit par Auby88

David N'KOUE

Je suis dans mon bureau. Plutôt que d'allumer la clim, j'ouvre les fenêtres et laisse l'air entrer. Sur mon grand tableau d'affichage, j'ajoute deux nouveaux autocollants : des personnages mangas. Je parie que mes petits patients, surtout les garçons, vont adorer. D'un des tiroirs encastrés dans mon bureau, je sors des dessins, des cartes que j'ai reçus de mes petits patients. J'en choisis quatre au hasard, que je vais épingler.

J'adore vraiment le métier que j'ai choisi. Etre entouré d'enfants à longueur journée. Je souris rien qu'en pensant à la diversité d'enfants que je reçois en consultation : des futés, des timides, des récalcitrants, des gentils…

Parfois on me donne des bisous, parfois on me mord, on me crie dessus, on me fuit…

Pourtant, chaque matin, je suis prêt à revenir, prêt à remettre ma blouse et venir à la Clinique. Eh oui, j'adore les enfants.

D'aucuns me demandent pourquoi je ne suis pas encore papa. Je n'y ai pas de réponse concrète. C'est peut-être ma proximité avec une multitude d'enfants qui a en quelque sorte inhibé en moi tout désir d'être papa. De toute façon, pour devenir papa, il faut trouver une maman. Hors je n'ai que des relations sans lendemain, où on n'investit que du sexe, où on ne fait aucun projet. Et je ne suis pas prêt d'arrêter mon libertinage. Je sais que ce n'est pas une vie saine que je mène, que je prends de l'âge, mais je n'y peux rien. Il faut du coeur pour rendre une relation amoureuse durable. Hors, le mien s'entête à ne battre que pour une seule femme, qui ne s'intéresse même pas à moi en tant qu'homme.

J'inspire et je respire à plusieurs reprises tout en murmurant incessamment : "Je me dois de ne plus t'aimer autant, Mélanie !".


À midi, je déjeune avec elle. Bien sûr, dans l'un des restaurants huppés où elle aime aller. J'ai fini par m'y habituer, même si la facture un peu salée me revient entièrement à chaque fois. Sacrée Mélanie ! Je me dois de me montrer gentleman continuellement avec elle, de peur qu'elle finisse par me traiter d'avare, ce que je ne suis pas.

J'appréhende déjà de la voir. J'espère qu'elle ne s'amènera pas une fois de plus avec ses tenues provocantes. Parce que j'ai bien peur de finir par craquer un jour, par dire ou faire une grosse bêtise.


Quelqu'un cogne contre ma porte. Je me ressaisis. Ce doit être ma secrétaire.

- Entrez.

- Docteur, je voulais savoir si la première patiente peut entrer.

- Bien sûr.

Elle s'éclipse, laissant passer l'une de mes patientes préférées ainsi que sa mère.

- Sibelle !

- Bonjour Docteur ! fait-elle en se jetant à mon cou.

- Docteur David, Bonjour !

- Bonjour madame da SILVA. Asseyez-vous.

Elle s'exécute. Sibelle prend siège près de sa mère.

- Je vois que tu reprends des forces !

- Oui, maman y veille, même si je pense qu'elle en fait trop docteur : Sibelle va dormir, Sibelle attention, Sibelle ne fais pas ceci, pas cela. Moi je suis fatiguée à la fin.

Madame da SILVA et moi éclatons de rire.

- Sache que c'est pour ton bien, Sibelle. Tu dois plutôt être reconnaissante d'avoir une aussi gentille et attentionnée maman. Est-ce que tu lui as déjà dit merci pour tous les soins qu'elle t'apporte ?

- Euh..

- Alors, voilà. Plutôt que de rechigner, tu devrais lui dire merci, maman.

- Merci, maman !

- Merci, ma chérie, dit la mère en lui déposant un bisou sur le front.

- Eh bien, Sibelle, j'ai vu les résultats de tes récentes analyses et les valeurs sont normales. Il n'y a plus de quoi s'inquiéter. Tu vas très bien. Mais ménage-toi autant que possible.

- D'accord Docteur.

- Je suis vraiment soulagée, docteur, ajoute la mère.

- Je vois. A présent, il faut que j'ausculte ma patiente.

Avec grand entrain, je quitte mon fauteuil.


Judith da SILVA

Pendant que le docteur David ausculte ma fille, je laisse mon esprit s'envoler. J'aurais préféré trouver un autre docteur pour elle. Ce n'est pas qu'il n'est pas compétent, mais le fait qu'il connaisse Margareth ne me rassure pas. D'autant plus qu'il sait que nous avons adopté Sibelle. Je sais qu'il est soumis à la confidentialité dans l'exercice de sa profession, mais on ne sait jamais. J'aimerais bien lui rappeler de ne rien dire à qui que ce soit, mais j'ai bien peur que cela attire sa curiosité.

- Tout va bien, ma petite Sibelle.

- Je suis soulagée, docteur.

- Votre fille a toujours été très forte. Je ne vous retiendrai pas davantage.

Il se lève pour nous raccompagner dehors. Sibelle s'empresse de sortir en premier.

La consultation est certes finie, il y a des patients dehors qui attendent, mais je me dois quand même d'en savoir un peu plus sur le lien qui unit le docteur et Margareth. Cela trotte dans mon esprit depuis, mais je n'ai jamais osé lui demander à chaque contrôle. Celui-ci étant le dernier, je me dois d'agir.

- Sans paraître indiscrète, docteur, il m'a semblé que vous connaissez maître Margareth ?

- En effet, Méla… Margareth est une amie de longue date. Nous nous sommes perdus de vue il y a longtemps, mais grâce à Sibelle, nous nous sommes à nouveau réunis.

- Je vois. Je suis bien content pour vous. Bonne journée, docteur.

- Pareille à vous, madame da SILVA.

Il me tend une main que je serre. Puis il rentre à l'intérieur de son bureau, avec le prochain patient. J'attrape la main de ma fille et nous marchons, l'une de près de l'autre en souriant.


Quelques heures plus tard.

Margareth IDOSSOU

Cela fait un quart d'heure déjà que j'attends impatiemment l'arrivée de David. Quinze minutes qui me semblent interminables vu la "colle" qui se trouve en face de moi. Jeune homme, très beau, élégant, visiblement plein aux as, sans alliance au doigt, gentleman avéré fort en drague, tellement il a le verbe pour séduire. Pour la majorité des femmes, ce serait l'homme idéal. Mais pour moi, il est d'un ennui mortel.

A ma table, il s'est assis malgré que je lui ai dit que j'attendais quelqu'un. Depuis, il s'efforce à me parler alors que je réponds à peine avec un ton empreint de colère et de dédain. Pourtant, il n'en démord pas. Ce mec est vraiment tenace. J'ai envie de changer de table. Je regarde autour de moi : aucune table n'est libre.

"Vivement, que David s'amène ! " me dis-je au fond de moi...


Enfin, mon sauveur est là. Je le vois venir vers nous. Je me lève pour l'accueillir.

- Mon amour ! Enfin, tu as pu te libérer.

David semble perdu. Je le regarde en clignant des yeux. Il ne comprend toujours pas. Nous nous asseyons. Heureusement, l'homme se lève et s'en va sans dire mot.

- Tu viens de m'appeler mon amour ? demande-t-il encore intrigué.

- Ce n'était qu'une farce !

- Explique-moi, je n'y comprends rien. Cet homme, c'était qui ?

Je lui raconte tout.

- Je vois, Mélanie. Mais la prochaine fois, trouve une autre idée plutôt que de me faire passer pour ce que je ne suis pas. Cela ne me plaît pas.

- Je m'excuse, dis-je en mettant mes mains sur les siennes. Je te promets de ne plus le refaire.

- C'est bon ! Qu'est-ce qu'on mange ?

- Je n'ai encore rien décidé. Voici le menu, dis-je en lui tendant la carte.


Nous restons là encore un quart d'heure à choisir. C'est ainsi à chaque fois. Mais au final, c'est toujours mon choix qui finit par l'emporter.


Dans l'après-midi.

Margareth IDOSSOU

Me revoilà seule entre les quatre murs de mon bureau. David, quant à lui, doit être dans son monde "enfantin".

Vers Maéva, mes pensées s'envolent. Je triture la médaille de Notre dame des Victoires que j'ai au cou. Cela fait une semaine que je la porte. D'habitude, je ne crois pas aux miracles, mais à présent il n'y a qu'un miracle qui puisse me conduire à ma fille. Ce doit déjà faire plus d'un mois que je suis revenue de Natitingou. Et pourtant, je n'ai reçu aucun appel de soeur Jeannette. Mon espoir s'étiole peu à peu.

Je suis tellement absorbée par mes pensées que je n'entends pas vite le vibreur de mon téléphone. Je finis par m'en rendre compte. Un numéro inconnu. Ce pourrait bien​ être elle. Je compose le numéro. Grande est ma joie quand j'entends sa voix. Je suis tellement excitée que j'en oublie les bonnes manières.

- Soeur Jeannette, vous avez quelque chose pour moi ?

- Oui. En principe, nous n'avons pas le droit de révéler l'identité des parents qui adoptent. Mais je ne peux vous laisser souffrir autant. Tout à l'heure, en écoutant la radio…


Ces mots me semblent interminables. Je me fiche de tous ces détails. Je veux juste connaître le nom de ceux qui ont adopté ma fille. Je garde cependant mon calme.

- Vous m'écoutez, demande-t-elle.

- Oui, ma soeur.

- Eh bien, j'ai entendu parler d'un musée connu sis à Porto-Novo et qui porte le même nom que les parents …

- da SILVA ! m'écrie-je.

- C'est exactement cela. Ils …

Je n'en reviens pas. Mon interlocutrice continue de parler, mais je ne l'entends plus.

- Vous êtes toujours là ?

- Oui, finis-je par dire. Mer-ci beau-coup, dis-je en bégayant.

Dès qu'elle raccroche, je me laisse choir sur le sol et fonds en larmes. Des larmes de joie, des larmes de remords, des larmes de culpabilité, des larmes…

Je n'en ai pas totalement la certitude, mais Sibelle da SILVA est ma Maéva. J'ai passé mon temps à chercher ma fille, alors qu'elle était là tout près de moi. J'ai serré Sibelle tout contre moi. Je lui ai parlé. Nous nous sommes amusés. Tant de fois. Tant de fois où j'ai partagé des moments de bonheur avec elle.  


Pourquoi ne l'ai-je pas senti ? Pourquoi mon coeur de mère ne me l'a pas crié ? Pourquoi, pourquoi ? fais-je en me tapant la tête. Même ce salaud de Charles a ressenti quelque chose en la voyant.

Et pourquoi pas moi ?

C'est sans doute parce que j'étais trop occupée. Parce que j'étais trop méfiante. Parce que longtemps, je me suis murée. Pour ne plus aimer. Pour ne plus souffrir. Moi. L’avocate redoutée. La femme impassible.


Je reste là un moment, puis je vais me rafraîchir le visage. J'inspire à plusieurs reprises, tout en regardant dans le miroir, la femme que je suis devenue.

La fête d'anniversaire me revient à l'esprit. Je me souviens de l'âge et la date de naissance de Sibelle, mais je rappelle aussi les mots d'Arnaud. Un doute s'installe dans mon esprit. Et si je me trompais ? Si elle était vraiment leur fille. Il doit y avoir des centaines de da SILVA au Bénin.


Soudainement, une idée me traverse l'esprit.

- David ! Il doit sûrement savoir si elle a été adoptée ou pas. Je dois en avoir le coeur net.


En trombe, je quitte mon bureau. A ma secrétaire, je demande d'annuler tous mes rendez-vous. Je conduis comme une folle et manque de cogner un enfant qui traversait la route sans faire attention. Ouf ! Me voici enfin à la Clinique.


- Mademoiselle, je voudrais voir le docteur David.

- Il est avec un patient actuellement. Veuillez patienter.

- C'est urgent ! dis-je en accentuant mes mots.

- Patientez.

Méchamment, je regarde la secrétaire puis je passe devant les patients et me précipite, sans frapper, à l'intérieur du bureau de David.


- Mélanie ! Qu'est-ce que tu fais ici ?

- Il faut qu'on parle.

- Je suis occupé actuellement, patiente un peu dehors.

- Ce que j'ai à dire est très urgent, je ne peux pas attendre.

- Calme-toi. Attends-moi dehors.

Il ne semble pas comprendre que je suis hors de moi.

- Madame, le docteur sera à vous dans deux minutes. Excusez-le, dis-je en tirant David de son fauteuil.

Il me suit malgré lui, dans un coin de son grand bureau.

- Qu'est-ce que tu me veux ?

- Est-ce que Sibelle a été adoptée ?

- Je ne peux pas te répondre. J'ai l'obligation de ne rien révéler sur la vie de mes patients. D'ailleurs, pourquoi cela t'intéresse ?

- David ! Hurle-je. Est-ce que Sibelle a été adoptée ?

- Je ne peux …

Je le fixe longuement. Il fuit mon regard.

- J'en étais sûre. Tu n'as jamais su mentir​.

- Mélanie !

- Sibelle est ma fille et je vais de ce pas la chercher !

- Mélanie, Mélanie, crie-t-il depuis le seuil de son bureau.

Je ne regarde pas derrière. Je m'en vais de la clinique, telle une bombe à retardement prête à exploser à tout moment.




DESTINS DE FEMMES