Chapitre 21 : Si près du but
Ecrit par Auby88
Margareth IDOSSOU
Natitingou, la charmante région au relief majoritairement montagneux. On y découvre entre autres les tata somba (sorte de petits fortins construits en matériaux locaux), les chutes de Kota voire le parc du Pendjari et plein d'objets d'art. Mais je n'ai vraiment pas l'esprit à visiter quoi que ce soit. J'ai juste hâte de rencontrer cette soeur Jeannette.
Nous descendons du bus. David a opté pour un look assez décontracté qui lui va bien. Un polo noir sur une culotte jean, avec sur les yeux des lunettes très classes. Je ne manque pas de le complimenter. Des yeux de femmes le contemplent avec envie. Je comprends maintenant pourquoi les jeunes infirmières n'ont d'yeux que pour lui.
Nous allons déposer nos affaires à l'hôtel de Totora où nous avons réservé deux chambres, mangeons au restaurant de l'hôtel puis prenons la route de la Communauté des Soeurs de la Charité. Il nous reste quelques heures avant la tombée de la nuit.
David a insisté pour que nous nous déplaçons à l'aide de taxi-motos, même si j'aurais préféré louer une voiture.
La maison des sœurs n'est pas trop loin de l'hôtel. Elle est en bas d'une descente. Mon cœur bat tandis que nous nous approchons du portail. Il est fermé. David appuie un doigt contre la sonnerie. Une nonne vient nous ouvrir. Je demande d'après soeur Jeannette.
- C'est moi ! Que désirez-vous ?
Je demeure muette, ne sachant plus quoi dire.
- Pouvons nous entrer ? demande David. Nous souhaitons nous entretenir avec vous sur un sujet assez délicat.
- Entrez donc. Nous serons mieux sous cette paillote.
Elle indique un apatam près du portail, où nous allons nous asseoir. Je reprends peu à peu mes esprits et lui raconte le pourquoi de ma visite. Elle n'a aucun mal à se souvenir de ma fille et de la note que j'avais laissée.
- Votre fille était magnifique. J'étais tombée sous son charme. J'ai même eu du mal à me séparer d'elle. Mais j'étais quand même rassurée de la laisser entre les bonnes mains de cette jeune femme et de son mari. En lui remettant la petite, je lui ai également remis votre note.
- Vraiment ! Alors, cette femme sait qui est la mère biologique de sa fille adoptive ?
- Oui.
J'inspire profondément.
- Vous vous rappelez du nom de ce couple ?
Elle réfléchit. J'espère qu'elle me donnera une réponse positive.
- Je suis désolée, mais je n'arrive pas à m'en souvenir. Pourtant je l'avais longtemps gardé en mémoire. C'est un nom connu en tout cas, mais je ne m'en souviens plus.
- Faites un effort, je vous en prie. J'ai besoin de savoir.
Au bord des larmes, je suis.
- Rien ne me vient à l'esprit pour le moment !
- Je vous en supplie, dis-je en prenant ses mains, les secouant.
- Mélanie, Calme-toi ! me murmure David.
Je ne l'écoute pas.
- Il faut que vous vous en souveniez, ma soeur. C'est capital pour moi. Je n'en peux plus de ne rien savoir sur ma fille.
- Je vous assure que je ne m'en rappelle pas. Donnez-moi du temps. Je vous recontacterai plus tard si je m'en souviens.
Là, je pète les plombs. Je lâche sa main et hausse le ton.
- Mais je n'ai pas le temps ! Je commence à croire que vous savez quelque chose, mais que vous ne voulez rien me dire. Vous me trouvez indigne comme mère, n'est-ce pas ?
- Mélanie ! intervient David. Cela suffit.
- Vous ferez mieux de vous calmer et d'arrêter de me crier dessus. Je n'ai rien contre vous. Si vous devez vous en prendre à quelqu'un, c'est à vous-même pour avoir abandonné votre bébé.
Elle se lève et s'en va. Je ne la retiens pas. Je baisse la tête. Elle a raison. Je suis la seule à blâmer dans tout cela. Pourquoi ai-je tendance à vouloir culpabiliser le monde entier pour mon erreur à moi ?
Je soupire profondément. Dans mon désarroi, j'ai oublié que j'étais avec David. Je lève la tête, mais il n'est pas là. Je panique. Heureusement, je le vois revenir vers moi.
- J'ai cru que tu étais parti.
- Non, Mélanie. J'essayais d'arranger la situation.
- Je pensais pouvoir rester forte en toute circonstance, mais j'ai cédé.
- Je sais.
- Je viens de griller la seule opportunité qui me restait. Je ne pourrai jamais revoir ma fille.
- Non, ne dis pas cela. J'ai suivi la religieuse, je me suis excusé. Elle n'est plus fâchée. Elle a promis de t'aider. Je lui ai laissé nos numéros. Il faut juste que tu sois patiente, Mélanie.
Une lueur d'espoir renaît en moi.
- Cesse tes pleurs, ajoute-t-il en nettoyant mes larmes du revers de ses mains.
- Je me demande ce que je ferai sans toi à mes cotés, David. Je ne saurai jamais comment te remercier, pour toute l'aide que tu m'apportes.
- Je n'attends qu'une seule chose de toi actuellement.
- Quoi ? demande-je.
- Que tu m'offres un beau sourire.
- Mais tu sais que …
- C'est tout ce que je veux en guise de remerciement.
- Je n'y arriverai pas, David.
- Essaie le plus naturellement possible. Visualise ce jour où tu as eu Maéva dans tes bras la toute première fois ou bien imagine le jour où tu l'auras à nouveau en face de toi.
Je ferme les yeux, laisse mon esprit s'envoler. Je me revois en train de sourire à mon bébé. Et là, sans faire le moindre effort, mes lèvres s'étirent en un large sourire.
Mieux encore, je me surprends à rire. Un rire empreint d'espoir et d'assurance. Je reverrai ma fille un jour. J'ouvre les yeux et rencontre le visage souriant de David.
- Merci Mélanie pour ce beau cadeau.
- Merci, mon ami, dis-je en lui souriant. A son cou, je me jette comme à mon habitude. Ses bras m'entourent...
Nous restons ainsi quelques secondes, puis nous nous décidons à partir. Nous finissons la soirée à papoter dans le grand hall de l'hôtel jusqu'à une heure bien tardive.
Le lendemain matin.
Nous sommes dans un marché où l'on trouve beaucoup d'objets d'art. David tient à ramener des colliers africains à sa mère. Je l'aide à bien choisir. Il me suggère d'en prendre aussi pour Sibelle, sa mère et moi, le tout entièrement à sa charge. Je ne me fais pas prier, face à une telle gentillesse. Je me permets même de prendre une robe en pagne teinté ainsi qu'une paire de sandalettes. J'offre également à David, à ses frais bien sûr, une chaîne homme avec pour pendentif l'Afrique. Son regard sur moi en dit long. Je souris en sa direction.
- Sache que c'est à cause de ton sourire que je te pardonne.
Je me moque de lui, puis viens lui déposer une bise furtive sur la joue. Des gens nous regardent. Je n'y fais pas attention. Je m'en moque. De toute façon, je ne fais rien de mal, je témoigne juste de l'affection à un ami.
Tous fatigués, nous retournons à l'hôtel, déjeunons puis prenons le bus pour le retour. Ce n'est que dans la nuit que nous atterrissons à Abomey-Calavi. Charles insiste pour me raccompagner chez moi et s'assurer que je suis bien rentrée. Il reste quelques minutes avec moi, puis je le raccompagne en bas. Il entre dans l'un de ces minibus qui pullulent dans la ville et qui sont moins chers. Moi je les trouve très dangereux vu le jeune âge des conducteurs et la vitesse dont ils font preuve au volant. David essaie de me rassurer tant bien que mal, en me promettant de m'appeler à son arrivée. Je le laisse partir, Ce n'est que quand il m'appelle pour m'informer qu'il est bien rentré que je me sens apaisée.
*****
Villa da SILVA
Judith da SILVA
A table, nous sommes Sibelle et moi. Mon téléphone sonne. Arnaud est en réunion à la banque. Je jette un coup d'oeil sur mon écran. Je soupire longuement.
Depuis hier, cette femme ne cesse d'appeler. Mais à chaque fois, je laisse sonner. Cela fait près d'un mois qu'elle est "sortie" de nos vies. Et j'avais recommencé à ne plus avoir peur. Mais je ne sais pour quelle raison, elle insiste autant pour me parler. Je crains le pire. Elle a peut-être tout découvert au sujet de Sibelle. Je mange très lentement, tellement mon esprit est tourmenté. Afi s'amène vers nous.
- Madame, vous avez de la visite. Une certaine Margareth.
Mon coeur fait un bond.
- Tata Margareth ! Je veux la voir, s'écrie Sibelle toute enthousiasmée.
- Merci Afi, Allons-y. Sibelle, toi, tu restes sagement là à manger. Je reviens tout de suite.
Elle rechigne, mais je n'y fais pas attention. Margareth se trouve sur la véranda. Dès qu'elle me voit, elle se lève.
- Bonjour Margareth ! Soyez la bienvenue.
- Bonjour Judith. Je m'excuse d'être venue à l'improviste. J'étais juste un peu inquiète. J'ai appelé tellement de fois.
- Je vois. Très souvent, je suis occupée et je n'ai pas le téléphone à portée de main. Raison pour laquelle, je ne remarque pas à temps les appels.
Je n'ose pas lui proposer à boire, de peur qu'elle veuille s'éterniser.
- Sibelle est là ?
- Oui, mais elle fait la sieste.
- Ah ! Dommage. Je passais juste lui dire bonjour et vous apporter ceci à toutes deux. J'étais récemment dans le nord du pays, et je n'ai pu m'empêcher de les prendre pour vous.
De son sac, elle sort un coffret contenant des bijoux africains.
- Merci Margareth. Ils sont très beaux. Vous n'aurez pas dû vous gêner. Dès que Sibelle se réveillera, je lui ferai votre commission.
- Je ne prendrai pas plus de votre temps. Je …
- Tata Margareth !!!
Je n'arrive pas à y croire. Sibelle m'a une fois de plus désobéi. Elle court se jeter dans les bras de Margareth qui l'accueille avec joie.
- Ma toute belle, tu m'as tellement manqué.
Je tremble de tout mon être tandis que mère et fille s'enlacent ainsi. Ce doit sûrement être ce qu'on appelle " le cri ou la force du sang ". Ces deux-là s'aiment beaucoup sans, a priori, connaître le lien qui les unit. Pendant un laps de temps, pour toutes deux, je n'existe même plus.
- Tu viens de sourire, tata Margareth. Et c'est très beau.
- Vraiment !
- Alors, je m'évertuerai à sourire tout le temps, princesse ! A présent, je dois te laisser.
- Reste encore un peu, s'il te plaît. Cela fait longtemps que je ne t'ai pas vue.
- Je …
- Restez encore un petit peu, Margareth ! finis-je par dire. Nous serons mieux à l'intérieur.
Toutes deux me suivent main dans la main. Je me propose pour rapporter du jus de fruit à la jeune femme. A mon retour, elles sont là, en train de regarder le grand album de Sibelle. Là, je panique. A tout moment, Margareth peut tomber sur la photo de bébé de Sibelle. Il me faut vite agir.
Prestement, je m'approche de Margareth. Avec une maladresse des plus adroites, je renverse le contenu du verre sur elle. Elle sursaute, en secouant sa chemise.
- Excusez-moi, Margareth. Je vous amène vite un mouchoir.
Je profite de la confusion pour prendre l'album photo que Margareth a déposé sur le guéridon. Je reviens avec un torchon en papier et je l'aide à s'essuyer.
- Je suis vraiment désolée, Margareth ! La tache est assez visible. J'espère qu'elle s'en ira après un tour au pressing.
- Ce n'est pas bien grave, Judith. Ce sont des choses qui arrivent. Je vais devoir prendre congé de vous, histoire de trouver une chemise de rechange avant de retourner au bureau.
- Tu pars, c'est cela ? lui demande Sibelle.
- Oui, ma chérie. Mais je promets de te rappeler.
Moi, j'ai bien hâte qu'elle s'en aille. Elle finit par le faire. Je soupire profondément en murmurant : "Merci, mon Dieu".