Chapitre 22 : La matriarche Louise Akissi Mensah Epse Kodjo

Ecrit par Une vie pleine de péripéties

— « Tu t’es bien joué de moi, n’est-ce pas ? » dit-il enfin, d’un ton glacial.

Sherie sursauta. Jamais son père ne lui avait parlé ainsi. Cette voix dure, étrangère, presque tranchante… Elle ne la reconnaissait pas. Et pourtant, elle venait bien de lui. Il continua, la voix pleine de reproches.

— « J’ai toujours cru t’avoir bien éduquée, ma fille. Je t’ai appris la valeur du respect, de la dignité, et toi, tu m’arrives comme ça, en pleine matinée, avec un inconnu sous mon toit. Sans prévenir, sans explication, comme si tu vivais seule au monde. Tu te rends compte de ce que tu as fait ? »

Sherie baissa la tête, se sentant comme une enfant prise en faute. Elle n’avait jamais vu son père aussi en colère, et cela la déstabilisait. Elle se mordit les lèvres, cherchant les mots pour apaiser cette colère qu’elle ressentait comme un déchirement.

— « Papa, je… » Elle se tut un instant, puis reprit d’une voix tremblante, presque suppliante : « Je suis désolée. Je sais que ça n’a rien de normal, que ça ne se fait pas comme ça. Je ne voulais pas te blesser. Mais Karl n’est pas ce que tu penses. »

Son père la fixa d’un regard dur, mais Sherie ne baissa pas les yeux. Elle savait que c’était le moment de se montrer forte, de défendre ce en quoi elle croyait.

— « Karl est un homme sérieux. » Elle prit une grande inspiration. « Je sais que tout cela est inhabituel et que ça ne s’est pas bien passé. Mais il ne m’a forcée à rien. C’est un homme respectueux, et il tient vraiment à moi. Je te le jure, papa, il ne veut pas me faire de mal. »

Le père de Sherie haussa les sourcils et commença à marcher de long en large, cherchant à digérer ce qu’il venait d’entendre.

— « Il tient à toi, c’est ça ? » dit-il, peu convaincu. « Et tu crois que je vais avaler ça sans poser de questions ? Tu penses que je vais lui accorder ma bénédiction juste parce qu’il te dit des mots doux ? »

Sherie se leva, la gorge serrée.

— « Papa, je te demande juste de lui donner une chance. » Elle s’approcha lentement. « Je sais que tu veux me protéger, que tu ne veux pas que je souffre, mais tu dois comprendre que Karl n’est pas un homme comme les autres. Il est différent, il a des principes, et il est prêt à faire des efforts pour me prouver qu’il tient à moi. »

Son père s’arrêta, la regarda dans les yeux, et un silence lourd s’installa entre eux. Sherie attendait, le souffle suspendu, espérant que son père comprenne la sincérité de ses paroles.

— « J’ai élevé une fille forte, pas une enfant naïve. Et pourtant… aujourd’hui, j’ai l’impression que tu te jettes dans les bras du premier venu, en oubliant tout ce que je t’ai appris. » dit-il enfin, plus calmement, mais toujours mécontent. « Je ne laisserai pas n’importe quel homme entrer dans nos vies sans être sûr qu’il est digne de toi. »

Sherie baissa les yeux, ses mains se tordant nerveusement. Elle savait que son père avait raison en partie, mais elle ne voulait ni le perdre, ni perdre Karl à cause de malentendus. Elle le regarda à nouveau, les yeux pleins de larmes qu’elle refoulait de justesse.

— « Papa, je comprends ta colère. Mais s’il te plaît, ne le juge pas avant d’avoir pris le temps de le connaître. Je veux que tu sois là pour moi, mais pour ça, tu dois aussi me faire confiance. Je te promets que je ne ferai rien qui te déshonore. »

Le père de Sherie resta silencieux, les bras croisés, fixant les viennoiseries posées sur la table, puis la scrutant longuement. Il avait la tête pleine de questions, de doutes, et de souvenirs de sa propre jeunesse. Il avait vu des femmes souffrir, des hommes jouer avec les sentiments des filles, et ne voulait surtout pas que sa fille soit l’une d’elles. Il soupira profondément, se massant les tempes, le regard perdu un instant, hésitant, comme pris dans un tourbillon de sentiments contradictoires.

Un souvenir traversa son esprit : si son épouse était là, elle saurait comment gérer tout cela. Elle aurait trouvé les mots justes, elle aurait compris le cœur de leur fille.

Il s’arrêta, l’expression fatiguée, comme un homme portant le poids d’une lourde décision sans savoir quelle direction prendre. Il savait qu’il était seul face à cette situation. Sa femme, qui aurait su apaiser ce genre de confrontation, n’était plus là. Elle avait été son ancrage, son guide. Sans elle, il se sentait parfois désemparé, trop strict et pas assez protecteur.

Sherie, observant son père, sentit son cœur se serrer. Cette colère venait d’un lieu plus profond que la simple situation avec Karl. C’était le poids de la paternité qu’il portait seul, sans sa compagne pour l’aider à trouver le juste équilibre.

Il soupira longuement, se frottant la tête, comme pour chasser ces pensées qui le submergeaient parfois. La vérité, c’était qu’il avait peur. Peur d’en faire trop, peur de repousser sa fille à force de vouloir la protéger. Mais aussi peur de ne pas en faire assez et de la laisser se perdre. Ce dilemme l’épuisait.

— « Je ne sais plus, ma fille. » Sa voix trembla légèrement. « Si ta mère était là, elle saurait gérer tout ça… » Il se tourna vers elle, le regard incertain. « Moi, je veux te protéger, mais j’ai l’impression que quoi que je fasse, je vais te perdre d’une façon ou d’une autre. »

Sherie, touchée par cette confession, se rapprocha de lui, un poids se déposant sur son cœur. Elle n’avait jamais vu son père aussi vulnérable, comme s’il laissait enfin apparaître la fragilité qu’il cachait derrière son autorité.

— « Papa… » dit-elle doucement, le regardant droit dans les yeux. « Tu ne me perdras pas, jamais. Je sais que c’est difficile pour toi, et je ne veux pas te faire de la peine. Mais je te promets que je ne te décevrai pas. Je te demande juste d’avoir confiance en moi. »

Le père de Sherie la fixa un moment, les yeux un peu rougis par la fatigue et les émotions refoulées. Il prit une grande inspiration, puis se dirigea vers la table. Posant ses mains sur le bois, il chercha un équilibre.

— « Je ne lui fais pas confiance, » dit-il. « Mais tu es adulte maintenant, et je suppose que je ne peux pas t’empêcher de faire tes choix. » Il fit une pause, puis ajouta d’un air grave : « Mais sache une chose, je ne tolérerai plus ce genre de scène, encore moins que tu balayes d’un revers de main tout ce que je t’ai inculqué. Je veux que tu me dises tout, sans secrets entre nous. »

Sherie se sentit soulagée, même si le chemin restait long. Elle se précipita pour prendre son père dans ses bras, reconnaissante qu’il accepte d’entendre ses paroles, même s’il n’était pas encore convaincu.

— « C’est entendu, merci, papa. »

Le père de Sherie la serra brièvement, puis se recula, son expression redevenue sérieuse.

— « Et j’espère qu’on ne reviendra pas ici tous les jours avec des inconnus à l’heure du petit-déjeuner. » Un sourire timide naquit sur les lèvres de Sherie, brisant un peu la tension.

La vie reprit son cours après cet incident. Karl et Sherie se voyaient régulièrement, leur relation devenait de plus en plus intense. Sherie raconta la scène à Andy, qui lui dit qu’elle avait été trop gentille d’accepter aussi rapidement, mais elle se réjouissait de voir que la mission avait été un franc succès et aussi de comment le père de Sherie avait traité Karl.

Un mois et quelques jours plus tard

Karl prit son téléphone et lança un appel vidéo. À l’autre bout, Henri son frère apparut dans un salon lumineux à Barcelone. Derrière lui, sa femme saluait de la main, souriante, rayonnante de bienveillance. Trois petits garçons et une petite fille jouaient autour d’eux, leurs rires emplissant la pièce d’une énergie joyeuse.

— « Karl Gabriel Kodjo, le chouchou des nanas, le père des hommes ! » s’exclama Henri en riant, les yeux pétillants. « Comment va mon frère, le dur, le préféré de notre mère ? »

Karl pouffa, amusé.

— « Tu ne sais jamais être sérieux, hein ? Bonjour Henri. Hola Cristina, » dit-il en souriant à sa belle-sœur, qui lui renvoya un sourire éclatant.

— « Hola Karl, ¿cómo estás ? » répondit Cristina avec un accent chantant, en venant s’asseoir près de son époux.

— « Bene, bene, » répondit Karl, souriant.

Henri lança malicieusement en en espagnol :

— « ¿Llamas para hablar o para hacerle ojitos a mi mujer? »
Puis, en la poussant gentiment de l’épaule, il ajouta avec un rire :
— « Mujer, si te veo sonreír otra vez a mi hermano, ¡te embarazo otra vez! »
(Tu appelles pour me parler ou faire les yeux doux à ma femme ? Femme, si je te vois sourire encore à mon frère, je t’enceinte encore !)

Cristina éclata de rire, secoua la tête en signe de refus affectueux, et répondit avec son accent chantant et en français :
— « Même pas en rêve, quatre enfants c’est suffisant ! Bonne journée, mon beau-frère préféré. » Puis se leva pour laisser les deux frères échanger.

Karl secoua la tête en riant, amusé par leur complicité.

— « Tu es incorrigible, » répondit-il, un brin moqueur.

Henri reprit un air plus sérieux, mais toujours teinté de bienveillance.
— « Dis-moi tout, qu’est-ce qui t’amène ? Tu as l’air sérieux. »

Karl prit une grande inspiration, le regard plus grave, et lança :
— « Je voulais te parler de Sherie. »

Henri haussa les sourcils, surpris.
— « Sherie ? la fille dont tu me parlais l’autre fois, celle que tu fréquentes ? »

Karl hocha la tête.
— « Oui. Je veux la présenter à maman. »

Henri resta silencieux un moment. Il pencha légèrement la tête, plissant les yeux. Il crut d’abord à une plaisanterie, une lubie… mais il lut dans le regard de Karl quelque chose qu’il n’avait pas vu depuis longtemps : du sérieux. De l’intention.

Depuis la mort de son ex et les circonstances de celle-ci, Karl s’était transformé. Lui, le romantique invétéré, était devenu cynique, froid… presque volage. Vagabond sentimental, comme Henri le disait souvent. Il avait tout essayé pour le raisonner, le ramener à lui-même. Mais rien. Karl s’était enfermé dans une spirale de conquêtes sans lendemain, il était devenu un travailleur acharné, brillant dans tous les domaines, brillant en affaires, mais désert en amour.

Il prit quelques secondes de silence, pensif. D’un côté, il se disait que c’était peut-être trop tôt. Il n’avait jamais vu Sherie, il ne savait rien d’elle. Mais de l’autre, s’il décidait de la présenter à leur mère, c’était que Karl était prêt à briser le mur. Peut-être même à se reconstruire.

Mais Henri avait peur. Peur pour lui. Derrière cette façade d’homme dur, Karl était fragile. Une autre déception… et il pourrait ne pas s’en relever.

Il soupira discrètement, puis demanda d’une voix plus posée, presque douce :
— « Tu es sûr de toi ? »

Karl hocha la tête, sans hésitation.
— « Oui. Je veux qu’elle fasse partie de la famille. »

Henri hocha lentement la tête, comme pour intégrer la nouvelle réalité.
— « Je comprends… C’est sérieux ce que tu fais. Maman peut être dure, tu sais comment ça peut finir… Jusqu’à présent, elle n’a pas digéré que j’aie épousé Cristina, une fille d’une famille noble mais pas riche comme elle voulait, et qui n’a pas fait de longues études et surtout blanche.. Tu es son dernier espoir, » dit-il en riant, puis devint plus sérieux : « Mais si tu es sûr de toi, je te soutiens. »

Karl ne répondit pas tout de suite. Le silence, chargé d’émotions et de réflexions, s’installa quelques secondes.

Henri le fixa à travers l’écran avec gravité.
— « Tu sais que tu peux compter sur moi, mon frère. Pour toujours. »

Karl hocha la tête, reconnaissant.

Henri leva la tête vers Cristina la cuisine ou son épouse se trouvait et  cria :
— « ¡Karl se va a casar, amoreeeee!! » ''Karl vas se marier mon amour''

Karl éclata de rire tandis que Cristina revenait sur ses pas, souriante. Les enfants, qui avaient entendu le mot mariage, accoururent eux aussi pour faire un coucou à leur oncle adoré.

Karl informa Cristina que c’étaient juste des présentations, et qu’Henri exagérait comme toujours. Elle était ravie pour son beau-frère, qu’elle appréciait beaucoup, ainsi que pour les enfants. Toujours fascinée par la ressemblance entre Karl et Henri, elle trouvait quand même son mari plus beau.

Cristina s’approcha, souriante, et dit en français :
— « On t’attend pour les vacances, Karl. On sera ravis de la rencontrer. »

Karl sourit, sentant une chaleur apaisante
— « On verra cela. »

Ils coupèrent la communication. Karl reposa son téléphone, le cœur plus léger, mais aussi chargé d’une nouvelle responsabilité.

Il sortit son téléphone et envoya un message à Sherie :
Prépare-toi, je viens te chercher dans une heure. 

Une heure plus tard, Karl se gara devant chez Sherie. Le moteur de sa Range Rover Velar ronronnait doucement, comme s’il respirait avec patience.
De l’autre côté de la porte, Sherie jetait un dernier coup d’œil à son reflet. Elle avait choisi une tenue élégante, un ensemble tailleur sobre mais raffiné. Des boucles discrètes aux oreilles, un maquillage léger. Pas trop, juste assez pour être présentable. À la fois elle-même, et un peu plus. Elle ignorait où Karl l’emmenait et ne se doutait pas un seul instant qu’elle rencontrerait sa belle-famille.
Elle prit une profonde inspiration, sortit, puis prit place dans le véhicule.
Il l’observa un instant, sans rien dire.
— « Tu es magnifique », dit-il doucement.
Elle lui répondit par un sourire timide et entra dans la voiture. Karl l’embrassa doucement sur les lèvres, puis la regarda à nouveau. À cet instant, il se dit qu’il était vraiment amoureux d’elle.
Il démarra lentement. Le silence entre eux était doux, pas pesant. Juste ce qu’il fallait pour que les battements du cœur de Sherie résonnent encore plus fort.
— « On va chez mes parents, » lança-t-il calmement, sans détour.
Elle tourna brusquement la tête vers lui.
— « Quoi ? Karl… tu es sérieux ? Là, tout de suite ? Tu me dis ça comme ça et puis… on vient à peine de recoller les morceaux… ça ne fait même pas un an qu’on est ensemble… Et, c’est un peu… rapide, non ? »
Il posa une main rassurante sur la sienne.
— « Je suis sûr de moi, Sherie. Je ne veux plus perdre de temps. Je t’ai dit que je voulais bien faire les choses. Tu fais partie de ma vie, alors il est normal que tu fasses aussi partie de la leur. En plus, j’ai rencontré ton père. Tu me fais confiance ? »
Elle hocha doucement la tête, même si une boule d’angoisse s’installait dans sa poitrine.
Il s’arrêta à un feu rouge, se pencha vers elle, et l’embrassa tendrement sur la joue.
— « Ça va bien se passer », dit-il.
Puis il tendit le bras vers le siège arrière et sortit une bouteille de vin soigneusement emballée dans un petit sac en toile.
— « Tiens. C’est pour ma mère », dit-il en lui tendant le paquet. « Un petit geste d’accueil, elle est amatrice de vin âgés. »
Sherie prit la bouteille avec précaution, comme si elle contenait autre chose que du vin. Peut-être de l’espoir. Peut-être de la crainte. Ou les deux.

La voiture s’engagea dans les rues calmes et arborées des Deux Plateaux Vallons, quartier huppé d’Abidjan où l’opulence se manifeste sans éclat, dans les détails : une clôture discrètement blindée, des murs couleur sable bordés de bougainvilliers, des voitures de luxe garées dans l’ombre de portails automatiques.
Karl tourna dans une ruelle plus intime, bordée de haies taillées avec rigueur. Il ralentit devant une large grille métallique noire, sobre mais impressionnante. Il klaxonna deux fois.
Le gardien, un homme d’une cinquantaine d’années, sortit aussitôt de la guérite, salua Karl avec chaleur et ouvrit le portail sans poser de questions.
— « Bonsoir, Patron. Bienvenue. »
— « Merci, Amadou. Tu vas bien ? »
— « Allah fait grâce. »
La voiture glissa à l’intérieur, ses pneus effleurant le sol d’une allée pavée à la perfection. Tout dans l’enceinte respirait la maîtrise, le contrôle et l’élégance familiale. Une pelouse parfaitement entretenue, tondue au millimètre, bordait l’allée en pente douce qui menait à une maison triplex imposante mais sans ostentation.
La façade élégante, d’un beige doux rehaussé de boiseries sombres et de pierres naturelles, évoquait un goût sûr et raffiné. Pas d’extravagance criarde, mais une noblesse discrète : des lignes épurées, un balcon filant au deuxième étage, des persiennes en bois massif et de larges baies vitrées donnant sur un salon majestueux qu’on devinait spacieux. Le triplex semblait construit pour impressionner sans jamais agresser, pensé pour recevoir et faire honneur aux apparences, comme il se doit dans une famille de leur rang.
Karl se gara proprement sous l’abri de stationnement couvert. Sherie sentit son souffle se raccourcir.
— « Nous y sommes », dit Karl doucement, coupant le moteur.
Elle acquiesça d’un hochement de tête, crispée, serrant discrètement le sachet contenant la bouteille de vin. Il posa sa main sur sa cuisse avec tendresse, un geste de réassurance.
— « Respire. Tu es parfaite. »
Ils sortirent de la voiture. Avant même que Sherie ne puisse se recomposer, la porte d’entrée s’ouvrit.

Sa mère impatiente l’attendait déjà sur le seuil.
Drapée dans un boubou blanc en basin riche, richement brodé de fil doré, elle se tenait droite, ses yeux s’adoucirent en voyant son fils. Une émotion discrète, familière, passa sur son visage.
Elle était légèrement maquillée, avec un fond de teint finement posé et un rouge à lèvres rouge au fini satiné. Ses bijoux, bien que portés avec sobriété, trahissaient son goût prononcé pour le luxe discret : deux chaînes en or jaune 18 carats de chez Cartier s’entremêlaient délicatement autour de son cou, l’une fine avec le pendentif et l'autre avec la lettre K, sertie de petits diamants. À ses oreilles pendaient des créoles signées Van Cleef & Arpels, en or blanc et diamants. À sa main gauche brillait encore sa bague de mariage, une alliance Bulgari au design épuré mais lourd de symboles. À son poignet gauche brillait une montre Rolex Datejust en or rose, élégante et intemporelle. À chacun de ses poignets, deux bracelets en or blanc ornaient ses mains : un modèle classique de Cartier Love et un délicat jonc de Bulgari.
Et son parfum – un effluve subtil mais reconnaissable – évoquait les notes chaudes et élégantes de "Shalimar" de Guerlain.
Elle était le parfait mélange de raffinement et d'autorité, une femme qui avait toujours su se tenir avec grâce, sans jamais perdre sa stature.
— «Mon chéri », souffla-t-elle, les bras entrouverts, un sourire tendre aux lèvres.
Karl gravit les marches en quelques pas et la serra dans ses bras. Elle l’étreignit longuement, comme si chaque visite de son fils représentait un événement rare et précieux.
— « Tu viens si peu… je suis tellement contente de te voir. Dieu merci, tu es là », murmura-t-elle contre son épaule la voix pleine d'émotion.
— « Moi aussi, je suis content de te voir, maman. »
Puis il recula légèrement et se tourna vers Sherie, qui s’était arrêtée, droite mais tendue, au bas des marches, serrant contre elle le sac contenant la bouteille de vin.
— « Maman, je te présente Sherie. »
La mère de Karl posa alors son regard sur elle. Un instant de silence. Un regard évaluateur. Puis un sourire bienveillant, presque trop parfait, se dessina sur ses lèvres.
— « Bonjour, ma fille. Sois la bienvenue. »
Sherie s’approcha et lui tendit la bouteille.
— « Merci beaucoup, madame Euh maman. Je vous ai apporté ceci. C’est un petit geste. »
— « Oh… il ne fallait, c'est gentil mais ne restons pas entrez donc. » Dit elle 
Karl posa une main légère dans le bas de son dos, l’encourageant à franchir le seuil.
À l’intérieur, la maison était à l’image de l’extérieur : luxueuse mais contrôlée, avec des meubles importés, des tableaux d’art africain moderne, des tapis épais, et une lumière douce filtrée par de lourds rideaux. Tout était parfaitement à sa place, comme dans un magazine.
Deux femmes attendaient dans le salon : les sœurs de Karl, élégantes et apprêtées. Leur regard s’attarda sur Sherie, avec ce mélange de curiosité polie et de jugement à peine voilé. À leurs côtés, assise avec aisance sur un fauteuil en cuir, Sandra, l'amie de longue date, belle, et vêtue d’une robe crème impeccable et une paire de sandales à talons.
Toutes trois se levèrent pour saluer. Les sœurs offrirent à Sherie des sourires contenus, mesurés. Sandra, elle, se contenta d’un regard insistant, un sourcil à peine levé.
L’ambiance, en apparence cordiale, avait quelque chose de tendu, d’invisible mais palpable. Un test silencieux était déjà en cours.
L’apéritif fut servi dans le grand salon, sur une table basse en verre fumé. Des coupes de champagne, des verrines de crevettes, des brochettes de fruits tropicaux. Tout était délicatement présenté, dans une vaisselle fine aux reflets nacrés.
Karl s’installa sur le canapé central, et Sherie naturellement se plaça près de lui. Très près. Elle n’avait pas osé prendre de place au début, mais là, assise à ses côtés, elle sentait la chaleur rassurante de sa présence. Il posa une main sur son genou, comme un ancrage silencieux, un code secret. Elle lui jeta un regard furtif, reconnaissante, puis esquissa un petit sourire.
Autour d’eux, les conversations s’échangeaient par touches légères, entre les sœurs, Sandra, et leur mère, toujours impeccable dans son boubou brodé. Elles parlaient de voyages, d’événements mondains à venir, de galas caritatifs, de politique, de ce que portait la femme du ministre lors du dernier dîner d’État.
Sherie hochait la tête, souriait poliment. Parfois, elle prononçait un « Ah oui ? », ou un « C’est intéressant » à voix basse. Mais elle ne participait pas vraiment. Pas parce qu’elle ne voulait pas, mais parce qu’elle savait pertinemment que ce n’était pas encore sa place. Et qu'elle ne savait pas vraiment quoi dire car c'était des sujets qu'elle ne maîtrisait pas.
Ce qui la frappa, plus que tout, c’était le ballet silencieux des domestiques. Deux femmes en uniforme beige passaient discrètement entre les fauteuils, ajustant un coussin ici, remplissant un verre là. Deux hommes en veste noire s’occupaient du service des plats et des boissons. Une jeune fille entrait et sortait avec des serviettes, un plateau d’amuse-bouche à la main.
Jamais elle n’avait vu autant de personnel dans une maison privée. Pas dans sa réalité. Pas dans la villa modeste où elle avait grandi, ni même chez ses clientes les plus aisées. Ici, tout semblait réglé comme une horloge invisible. Elle se demanda combien ils en avaient en tout. Huit ? Dix ? Plus ?
Elle se tenait bien droite, les jambes croisées, les mains jointes sur les genoux. Sa coupe de champagne à moitié pleine posée sur une petite table d’appoint. Elle ne voulait rien risquer, rien renverser.
Puis, la voix de la mère de Karl coupa net les discussions ambiantes.
— « Bien… on va passer à table, » annonça-t-elle d’un ton doux mais ferme. Elle se leva gracieusement, en replaçant les plis de son boubou. « J’ai cuisiné moi-même  pour ce midi. »
Elle sourit, regardant tendrement son fils.
— « Ton plat préféré. Foutou banane, sauce graine, comme tu l’aimes. Avec des côtelettes fumées et la queue de bœuf. »
Elle se tourna vers Sherie, son regard toujours courtois mais difficile à lire.
Puis tourna les talons et ouvrit la marche, suivie par le reste du groupe. Sherie jeta un coup d’œil à Karl. Il lui adressa un clin d’œil rassurant.
— « On y va. »
Elle inspira profondément et se leva. Chaque pas la rapprochait de cette table où, elle le savait, un autre test l’attendait.

SHERIE