Chapitre 21 : Le Patriarche-Jean-Emmanuel Atta

Ecrit par Une vie pleine de péripéties

À l’intérieur, Sherie s’était arrêtée net. Elle l’espérait, que ce moment arrive, elle ne s’y attendait pas aussi vite, néanmoins. Là, face à la porte, l’objet de de ses pensées était là, à un pas d’elle. Elle leva les yeux au ciel. Une partie d’elle voulait l'ignorer, le laisser dans ses regrets et ses absences. Mais l'autre, plus profonde, plus sincère, était contente de le savoir là. Elle espérait qu'il revienne. Elle se haïssait un peu d’éprouver cette attente, mais c'était plus fort qu’elle.

Elle courut rapidement dans sa salle de bain. Le temps qu’il frappe une deuxième fois, elle se précipita pour se faire un bain de bouche, afin de rafraîchir son haleine. Elle se hâta ensuite d’enlever son bonnet en satin qui protégeait ses cheveux. Elle vérifia rapidement son visage dans le miroir. Elle n’avait pas l’air débraillée, mais les signes d'une nuit courte étaient évidents. Elle ne pouvait pas faire grand-chose à ce sujet.

Elle ouvrit la porte, affichant une expression froide et distante, comme si sa surprise était minime. Pourtant, sous son masque d’indifférence, une vague de chaleur montait en elle. Elle savait très bien que, même sans le montrer, son cœur battait plus fort à chaque seconde qui s’égrenait.

— « Gabriel, » dit-elle d'un ton détaché, croisant les bras.

Il la regarda, son regard un peu plus hésitant cette fois. Il était là, devant elle, les yeux un peu perdus, et pourtant, il se tenait là, tout simplement. Il ouvrit la bouche, prêt à dire quelque chose, mais les mots se bloquèrent dans sa gorge.

Sherie se contenta de le regarder, ses yeux traversant les siens, cherchant une réponse qu’elle savait déjà au fond d’elle. Elle ne bougea pas d’un pouce. Le silence s’étira encore quelques secondes.

Finalement, il se décida à briser le froid.

— « Je… Je devais te voir… » Il se passa une main sur sa nuque, cherchant ses mots. « Je suis désolé pour tout,  ma Sherie. »

Un sourire intérieur effleura les lèvres de Sherie. Elle ne montra rien, mais au fond d’elle, elle était satisfaite. Il était là, juste devant elle, et il s’excusait. C'était tout ce qu’elle voulait, tout ce qu’elle avait espéré.

— « Tu voulais me voir pour ça? » demanda-t-elle d'un ton neutre, gardant une posture presque détachée, mais ses yeux trahissaient sa curiosité.

Il déglutit, les mots venaient difficilement. Karl se rendait bien compte qu’il avait laissé une blessure, mais il voulait guérir cette plaie. Pour de bon.

— « Non pas seulement ça, je voulais te dire que je n’aurais jamais dû te traiter comme ça. J’ai agi par peur, et j’ai cru que c’était plus simple de m’éloigner. Mais j’avais tort, Sherie. »

Il la regardait droit dans les yeux, attendant sa réaction. Mais elle ne lui répondit pas immédiatement. Elle observa son visage, son regard sincère, et dans ce silence pesant, elle sentit la tension se relâcher, un peu, juste un peu.

— « C’est facile de faire du mal aux gens, et de s’excuser parceque le mot pardon existe. » Sa voix était ferme, presque glaciale, comme si elle mettait des mots sur une douleur qu’il avait laissé derrière lui. Elle marqua un silence, le temps que ses paroles s’installent dans l’air entre eux, puis, plus doucement, elle ajouta, d’un ton à peine perceptible : « Mais j’ai compris. »

Karl la fixa, son regard se faisant plus insistant, presque suppliant. Il savait qu’il n’avait pas encore gagné sa confiance, mais ce simple “j’ai compris” était peut-être le début d’un chemin vers la rédemption. La confrontation n’était que le premier pas. Et il était prêt à tout pour qu’elle accepte de lui accorder une seconde chance.

Sherie baissa légèrement la tête, comme si ces quelques mots suffisaient à alléger un fardeau qu’elle portait depuis trop longtemps. Puis elle tourna les talons, s’éloignant de lui, l’air décidé. Avant qu'il ne puisse se demander s’il avait encore sa place dans sa vie, elle se retourna et  lança:

— « Entre. »

Pour lui, c'était plus qu'une invitation. C'était une chance. Une chance qu'il allait saisir, coûte que coûte.

Ils se retrouvèrent dans le salon, une pièce simple mais agréable. La maison ou vivait Sherie et son père, bien que modeste, dégageait une atmosphère chaleureuse. La petite villa était située aux 2 Plateaux Aghien dans la commune de Cocody, un quartier calme et résidentiel, loin de l’agitation du centre-ville, mais assez proche pour garder un accès facile à la vie urbaine.

Le salon était spacieux pour une maison de cette taille, avec un canapé et des fauteuils en tissu simple mais confortable, posé autour d’une petite table basse en bois. Une télévision écran plat trônait contre le mur, et une table à manger avec quelques chaises était installée dans un coin, près de la fenêtre. Tout était propre, soigné, et bien entretenu, mais on sentait que ce n’était pas un lieu de luxe. Rien de tape-à-l'œil, rien de prétentieux. C'était une maison modeste, mais chaleureuse et bien équipée, parfaite pour des personnes qui privilégiaient l’essentiel avant tout.

Le décor était simple, presque épuré. Quelques photos de famille accrochées aux murs, Karl devina que l’homme à côté de Sherie était sans doute son père, et des plantes en pot ajoutaient une touche de couleur. Rien n’était superflu, mais tout semblait avoir été choisi avec soin. La chaleur de ce lieu ne venait pas de l’argent, mais de la manière dont l'on y vivait.

Karl observa rapidement la pièce avant de poser son regard sur Sherie. Il n’y avait pas de luxe ostentatoire, mais cette simplicité apaisait. Tout semblait à sa place ici. Rien n'était de trop. Il se sentit un peu à l’aise, malgré la lourdeur de la situation.

Sherie se dirigea vers le canapé et s’assit avec distante, à la fois pour marquer une certaine distance, mais aussi, peut-être, pour inviter à se détendre. Karl resta debout un instant, les yeux fixés sur la pièce, avant de s’installer à son tour, de l’autre côté du salon. Il n’avait pas l’habitude de ce genre de cadre, mais il était là, et c’était tout ce qui comptait.

Un regard furtif, puis Sherie brisa le silence, sa voix calme mais légèrement hésitante.
— « Tu veux boire quelque chose ? » Elle l’observa, attendant sa réponse.
Karl se passa une main sur la tête, cherchant ses mots.
— « Non, merci… Je ne veux pas te déranger plus que ça. »

Sherie hocha la tête, mais la tension restait palpable. Elle s’installa plus confortablement, croisant les bras sur sa poitrine, comme pour se protéger. Son regard se fit plus doux, moins distant, même si elle restait sur ses gardes.
Karl prit une grande inspiration et plongea ses yeux dans ceux de Sherie. Il savait qu'il devait parler, tout lui dire. L'heure de la vérité était enfin arrivée.
— « J’ai fait une grosse erreur avec toi. » Sa voix était faible, presque timide, mais pleine de sincérité. « Je t’ai laissée dans l’incertitude, j’ai disparu, et je t’ai fait du mal sans le vouloir. »
Il baissa les yeux, cherchant ses mots, cherchant à formuler tout ce qu’il n’avait jamais dit.
— « La vérité, c’est que je… je ne m’attache jamais à personne. Parce que j’ai peur. » Il soupira. « J’ai peur de ce que l’amour peut faire. »

Sherie le regarda intensément, un peu surprise par cette confession brutale.
— Elle demanda-t-elle d’une voix douce mais ferme. « Si tu savais que tu te ferais du mal, pourquoi ne pas l’avoir dit plus tôt ? »

Karl se leva, se rapprochant d’elle lentement, son regard se perdant dans celui de Sherie. Il se sentait vulnérable, plus que jamais, mais il savait qu’il devait tout lui dire, tout lâcher.
— « Parce que… » Il prit un moment pour réfléchir, ses mains tremblantes légèrement. « Parce que j’ai perdu des gens que j’aimais profondément. Mon petit frère, qui sortait avec Andy, et ma petite amie de l’époque. » Il se racla la gorge, visiblement gêné d’aborder ce sujet. « Ils sont morts dans un accident de voiture, il y a six ans. On s’était disputés ce jour-là... Et depuis ce lors, je… je me suis promis de ne plus m’attacher à personne. Parce que je me disais que ça finirait par me briser, encore et encore. »

Sherie se figea, touchée par sa confession. Elle le fixa un instant, les yeux remplis de compassion.
— « Je… je ne savais pas. Mais ça ne t'excuse pas, Gabriel. » Sa voix était douce, mais une douleur sourde s’y faisait entendre. « Tu m’as laissée dans l’incertitude. Tu m’as ignorée, tu soufflais le chaud et le froid en même temps… J'ai cru qu’on était sur la même longueur d’onde, que tu ressentais quelque chose pour moi. Mais tu as commencé à être distant, à m’ignorer, m’appeler seulement pour coucher… Dans ces moments-là, je sentais qu’on était proches, puis tu t’éloignais à nouveau. Tu ne répondais même plus à mes messages, mes appels… » Elle serra les poings sans même s'en rendre compte. « Quand je t’ai vu hier avec cette fille, j’ai eu l’impression de n’avoir jamais compté pour toi. »

Karl baissa les yeux, honteux. Il n’aurait jamais pu imaginer à quel point il l’avait blessée. Il s’approcha lentement d’elle, et sans dire un mot, il lui prit les mains dans les siennes. Ses doigts étaient pleins de regrets, mais aussi d’espoir.
— « Je suis désolé… » murmura-t-il. « Je n’ai pas pensé à toi. Pas comme il le fallait. J’étais égoïste. » Il la regarda profondément dans les yeux. « Mais je tiens à toi, Sherie. Vraiment. Et si tu me donnes une chance, je ferai tout pour te prouver que tu comptes pour moi. »

Sherie le regarda, son regard toujours perçant, mais cette fois un peu plus doux. Elle hésita. Elle avait mal, elle était en colère, mais une part d'elle voulait croire en ce qu’il disait. Elle n’était pas sûre d’être prête à lui accorder ce qu’il demandait, mais… une autre part d’elle n’arrivait pas à le repousser complètement.
La tension entre eux était palpable. L’air était lourd de non-dits. Sherie ouvrit la bouche pour répondre, mais les mots ne vinrent pas. Elle ferma les yeux un instant, cherchant ce qu’elle ressentait vraiment. Elle ne voulait pas se laisser emporter par l’impulsion, par la peur du manque, par l’envie de le retrouver à tout prix.
Mais Karl, dans un geste désespéré, n’attendit pas sa réponse. Il s’approcha d’elle et l’embrassa soudainement.
Le baiser prit Sherie par surprise. C’était un baiser chaud, désireux, mais aussi lourd de tout ce qu'ils avaient traversé. Les émotions, les regrets, la douleur, tout se mêlait dans cet instant. Sherie, prise de court, se laissa emporter, ses mains allant instinctivement se poser sur son torse, répondant à ce baiser avec la même urgence qu’elle avait enfouie en elle.

Le baiser se prolongea, chaque seconde semblant suspendue dans le temps. Sherie, prise de court au début, finit par se détendre dans ses bras, ses lèvres répondant avec une certaine urgence. C'était comme si, à travers ce baiser, elle cherchait à effacer toutes les questions, toutes les incertitudes. Mais au fond, une petite voix résistait encore, une petite voix qui n'était pas prête à tout effacer si facilement.

Ils se séparèrent lentement, leurs souffles se mêlant dans l’espace clos du salon. Sherie, le regard plus doux, mais toujours chargé d'une certaine appréhension, le fixa, ses yeux remplis de contradictions.

— « Je… » Elle hésita, cherchant les mots. « Ce n’est pas aussi simple, Karl. » Sa voix, pourtant calme, portait toute la douleur qu’elle avait accumulée au fil des semaines.

Karl la regarda intensément, comme s'il pouvait lire chaque émotion dans ses yeux. Il avait conscience que ce baiser ne changeait rien en soi. Mais pour lui, c'était le début d'une nouvelle chance.

— « Je sais… Je ne m’attends pas à ce que tout soit réparé du jour au lendemain. » Il la prit doucement par les épaules, son regard toujours plein d'espoir. « Mais je suis prêt à attendre, à tout faire pour te prouver que je tiens à toi. »

Sherie se laissa aller un instant, fermant les yeux pour retrouver un semblant de calme. La tension qui l’habitait jusque-là semblait s’être dissipée un peu, mais elle n’était pas encore prête à sauter dans l’inconnu. Elle se détacha doucement de lui, mais sans trop de force, comme si un lien invisible les retenait encore.

Karl savait qu’il ne pouvait pas effacer tout ce qui s’était passé, mais il espérait pouvoir reconstruire, brique par brique, ce qu’ils avaient perdu.

—. « Je n’ai jamais voulu te faire du mal, mais je l’ai fait. Et je ne sais même pas comment te dire à quel point je regrette d’avoir été aussi distant, de t’avoir laissée dans le flou. »

Sherie releva les yeux, un léger sourire en coin, mais il n’était pas un sourire de joie. C'était un sourire teinté de tristesse et de résignation.

— « Alors, prouve-le. » Sa voix était plus ferme maintenant. « Montre-moi que tu es prêt à réparer les dégâts, à reconstruire ce que tu as détruit. »

Karl se rapprocha un peu plus, sa main cherchant celle de Sherie, et cette fois, elle ne la retira pas. Il savait qu’il devait se montrer patient, mais ce simple geste, cette petite ouverture, était plus qu’il n’aurait pu espérer.

— « Je te le promets, Sherie. Je vais te prouver que tu as raison de croire en moi. » Il la fixa longuement, ses yeux bruns remplis d’une sincérité totale. « Mais, si tu me donnes une chance… même minime, je la saisirai. »

Sherie le regarda un moment, hésitante. Mais au fond, elle savait que son cœur était déjà pris. Bien qu'elle ait été blessée, bien qu'elle ait douté, une partie d'elle se disait qu’il avait peut-être mérité cette seconde chance.

Elle s’éloigna légèrement, la respiration plus lente, comme pour faire un pas en arrière avant de se jeter dans l’inconnu. Mais son regard à lui… son regard savait exactement ce qu’il voulait.

Et dans cette lueur d’espoir, elle finit par murmurer, plus pour elle-même que pour lui :

— « D’accord. »

Les mots étaient simples, mais tout le poids de cette phrase retentit comme une promesse. Ils s’étaient retrouvés, un peu brisés, un peu hésitants, mais prêts à reconstruire quelque chose ensemble.

Les mots étaient simples, mais tout le poids de cette phrase retentit comme une promesse. Ils s’étaient retrouvés, un peu brisés, un peu hésitants, mais prêts à reconstruire quelque chose ensemble.

Karl, les yeux brillants de reconnaissance, s’avança une nouvelle fois. Il n’avait pas besoin de plus. Cette promesse, cette acceptation fragile, était tout ce dont il avait besoin pour avancer.
Il prit doucement son visage entre ses mains, la regarda une dernière fois dans les yeux, avant de l’embrasser à nouveau. Cette fois, c’était un baiser plus doux, plus calme, comme si les mots avaient laissé place à des gestes plus sincères, plus profonds.
Lorsque leurs lèvres se séparèrent, Sherie le regarda un instant, avant de dire, dans un soupir :
— « Je ne suis pas sûre d’être prête à tout. Mais je vais essayer. »
Karl la serra un peu plus fort dans ses bras, remerciant silencieusement le destin de lui avoir offert cette chance.
— « Et moi, je serai là, à chaque instant. »
Le silence tomba sur eux, mais ce n’était plus un silence lourd de non-dits. C’était un silence doux, presque réconfortant, comme si tout venait juste de commencer.
Sherie ferma les yeux un instant, appréciant ce moment où, pour la première fois depuis longtemps, elle se sentait à la fois vulnérable et en sécurité.
Le calme de la pièce se brisa soudainement avec le bruit de la porte d’entrée. Sherie sursauta, son cœur manquant un battement. 
— « Papa ! » dit-elle, un peu prise au dépourvu. Son cœur fit un autre bond. Elle se redressa rapidement,  presque instinctivement, et se tourna vers Karl, comme pour se préparer à l'impact de cette rencontre qui n’était pas prévue.
Le père de Sherie, un homme d’une stature imposante entra, vêtu d’une simple chemise en coton et d'un pantalon beige. Ses chaussures étaient simples, mais soignées, et son regard, perçant et autoritaire, se posa immédiatement sur Karl.
Sherie se leva d’un coup, gênée. Son père était un homme respecté dans son quartier, très conservateur, avec des principes bien ancrés. Il avait été à la veillée de prière avant de célébrer la messe de 7h. Ensuite, il était passé à la boulangerie pour acheter du pain frais et quelques viennoiseries pour le petit-déjeuner. Il s’attendait à retrouver sa fille tranquille chez eux, pas un homme qu’il ne connaissait pas assis dans son salon.
— « Bonjour, papa. » Sherie parla d'une voix un peu hésitante, comme si elle n’était pas tout à fait prête à expliquer ce qui se passait.
Le père de Sherie la salua brièvement, son regard rivé sur Karl. Un silence tendu s’installa immédiatement. Il détailla l’homme devant lui, sans sourire, sans même un mot de politesse. Il ne le connaissait pas. Ce n'était pas Jacques, l'ex-petit ami de Sherie, et ça le perturbait. Il leva les sourcils, un air méfiant sur le visage. Karl Gabriel prit la parole:
— « Monsieur, je m'appelle Karl, et je suis le petit ami de Sherie. » Il marqua une pause, observant la réaction du père. Il pouvait sentir la tension monter en flèche. « Je tiens à m'excuser que notre première rencontre se fasse dans ces conditions. »  Il lui tendit la main, sa voix était calme, et une lueur de respect dans ses yeux.
Le père de Sherie ne bougea pas, Karl se mit les mains dans les poches embêter.  Le père de Sherie  se contenta de le fixer un instant, son visage fermé comme une porte en fer. Ce genre d'aveu ne faisait pas partie des habitudes, pas pour un homme de sa génération et de son éducation. La Côte d’Ivoire, bien qu’un pays moderne, était encore profondément marquée par des traditions conservatrices, surtout en ce qui concernait les relations amoureuses. Il se dit que ce jeune était bien culotté.

— « A-t-il dormi ici ? » dit-il, l'air sceptique, sa voix un peu plus froide. « Demanda-t-il à Sherie en continuant à fixer Karl. Il jeta un regard vers l'horloge. Il était 8h30, un peu tôt pour rendre visite.
Sherie se sentit soudainement mal à l’aise. Elle n’avait pas prévu que Karl et son père se rencontrent de cette manière, elle avait mal qu’il pense qu’elle aurait pu faire dormir un homme dans sa maison, mais comprit qu’il avait raison. Elle s'avança précipitamment, l'air gêné, en répondant — « Non Papa… » Elle chercha ses mots, ne sachant pas trop comment expliquer la situation. « Ce n’est pas ce que tu penses… Il est juste venu me remettre quelque chose et je l’ai invité à entrer. Je suis désolée, papa... et je »
Le père de Sherie leva la main pour l’interrompre, toujours focalisé sur Karl. Son regard devenait plus tranchant, plus incisif.
— « Toi, tu m’expliqueras plus tard, jeune fille. » S'adressa à Karl. « Toi, par contre, tu vas m’expliquer maintenant. » Il haussait légèrement la voix, comme s’il s’adressait à un homme qui devait rendre des comptes. Il se rapprocha de lui, avec cette allure imposante, et continua : « Comment oses-tu te présenter ainsi chez moi, à une heure pareille ? Il est 8h30. Et tu dis être... son petit ami !!!? » Il insista sur les derniers mots, comme si chaque syllabe portait un poids supplémentaire.
Karl, conscient de l’attitude ferme du père, essaya de ne pas détourner le regard. Il voulait un peu se faire respecter dans ce moment. C'était sa chance de prouver qu'il n'était pas un homme à fuir la confrontation.
— « Oui, je suis son petit ami. » Il afficha une expression sérieuse. « Et je sais que ça peut paraître soudain, mais je vous assure, monsieur, que je n’ai jamais voulu manquer de respect. Je suis ici parce que j’ai des sentiments sincères pour Sherie. » Il baissa légèrement la tête, s'excusant presque de ce qu'il percevait comme un affront. « Je suis désolé que notre première rencontre se fasse dans ces circonstances, mais je tiens à vous assurer que mes intentions sont nobles. »
Le père de Sherie resta un instant silencieux, pesant chaque mot qu’il venait d'entendre. Il avait cette posture de père protecteur, celle d’un homme qui a vu bien des choses dans sa vie, et qui savait que sa fille était tout pour lui. Il l’aimait tellement, il avait vécu toute sa vie pour elle, il se rendit compte qu’elle avait bien grandi. Ce jeune homme était son 2e petit ami, il ne voulait pas qu’elle papillonne d’homme en homme, qu’elle ait le cœur brisé ou qu’elle finisse vieille fille. Il tourna son regard vers Sherie, une lueur de mécontentement dans les yeux, avant de reprendre :
— « Je n’ai pas élevé ma fille pour qu’elle se comporte comme une fille légère. » Le cœur de Sherie se comprima à l’entente de ses mots. Il se tourna alors vers Karl, comme pour l’observer à nouveau.
— « Tu dis que tu as des sentiments sincères ? Tu devrais d’abord me prouver que tu es un homme intègre, avec des valeurs et des principes, digne de confiance. Parce que chez nous, on ne joue pas avec les femmes, surtout pas les nôtres. »
Karl, bien qu’il fût un peu déstabilisé par la lourdeur du ton, garda son calme. Il savait que le père de Sherie ne cherchait qu’à la protéger, à la garder en sécurité. Il se redressa, son regard déterminé.
— « Je comprends, monsieur. Et je suis prêt à prouver que je suis à la hauteur. Je ne veux pas briser la confiance que vous avez en votre fille. »
Le père de Sherie scruta son visage un instant. Il avait déviné qu’il venait d’une bonne famille, et il se méfiait deux fois plus de ce genre de personnes, car ils profitaient de la vulnérabilité et la naïveté des jeunes filles ne venant pas de leur milieu. Et vu les circonstances de leur rencontre, il savait qu’il lui serait difficile de lui accorder sa bénédiction pour cette relation.
— « Monsieur, je comprends vos inquiétudes… » continua Karl, tout en essayant de rester calme. « Je sais que ce n’est pas facile de me rencontrer dans ces conditions, mais… » Il se tourna vers Sherie, cherchant du soutien. « Je tiens beaucoup à votre fille. Et je suis prêt à faire les choses comme il se doit. Je m’engage à prouver ma sincérité et à rectifier la situation, afin que vous puissiez voir que je suis digne de confiance. »

Karl n’avait pas anticipé cela. Il n’avait pas prévu de rencontrer le père de Sherie maintenant ni dans ces conditions. Il savait que cela constituait un affront, mais quelques minutes plus tôt, il avait promis à Sherie qu’il lui prouverait sa bonne foi. Si cela impliquait de faire des présentations selon la tradition, il le ferait, car comme on dit en Côte d'Ivoire, « mouillé, c’est mouillé », il n’y a pas de « mouillé sec ». 
Le père de Sherie le fixa, ce qui rendit Karl Gabriel encore plus mal à l’aise. Il répondit d'une voix ferme et grave:
— « Je ne sais pas quelles sont vos intentions envers ma fille, mais si vous lui faites du mal, je vous préviens, vous le regretterez amèrement. » Puis il se dirigea vers la table à manger, posa les sacs de pain et de viennoiseries, et ajouta : « Si vous voulez bien m’excuser, je comptais prendre le petit-déjeuner avec MA FILLE », insista-t-il en appuyant sur chaque syllabe.
Karl comprit.
— « Bien sûr, je comprends. Je vais vous demander la route, » dit-il.
Le père de Sherie hocha la tête sans le regarder, et Karl prit la direction de la sortie, faisant un clin d’œil à Sherie, qui avait le regard désolé.
Dès qu’il fut parti, Sherie souffla.

Le père de Sherie resta silencieux, les bras croisés, fixant les viennoiseries qu’il venait de poser sur la table. Le bruit du sac de pain et des croissants semblait soudainement peser lourd dans l’air, comme un écho de la tension qui s’était installée dans la pièce. Sherie, encore sous le choc de la rencontre, n’osa pas bouger,  attendant que son père prenne la parole. Elle savait qu'elle allait passer un sale quart d'heure, et son cœur battait la chamade.

SHERIE