Chapitre 23

Ecrit par Djelay

Si elle croit que ça va être comme ça tout le temps, elle se trompe lourdement. Qu’elle profite de ce temps de répit que je lui accorde. Parce qu’après, je compte bien me rattraper. Pensé-je en regardant ma queue en érection. Merde !

Parcourant la pièce des yeux, le dos calé contre le dossier de mon fauteuil, je réfléchis au pétrin dans lequel je me suis engouffré depuis mon retour. Mon bureau me semble tout à coup trop étroit au point où j’ai l’impression d’étouffer. Déjà une semaine que Lili vit chez moi et je ne l’ai toujours pas touchée. Je fais tout pour l’éviter au maximum en dehors des heures de bains. Ce sont ces moments qui me torturent le plus. Devoir la laver, toucher chaque partie de son corps même les plus secrètes sans pouvoir l’embrasser, la caresser, lui faire l’amour putain. Chaque fois, je me retiens de la baiser. J’aurais dû éviter cette famille à mon arrivée à Abidjan. Pourquoi a-t-il fallu que je me précipite chez eux ? C’était comme si j’étais poussé par une force mystique. Bon sang ! Et Lili qui s’accommode tranquillement à la situation. A croire que je ne lui fais plus aucun effet. A qui la faute ? Faudrait être conne pour encore aimer un homme avec un esprit aussi macabre que le mien. Comment l’idée de l’acheter a pu me traverser la tête ? Par ma faute, elle s’est retrouvée avec le poignet fracturé. Je ne me le pardonnerai jamais. La culpabilité me ronge de l’intérieur. Moi qui d’habitude, affronte n’importe quelle épreuve la tête haute, je n’ai pas le courage de regarder Lili dans les yeux. Je me sens indigne d’elle, raison pour laquelle je n’ose pas la toucher. Je préfère la fuir comme un sale lâche. Pour la première fois de ma vie, je ressens ce sentiment : la peur. Oui j’ai peur de mon addiction pour Lili. J’ai peur de l’influence qu’elle a sur moi. J’ai peur de lui faire mal à nouveau et surtout, j’ai peur qu’elle me déteste. Les coups frappés à ma porte me sortent de mes pensées. Je me redresse rapidement avant de reporter mon attention sur mon ordinateur.

-         Oui ?

-         Monsieur Ibara, M. Diaby est arrivé.

-         Faites-le entrer. Dis-je en allant m’installer dans le petit salon, au centre de mon bureau.

-         Très bien monsieur.

M. Diaby fait son entrée après que soit sortie ma secrétaire. C’est un quarantenaire avec un corps massif. A première vue, il parait plutôt sympathique malgré ce corps robuste qui effraierait n’importe quelle femme. Il est aussi grand que moi, peut-être même un peu plus. La première fois que je l’ai vu, sur une photo, il y a une semaine je me suis dit : C’est quoi ce monstre putain ! En vrai il est beaucoup plus monstrueux. M. Diaby Moustapha est un homme d’affaires vivant au Portugal d’après les recherches qu’ont mené mes hommes. Il possède une petite entreprise de construction et trois  modestes quincailleries. Il m’a récemment contacté pour me proposer une affaire qui selon lui m’intéresserait. Il n’a pas l’air dangereux à proprement dit mais ne sait-on jamais. Je n’ai jamais eu confiance en qui que ce soit. La vie m’a appris à me méfier de tout le monde y compris de moi-même.

- Bonjour M. Diaby.

Je me lève du fauteuil et lui serre la main. Sa puissante poignée m’interpelle. Etant bon acteur, j’arbore une expression impassible et l’invite à prendre place dans le fauteuil d’en face. Ce mec doit faire de la musculation au moins cinq fois par jour pour être aussi baraqué.

-         Alors quelle est cette affaire M. Diaby?

-         Vous n’allez pas par quatre chemins dis donc. Dit-il dans un sourire rassurant.

Je reste tout de même sur mes gardes.

-         Le temps c’est de l’argent. Rétorqué-je du tac au tac.

Son sourire s’élargit de plus belle faisant naître une fossette sur sa joue droite.

-         Alors ? Le pressé-je.

-         Voilà. Comme vous savez, je possède une société de construction et je voudrais signer un partenariat avec IBARA GROUP.

-         Quel genre de partenariat ?

-         Vos carreaux sont reconnus pour être les meilleurs en Afrique et même dans certains pays Européens. J’ai dernièrement appris que vous exportez vos carreaux à une société portugaise.

-         Effectivement.

-         Bien avant de le savoir, j’étais surpris que cette société en question soit parvenu à se classer dans le top dix des meilleures entreprises de construction alors que DIABY&FRERES était plus sollicité qu’elle.

Il observe un moment de silence avant de reprendre.

-         J’ai bien évidemment mené des enquêtes et c’est là que j’ai su pour votre partenariat. La qualité et l’originalité de vos carreaux attirent les clients comme des mouches. Cependant, comment une société avec un chiffre d’affaire aussi misérable a-t-elle pu signer avec vous ? Vous avoir comme partenaire, c’est un luxe. Même moi, je sais que c’est quasi impossible que DIABY&FRERES parvienne à être partenaire avec IBARA GROUP.

-         Dans ce cas, pourquoi êtes-vous ici ? Demandé-je sèchement.

-         J’espérais bénéficier de la même grâce que…

-         C’est cette affaire qui m’aurait intéressé ? (je me lève brusquement.) Vous m’avez fait perdre mon temps. Ma secrétaire vous raccompagnera.

Je rejoins mon bureau, décroche le combiné et m’apprête à faire venir ma secrétaire.

-         Si j’étais vous, j’écouterais jusqu’à la fin caméléon.

Mon cœur faillit manquer un battement. Mon estomac se noue la seconde d’après. Le souffle court, je raccroche lentement avant de regarder mon invité, intrigué. Son sourire innocent de tout à l’heure s’est transformé en un sourire sardonique. Confortablement assis dans le fauteuil, il me fait signe de le rejoindre. Je fais preuve d’une incroyable maîtrise de moi-même. A aucun moment je ne laisse paraître mon trouble. Qui c’est ce type bon sang ? Personne ne connait ma véritable identité hormis Luc, Tiger, Kevin et Djédjé. Tous les autres ne me connaissent que sous le nom de caméléon avec un autre visage de surcroit. J’ai toujours eu recours à un déguisement différent lorsque je vais en mission ou traite avec des narco trafiquants. Chacun d’eux a droit à un visage différent d’où ce surnom de caméléon. Alors comment ce type a pu me démasquer ? Sauf si…j’ai été trahi par Luc, Tiger ou Djédjé. Parce que je suis certain que Kevin ne m’aurais jamais vendu.

-         On m’avait dit que vous ne laissiez jamais transparaître vos émotions. J’étais loin de me douter que c’était à ce point.

-         Qui êtes-vous ? Demandé-je en m’asseyant.

-         Pourquoi cet air sérieux d’un coup. Détendez-vous.

Je garde le silence, analysant la situation. Si je l’élimine là dans mon bureau, ce serait difficile de transporter son corps sans être vu. Je peux peut-être l’assommer et appeler une fausse ambulance. Comme ça je l’achèverai dans l’ambulance et mes gars se chargeront ensuite de se débarrasser du corps.

-         Vous n’allez pas me tuer caméléon.

Comment at-il pu deviner mes pensées. Ai-je à un moment, perdu le contrôle ?

-         Je n’ai aucune idée de ce à quoi vous pensez à cet instant précis. C’est vraiment difficile de vous déchiffrer. Mais à votre place, je songerai à la possibilité de me tuer et je veux croire que vous pensez exactement pareil présentement.

Très intelligent en plus.  Serait-il un membre du clan adverse ? Combien d’entre eux connaissent ma véritable identité ? S’il n’y a que lui alors je n’ai pas d’autre choix que de le butter.

-         M. Ibara, je ne vais pas vous torturer longtemps. Je suis un agent de la brigade des stupéfiants.

Mes yeux s’arrondissent mais je me ressaisis aussitôt. C’est encore pire que ce que je m’imaginais. Je me vois déjà, pourrissant dans une cellule de la MACA. Comment ont-ils pu me démasquer ? Les membres du gang ne me livreraient jamais à la police, cela leur porterait préjudice. Alors qui ?

-         Vous vous demandez certainement comment nous avons pu mettre la main sur vous.

Un rictus cynique déforme les traits de son visage. Il prend plaisir à me narguer.

-         Vous êtes assez intelligent et perspicace M. Ibara. Au fond de vous vous savez qui a vendu la mèche.

Oh que oui je le sais. Cela ne peut être que cette personne.

-         Vous ne disposez d’aucunes preuves M. Diaby Moustapha.

-         D’abord Moustapha, c’est mon frère jumeau. C’est lui l’homme d’affaires. J’ai dû usurper son identité pour vous atteindre. Moi c’est Hamed Moustapha. Ensuite ce n’est qu’une histoire de temps pour rassembler les preuves. Nous connaissons déjà les pions importants de votre  mafia. Luc Zuma, le chef de la bande ; Bahie Djedje, votre laissez-passer et vous, le stratège. Nous avons été prévenus de votre retour en Côte d’Ivoire avant même que vous n’y soyez. Des mesures ont été donc prises en conséquence pour vous espionner au quotidien. Nous épions vos moindres faits et gestes caméléon.

Je l’écoute mais au lieu de me préoccuper de ce qui adviendra de moi ainsi que de la bande, je pense à Lili. Ils doivent donc connaître son existence. Ils savent donc qu’elle vit avec moi. Ce que je craignais a fini par arriver. Lili est exposée et ces bâtards n’hésiteront pas à se servir d’elle pour m’atteindre.

-         Mais j’ai un deal à vous proposer.

Tous mes sens se mettent immédiatement à l’écoute. Un deal ? Qu’est-ce que cela veut dire ?

-         Je sais tout de vous M. Ibara. Comment vous avez intégré cette bande et je sais aussi que vous avez toujours voulu abandonner cette vie pourrie. Je vous en donne l’occasion.

-         Explique-vous !

-         Si vous collaborez avec nous et que vous nous aidez à démanteler ce réseau depuis la racine, nous vous offrirons l’immunité. Ce qui signifie que vous serez acquitté de toutes les charges qui pèsent contre vous.

-         Et si je refuse ?

-         Je ferai en sorte de vous foutre tous en prison et qui sait peut-être que la jeune Lili se retrouvera elle aussi…

A peine a-t-il prononcé le prénom de ma p’tite poupée que je me jette sur lui et le cravate sans ménagement. Enfoncé dans le fauteuil, il ne se défend pas se contentant d’arborer un sourire moqueur.

-         Je vous interdis de l’approcher ! Le menacé-je.

Il se dégage brusquement. Arrange ses cols et toujours avec le sourire me lance :

-         Tout ne dépend que de vous. Je vous donne deux jours pour vous décider. Dit-il avant de se mettre debout. Je reviendrai vous voir vendredi D’ici là réfléchissez-y.

Le soir venu, je suis toujours au bureau repensant à ma conversation avec Hamed. C’est un véritable dilemme que je vis là. D’une part je suis heureux d’avoir trouvé enfin une échappatoire d’autre part l’idée d’être un traite me révulse. Pourquoi devrais-je me préoccuper de ses enfoirés ? Ils ont gâché ma vie tous autant qu’ils sont. L’occasion de refaire ma vie, avec Lili à mes côtés est trop belle pour la laisser passer. Faire tomber tout le régiment est chose difficile, quasi impossible car le chef du réseau ne se montre jamais. J’ai eu l’occasion de le voir une seule fois grâce à Luc lors d’une entrevue secrète. Tonnerre, le chef suprême était lui-même surpris de me voir. Luc avait été sermonné ce jour-là. Jusqu’à présent,  je ne comprends toujours pas pourquoi Luc me privilégie autant alors qu’il devrait se méfier de moi. Un coup d’œil à ma montre m’indique qu’il est vingt et une heure. Merde ! Je range à la hâte mes affaires avant de sortir du bureau. Une heure après,  lorsque j’arrive chez moi, je suis accueilli par un calme un peu trop effrayant. Je me rappelle mon entrevue avec Hamed et mon estomac se noue aussitôt.

-         Lili ! Murmuré-je avant de bondir en direction de la chambre.

Je déambule à grande vitesse les escaliers, la peur au ventre. J’ai comme un mauvais pressentiment. En même temps, Kevin m’aurait averti s’il y avait eu un problème. Ce détail me soulage à moitié. Quand j’ouvre brusquement la porte de la chambre, je pousse un soupir d’apaisement en  la voyant endormie. Je referme doucement la porte puis descend dans la cuisine.

-         Bonsoir monsieur.

Kevin est assis à la petite table à manger, un verre de whisky en main. Je prends un verre puis m’installe en face de lui.

-         Je peux ? Demandé-je en indiquant la bouteille.

Kevin parut surpris. C’est rare que je fasse preuve de politesse. Il fait oui de la tête et je me sers.

-         Comment va-t-elle ?

-         Bien monsieur. Elle a passé toute la journée à la maison comme d’habitude.

-         A-t-elle encore pleuré ?

Mon cœur se serre chaque fois que je pose cette question depuis une semaine maintenant. Et la réponse me peine toujours autant.

-         Oui. Répond Kevin dans un murmure.

-         Ok.

J’avale cul sec mon verre et me lève d’un bond.

-         Sur le tatami, tout de suite.

J’ai envie de me vider, de me défouler sur quelqu’un. Cette situation est à deux doigts de m’anéantir. Je sens comme une boule dans ma gorge qui m’étouffe un peu plus au fur et à mesure que les minutes passent. Comme si cela ne suffisait pas, j’ai envie de baiser sauvagement, brutalement. Putain ! Kevin me rejoint sur le tatami. Je suis déjà en position de combat. Nous commençons par nous saluer puis contre toute attente, je le fauche. Il se relève aussi vite qu’il est tombé. Je reviens à la charge, lançant un coup de poing en direction de son visage mais il l’esquive avant de m’en mettre un dans les côtes. Je laisse échapper un grognement de douleur. Je recule afin de reprendre mon souffle. Je suis trop agité raison pour laquelle Kevin prend facilement le dessus. Inspirant un bon coup, je me calme avant de me placer en position de défense.  Kevin fonce sur moi mais d’un coup de pied je le propulse au sol. Je le relève ensuite en le saisissant par le cou puis je fais abattre une pluie de coups de poings sur son visage. Je suis hors de moi. A travers Kevin, je vois Luc, puis Hamed et Tiger. J’ai dû m’arrêter de le cogner en entendant le cri horrifié de Lili. Elle se tient dans l’encadrement de la porte, verte de peur. Je comprends son état lorsque mon regard se reporte sur Kevin. Il est inconscient, le visage ensanglanté. Automatiquement, mes mains se mettent à trembler. Incapable d’effectuer le moindre mouvement, je reste là, les yeux braqués sur Kevin.

-         Mike ! Appelle le docteur !

J’entends la voix de Lili mais je ne parviens pas à bouger.

-         Mike ! Elle s’approche de moi et me secoue vigoureusement.

N’obtenant aucune réaction, elle prend mon portable posé sur la petite table près de la porte.

-         Bonjour Dav, c’est Lili. Pouvez-vous venir s’il vous plait ? Kevin ne respire plus je crois.

Elle a la voix qui tremble.

-         Il est là. L’entendis-je répondre après quinze seconde de silence. Mais je crois qu’il ne va pas bien.

Elle parle sûrement de moi.

-         Merci docteur. Finit-elle par dire.

Lili s’approche de nouveau de moi et me tapote les joues. Je réagis cette fois. Je darde sur elle un regard apeuré et coupable. Lili en est tellement bouleversée qu’elle se met à pleurer.

-         Lève-toi s’il te plait. Dit-elle en m’aidant à me mettre debout.

Elle y arrive malgré son bras plâtré. Ma p’tite poupée me conduit ensuite dans ma chambre, me fait assoir sur le lit et ressors. Des heures s’écoulent avant qu’elle ne revienne. Elle s’accroupit en face de moi et me caresse la joue.

-         Kevin va bien. Il a repris connaissance et n’a rien de grave. J’ai dit à Dav que tu t’étais endormi. Je doute qu’il m’ait cru mais il n’a pas insisté et est parti.

-         Merci. Lui dis-je.

-         Viens, tu vas prendre une douche et te coucher.

-         Je retourne dans l’autre chambre. Je me doucherai là-bas.

Je tente de me lever mais elle me retient.

-         Non ! ce soir tu restes dormir ici. C’est moi qui prendrai soin de toi aujourd’hui.

  Fin du vingt-troisième chapitre
Facette obscure