Chapitre 23

Ecrit par Spice light




– Franck LOLENGE –

Hier soir, mon oncle m’a appelé tard dans la nuit pour m’annoncer l’état de santé de Joan.

Je n’arrive pas à comprendre ce qui arrive à ce garçon. Je flippe et j’ai un mauvais pressentiment.


J’avais un autre cousin, qui vivait dans une ville avant la mienne. C’était mon binôme. Où j’étais, il y était. Dans les rencontres familiales, mariages, baptêmes, deuils… partout. Mais il est mort tragiquement il y a cinq ans. J’ai ses enfants à charge. L’une d’elles vit dans la même ville que tonton Victor pour poursuivre ses études. Il ne me reste plus que mon oncle. La plupart des membres de la famille qui vivent ici sont encore trop jeunes.


Ce matin, j’avais un énorme contrat à signer, alors je me suis levé très tôt. Ma femme avait déjà tout préparé avant de partir à ses propres occupations. C’est ma nièce, qui vit avec nous, qui me sert le petit-déjeuner avant que je parte au travail. Téléphone en mode silencieux, et hop, la journée commence.


Après la signature du contrat, je me rends à un deuil avec des amis. On arrive en retard, alors on se cherche une place pour s’asseoir et commander à boire.

Je libère le chauffeur pour qu’il ramène la voiture à la maison. Je prévois de rentrer à moto.


Une envie de vérifier mon téléphone me prend, et là, je découvre plusieurs appels manqués de maman Elsa. Je la rappelle.


— Allô ma tante, ça va ? J’ai vu vos appels.

— Ça va pas, Franck, s’il te plaît viens… Victor vient de rendre l’âme.


Je dessoûle sur place. Je regarde l’heure : 15h.


— Je dois rentrer, mon oncle vient de mourir.


Je l’annonce, tout précipité.


— Tu ne peux pas prendre la route seul. On vient avec toi, me disent mes deux amis.


On stoppe des motos et j’appelle le chauffeur pour qu’il revienne vite avec la voiture. J’appelle aussi ma femme.


— Nelly, tu as donné la clé du véhicule au chauffeur ? je demande à ma fille.

— Mais il vient juste de le rentrer, non ?

— Ah, donne-moi la clé. Tu sais, celui qui vient de mourir, c’est mon oncle. Tu comprends ?


Je crie sans m’en rendre compte. C’est Fidel, l’un de mes amis, qui me calme.


Le chauffeur arrive en même temps que ma femme. On embarque tous dans le véhicule. Deux heures plus tard, nous arrivons à l’hôpital. Je vais directement voir le médecin.


— C’est vous, monsieur Franck ?

— Oui, c’est moi.

— Ah… votre oncle avait beaucoup à vous dire. Malheureusement, vous êtes arrivé en retard.

— Comme une ambulance, je réponds avec un rire triste.

— Disons cela. Il n’a cessé de dire que c’est vous qui alliez l’enterrer s’il mourait.

— De quoi est-il mort exactement ?

— Il a fait une poussée de tension ce matin, ce qui explique sa chute. On a fait le nécessaire pour le stabiliser. Il reprenait même conscience, mais on n’a pas compris pourquoi il s’en est allé.

— D’accord. Je peux voir son corps ?

— Une fois à la morgue, oui. Ça fait plus de deux heures qu’il est décédé, et on doit libérer la salle.

— OK.


On transporte le corps à la morgue, recouvert d’un drap blanc. Elle se trouve à une dizaine de mètres de l’hôpital.

Là-bas, j’ai le temps de voir mon oncle dans ce sommeil éternel. Je pleure énormément, surtout lorsqu’on le numérote et qu’on me fait signer les papiers avant de le mettre au frais.

Je reviendrai demain pour l’injection de formol.


Je retourne à l’hôpital où se trouvent ma tante, quelques membres de son église, ma femme et mes amis. On la reconduit chez elle et on reste un long moment. C’est à 23h que je suis contraint de rentrer. J’ai déplacé des pères de famille, je dois les raccompagner. On arrive vers 2h du matin à cause de la pluie. Mais à 6h, j’étais déjà reparti pour finaliser les formalités à la morgue et faire la déclaration de décès à son lieu de travail.


Jean m’a aussi appelé pour envoyer sa contribution.

Les membres de la famille sont là, ainsi que ceux de tantine Elsa. Pour la famille, je désigne une cousine. Et Sun, pour les proches des parents.

Joan viendra le jour de l’enterrement.


Tonton m’avait confié un jour que, s’il y avait possibilité, il aimerait qu’on le ramène dans son village. Mais cela coûterait une fortune. Déjà, déplacer la dépouille jusqu’à la capitale, puis prendre l’avion pour notre province, et encore un autre vol jusqu’à la ville la plus proche du village, puis des heures de route… On dépasse les 20 millions de francs congolais.


Pendant toute la période des obsèques, je fais des allers-retours entre chez moi et chez mon oncle. C’est épuisant, mais j’ai des responsabilités à assumer.


Le jour de la veillée, de nombreux amis m’accompagnent, ainsi que Suzanne, mon ex-femme, la mère de Nelly.



— Sun, je peux avoir ton cahier ?

— Oui. J’ai récolté 700 000 francs. Light et son mari ont envoyé 500 dollars. Mine, 200, mais elle est en route.

— Et toi, tu as donné combien ? je lui demande.

— 50 dollars. Sauf Ivy et Joan. Rolls est déjà en chemin, mais il viendra sûrement tard.

— Chose normale… Le village, ce n’est pas la toilette. Mais dis-moi, c’est quoi que j’entends ? Que c’est Joan qui a tué tonton ?

— C’est lui. Le même jour que papa est mort, lui est sorti du coma.

— Ah Sun… Ce n’est qu’une coïncidence, rien de plus. Et je ne veux plus entendre ça dans la bouche de qui que ce soit de cette famille.

— Ok.


Après Sun, j’appelle la cousine chargée d’encaisser les cotisations de la famille. Mais j’ai le cœur brisé d’apprendre qu’il n’y a pas plus de 200 000 francs dans la caisse… Pourtant, faut les voir : ils défilent ici comme des mouches. Chaque jour, c’est 100 000 francs rien que pour nourrir tout ce monde.


La famille de tantine a apporté la tenue mortuaire, une couverture et 200 000 francs. Jean, le cousin musicien, a envoyé 2 000 dollars. Avec la cherté de la vie actuelle, cet argent a servi à acheter le tombeau (déjà construit, dans un cimetière sécurisé à l’entrée de la capitale). Les cotisations ont couvert les frais de morgue d’ici et ceux de la capitale, puisqu’il faut transférer le corps, et à nouveau le conserver là-bas. Le reste sert à d’autres dépenses. Mais 60 % des frais reposent sur moi. Son travail n’a donné qu’un million.

Ce pays… Il était un haut cadre de l’État, mais bon… Cet argent servira à renvoyer les belles-familles.


Chez nous, quand les belles-familles viennent enterrer leurs gendres ou les parents de leurs conjoints, elles ne repartent pas les mains vides.


Mais cet argent ne suffira pas. On répartira selon les moyens de chacun. Light nous a surpris avec sa venue. En plus de tout, la famille elle-même doit recevoir une part, ainsi que sa veuve et ses enfants.

Pfff… En moins d’un mois, j’ai fané. Faute de repos.



Après l’enterrement, nous sommes revenus chez le défunt. Il n’a laissé que ses vêtements. Plus de trois valises. J’ai eu un peu honte. Après toutes ces années, même pas un bout de terre ?

On partage ses vêtements entre les hommes de la famille. Sun n’a rien voulu prendre. Joan n’a rien trouvé à sa taille.

J’ai eu une veste, une paire de souliers et une chemise, après insistance de l’assemblée. Une valise a été mise de côté pour Rolls, qui arrive dans moins de trois jours.


Tantine a manifesté la volonté de quitter cette maison. Light s’est portée garante pour lui en trouver une autre. Il y avait trois mois de retard de loyer. Donc, plus aucune caution. Je paie ce mois-ci et le suivant, puisque le retrait de deuil se fera ici.


Sun et Joan se sont violemment disputés, et Sun ne veut plus de Joan chez lui.

Maman Elsa aussi a dit qu’elle ne vivra avec aucun enfant. Et Joan, lui, ne veut plus retourner à l’école.


Je suis dans l’équation. Ma tête chauffe comme pas possible…


POUR QUELLES RAISONS...