Chapitre 23
Ecrit par leilaji
LOVE SONG
Tome II
(suite de Xander et Leila + Love Song)
Episode 23
Okili Michel
J’espère de tout mon cœur que le petit Valentine ne me décevra pas. Je ne suis pas homme à tolérer les déceptions. Evidemment, j’aurai préféré qu’il porte un nom de chez nous mais bon, je peux lui pardonner ce petit débordement à condition qu’il soit digne de ma magnanimité.
Je l’ai convié à me rejoindre dans l’un de mes bureaux situés aux charbonnages. La villa luxueuse dont la propriété sera très certainement bientôt mutée au nom de ma petite fille est l’une de mes maisons préférées. Je sais que pour le moment ça lui plait d’habiter avec moi et de ne pas se retrouver toute seule. Mais je sais aussi que cet instant de grâce ne durera pas éternellement et que bientôt elle souhaitera habiter chez elle. Cette maison lui plaira. Elle n’est pas très grande mais bien équipée, avec une chambre parentale et deux petites chambres d’ami.
L’un de mes discrets gardes du corps ouvre la porte au jeune Valentine et lui demande de prendre place face à moi. La pièce est spacieuse et accueillante. Elle avait été décorée avec gout par ma défunte femme et je n’y ai plus jamais retouché depuis lors. J’ai signé ici beaucoup de contrats fructueux et j’espère que cette pièce me portera chance pour mes futurs desseins.
— Bonjour Monsieur Okili.
— Bonjour mon fils. Comment vas-tu aujourd’hui ?
— Bien merci.
— Alors dis-moi… Qu’as-tu fait de grand pour ton pays aujourd’hui ?
Il semble intrigué par ma question et tarde à me répondre. Je souris pour le détendre car il m’a l’air bien trop crispé. D’un léger mouvement de la tête, je demande à ce qu’on fasse entrer le petit cadeau de bienvenu que j’ai pour lui. Un homme blanc est poussé dans le bureau et j’analyse la réaction du jeune Valentine. D’abord de la colère puis de la pitié et enfin de l’effroi quand il détourne son regard pour le poser sur moi. Il boit d’un trait le verre d’eau posé juste en face de lui et s’essuie les mains sur son pantalon. Le français s’avance en claudiquant et vient se poster à coté de Valentine. Il garde la tête baissé. Peut-être a-t-il honte des quelques bleus sur son visage pale.
— Je suis vraiment désolé.
Valentine hausse les sourcils de surprise.
— Je suis désolé pour le désagrément.
— Envoyer des personnes le tuer n’est pas ce que j’appelle un désagrément, j’interviens avec le plus grand calme.
— Les choses sont allées trop loin, essaie d’expliquer le corse. Ce n’était pas mon intention… Mais encore une fois, je tiens à présenter mes excuses à Monsieur Valentine. Ca ne se reproduira plus.
— Je suis tout à fait d’accord. Ca ne se reproduira plus jamais.
Mon ton sec empêche l’homme de continuer ses explications. Il a peur pour sa vie ? Il fait bien.
— J’ai étudié en France vous savez. J’ai été aux Etats-Unis aussi. C’est un pays bien trop complexe à mon gout. Mais je ne vais pas m’éterniser la dessus. Ici nous sommes en Afrique, plus précisément au Gabon. Je ne pense pas que vous auriez supporté qu’en France, ce jeune homme ici présent vous empêche, en vous menaçant de mort, d’ouvrir un casino. Dans votre propre pays !!! L’auriez-vous toléré ?
— Je…
— L’auriez-vous toléré Monsieur ?
— Non…
— Alors pourquoi pensez-vous être en droit de le faire ici ? Parce que nous vous laissons faire ? Vous vous prenez pour tarzan le roi de la jungle ? Malheureusement pour vous, nous sommes des pygmées. Nous allons récupérer notre jungle ! Et croyez moi, nous maitrisons cette jungle bien mieux que vous ! Que pensez-vous de cette idée ?
— …
— Vous ne voulez pas répondre ? Nous discutons en homme civilisé non ? De quoi avez-vous peur ? De moi ?
L’homme se garde bien de répondre. Il est clair que désormais il a peur de moi.
— Le seul passage de votre bible que j’aime lire c’est celui qui évoque la loi du Talion. Œil pour œil, dent pour dent. Le reste est à jeter.
— Monsieur Okili… attendez… bégaie le corse.
Je détourne mon regard du misérable corse et m’adresse de nouveau au jeune Valentine :
— Vois-tu Valentine… Quel est ton prénom ? Je trouve assez déplaisant de devoir t’appeler par un nom aussi … français. On dirait un descendant d’esclave américain. Pourquoi vous les myene êtes tellement avides de porter des noms étrangers ? Les prénoms encore ça va mais les noms de famille ! Nos noms constituent un patrimoine à transmettre à nos enfants. Quand vous adoptez des noms étrangers tout est biaisé mon fils! Quel est ton prénom ?
— Gabriel. Je m’appelle Gabriel Monsieur Okili.
— Bien Gabriel … En affaire la première règle selon moi c’est de ne pas avoir peur de ton adversaire. Et j’ai appris que tu avais tenu tête à ce monsieur lorsqu’il a essayé de t’intimider. Tu as même porté l’affaire devant la police judiciaire.
— Comme je l’ai dit à ses hommes de mains, ici c’est chez moi. Je mets en place ce que je veux sans avoir à rendre des comptes à un français. Mais il n’y a pas eu de suite après le dépôt de la plainte, se désole le jeune homme. Pourtant j’ai failli mourir. Si j’avais été seul au Taj, je ne serai plus là.
— Fais-moi confiance pour y donner une suite.
D’un signe de tête à mes hommes de main, on fait rentrer deux agents de la police judiciaire.
— Les reconnais-tu ?
— Oui. Ils étaient chargés de mon affaire. Mais ils n’ont pu rien faire. Je les ai relancés plusieurs fois mais ces derniers temps, ils ont cessé de décrocher mes appels.
— Donnez-lui la vraie version messieurs les policiers gabonais…
L’un des deux hommes ouvre un sac et fait tomber aux pieds du jeune Valentine, deux millions de francs CFA en vieux billets de dix. Le silence dans la pièce devant très pesant. Je suis sur que le corse donnerait tout ce qu’il possède pour être ailleurs qu’ici.
— Voici le prix de ta vie selon ces deux agents de police.
— Je ne comprends pas…
— Le monsieur blanc à tes cotés, leur a offert cette somme pour arrêter leur enquête. Donc je suppose qu’à leur yeux, c’est le prix de ta vie mon fils. Un blanc leur donne des ordres et ces chiens là les exécutent avec fierté comme les esclaves qu’ils sont restés dans leur tête.
Je soupire. Je suppose que tout ceci peut paraitre bien théâtral. Mais je souhaite qu’il puisse comprendre ma démarche, lui qui a su résister. J’aurai pu tout simplement faire mettre des balles dans leur tête à tous mais je voulais que le petit Valentine les voie avant qu’ils ne disparaissent. Il n’est pas dans mes habitudes de faire durer le plaisir.
— Monsieur Okili. Vraiment, on rend l’argent et … on ne veut pas de problème avec vous.
— Mais je n’ai aucun problème avec vous moi. Pour moi, vous n’existez même pas. Raccompagnez-les.
— Monsieur Okili… Pardon, implore l’un des agents.
Mais déjà j’ai détourné mon regard pour me concentrer sur le corse. Les deux agents sont sortis de la salle accompagnés de mes hommes. On ne les reverra plus.
— Monsieur Okili, je ne comprends pas tout à fait ce que je fais ici, intervient Gabriel.
— Cet homme va quitter le pays aujourd’hui et il tenait à te présenter des excuses et te dédommager avant de le faire.
Les mains tremblantes, le corse sort un chéquier de l’intérieur de sa veste avec un stylo et signe rapidement un chèque. Il le tend au jeune Valentine qui a du mal à le prendre tellement le feuillet tressaute.
— Je suis vraiment désolé.
— J’ai failli mourir, dit le jeune homme en se levant pour regarder de face le français.
— Je suis désolé.
Valentine regarde longuement le chèque et le lui rend.
— Gardez votre argent. Je gagne le mien.
— Bien. Tout est bien qui finit bien n’est-ce pas ?
— Oui monsieur Okili, répond le corse. Monsieur Valentine est-ce que je peux disposer ?
Le jeune Valentine me regarde, étonné d’entendre autant de déférence dans la voix d’un homme qui le méprisait quelques semaines plus tôt. Il se retourne vers le corse et hausse les épaules.
— Je ne suis pas votre hôte.
— Raccompagnez-le à l’aéroport, j’ordonne à mes hommes.
— Mais Monsieur Okili…objecte le corse.
— Je vous ai fait réserver un vol. Vous allez rentrer chez vous. C’est une recommandation ferme de ma part. Je pense qu’il est temps que chacun reste chez soi pour y faire la loi comme il l’entend. Faites la loi chez vous en France. Empêchez de jeunes français de faire des affaires comme bon vous semble. Mais ici ce n’est pas chez vous. Vous n’êtes plus le bienvenu au Gabon cher ami.
Après que tout le monde a quitté le bureau, le jeune Valentine reprend la parole assez timidement. Je reconnais qu’il a du courage et reste droit dans ses bottes. Il dit toujours ce qu’il pense et j’aime cela.
— C’était dur ! D’autres vous diraient que votre attitude est assez raciste Monsieur Okili.
— Meuh non mon fils. Le racisme anti blanc n’existe pas.
— Oh si. Il existe. Si on était en France et qu’un blanc me traitait comme vous venez de le traiter, on dirait de lui qu’il est raciste. Il y a des noirs qui sont racistes envers les blancs Monsieur Okili. Je ne sais pas qi vous l’êtes mais ca y ressemble fortement.
Je soupire et rassemble mes idées pour lui dépeindre ma conception des relations entre nous les noirs et le reste du monde.
— Connais-tu la définition du mot racisme ?
— Oui. Mais je suppose que vous allez me donner la votre.
J’avale d’un trait mon verre d’alcool avant de reprendre la parole.
— Le racisme est une idéologie inventée par les blancs. Une idéologie qui leur est propre et que nous ne pouvons donc pas utiliser contre eux. Le racisme part d’un premier postulat qui est le suivant : les races existent pour différencier les humains entre eux. Et à ce postulat il ajoute le second postulat suivant : parmi les nombreuses races créées par leur seigneur tout puissant, il y a une classification à faire et par conséquent, il y a des races intrinsèquement supérieures à d’autres. Leurs yeux bleus ou verts sont intrinsèquement supérieurs à nos yeux marron. Leurs cheveux blonds ou auburn sont intrinsèquement supérieurs à nos cheveux crépus. Leurs peaux pales est intrinsèquement supérieure à la notre pleine de mélanine. Leur corps frêle est supérieur à notre corps robuste d’autant plus qu’ils supposent avec joie et optimisme que leurs cerveaux sont robustes et les nôtres frêles. C’est cela le racisme. C’est dire que l’homme blanc est supérieur à nous. Ce mot a été créé pour faire la différence entre eux et nous. Alors comment pourrait-il y avoir un racisme anti-blanc ? Dis le moi. Ai-je déjà dit qu’un homme noir est supérieur à un homme blanc ? Quel noir l’a déjà dit ? Aucun. Alors remettre un blanc à sa place n’est pas faire preuve de racisme mais équilibrer une balance qui leur a toujours été bien trop favorable mon fils. Le racisme anti-blanc n’existe pas. C’est un concept qui ne peut leur être appliqué. La civilisation qui se croit supérieure à celle des autres ne peut être prise en pitié parce que la civilisation dite inférieure leur jette une pierre.
— Je comprends tout à fait ce que vous dites mais j’ai assez de mal à l’intégrer je l’avoue.
— On ne se débarrasse pas aussi facilement de siècles et de siècles d’esclavagisme, mon fils. L’homme noir a tout à réapprendre de lui-même.
— J’avoue que savoir qu’il est partie me fait du bien. Ca me soulage de ne plus avoir peur pour ma vie. Quand je pense qu’il a voulu me faire du mal parce que j’ai voulu monter un business dans mon propre pays !
— Pourquoi tu n’as pas pris son argent ?
— Je ne sais pas… par souci d’intégrité. J’essaie de marquer le Gabon de mon empreinte et je souhaiterai qu’on se rappelle de moi non pas comme le fils du plus grand agent immobilier du Gabon mais comme celui qui a révolutionné le domaine du divertissement. Et je ne veux pas salir ma réputation avant même d’y être parvenu. J’ai de l’ambition et je bosse dur. Ca devrait suffire pour réussir. Mais apparemment ce n’est pas assez.
— Pourquoi dis-tu cela ?
— Mon émission marchait bien. Ca ne me remboursait pas tous mes investissements mais ca marchait pas mal jusqu’à ce que les gabonais entendent parler de the Voice Afrique francophone. C’est un format qui vient de l’extérieur mais tout de suite ils l’ont préféré au mien qui emploie des gabonais… pas un seul moment ils se sont dit je vais soutenir une entreprise locale plutôt qu’une multinationale d’autant plus que sans vouloir me vanter, dans mon émission il y a de superbes voix.
— J’ai parfois l’impression que le Gabon est un bébé nourrit au sein blanc qui lorsqu’il voit une mamelle noire oublie soudainement comment téter. Nous allons changer tout cela mon fils…
Je me lève et lui demande de m’accompagner dans une promenade nocturne. Il me suit la tête baissée. Je sais que mes paroles le touchent profondément. Ce soir, chaque pas m’est douloureux. Je prend appui lourdement sur ma canne.
— Ton émission… même si je ne vois pas l’intérêt de faire chanter des femmes en slip pour moi est une petite réussite. Tu sais qui d’autre je connais qui a la même devise que toi ?
— Qui ?
— Ma petite fille. Elle a de l’ambition et elle travaille très dur elle aussi. Est-ce qu’il te plairait de relever de nouveaux défis ? Entrer dans la cours des grands ?
— C'est-à-dire ?
— Leila aime se cacher. Si elle est tellement à l’aise dans son cabinet c’est parce qu’il lui faut juste fourrer son nez dans des papiers et c’est tout. Une femme politique qui n’aime pas rencontrer la population, être à l’écoute n’ira nulle part. Je veux que tu travailles son image, que tu l’aides à se vendre… Tu es très doué pour cela. Je veux que tu organises ses meetings quand je te le demanderai…
— Elle vient d’être nommée ministre il me semble. Et il y a une grève dans son ministère depuis qu’elle est là.
— Oui je sais. Il y a un proverbe chez nous qui dit : au chef il faut des hommes et aux hommes un chef. J’ai besoin d’hommes pour bâtir avec moi un avenir nouveau ! Et tu vas me trouver une solution pour cette grève.
— Je n’ai jamais fait de politique. Je crois même que j’y suis allergique.
— Vous les jeunes passez votre temps à critiquer ceux qui ont tenu le pays avant vous. Vous dites que nous n’en avons rien fait. Que nous ne vous avons rien légué de bon. Mais lorsqu’on vous demande ce que vous vous êtes prêts à faire, il n’y a plus personne. Vos enfants aussi à leur tour vous feront les mêmes reproches.
— Surement.
— Brisez la chaine ! Entreprenez, osez, dirigez, inventez… Tu ne dis plus rien ?
— Je ne vous imaginais pas comme ça…
— Sache mon fils, qu’une campagne se prépare des années d’avance. Ce que je te propose, c’est une aventure sans pareille et un défi que d’autres diraient impossible à relever. Ton père, n’a jamais eu assez confiance en toi pour te lancer. Moi j’ai confiance en tes énormes capacités. Ne me déçois pas.
Il s’arrête, fourre les mains dans ses poches et regarde le ciel étoilé d’un air songeur.
— J’ai souvent rêvé du jour où je pourrai épouser Lola. Je m’imagine à la tête d’une famille de trois enfants. Je veux que mes enfants puissent réaliser tous leurs rêves ici et qu’ils ne soient pas obligés d’aller les poursuivre en occident.
— Toi comme Leila, n’avez pas fait vos études à l’extérieur et pourtant vous êtes aussi compétent que des étrangers. N’est-ce pas là une lueur d’espoir ?
— Si.
— Alors aide-moi mon fils.
— D’accord. Je vous le dois bien.
*
**
Denis
Je ne sais pas ce qu’elle bricole dans la cuisine depuis plus de dix minutes. J’allume la télévision et remballe le lot de documents qui trainent sur la table basse du salon. Elle revient avec un plateau et prend place à coté de moi dans l’immense fauteuil en bois d’ébène.
— Tu es sure de vouloir te voir à la télé ?
— Après avoir été coaché par Gabie, je veux voir l’image que je renvoie. Il a dit qu’il fallait que je regarde pour savoir quoi modifier.
Elle me tend une assiette de cheeseburger avec une montagne de frites tandis qu’elle-même se contente d’un club sandwich.
— Il manque plus que du coca pour se croire au macdo. T’es sérieuse là ?
— Hé, je ne suis pas ta femme. Va te servir à la cuisine si t’as faim. Il y a un bouillon de poisson là-bas. C’est Elle qui l’a envoyé. Je n’ai aucune obligation alimentaire envers toi.
— Encore heureux que tu ne le sois pas ! Je n’ai pas envie de mourir empoisonné !
On éclate tous les deux de rire et je monte le son. Le générique de l’émission apparait à l’écran et je la sens tout d’un coup très stressée. L’interview se déroule dans son bureau au ministère. Elle porte un ensemble noir qui lui donne un air terriblement intimidant d’autant plus qu’elle a rassemblée ses cheveux en un chignon strict. Elle ne porte pas de maquillage, pas de bijoux. Elle semble décontractée, sure d’elle alors que je me rappelle bien que le jour du tournage, elle n’en menait pas large. Ce sont les instructions de Gabriel qui l’ont rassérénée.
— Bonjour Madame le Ministre. Comment allez-vous aujourd’hui ?
— Bonjour Madame Okenkali. Je vais bien merci.
— Crevons l’abcès dès à présent… doit-on vous appeler Madame ou Mademoiselle étant donné que vous ne portez plus d’alliance à votre doigt. Tout le Gabon a vu circuler sur un réseau social que je ne nommerai pas, une vidéo de votre mariage coutumier qui s’est mal terminé. On dit de vous que vous êtes une femme de caractère qui se prend pour un homme et qui s’impose même quand elle est en tort. C’est ce que vous reprochent les agents de votre ministère qui sont actuellement en grève et sont soutenus par l’opinion publique. Qu’avez-vous à dire sur tous ces évènements ?
Comme si elle était choquée par toutes ses questions impertinentes, Leila à l’écran soupire profondément avant de prendre la parole.
— Premièrement, que je sois mariée ou pas ce sera Madame...
— Vous avez fait supprimer le terme mademoiselle des formulaires de votre ministère d’ailleurs, coupe la journaliste. Pourquoi ?
— Cette précision n’est demandée qu’aux femmes. Un homme marié ou non sera appelé Monsieur tandis qu’une femme doit, en remplissant un simple formulaire, exposer sa situation familiale. Pour être appelée Madame, mot qui a une connotation plus respectueuse que mademoiselle, il faut être marié. Un peu comme si tant que vous ne l’êtes pas, vous n’avez pas à être respectée. Il n’y a pas de case « damoiseau » à cocher pour les hommes. Vous trouvez que c’est ridicule de s’occuper de cela ? Mais je pense que les mots ont leur poids surtout en matière de droit et d’administration. L’Etat doit traiter tous ses administrés de la même manière, homme et femme. Donc ce sera Madame pour les femmes et Monsieur pour les hommes point final.
— Je comprends. Est-ce en rapport avec votre mariage et son annulation? Puis-je en parler ?
— Oui. Vous pouvez.
— Qu’avez-vous à dire sur la vidéo qui a circulée?
— J’ai dit que vous pouviez en parler. C’est votre travail d’en parler. Je ne suis pas de celles qui tentent de museler la presse. J’aime l’idée que chacun puisse faire son travail dans de bonnes conditions. Vous pouvez en parler autant que vous le voulez mais ça ne veut pas dire que moi j’ai quelque chose à dire dessus. Il s’agit là de ma vie privée et je ne compte pas la commenter.
— D’accord, je comprends. Pour en revenir à votre vie professionnelle qu’avez-vous à dire sur la grève qui secoue votre ministère ? L’opinion publique vous est très défavorable.
— L’opinion publique m’est défavorable parce que les journalistes sans déontologie que vous êtes parfois, continuent de relayer une fausse information sans en vérifier les sources.
— Il parait que vous vous êtes débarrassée de tous les agents qui n’étaient pas de votre ethnie…
— La première fois que j’ai occupé ce bureau, tous les agents étaient présents à leurs postes. Une semaine plus tard, les gens ont été bien surpris de me voir visiter les bureaux de chaque étage de mon ministère à 7heures 30 minutes. Les trois quart étaient vides à 7 heures 30. J’ai trouvé que c’était inadmissible. J’ai fait circuler une note de service qui rappelait à chaque agent les horaires de travail : 7 heures 30 à 15heures 30. A la fin du mois, nous avons du payer plus de 1500 agents de mon ministère alors qu’il n’y en a qu’une centaine qui occupent réellement leur poste et sont au service des administrés. Vous pensez qu’on paie nos impôts pour que des gens profitent du système ? Ca vous plait vous de cotiser pour payer des fantômes ?
— Non.
— Et je suis heureuse de vous entendre dire non. L’époque où l’absentéisme et la médiocrité étaient récompensés est terminée. Qui ne travaille pas ne mange pas. J’ai fait bloquer les salaires de tous les fonctionnaires fantômes. Et les fonctionnaires qui travaillent de 7heures 30 à 15 heures 30 obtiendront plus rapidement de l’avancement que ceux qui viennent en ballade dans nos locaux. Au ministère du travail, on travaille madame Okenkali. Ceux qui grèvent sont ceux qui ne travaillent pas mais veulent être payés. Voudriez vous que je cède devant de telles personnes ? J’ai fait constater par un huissier de justice les absences au poste de tous ces agents. Donc ils peuvent grever autant qu’ils veulent, je ne céderai pas. Mais s’ils veulent cesser le mouvement de grève pour qu’il y ait une discussion civilisée et intelligente… Pourquoi pas ? Je ne ferme pas la porte à ceux qui veulent travailler.
— Je crois que nous comprenons mieux la situation Madame le Ministre. Quelles sont les nouveautés de votre ministère ? A part bien entendu le projet de loi qui va réformer la place de la femme dans le monde du travail au Gabon ?
— Je mène de front trois batailles en ce moment. Mon projet de loi que la presse a largement relayée et qui suscite de nombreuses critiques de la part d’hommes, ce qui n’est pas une nouveauté. Dès qu’on parle égalité de salaire, ils ont peur. Mon second projet c’est la création de l’application de notre ministère qui rendra le code du travail, et celui de la sécurité sociale accessibles à tous par simple téléchargement. Elle sera téléchargeable et gratuite. On l’améliorera au fur et à mesure. Mon dernier projet est la création du contrat spécial d’insertion des jeunes délinquants en collaboration avec le ministère de la justice et de l’intérieur. La recrudescence des braquages dans les rues de Libreville et Port-Gentil est intolérable et dû évidement au chômage des jeunes non diplômés, sortis trop tôt du système scolaire. On les attrape, on les condamne et on les relâche faute de place dans notre prison. Désormais ces jeunes seront envoyés au centre de réinsertion qu’on a ouvert à Lambaréné. Leur peine de prison sera changée en temps de travail au profit de l’Etat donc de la communauté toute entière. Le centre est opérationnel. Ils y apprennent l’agriculture, travaillent et sont payés pour ça. Leur salaire sert à dédommager leurs victimes. Ainsi la justice est rendue, il y a des délinquants en moins dans nos rues et un travail est donné à des jeunes. L’année prochaine, la banane plantain ne sera donc plus totalement importée du Cameroun mais produite par de jeunes gabonais ! Les chiffres que nous escomptons, je peux vous les citer si vous le souhaitez.
— Vous maitrisez votre dossier par cœur Madame le Ministre.
— Parce que pour moi la politique est une affaire sérieuse. Je ne suis pas là juste pour être appelée madame le Ministre. Je suis là pour changer le quotidien des gabonais autant que je le peux. Et pour cela il faut que je travaille, que je connaisse mes dossiers. Je ne vais pas vous mentir, je me suis préparée pour cette interview. Je peux vous citer tous les chiffres clefs de mon ministère car je les connais. C’est ma base de travail. C’est ma manière à moi de dire aux Gabonais que leur ministère est entre de bonnes mains.
— Tout le monde salue votre parcours professionnel. Vous êtes juriste de formation, vous aviez votre cabinet ainsi qu’une Fondation.
— Et je tiens à préciser que je suis un pur produit de l’enseignement gabonais. Je n’ai pas un grand diplôme.
— C'est-à-dire ?
— Je n’ai pas de doctorat mais une simple maitrise. Je n’ai pas suivie de cursus à l’étranger. Et pendant longtemps, j’en ai eu un peu honte. Surtout quand j’avais en face de moi de grands cabinets internationaux avec des diplômés de grandes universités françaises et autres. Puis je me suis rendue compte que malgré tout, j’étais parfois la plus compétente pour certains dossiers difficiles. Et c’est le message qu’il faut faire passer aux gabonais et aux jeunes. L’avenir n’est pas forcément hors de nos frontières. Nous pouvons y arriver ici. Il faut qu’on commence à croire en nous même. L’Etat ne peut pas tout faire. L’Etat m’a formée et j’ai créé moi-même ma réussite. Je me suis enrichie grâce à mon travail pas à la politique. Si j’ai pu le faire, d’autres le feront aussi. Il faut encourager les femmes ! Arrêter de tout le temps leur parler de coiffure, couture, cuisine … Elles peuvent faire ça mais aussi beaucoup d’autres métiers.
— Merci beaucoup Madame le Ministre pour ce moment que vous nous avez accordé.
— C’est moi qui vous remercie.
La journaliste se tourne vers l’écran et salue les téléspectateurs avant que le générique ne défile à nouveau. Je jette un coup d’œil à Leila qui est restée raide sur le fauteuil. Son téléphone sonne, elle décroche sans même regarder qui l’appelle et met le haut parleur.
— Comment tu m’as trouvée ?
— J’ai adoré chaque mot, répond Gabriel.
— J’ai pas été trop dure ? demande –t-elle en se détendant un peu.
— Si ma sœur avait fait la même interview, elle aurait massacré tout le monde et serait parue hautaine et vindicative! Tu as été ferme mais pas hautaine. Ton style habituel. Alors demain, un communiqué dans l’Union qui reprendra les grandes lignes de tes actions. Je t’envoie le texte sur ton mail, envoie moi ton « Ok ».
Elle raccroche quelques minutes plus tard le sourire aux lèvres.
Une semaine plus tard, le mouvement de grève s’est essoufflé. Elle est entrée en discussion avec les grévistes récalcitrants qui ont dû entrer dans les rangs quand ils ont compris que plus personne ne leur donnait raison.
Je ne pensais pas que le vieux Okili contacterait Gabriel. Mais Leila est ravie de l’avoir dans son équipe même si ce n’est pas de manière officielle. Il a réglé le problème de la grève en temps record avec une bonne communication qui a cassé le mouvement.
La maison d’Okili est devenue notre lieu de rencontre favori hormis les bureaux du ministère. La maison est retirée du brouhaha du centre de Libreville et paisible. Nous y travaillons tranquillement sur les prochaines réformes du code de travail. Je ne pensais pas un jour me pencher sur des questions de congés de paternité !
— Est-ce qu’il est absolument vital d’octroyer deux mois de congés parental au papa ?
— Quand une femme tombe enceinte et prend ses congés ; cela freine sa carrière. Les postes de responsabilités ne lui sont pas confiés parce qu’on a peur que des grossesses la rendent indisponibles. Les papas continuent tranquillement leur carrière. Je veux équilibrer les choses. Si un bébé doit bloquer une carrière, ce sera celles des deux parents et non pas seulement celle de la mère.
— Ca ne passera jamais Lei.
— Si je n’essaie pas je ne le saurais pas. Et peut-être que Gabriel m’aidera à faire passer la pilule.
— Tes idées sont trop révolutionnaires, tu ne peux pas tout changer d’un coup. Laisse le temps au gens.
— A l’allure où vont les choses, peut-être que je ne serai plus ministre demain.
— Non, je ne pense pas.
— Gabriel fera un miracle et ca va passer t’inquiète! Il est doué n’est-ce pas ?
— Très. Mais tu ne sembles pas très satisfaite de ça…
— Si je le suis… mais ce qui m’énerve c’est de me rendre compte à quel point mon grand-père a raison sur certaines choses.
Je zappe distraitement jusqu’à tomber sur une émission où on voit une femme accoucher. Mon premier réflexe c’est de changer immédiatement la chaine. Mais elle récupère la télécommande dans ma main et revient sur la chaine.
— J’adore cette émission et je la hais en même temps. Il faut que je fasse une croix sur une telle expérience.
— Peut-être que tu ne devrais pas…
Elle quitte l’écran du regard et pose ses yeux sur moi.
— Tu n’as essayé qu’avec Alexander. Jamais avec quelqu’un d’autre. Parfois ce n’est qu’une simple question de … compatibilité.
Je parle sans quitter l’écran des yeux mais Dieu que je sens son regard sur moi !
— Essaie avec moi Princesse ! Avant de te dire que jamais tu n’enfanteras. Si ton grand-père avait raison pour certaines choses pourquoi n’aurait-il pas raison sur ça ? Il a eu raison pour la politique, en très peu de temps tu as changé la donne. Tu représentes la nouvelle génération de femmes politiques gabonaises. Il a eu raison pour Gabriel. Il a eu raison pour moi… pourquoi n’aurait-il pas raison pour l’enfant ? Essaie avec moi !
Et je tourne ma tête vers elle. Enfin.
Et au moment où elle veut me répondre les gardes du corps de son grand père ouvre le portail. Il est temps que je rentre chez moi. Okili est là.
*
**
Okili Michel
Comme il se fait tard, Denis prend congé. Ca me fait plaisir de les voir travailler ensemble. Même s’ils ne s’en rendent pas compte, du moins je crois que ma petite fille refuse de le reconnaitre, il y a toujours une certaine tension autour d’eux quand ils sont ensembles. Je sais que bientôt, j’obtiendrai tout ce que j’ai toujours souhaité. Un magnifique petit fils !
Leila est allée dormir et je sirote tranquillement un verre au salon quand mon téléphone sonne.
— Oui j’écoute ?
— Apparemment, il reçoit des visites d’une avocate. Elle tente de faire annuler les charges qui pèsent contre lui.
— Et bien ! Je lui avais laissé une chance et il me renvoie ma magnanimité au visage !
— Que fait-on patron?
— Laissez-le tenter sa chance…
— Et s’il revient patron ? Il va forcément essayé de voir votre petite fille pour lui expliquer ce qui s’est passé en Inde. Maintenant qu’il sait de quoi vous êtes capable, il va éviter tout intermédiaire et ne fera confiance à personne.
— Il ne sait pas ce que je lui réserve ici. Puisqu’il s’entête ! Il va le regretter !