Chapitre 23 - Du bout des lèvres

Ecrit par NafissaVonTeese

Précédemment

Fama s’était rendue au rendez-vous de Salah. Il l’attendait dans son restaurant, qu’il avait fermé ce soir-là, spécialement pour Fama. Ils passaient une belle soirée, quand Salah lui fit une révélation dont elle ne s’attendait pas. Il lui avait confié que Sylla, le père, l’utilisait pour pouvoir évincer son fils de l’entreprise. Il lui demanda de veiller sur Ali car lui, n’allait pas pouvoir le faire en étant loin de Dakar. En la quittant, à l’aéroport pour prendre son avion et rentrer au Maroc, Salah avait appelé Isabella pour lui dire que la soirée avec Fama s’était passée comme elle l’avait prévu.

***

 

Comme sur le trajet de retour, Fama était arrivée chez elle la tête dans les nuages. Tout ce que Salah lui avait raconté ne pouvait pas être vrai. Personne n’aurait été capable d’utiliser une parfaite inconnue pour faire perdre la tête à son propre fils. Elle ne connaissait Monsieur Sylla Père que depuis peu, mais elle avait du mal à le croire capable d’une chose aussi horrible. D’un autre côté, Salah avait l’air si sincère, qu’elle ne pouvait pas l’imaginer lui mentir. Quelqu’un entre ces deux-là jouait double jeu, et cela la dérangeait énormément, de ne pas savoir lequel c’était.

 

Fama avait refermé à clé, la porte de son appartement en se disant qu’il y avait certainement une bonne explication à tout cela.     Elle avait franchi le petit salon-cuisine, perdue dans ses pensées, pour rejoindre sa chambre. Juste avant d’y entrer, elle s’arrêta net. Elle s’était retournée pour être sûre de ne pas avoir mal vu. Seydina était toujours là, et en plus, tranquillement allongé sur son canapé, comme s’il était chez lui. Fama n’en croyait pas à ses yeux. Elle lui avait pourtant demandé de s’en aller, et à maintes reprises. Il était pourtant là ; toujours là.

 

Elle s’était avancée jusque devant lui, bien décidée à le chasser de chez elle, à coups de pied s’il le fallait. Elle était sûre et certaine qu’elle voulait qu’il s’en aille, et à la minute ; mais elle n’eut pas le courage de le réveiller. Les traits de son visage étaient tellement détendus. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas vu Seydina aussi paisible. Elle le détestait, mais pas assez pour le tirer des bras de Morphée. Fama décida de le laisser dormir encore quelques minutes.

Elle s’était mise à genoux devant lui pour le regarder de plus près. Elle le trouvait encore plus beau que d’habitude. Elle n’arrivait plus à le quitter des yeux. Fama détestait Seydina, mais elle le regardait amoureusement. Elle n’avait pu s’empêcher d’effleurer sa bouche du bout de ses doigts. Comme à chaque fois qu’elle touchait cet homme, un frisson lui avait parcouru tout le corps. C’était comme si Seydina avait ressenti la même chose. Il avait prononcé son prénom en souriant. Elle le détestait, mais elle tombait un peu plus amoureuse de lui à chaque fois qu’il souriait. Elle eut subitement une idée qui sonna comme une évidence dans sa tête. Et s’ils retournaient tous les deux à Saint-Louis ? C’était ça la solution à tous ses problèmes. Tout redeviendrait comme avant ; avant qu’elle ne fasse la connaissance de Isabella. Elle n’en avait plus rien à faire de cette Isabella. Seydina allait bien devoir la tenir assez à l’écart de leur vie, pour qu’elle ne la leur pourrisse pas.

 

Fama était en train de s’imaginer la vie parfait qu’elle pouvait avoir avec cet homme dans son canapé, qu’elle détestait, mais qu’elle était certaine d’aimer, quand elle entendit quelqu’un tambouriner à sa porte. Elle n’attendait personne, alors elle se dit qu’elle n’avait qu’à faire comme si elle n’avait rien entendu. Mais la personne qui se tenait derrière cette porte semblait bien décidée à continuer de taper dessus jusqu’à ce que quelqu’un la lui ouvre. Quand Fama le comprit, elle se leva pour aller lui ouvrir. Elle s’attendait à voir Ali, ou même Isabella qui aurait pu renifler toutes les rues de Dakar jusqu’à retrouver l’odeur de son fils dans son appartement. Elle espérait même que cette personne soit Isabella, pour qu’elle lui jette enfin en pleine figure, qu’elle aimait son fils chéri, et que celui-ci l’aimait aussi, qu’elle le veuille ou non. Quand elle ouvrit la porte, elle tomba sur Alima. Celle-ci ne laissa même pas à Fama le temps de se demander ce qu’elle pouvait bien faire là. Elle lui lança un petit sourire, avant de lui dire :

 

-         Bonsoir. Excuse-moi de venir à l’improviste, mais j’étais de passage dans le coin.

 

-         Euh… D’accord ; fit Fama, gênée qu’elle soit là, spécialement à ce moment-là. Elle ne pouvait pas plus mal tomber.

 

-         J’aimerais qu’on parle Fama, sérieusement.

 

-         Bien-sûr. Mais de quoi ? ; dit-elle en étant certaine qu’il était question de Seydina.

 

-         De mon frère.

 

-         Ali ?

 

-         Oui, Ali. Je n’en ai pas deux ; précisa-t-elle en forçant un sourire.

 

-         Bien-sûr. Excusez-moi.

 

-         Je peux entrer ?

 

« Entrer ? » Non, elle ne pouvait pas entrer et trouver « l’homme de sa vie » dans le canapé de l’employée de son frère et de son père. Lui parler, oui, mais dans l’entrebâillement de la porte. Elle ne pouvait pas faire plus, au risque de se retrouver à nouveau au bon milieu d’une scène de jalousie qui pouvait encore une fois terminer au commissariat. Cela n’était encore rien face au risque de perdre son emploi. Si ce que Salah avait dit était vrai, Alima avait assez de pouvoir dans l’entreprise, pour la faire renvoyer, rien qu’en parlant à son père. Il était hors de question qu’elle entre. Elle allait donc devoir se débrouiller pour que Alima dise tout ce qu’elle avait à dire, sur le pas de la porte.

 

-         Je préfère qu’on parle ici ; dit Fama, en sortant avant de refermer la porte derrière elle.

 

-         Ici ?

 

-         Oui, s’il vous plait. J’ai de la visite.

 

-         On peut se tutoyer, si cela ne te dérange pas ?

 

-         D’accord. Avec plaisir. Alors tu veux me parler de ton frère Ali ?

 

-         Oui… dit Alima, les sourcils froncés.

 

-         Je suis vraiment désolée de tout ce qui a pu se passer. Ce n’était qu’un malentendu.

 

-         Justement, je suis là pour dissiper tout malentendu. J’aimerais connaitre tes intentions envers mon frère.

 

-         Comment ça mes intentions ?

 

-         Ecoute Fama, nous sommes toutes les deux de grandes filles. Je ne pense pas que nous ayons besoin de tourner autour du pot. Je préfère qu’on entre et qu’on en parle posément.

 

-         Oui… dit Fama après une longue hésitation, mais elle ne bougea pas.

 

-         Parfait ; dit Alima, attendant qu’elle la fasse entrer.

 

-         Ce n’est pas possible.

 

-         Comment ? Il y a un problème ?

 

-         Non ! Aucun problème. Enfin, je suis avec un homme, et je ne voudrais pas qu’il s’imagine qu’il se passe quelque chose entre moi et mon patron.

 

-         D’accord. Cela veut donc dire que tu ne ressens rien pour mon frère et qu’il doit passer à autre chose ?

 

-         Exactement. Je ne ressens rien pour ton frère et je crois qu’il doit passer à autre chose.

 

Alima la fixait droit dans les yeux, toujours les sourcils froncés. Visiblement, elle sentait qu’il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond. Elle avait tout d’un coup une intuition, et son intuition ne la trompait jamais. Elle sortit son téléphone de sa sacoche, et appela le numéro de Seydina. Le téléphone se mit aussitôt à sonner dans l’appartement de Fama.

 

-         Ce ne serait pas le téléphone de mon petit ami qui est entrain de sonner là, Fama ? demanda-t-elle d’une froideur que Fama n’aurait jamais pu deviner l’existence sur cette planète.

 

-         Non ! Je n’entends rien moi.

 

-         Ne fais pas s’il te plait l’idiote avec moi, jeune fille ; dit-elle en la regardant droit dans les yeux.

 

Le téléphone avait arrêté de sonner, mais Alima était certaine de ce qu’elle venait d’entendre. Elle avait poussé Fama pour dégager la porte et entrer dans l’appartement. Elle avait pu y jeter un rapide coup d’œil avant que Fama ne la rejoigne.

 

-         Elle est où ta fameuse compagnie ? demanda Alima, complétement sortie de ses gongs.

 

-         Alima s’il te plait…

 

-         J’ai horreur qu’on me mente Fama. Alors je te conseille de me dire la vérité.

 

Fama n’avait rien dit. Elle ne pouvait pas lui dire la vérité. Face à son silence, Alima avait appelé à nouveau le numéro de Seydina. Cette fois, le seul son qu’elle entendit, était celui des bips d’appels sortant, qui venaient de son téléphone. Elle jeta à nouveau un regard noir à Fama, qui était toujours plantée devant elle sans rien dire.

 

-         C’est la sonnerie du téléphone de Seydina que j’ai entendu, affirma-t-elle à nouveau.

 

-         Ou celui d’une autre personne ; dit enfin Fama. C’était peut-être le téléphone de Salah. Tous les iPhone sonnent de la même manière Alima.

 

-         Salah El Houda ?

 

-         Oui, Salah El Houda, l’ami de ton frère. Nous sommes ensemble.

 

-         Tu veux me faire croire que tu sors avec Salah. Toi ?

 

-         Oui. Et c’est justement pour ça que je t’en serai reconnaissante de dire à ton frère que j’ai déjà un homme dans ma vie, et que c’est du sérieux.

 

-         J’ai du mal à y croire. Je veux voir Salah pour en être sûre.

 

-         Ce n’est pas une bonne idée. Je veux dire, qu’il n’aimerait certainement pas que tu le voies. Il est… On était entrain… Enfin, si tu vois ce que je veux dire. En plus, je ne connais même pas ce Seydina. Je ne l’avais jamais vu avant hier, à la soirée de lancement, quand tu l’as présenté à ton père. Il a l’air d’être quelqu’un de bien. Je vous souhaite tout le bonheur du monde. Maintenant j’aimerais que tu partes. Salah et moi avons eu assez de problèmes avec l’incident d’hier soir. Je ne veux surtout pas d’une nouvelle dispute, à cause de Ali, ou même de ce Seydina.

 

Elle savait raconter des histoires, mais là elle s’était surpassée. Fama paraissait tellement sincère qu’elle aurait elle-même, très bien pu y croire. Elle avait tenu son discours tout en raccompagnant de force Alima, en la tenant par le bras.

 

-         Mais il ne devait pas rentrer ce soir Salah ? dit Alima quand elle se retrouva dehors.

 

-         Il a raté son vol. Il prend le prochain avion. Bonsoir Alima.

 

Elle ne lui avait pas laissé le temps d’en ajouter plus. Fama avait refermé sa porte en se disant que Salah avait peut-être raison sur le compte de Alima. Elle était passée de la fille aimable à une vraie hystérique, en une fraction de seconde. Elle la fit penser à Isabella, et celle-ci la fit penser à Seydina.

« Où est-il passé celui-là ? ». Fama se dit qu’il avait certainement hérité de sa mère, le don d’apparaître et de disparaître comme un lapin dans un chapeau de magicien. Cette fois cependant, il n’était pas sorti de nulle part, mais de la chambre de Fama. Tout l’amour qu’elle avait ressenti quelques minutes plus tôt, avait disparu, comme si elle ne pouvait l’aimer que quand il dormait. Eveillé, c’était une toute autre histoire.

 

-         C’était quoi cette histoire entre toi et Salah ?

 

-         Ça ne te regarde pas Seydina ; fit Fama, ne comprenant pas qu’il puisse être jaloux alors que c’était lui qui était « officiellement » avec Alima.

 

-         Bien-sûr que ça me regarde. Tu penses sérieusement à te mettre avec lui ? C’est pour ça que tu me rejettes ? Tu ne le connais même pas.

 

-         Tu connais peut-être Alima toi ?

 

-         Ce n’est pas pareil.

 

-         Bien-sûr. Ecoute Seydina, je crois qu’il est temps d’en finir avec ces enfantillages une bonne fois pour toutes.

 

-         Je crois aussi. Et si on retournait chez nous, à Saint-Louis, pour repartir de zéro ?

                                    

-         Quoi ? ; fit Fama surprise. C’était comme s’il avait lu dans ses pensées.

 

-         Tu as très bien entendu. Ma demande tient toujours ; dit-il en se rapprochant d’elle.

 

La demande en mariage ! Fama était certaine qu’il avait oublié cette histoire, mais apparemment non. Elle savait pourquoi il se rapprochait. Seydina était conscient qu’il suffisait que sa peau soit en contact de la sienne, pour qu’elle perde tous ses moyens de raisonnement. Elle n’allait certainement pas le laisser la manipuler. Elle s’était enfuie pour s’enfermer dans sa chambre. S’il lui avait dit qu’il voulait toujours l’épouser, juste avant que Alima démarque, elle aurait certainement dit oui. Il fallait qu’elle réfléchisse. Elle était bien tentée de dire oui, mais il ne suffisait pas de rentrer chez eux pour que tout s’arrange. Cette réflexion n’avait rien à voir avec Isabella et son acharnement à vouloir la séparer de son fils, ni avec Alima et de sa « relation » avec Seydina, ou encore Ali, sur qui elle avait promis de veiller. Fama n’était pas sûre que Seydina voulait l’épouser parce qu’il voulait passer le reste de sa vie avec elle. Il lui avait peut-être fait sa demande juste pour ne pas la perdre. S’il l’aimait vraiment, il ne se serait pas jeté dans les bras de Alima, s’était dit Fama en se jetant dans son lit. Elle allait certainement avoir les idées un peu plus claires, après une bonne nuit de sommeil.

 

A son réveil au petit matin, la première chose qui lui était venue à l’esprit était la conversion qu’elle avait eue avec Seydina. Elle n’avait plus de doute. Peu importe les raisons qui le poussaient lui, à vouloir l’épouser. Elle, à ce moment précis, était prête à faire fi de tout ce qui s’était passé et lui dire : « Oui ». Elle se connaissait d’humeur très changeante. Elle avait alors sauté du lit, décidée à accepter la demande de Seydina avant que lui ou elle-même, ne change d’avis. Elle espérait le trouver là où elle l’avait laissé la veille, mais

Du bout des lèvres