Chapitre 24
Ecrit par Meyroma
Cela fait approximativement une longue heure que je fais les cents pas dans la salle d'attente de l'Hopital National de Niamey en trépignant d'impatience tandis que mon Djibril oscille entre la vie et la mort dans la pièce d'en face.
Depuis qu'il a été admis dans ce bloc opératoire, nous sommes sans nouvelles. Ma mere, assise sur le banc en poutre usé qui constitue le seul mobilier de la salle, égraine son chapelet d'un geste mécanique en murmurant des invocations d'une voix à peine audible.
Je ferais peut-être mieux de l'immiter, me dis-je en réalisant l'inutilité de mes vas et viens.
En pareilles circonstances, la prière est un recours et un refuge inéluctable. J'aurais dû m'y abriter dès le début plutôt que de me mettre dans ce steril ébranlement d'esprit.
Je me cramponne ainsi à ce revirement de foi pour remonter de ce précipice dans lesquel m'a sombré le désespoir . Finalement, je me résous à m'installer à côté de ma mère pour m'inspirer de sa spiritualité.
Je joins mes deux mains et un long discours prend naissance dans mon esprit :
<< Ya Allah, je te demande pardon pour tous mes péchés car tu es le grand pardonneur.
Je te remercie pour la grâce et la miséricorde dont tu ne cesses de nous couvrir, oh toi le miséricordieux, le tout miséricordieux.
Tu es le savant, le grand connaisseur car toi seul connais ce qui est bien pour nous et toi seul peux nous préserver du mal.
Je te remercie pour cette épreuve car elle me rapproche davantage de toi et fortifie ma foi.
Je te demande ya Allah, le guérisseur de tous les maux d'accorder la santé et une longue vie à ton adorateur Djibril. Je t'implore ya Allah de le sauver, car tu es l'unique, le sauveur suprême>>
Après quoi, je prends mon chapelet et copie ma mère.
Une voix grave interrompt notre concentration.
- Où sont les parents du patient Djibril Issa?
Nous nous précipitons vers le médecin, âgé d'une cinquantaine d'années qui vient de sortir du bloc.
Sa blouse verte trempée de sueur indique que l'intervention n'a pas été facile. Son visage sombre, dont on aperçoit à peine deux petits yeux noirs et des lèvres fines au milieu d'une broussaille de barbe grise n'augure aucune bonne nouvelle .
-Nous sommes sa famille Docteur, lui réponds-je, brulante d'impatience. Comment vas t'il?
Il me dévisage d'un regard hésitant, qui semble demander des précisions sur mon lien de parenté avec Djibril. Pour mettre court terme à son scepticisme, je satisfait volontier sa curiosité.
-Je suis sa fiancée et nous envisagions de nous marier ce samedi insha Allah, si toute fois, cela est encore possible après cette tragédie.
Un brin de larme s'echappe de mes yeux, malgré mon combat acharné pour dompter le chagrin qui me ronge.
- Si ce n'est pas ce Samedi, ça sera un autre jour, ma fille.
Cette phrase qui était censée me remonter le moral , me fait l'effet contraire. Je me retrouve plus anéantie que je l'étais déjà. Le vieil homme continue:
- Pour etre franc avec vous, l'état de santé du patient est très alarmant. La balle lui a perforé la rate. Fort heureusement, nous avons pu l'en extraire. cependant, il a eu une hemorragie interne que nous avons difficilement stoppé , mais il a perdu beaucoup de sang. Il lui faut une transfusion sanguine dans l'heure qui vient au plutard, sinon ça pourrait lui être fatale.
Ma réaction est aussi prompte que bouillonnante.
-Alors qu'est ce que vous attendez Docteur, vous devriez être entrain de le transfuser en ce moment même . Ne perdez pas d'avantage de temps, je vous en conjure.
Il dégluti, puis il répond d'un air sincèrement navré.
-Malheureusement, notre banque est en pénurie de sang du groupe O négatif qui est réputé pour son extrême rareté . Il va falloir mobiliser toutes vos connaissances...
Où allons nous en trouver en un temps si record, me demandé-je inquiète.
- Je peux le voir Docteur?
- Oui, vous pouvez y aller. Mais il es inconscient. Sur ce, il tourne le dos et vas s'occuper d'autres patients.
Je pénètre la salle de réanimation d'un pas rapide et tremblant. Quelle fût ma peine de découvrir mon Djibril qui, il y'a seulement quelques heures petillait d'énergie, à présent inerte, dont le peu de vie qui le maintien parmi nous est conditionné au fonctionnement des appareils auxquels il est branché.
Mon coeur se noie d'une douleur indescriptible. Jamais auparavant, je ne me suis sentie aussi accablée.
je m'assied sur le rebord du lit, le prend par la main et m'adresse à lui comme sil pouvait m'entendre.
- Il y'a à peine deux heures de celà , on se pourchassait dans une allégresse sans précédant tandis que l'eclat de ton mélodieux rire crépitait agréablement dans chaque coin et recoin de notre nouvelle demeure. Je ne te l'ai certes pas dit, mais à l'instant où nous avons franchis la porte de cette maison, j'ai flairé les longues et belles années que nous y vivrions en compagnie des magnifiques enfants que nous y aurions. Les garçons te ressembleraient, beaux, charismatiques, intelligents, heriteraient de ta grandeur d'âme et ta noblesse de caractère. Les filles seraient mon portrait craché et tu les regarderais avec les même yeux remplis d'amour dont tu me gratifie chaque jour. Notre foyer déborderait d'amour et de félicité. Nous compterions ensemble nos cheveux blancs et ririons des petits dégâts que feraient la vieillesse sur nos corps. je t'en supplie Djibril, ne laisse pas mes rêves et mes désirs inassouvis. Cette vie m'est inconcevable sans toi à mes côtés...
Plus je m'enfouis dans ce triste monologue, puis je réalise à quel point je n'ai pas suffisamment exprimé a Djibril mes sentiments quand j'en avais l'opportunité.
S'il s'en allait sans savoir à quel point je l'aimais, c'est sûr que j'en mourrai.
À cette amère pensée, un torrent de larmes m'innonde le visage déjà cabossé.
Soudain, un compte à rebours s'active dans mon esprit me rappelant notre terrible course à la montre. Je me lève du lit pour répondre à l'urgence, dépose un tendre baiser sur les lèvres froides et alanguies de Djibril, en lui promettant de revenir très bientôt lui tenir compagnie, même s'il ne m'entend pas.
Quand je rejoins ma mère dans la salle d'attente, je la trouve en pleine conversation téléphonique. Des mots que j'ai pu capté, elle est visiblement entrain d'appeler ses connaissances à la rescousse. Je me saisis de mon téléphone portable et m'y met aussi.
Je n'ai jamais imaginé qu'il serait aussi difficile de trouver un donneur de sang compatible. Je prends alors conscience que chaque jour, des milliers, voire des millions de personnes dans le monde sont confrontés à ce genre de problème. D'autres s'en sorte et les moins chanceux succombent. Je prends la ferme résolution qu'à partir de ce jour, j'irais au centre de transfusion sanguine de Niamey pour prendre une carte de donneur afin de faire régulièrement un don de sang.
On ne realise l'importance des choses que lorsqu'on est touché de très près.
En moins d'une demi-heure, presque toutes les personnes que nous avons sollicitéi sont présentes. Malheureusement, Tout ce qu'elles sont capables de nous offrir, c'est leur compassion car ils sont tous de groupe différent et pour la plupart de rhésus positif.
Au comble de notre désespoir, le vieux médecin barbu reviens vers nous tout souriant et nous annonce la bonne nouvelle qu'enfin, on a trouvé un donneur compatible.
- Un Monsieur s'est présenté comme le père du patient. Nous l'avons soumis au test et il s'est avéré parfaitement compatible. En ce moment même, nous avons déjà commencé la transfusion.
Mon coeur fait un bond dans ma poitrine et mon regard s'élargit d'étonnement.
Cet homme qui nous déteste tellement est vraiment venu nous aider?
En me retournant vers ma mère:
- Maman, c'est toi qui l'a prévenu?
Elle me répond sur la défensive, comme si ma ma question était une accusation alors qu'au contraire, c'était un grand soulagement pour moi qu'elle ait appelé l'oncle de Djibril.
- Oui, il est d'ailleurs la première personne que j'ai appelé. Non seulement il a le droit d'être informé, mais en ce moment nous sommes obligés de fermer les yeux sur nos différends. La seule chose qui importe, c'est la vie de Djibril.
- Maman! Je te remercie d'avoir pensé à ça. Que ferais-je sans toi? La rassuré-je en l'embrassant. D'ailleurs, Dieu ne fait rien au hasard. J'espère que cette épreuve renouera le lien qui s'était brisé entre Djibril et son oncle.
Je ne suis pas aveugle à l'atroce sentiment de vide et d'abandon que l'éloignement de son oncle à créé dans le cœur de Djibril. C'est comme s'il faisait une rechute dans le passé, à l'époque où ses parents sont décédés et qu'il découvrait l'âcre goût de la solitude.
Chaque foi que son regards s'attristait et se perdait dans le néant, je devinais que c'était la manifestation du manque crucial de son oncle dans sa vie.
Malheureusement, le mieux que je pouvais faire au delà de l'impuissance qui m'handicapait, était de lui apporter autant d'affection que possible, pour compenser ses manques.
Je suis tentée d'aller voir Djibril pour m'enquerir de son état, mais j'appréhende la réaction de son oncle en me voyant. Je décide alors d'attendre tranquillement qu'il libère les lieux avant d'y aller.
- Yasmine, je rentre à la maison pour un moment. Je vais jeter un coup d'oeil sur tes soeurs, cuisiner et revenir auprès de toi avec le nécessaire pour un séjour à l'hôpital.
- D'accord maman. A tout à l'heure.
Quelques minutes après le départ de ma mère, alors que je suis seule dans la salle d'attente, occupée à invoquer Dieu en faveur de Djibril, une voix roc prononce mon nom.
Je me retourne et me retrouve face à face avec l'homme que je redoutais tellement d'affronter. Mon beau père se tient là, débout le pallier sur toute sa longueur.
Que me veux t'il?
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Vous le saurez dans le prochain épisode