Chapitre: 24
Ecrit par MoïchaJones
Une nouvelle fois le jour se lève lentement. Ca fait une semaine complète que nous sommes enfermés comme des animaux. Sept jours que je regarde incontestablement les arabesques tracées par les rayons du soleil sur le mur. Les bruits des engins au dehors qui dans un ballet macabre rythme nos journées. Sept jours, ça été suffisant pour éteindre la flamme de rage qui brûlait en moi. Elle s’est émoussée au fil du temps pour n’être plus que l’ombre d’elle-même.
Entendre les bavardages d’Imani se noyer dans le silence, a fini de me briser. Voir le désespoir dans les yeux de Jason, baliser ma férocité… On dit souvent qu’une mère poule ne cède pas un centimètre, pour le bien de sa couvée. J’aimerai bien la voir ici, là maintenant, à ma place.
La porte s’ouvre comme à l’accoutumée, et c’est hippo qui entre. C’est son tour de nous livrer notre plateau tout aussi douteux, de pain sec et de ce qui ressemble à s’y méprendre à une bouillie de boue. Son arme en bandoulière, il dépose le plateau à quelques pas de la porte. La première fois qu’il s’est pointé, c’était le lendemain de notre arrivée. Sa corpulence patibulesque et sa mine de gros nounours inoffensif m’ont fait croire que tout était possible. Erreur de débutante. Je lui ai spontanément sauté dessus, avec le saut de pisse dont je lui ai recouvert la tête. L’échec a été amer. Avant que nous ayons atteint le bout du couloir principal sur lequel donne notre prison, il y avait pas moins de quatre canons de fusils braqués sur nos têtes. En fait, notre cage n’est que l’une parmi des dizaines d’autres dans ce que je suppose être un entrepôt. J’ai reçu une savante correction suite à ça, et depuis lors, je me réserve pour plus porteur. Je n’abandonne pas l’idée d’essayer, mais je dois me rendre à l’évi
dence. Ici, je ne peux rien. C’est l’inconnu.
Il referme derrière lui et je vais prendre le plateau que je rapproche du matelas. On mange en silence, plus pour recharger les batteries qu’autre chose. Rien ne sert de faire une grève de la faim.
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- Avancez !
Des voix nous parviennent du couloir. Les portes grincent, les pas lourds se font entendre. Je me redresse et prends les enfants dans mes bras. Je ne sais pas ce qui se passe, mais ce n’est pas habituel. Nous sommes Jeudi, si je fais confiance à mon cerveau, et ils ont décidé de mettre de l’action dans nos quotidiens monotones. La porte s’ouvre avec fracas et deux armes se braquent sur nous.
- Allez ! On bouge.
- Où nous emmenez-vous ?
- Ne t’occupe pas de ça et avance. On n’a pas que ça à faire, poulette.
Son visage est de marbre et il n’a pas besoin d’artifice pour faire peur à celui qui est en face de lui. C’est une montagne de muscle qu’il laisse volontier entrevoir par les manches de son débardeur effiloché. Imani se cache derrière moi et j’hésite à faire un pas.
- J’ai dit d’avancer pétasse. On n’a pas toute la journée.
Il fait un pas vers nous et je sors de mon inertie.
- D’accord ! Je dis en tendant la main vers lui.
Il s’arrête et me montre la porte d’un geste de la crosse de son arme.
- Venez les enfants. Restez près de moi et rien ne vous arrivera.
J’avance le cœur battant à tout rompre. Je n’arrive pas à camoufler les tremblements qui m’assaillent. Je serre instinctivement les petites mains dans les miennes et les entraine avec moi vers la sortie.
- C’est ça les enfants, écoutez maman.
Il a parlé avec une ironie qui contraste avec la nocivité de son regard.
Dans le couloir ils sont des dizaines à avancer dans la même direction. Des enfants de tout âge, des adolescents qui portent des plus jeunes. Je marque un temps d’arrêt avant qu’un de nos geôliers, ne me poussent avec force, manquant de me faire tomber. Nous finissons tous entassés dans une pièce métallique, parsemée de petits trous qui laissent rentrer un faible éclairage. En laissant mon regard se balader autour de moi, je me rends compte que beaucoup de ceux que j’ai pris pour des adolescents sont en fait des jeunes hommes et des femmes. Qu’est-ce que je fous là. Je crois comprendre ce qui se passe, mais je n’assimile pas vraiment notre présence parmi ces gens du bas peuple.
Je me crée un passage vers le milieu du conteneur, et nous mets dos à la paroi. Les portes immenses sont fermées dans un bruit sec et la cage se fait plus sombre. J’entends des chuchotements autour de nous, certains qui cherchent d’autres. Des pleurs d’enfants, des voix douces qui chantent des berceuses. Je tire machinalement Jason et Imani plus près de moi et ils m’entourent de leurs bras fluets, quand un bruit assourdissant sème la panique en nous. Le conteneur se mets à tanguer et nous tombons les uns sur les autres. Les cris se font plus forts et les pleurs plus énergiques. Pour avoir déjà pris l’avion, je sais que nous sommes dans les airs. Un port ! Voilà c’est ça. Nous sommes dans un conteneur qu’une drue soulève pour charger dans un bateau.
Mon Dieu ! La vérité me frappe en plein visage. Nous sommes en train d’être exporté comme de la marchandise.
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L’air se fait de plus en plus rare. Je me sens faiblir, comme tous mes compagnons de voyage. L’odeur piquante de l’urine fermentée empeste de partout. Mais le pire ce n’est pas ça. Non ! cette odeur nous a accompagné depuis des jours, nous avons fini par nous y habituer. Non le pire c’est fragrance abominable du vomi rendu nauséabonde par la pourriture. Couplée à la chaleur qu’il fait, ça donne un mélange à la limite du supportable. Un à un nos vêtements ont rejoint le sol et nous servent en même temps de couchette. On est loin d’un programme de croisière. C’est plutôt l’inverse.
J’ai un haut le cœur et je porte une main à ma poitrine. Je ferme les yeux et ralenti encore plus ma respiration. A côté de nous j’entends quelqu’un se vider de ses boyaux et je ne résiste pas longtemps à faire pareil. C’est ainsi depuis que le bateau a quitté le port. Dans un rythme inconstamment régulier, l’un d’entre nous se déverse en quasi-totalité sur le parquet de métal. Le mal de mer… Je ne savais pas que j’en souffrais.
- Shaganzi ?
Il me passe la main sur le dos, dans un geste lénifiant.
- Ca va aller, ne t’inquiète pas. C’est passager.
- Maman, ça sent mauvais.
- Shut… vient par ici.
Je la ramène sur mes jambes et oriente son visage vers une des nombreuses ouvertures. Je passe ma main sur son front, puis finis par la perdre dans sa chevelure en bataille. Elle est moite, comme nous tous. Elle pue la merde, comme nous tous. Elle souffre de cette condition. Comme nous tous. Je pense à ce qui nous a conduits dans cette situation, et je me demande ce qu’il y a de meilleur. Vivre dans le mensonge, ou s’affranchir dans la souffrance.
- Ca va mieux ? Je demande lentement.
Elle secoue sa petite frimousse et je pousse un léger soupir. Un coup d’œil à Jason, le plus courageux de nous trois, et je m’adosse à la paroi pour laisser court à mon mal être. Le cri silencieux qui fait écho à la douleur de ma peine, me laisse avec encore moins de force.
**
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La grande porte s’ouvre lentement, et laisse place à la lumière qui nous aveugle. Je mets mes mains en paravent devant les yeux des enfants et prendre une grande bouffée d’air. J’ai arrêté de compter les jours il y a belle lurette. La fréquence de nos semblants de repas elle aussi est inconstante. On ne sait pas sur quoi ils se basent pour décider que oui ou non on sera nourrit. On se contente juste de prendre ce qu’ils nous donnent quand ils jugent que c’est le bon moment. C’est toujours le même processus. Les portes s’ouvrent grands et ils sont là. Armés de pieds en cape, avec des sacs de pains garnies à de la margarine la plus part du temps, mais souvent c’est juste parfumé avec du pâté. On descend le tout avec de l’eau sucrée.
Les baguettes passent de mains en mains vers le fond. Chacun a droit à une moitié de pain. Ils nous en donnent suffisamment pour nous garder en vie, mais pas assez pour que nous mangions à notre faim. De toute manière, avec le mal de mer, on ne fait que remplacer ce que nous avons perdu quelques instants plus tôt.
Je prends mon morceau de pain et le regarde d’un œil terne. Je n’ai pas envie de brusquer mon estomac, surtout que mon écœurement est toujours présent.
- Je n’ai pas faim.
Plus les jours passent, plus la voix d’Imani se fait plus abattue.
- Fait un effort ma chérie, sinon tu vas être malade.
- Non.
- Imani, ne fait pas l’enfant. Ecoute maman.
Elle lance un regard cotonneux, mais haineux à Jason, puis met son visage sur mon épaule. Je la sens un peu fébrile, mais ça ne m’inquiète pas. Ca doit être dû au confinement.
- Laisse la Jason, elle mangera quand elle en aura envie. Moi non plus je n’ai pas très faim.
Il me regarde suspicieux, et je lui fais un sourire pour le calmer.
- Toi, vas-y… Mange. Ca ira mieux pour nous tout à l’heure.
- Tu promets ?
D’un geste de la tête, je mets fin à la discussion.
Les portes se referment après avoir nettoyées l’air. C’est plus respirable et c’est l’esprit un peu plus libre que nous fermons l’œil plus tard.
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Elle est plus que fébrile, elle est brulante. Je crois qu’elle est malade. Des frissons la parcours entièrement et je laisse échapper une larme solitaire. Y a comme un mauvais vent qui souffle parmi nous, trois personnes ont déjà eu la fièvre, elles sont toutes sorties et ne sont jamais revenues. Tout ça a commencé il y a environ une semaine, une petite d’approximativement 7 ans. La fièvre qui est tout ce qu’il y a de plus banale en temps normal, mais dans les conditions dans lesquelles nous vivons, un fait grave. Elle n’avait rien d’autre, juste cette satanée fièvre. Nous avons fait ce que nous avons pu avec les moyens de bord pour la baisser. Les petites réserves d’eau que nous faisons aves les repas y sont passées, mais on a du se rendre à l’évidence et signaler le problème à nos bourreaux.
« Vous croyez que vous êtes en première classe avec un médecin à disposition ? La vie c’est une sélection naturelle. Les plus faibles se font bouffés. »
Je m’en souviens comme si c’était hier, et je prie pour que ma fille ne se fasse pas bouffer à son tour. Elle est forte et elle va s’en sortir. Elle doit s’en sortir.
- Tient mon bébé, boit… Pour maman. Je lui dis en pleurant doucement.
Elle me regarde et tente un sourire, mais réussit juste à faire une grimace difforme.
Je porte le goulot de la bouteille à ses lèvres, et lui fais boire quelques gorgées qu’elle avale difficilement. Elle tousse un peu avant de se laisser aller contre ma poitrine. Je tends la bouteille à Jason qui secoue la tête en silence, le regard fixé sur Imani.
- Hé petite, arrête de faire le bébé à sa maman.
Ses paroles se font taquines, il adore l’embêter. Mais la Imani que nous tous connaissons n’est déjà plus là. Ces salopards sont en train de me tuer ma fille à petit feu. Je la regarde dépérir de jour en jour et mon cœur se brise. Je ne sais pas combien de temps nous avons déjà fait sur ce bateau, ni combien de temps il nous reste avant de mettre pieds à terre. Je ne sais pas encore moins ce qui nous attend suite à cette horreur, mais je ne peux qu’espérer que la fin soit proche. Je ne veux pas voir ma fille mourir. Les parents ne sont pas censés enterrer leurs enfants.
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3 jours qu’ils l’ont emmené, et je n’ai toujours pas de nouvelle. L’inquiétude me ronge, mais ça n’intéresse personne d’autre que moi. Je n’arrête pas de tourner en rond dans ma cage, les journées passent au ralenti et j’ai tous les jours des envies de meurtres plus fortes. Mon regard se balade lentement dans notre nouvel espace à vivre. C’est toujours une pièce d’entrepôt, sauf que cette fois-ci elle est ouverte et divisée en petites cages par un grillage. Ils nous ont parqués cinq à six par cage. A droite au fond du hangar, un coin protégé par des bâches blanches et tachées de sang, où on conduit chaque jour quelques-uns d’entre nous qui ressortes de là sur des civières. Des gardes se baladent à tour de rôle dans des couloirs emménagés à cet effet, pendant que d’autres jouent aux cartes plus loin.
La vie s’est nettement améliorée me dira-t-on, mais je suis toujours captive. Je ne sais pas où est ma fille, ni comment elle se porte, encore moins Jason qui a été séparé de moi à notre descente du bateau.
J’aperçois hippo qui vient vers nous. Je me rapproche de la grille dans laquelle je passe les doigts avec frénésie.
- Psiiii. Je siffle entre mes dents.
Il me regarde du coin de l’œil et je lui fais signe de s’approcher. Il hésite un instant, mais finit par venir.
- Qu’est-ce que tu veux ?
- Ma fille…
Il semble entendre mon anxiété, car je le vois hésiter une seconde.
- Je ne sais pas…
- S’il vous plait. Je veux juste savoir comment elle va ?
Il tourne la tête de gauche à droite comme si la réponse se trouve là quelque part. Quand son regard revient sur moi, j’ai l’illusion d’y voir de la sympathie.
- Je vais me renseigner, mais je ne te promets rien.
- Yo Koffi ! Qu’est-ce que tu fous putain ?
Je m’éloigne de la clôture et croise mes bras sur ma poitrine. Je ne lâche pas son regard, il doit comprendre que j’attends véritablement quelque chose de lui. Il me fait un clin d’œil discret et tourne le dos.
- Alors, qu’est-ce qu’il t’a dit ?
Je sursaute à cette question chuchotée dans mon cou. Je ne l’ai pas entendu me rejoindre. Myra. En trois jours j’ai plus appris sur elle, que je n’en savais sur moi-même. La trentaine, elle vient de Kibéra, comme plus de la moitié des personnes en captivité avec nous. Et toujours comme la plus part d’entre nous, elle a passé un « contrat » avec le mzuka. Le spectre. Jomo. Elle lui offre un rein et en échange sa mère reçoit une coquette somme pour prendre en charge sa fille. Le must dans l’histoire, c’est un voyage tout frais payé pour cape-town où elle va travailler et se faire des économies. Le rêve sud-africain.
- Il ne sait pas comment elle va, ni où elle se trouve. Mais il va se renseigner.
Elle secoue la tête en me prenant dans ses bras.
- Tout ira bien, le Seigneur ne laisse aucun de ses enfants.
Cette phrase n’appelle aucune réponse, alors je ne dis rien. Je me contente de me laisser faire. Ses bras ont gardé de leur vigueur. Ils sont fermes et doux à la fois. Ca me fait du bien.
- Les gouines, vous avez envie d’une vielle bonne bite pour vous séparer ?
Je me rétracte et j’ai envie de m’éloigner, mais Myra me retient à bout de bras.
- Ne l’écoute pas, c’est un con.
Sa voix se perd dans la cohue des éclats de rire. Je m’essaie à lui sourire et ça marche. Les gardes continuent de nous charrier et on finit par se séparer. Je crois que je viens de gagner une amie dans tout ce merdier.