Chapitre: 25

Ecrit par MoïchaJones

Les grands ventilateurs disposés un peu partout dans la salle commune, diffuse une agréable brise glaciale. Je suis sur ma couchette, le regard au plafond. J’attends qu’on veuille bien faire quelque chose de moi. Tout le monde autour s’active, surtout ceux qui ont déjà remplis la première partie de leurs contrats avec le clan. Pour ceux qui ont déjà subi leur opération, l’heure est venue de prendre la route. En une semaine, ils sont déjà une douzaine. La convalescence s’est plus ou moins bien passé pour certains. Pour les autres, deux sont morts, deux autres ont fini à l’hôpital et y sont toujours. 


Myra, elle, n’est pas encore programmée. Elle a hâte de passer sur le billard, car pour elle c’est le glas de sa nouvelle vie. 


Je me tourne sur le côté et la regarde. Elle est assise devant un semblant de coiffeuse qu’elle a eu à négocier avec un garde. Elle se pomponne avec du maquillage, qu’il lui a aussi offert. Je crois qu’il a un faible pour elle. Ca me fait sourire. 


- Qu’est-ce qui te donne la banane ? 


La voix de Myra me tire de ma rêverie. Mes yeux croisent les siens dans le miroir, elle a un tube de rouge à lèvres rouge devant sa bouche, mais ne bouge pas. 


- Rien de particulier. 

- Arrête de mentir. Ne soit pas bête, partage ta joie. 


Je pousse un long soupir et me redresse lentement. 


- Tu te fais belle pour ton amoureux ? 


Je tente de changer de sujet et ça marche. Elle roule des yeux, mais ça se voit qu’elle apprécie. Je ne sais pas comment elle fait pour trouver quelque chose de positif à cette condition. 


- Jamais. Je me pomponne pour moi. Je ne le ferais plus jamais pour un homme. 


Ses paroles sont amères elle en a bavé. Le père de sa fille lui a fait voir de toutes les couleurs, avant de la laisser tomber du jour au lendemain et enceinte. Aujourd'hui elle me soutient que c’est une joie d’avoir sa fille, et je la crois. Quand elle me parle d’elle, je comprends ce qu’elle veut dire parce que moi aussi je ressens la même chose quand je parle d’Imani. Imani… Hippo m’a dit qu’elle est prise en charge dans un hôpital de la ville, mais je n’en sais pas plus. Tous les matins et tous les soirs, je prie le Seigneur qu’il me rende ma fille en vie et en bonne santé, et tous les jours je ne la vois pas qui revient. Je ne peux que me fier à ce qui m’est dit, alors je prends sur moi et tente de faire bonne figure. Il faut que je sois en forme quand elle va revenir. Sa maman doit avoir bonne mine, pour la rassurer que tout ira mieux. 


- Tu penses à elle, hein ?


Je fais un sourire triste et me passe une main sur le visage.


- Elle me manque... J’espère qu’elle va bien. 

- Ne t’inquiète pas, Dieu écoute tes prière. 


Je commence à en douter, mais ça je ne le dis pas haut. Je me contente de sourire.


- Et tu penses que tu pourras m’avoir de ramener Jason avec nous ?


Elle me fait un clin d’œil complice après s’être tournée vers moi. 


- Je t’ai dit que je ferais tout ce qui est faisable pour que ton petit revienne près de toi. 


Je me redresse une nouvelle fois sans toutefois poser pieds à terre.


- Je suis vraiment désolée de t’imposer ça…


Elle ne me laisse pas finir et se lève précipitamment pour venir s’assoir à mes côtés. 


- Je t’ai déjà dit d’arrêter de me remercier. Au point où j’en suis, je ne vois pas qu’est-ce que je ferai de mal pour mon confort. Et mon confort c’est aussi de te savoir à l’aise. 


Je prends ses mains dans les miennes et les serre chaleureusement. 


- Tu as un très bon cœur. 

- Toi aussi. Il suffit juste de voir comment tu t’inquiètes pour tes petits pour comprendre. 

- J’aimerai avoir la force de faire ce que tu t’apprêtes à faire. 

- Si toi aussi tu avais tous tes œufs dans un même panier, je pense que tu ferais de même. 


Je la regarde en silence. C’est vrai que ce n’est que devant l’adversité qu’on mesure la force de son caractère. La preuve, en deux semaines je me suis retrouvée à faire des choses que je ne me serai jamais imaginée faire de toute ma vie. Tout ça c’est grâce à la peur.  Cette même peur qui traduit ce que je ressens à l’idée de perdre ce que j’ai de plus cher au monde. La chair de ma chair, le sang de mon sang. Uhu est peut-être du côté de ceux qui ont le control en ce moment, je ne baisserai jamais les bras. Je ne les laisserai jamais faire.


- En attendant je dois faire vite, sinon mon prince va me trouver à moitié nue.


Je sors brutalement de ma rêverie, pour me rendre compte qu’elle se fout de ma gueule. Je suis tentée de lui tirer la langue, mais me retient de justesse quand je remarque le nouvel arrivant. Il est assez loin, mais faut avouer qu’il en jette énormément. A cette distance, je ne saurai dire exactement duquel des deux il s’agit, mais mon cœur a déclenché la course. Le silence s’installe et je garde le regard fixé sur lui. Il parle avec un des gardes qui se retourne subitement vers nous, le doigt tendu dans ma direction. 


Nos regards se croisent et je sais que j’ai affaire au mauvais spécimen. J’aurai du me douter. Il s’approche d’un pas mesuré, une main dans la poche de son pantalon. Son costume à la coupe parfaite est de couleur grise anthracite. Toutes les conversations se sont tuent dans la salle et les regards suivent son avancée. Lui ne me lâche pas des yeux. Mon cœur s’affole. 


Imani !


Je me lève, les jambes flageolantes. Mon cœur est sur le point d’exploser. Il avance à grand pas vers moi, mais mon esprit le voit arriver plus vite que mes yeux. J’appréhende ce qu’il va me dire. Ma fille. Où elle est, comment elle va. 


Jomo s’arrête à deux pas des grilles et je n’arrive pas à voir son regard masqué par ses lunettes de soleil. Le temps s’arrête une fraction de seconde. La pression monte en moi, j’arrive à peine à respirer. Et lui n’arrange rien, il reste figé face à moi. J’ai le souffle court. 


- Regardez-moi ça ! Belinda Kibaki. 


Il le dit avec un tel dédain dans la voix.


- J’ai eu du mal à te reconnaitre. 


Il enlève ses gucci d’une main assurée et les fourre avec lenteur dans la poche interne de son veston. 


- Tu fais moins la maline à ce que je vois. Ajoutes-il en baladant son regard autour de nous. 


Un sourire ironique aux lèvres, il prend un immense plaisir à me voir dans cette situation peu avantageuse.


- Tu as perdu ta langue ou quoi ? 


Je le regarde silencieuse. Ses yeux sont fixés aux miens et je suis parcourue par un frisson glacial. J’ouvre la bouche pour la refermer au bout d’une seconde. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir dire. De toute façon, vu comment il me tient, ça ne me servirait à rien d’argumenter avec lui. 


- Tu me déçois énormément Belinda. Je t’aimais bien grande gueule. Là tu n’es plus qu’une loque humaine. 


Ca se voit clair comme le nez sur un visage qu’il veut me faire sortir de mes gongs. Je ferme les yeux en prenant une grande inspiration. Je suis prisonnière de ce salopard, à des milliers de kilomètres de chez moi, sans personne pour venir à mon aide. Car je me doute bien qu’ils n’ont rien dit de vrai à ceux qui me cherchent. Ma famille, leur famille, nos amis. 


Devant mon silence persistant, il fait signe au garde qui l’accompagne et celui-ci ouvre la porte. Je fais un pas en arrière en m’attendant au pire et la voix froide de Jomo me stoppe net.


- Suit-moi !


J’hésite un instant, puis après un rapide coup d’œil à Myra, je sors de la cage. Je me réserve le droit de réponde aux nombreuses interrogations que je lis sur son visage, plus tard et à tête reposée. En espérant que je rejoigne ma prison, car je doute fort qu’il me libère ou me loge dans un endroit plus confortable, après tout le mal qu’ils se sont donnés pour me déporter jusqu’ici. 


Nous marchons en silence dans les couloirs, sous les regards curieux des autres. Il faut dire que personne jusqu’ici ne pouvais s’imaginer que j’avais des liens quelconque avec le mzuka. J’avance la tête droite, mais je ne remarque pas grand-chose à ce que je traverse. Mon esprit est comme embrumé. Je n’arrive pas à rester concentrée. Je me pose mille et une questions sur ce qui va suivre et ma vivacité est mise à rude épreuve. 


Au détour de la dernière allée avant la porte du hangar, je sens peser sur moi un regard lourd. Je balade mes yeux aux alentours et tombe dans ceux d’un Jason tout paniqué. Je m’arrête instinctivement et fait un pas vers lui. 


- Jason !


La voix de Jomo résonne d’un claquement sec. 


- Tu fais un pas de plus et il est mort.


Il a parlé suffisamment fort pour que je sois la seule à l’entendre. Je me tourne vers lui, ses pupilles brillent de toute sa méchanceté. Je plie rageusement les poings. J’ai envie de faire fi de ses menaces, mais je sais au plus profond de mon être qu’il est tout à fait sérieux. Il le ferait surement avec plaisir. Un dernier coup d’œil à Jason et je lui tourne douloureusement le dos sans un signe. 


- Bonne fille !


Jomo me laisse passer devant lui et je sens son regard parcourir ma silhouette. Je sors et la lumière du jour me fait légèrement valser. Sa main se retrouve sur mon coude et je ne résiste pas longtemps à la lui arracher. Je préfère encore manger l’asphalte qu’avoir le moindre contact avec ce mécréant.


Une limousine noir est garée au milieu de la cour et un garde en costume noir est debout devant. Il ouvre la porte quand il nous voit approcher et je ralentis.


- Où m’emmènes-tu ? Je demande d’une petite voix.

- Alléluia, tu parles.


Je m’arrête et croise les bras dans un signe de protestation. 


- Je n’irai nulle part si tu ne me dis rien.

- Tu n’es pas en état de négocier quoi que ce soit ma chère. Je détiens toutes les cartes en main, c’est donc moi qui décide de tout. 

- Où est ma fille ? Qu’est-ce que tu veux de nous ?


Il monte dans la voiture sans se préoccuper de moi. Le soleil est haut dans le ciel et la chaleur à son comble. Mes sandales ne me protègent pas de la brulure du macadam, mais je ne suis pas prête à en démordre. 


- Tu me perds le temps, et par conséquent de l’argent. 

- Je veux savoir où tu…

- Tu ne vas rien savoir d’autre que ce que je suis bien décidé à te dire. Alors arrête de nous perdre du temps à tous les deux et monte dans cette putain de bagnole.


Je retrouve bien le ton mordant qui a toujours réussit à m’effrayer. Je n’hésite plus trop longtemps et monte à mon tour dans l’habitacle. Le chauffeur démarre sans aucune directive, comme dans une symphonie déjà bien orchestrée, et longe un terrain vague avant de rejoindre un grillage qui fait office de clôture. L’endroit est perdu au milieu de nulle part et aucune âme qui vivent à des kilomètres à la ronde. Personne, mis à part les gens qui ont construits cet endroit, ne doit être au courant de son existence. 


Je pose mon front sur la vitre close et laisse mon regard trainer sur le paysage que nous traversons. Même s’il me prend l’envie de m’enfuir, je ne vois pas comment je réussirai à traverser toute cette étendue de terre agricole avec deux enfants comme bagage. Mes derniers espoirs s’effondrent d’un seul coup. 


« Seigneur, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Mon cri est silencieux et désespéré. 


- Tu ne peux rien contre moi. Je détiens toutes les cartes. 


Il lit dans les pensées maintenant. Cette manie qu’il a d’enfoncer le clou là où ça fait mal, me tue cruellement. 


Une trentaine de minutes plus tard, on passe le portail en fer forgé blanc d’une magnifique demeure de style coloniale. Elle est fièrement dressée, comme sortie de nulle part. Le voisinage est tout aussi luxueux, mais cette maison est à couper le souffle. A elle seule elle doit valoir des milliers de shilling.


- Bienvenue chez moi, princesse.


J’ouvre la bouche et la referme une seconde fois. Depuis que je suis captive, ça m’arrive de plus en plus. La voiture gare devant un porche blanc, qui contraste avec le rouge vif des briques de terre qui recouvre la quasi-totalité des murs de la maison. Quatre piliers lactés forment un abri majestueux et font ressortir le bronze brillant qui orne les battants de la porte d’entrée. Le cadre des fenêtres, jaune-canari, s’harmonise parfaitement avec les murs et laissent deviner des rideaux immaculés. L’extérieur regorge de fleurs colorées agencées avec goût. Je ne devine pas ce que me réserve l’intérieur. 


Jomo me pousse vers la porte qui est maintenant ouverte et tenue par un majordome en livré rouge et or. L’intérieur est plus sobre que je ne m’y attendais. Très lumineux et sans superflus. Ca respire le même luxe, mais sans aucune insolence. Je dois reconnaitre que je suis surprise.


- Alors, ton verdict ?

- Qu’est-ce que ça peut bien faire.

- Tu me blesses. Je suis ouvert à toute critique venant de ta part. 


Je sens filtrer comme de l’ironie dans ses paroles, mais c’est tellement fin que j’ai un doute. 


- Tu dois être fatiguée… Vient, entre. Fait comme chez toi ?


Il traverse le hall et rentre dans ce qui doit être la pièce à vivre. Je reste figée sur place et quand il se rend compte qu’il est tout seul, il revient vers moi. 


- J’ai dit de faire comme chez toi.

- Je ne suis pas chez moi.

- Fait semblant.

- Où est ma fille.


Il enlève sa veste qu’il tend au majordome toujours présents, puis met les mains dans les poches de son pantalon. 


- On peut rester là toute la journée et toute la nuit, ou alors tu fais ce que je dis et plus vite on ira voir Imani. 

- Où la caches-tu ?

- Je ne la cache nulle part. Elle avait besoin de soin médicaux, je l’ai juste conduis dans un endroit où elle ne manque de rien dans ce domaine. 


Mon cœur manque un battement.


- Comment elle va ?

- Plus vite tu te doucheras et piquera un somme, plus vite on la rejoindra et tu pourras voir par toi-même.


Je fais un pas vers lui puis je m’arrête.


- Pourquoi cette subite gentille.


Il sort ses mains qu’il croise sur sa poitrine. Le regard mi sérieux, mi rieur. Je regrette tout d’un coup ma curiosité.


- Je te le dirai le moment opportun. 


Je regarde ses yeux se balader sur moi et je suis prise de nausées. J’imagine très bien ce qu’il a en tête et j’essaie de tirer les pants de ma chemise entièrement boutonnée l’une contre l’autre. Ma réaction provoque chez lui un rire tonitruant qui me glace les os. L’étau se resserre tout doucement autour de moi, et je suis complètement désœuvrée. Il me tient par le bout des doigts.

Jamais sans elle