Chapitre 24 : Le contrat

Ecrit par Nobody

Je ne dors pas vraiment. C’est-à-dire que j’ai les yeux fermés, que mon corps est étendu sous les draps, que je ne bouge pas — mais à l’intérieur, je suis en ébullition. Mes pensées vont et viennent comme une marée agitée, et au cœur de ce remous, toujours lui. Moussif. Son regard en biais, mi-défi, mi-caresse. Sa voix, ce timbre grave et glissant comme du miel trop chaud. Et ce baiser.

Je me retourne dans le lit, étouffant un petit rire nerveux. Franchement... Si quelqu’un m’avait dit, il y a un mois, que je me retrouverais à me demander si un homme qui m’énerve autant peut me plaire à ce point, je l’aurais pris pour un fou. Ou un voyant mal luné. Ou encore que je penserai autant à un homme à qui la vie avait scellé mon destin sans mon accord, je lui aurais rit au nez. 

Il est à peine 9h. La lumière douce du matin entre par les persiennes, et j’entends déjà des bruits de pas discrets dans le couloir de l’hôtel. C’est fou comme, même dans un palace, on n’échappe pas aux talons qui claquent ni aux femmes trop parfumées qui pensent que le monde entier doit sentir leur Coco Mademoiselle à 9h du matin. Je soupire et me redresse lentement. C’est une nouvelle journée qui commence et cette fois, j’ai un plan. Aujourd’hui, je vais jouer un rôle, je suis femme d’affaires : froide, distante, stratégique. Et surtout, bien décidée à donner une petite leçon à monsieur le chef de Moussif.

Je réveille ma fille qui n'eut absolument aucun mal à se lever, on file sous la douche puis on sort réveiller le grand tonton Fiko. On descend tous se restaurer rapidement et j'échange avec mon frère pendant que j'écoutais discrètement ma fille parler au téléphone avec son ami Junior. Je lui annonce que je vais sortir et profite pour lui parler du souci de Moussif avec son chef. Il m'encourage dans mon idée et me demande de souhaiter bon courage à Moussif pour cette épreuve. 

Je hoche la tête, embrasse ma fille et lui demande de rester sage avec son tonton puis je sors de l'hôtel pour m'installer dans ma voiture.

Il est presque 11 heures quand je gare ma voiture devant l’immeuble beige, un peu décrépit mais visiblement très fréquenté. J’ai tapé l’adresse du cabinet comptable de Moussif dans Google Maps plus tôt, juste après avoir fini mon petit-déjeuner.

Je n’ai rien dit à Moussif. Je voulais lui faire la surprise. Enfin, une surprise... façon de parler. Je viens en éclaireuse, plutôt. Je veux voir ce fameux chef. Celui qui lui a volé le mérite de son propre travail. Celui qui s’est fait applaudir pendant que lui rongeait son frein. J’ai repensé à ses mots hier soir, à son hésitation, à sa peur du vide, de se retrouver sans emploi. Et je me suis dit : si je veux qu’il lâche ce job toxique pour venir bosser avec moi, il faut peut-être que je l’aide à partir en beauté. Et pour ça, il me fallait un plan. Ce matin, j’en ai un. Reste à voir s’il marche. De toutes les façons il n'y a pas de raison que ça ne marche pas.

Je remets un coup de rouge à lèvres discret, lisse un pli imaginaire sur ma chemise bleu nuit, et je sors de la voiture, sac au bras. Mon téléphone est en silencieux, mais prêt à enregistrer. Toujours être prête.

En entrant dans le bâtiment, je m’attends à trouver un endroit poussiéreux ou impersonnel, mais c’est plutôt propre. Pas luxueux, mais fonctionnel. Le genre d’endroit où l’on bosse dur, mais où l’on ne s’attarde pas trop à la déco. Dès que j’entre, c’est comme si l’air se figeait. Open space avec trente ou quarante personnes, des bureaux en enfilade, séparés par des cloisons vitrées ou des armoires. Des hommes en chemise trop serrée, cravate de travers, lunettes carrées, voix qui murmurent chiffres et acronymes. Et des femmes, quelques-unes, au regard tranchant, maquillage impeccable, doigts rapides sur le clavier. Et au milieu de tout ça… lui. Moussif.

Moussif est en train de parler à un collègue, un peu penché sur son bureau. Il porte une chemise bleu nuit comme la mienne, les manches retroussées, une montre noire discrète. Dès qu’il lève les yeux et me voit, je le sens se redresser d’un coup. Ses lèvres s’entrouvrent, il a l’air de ne pas comprendre. Un battement de cil trop long. Puis ses sourcils se froncent.

Moi, je me tiens droite. Je ne souris pas. Je prends cette voix que j’ai utilisée cent fois au Bénin quand je venais négocier avec un ministère ou défendre un budget auprès d’un mécène français et m'adresse à la réceptionniste. 

— Bonjour, je suis ici pour rencontrer monsieur… euh, votre responsable, le chef d’équipe ou l’associé principal ? J’ai entendu parler de votre cabinet et je suis en quête d’un expert-comptable.

La réceptionniste prend note et me demande de patienter. Moussif me fixe toujours, figé, comme s’il n’était pas certain que c’était bien moi. Je détourne le regard, feignant de ne pas le connaître. Je sens les regards glisser sur moi, certains admiratifs, d’autres franchement jaloux. Je suis habillée sobrement, mais je sais ce que je dégage. Et dans un environnement majoritairement masculin comme celui-ci, une femme inconnue, seule, sûre d’elle, ça fait toujours son petit effet.

Quelques minutes plus tard, on me fait entrer dans un petit bureau vitré. Climatisation poussive, dossiers empilés sur un meuble en coin, un tableau effaçable blanc avec des chiffres à moitié effacés. L’homme derrière le bureau se lève. Cravate bleue, cheveux taillés court, sourire trop poli.

— Bonjour madame, je suis monsieur Olivier Lemvo, chef d’équipe ici. Que puis-je pour vous ?

— Bonjour monsieur Lemvo. Merci de me recevoir. Je m’appelle Naïla Adéyémi. Je suis la fondatrice et directrice de l’atelier RAFA, au Bénin. On travaille dans la conservation et la restauration d’objets d’art africain. On a connu une forte croissance cette année, et je suis à la recherche d’un expert-comptable compétent, capable de suivre nos comptes à distance, mais aussi d’assurer une veille stratégique pour nos prochains investissements.

Je vois ses yeux briller à la mention du mot « croissance ». Il s’installe plus confortablement dans son fauteuil.

— C’est une démarche très pertinente, madame. Et vous avez bien fait de venir ici. Nous avons plusieurs clients à l’international, et notre cabinet a l’habitude de gérer des structures en pleine expansion.

— Oui, j’ai justement entendu parler de vous via le réseau d’affaires de Cotonou. Il paraît que vous avez fait un travail remarquable avec la société Zimat, non ?

Il redresse un peu plus le torse mais fronce les sourcils.

— Ah c'est assez surprenant que vous en parliez, l'information n'est pourtant pas encore officielle.

— Certes mais monsieur Lemvo pardonnez moi de vous le rappeler mais je suis une femme d'affaires, les infos circulent rapidement dans notre milieu. Ne dit-on pas que celui qui détient l'information détient le pouvoir monsieur ? je lui demande avec un sourire espiègle 

  Effectivement conçoit-il avec le même sourire. Donc Zimat, oui. Un dossier complexe, mais passionnant. Ils avaient un retard de trois exercices comptables, beaucoup d’incohérences, de dépenses non justifiées . J’ai dû restructurer tout leur système de reporting financier. Un vrai challenge. Mais on a réussi à redresser la situation. À vrai dire, c’est un de mes plus beaux coups.

Je garde mon sourire. Mon téléphone, bien calé dans ma main gauche, continue d’enregistrer.

— C’est justement ce genre de rigueur que je recherche. Mais dites-moi, c’est vous qui avez mené le travail de bout en bout, ou c’était une collaboration d’équipe ?

Il rit doucement, fausse modestie en bandoulière.

— On est une équipe, évidemment. Mais pour Zimat, c’était à 90 % moi. De la première analyse jusqu’à la remise à niveau des bilans. J’ai même formé leurs équipes internes à mieux tenir leurs livres. De plus Personne d’autre n’était capable de gérer ça dans les délais impartis vous savez.

Je hoche la tête, intéressée.

— Impressionnant.

On échange encore quelques mots. Je lui explique que je suis à Pointe-Noire pour quelques jours, que je compte visiter plusieurs cabinets, mais que le leur est sur ma shortlist. Il me tend une carte de visite avant de me serrer la main. Je me lève, prête à partir.

— Merci pour votre temps, monsieur Lemvo. Je vous recontacterai bientôt que la réponse soit positive ou non.

— Avec plaisir, madame Adéyémi. Et félicitations pour votre croissance.

Je sors du bureau en hochant le tête. En croisant le regard de Moussif, je m’arrête une demi-seconde, le temps d’un clin d’œil à peine visible, et je poursuis mon chemin. Quelques secondes plus tard, je suis dehors.

Je m’installe dans ma voiture, mets les lunettes de soleil sur le nez, et lui envoie un message :

— Je suis devant, viens me rejoindre dès que tu peux. Je t'enlève pour ta pause.

Il ne met pas longtemps à sortir. Il a ôté sa cravate, a l’air un peu paumé. Il ouvre la portière et s’installe sur le siège passager.

— Tu peux m’expliquer c’était quoi ce cinéma ?

— Bonjour à toi aussi, Moussif. Tu ne m’embrasses pas cette fois ?

— Naïla, sérieusement…

Je ris de le voir ainsi puis il finit par sourire lui aussi.

— J’avais besoin d’un alibi crédible pour rencontrer ton cher patron. T’es pas content de me voir ?

— T’es venue jouer les espionnes, ou bien ? Et moi, pendant ce temps, j’ai failli faire une attaque là-bas. Les regards que les gens me lançaient ! 

Je ris encore plus fort. J’aime bien quand il parle comme ça. Ça me détend. Il me fait rire naturellement, sans avoir besoin d’en faire trop.

— Tu es en pause là n'est-ce pas ? Tu connais un endroit tranquille où on peut se poser un moment pour que je t'explique le topo ?

Il hausse les épaules.

— Chez moi. C’est à dix ou quinze minutes en voiture. On y sera au calme si ça te dérange pas.

— Parfait je dis ne voyant aucun mal

Il me guide dans les rues de Pointe-Noire. On s’éloigne un peu du centre et en passant devant une boutique je profite pour m'arrêter prendre quelques produits dont j'avais besoin. J'ai remarqué que Moussif avait pris les devants pour régler mes achats mais vu le regard qu'il a eu après avoir jeté un coup d'oeil à son portefeuille j'ai compris qu'il n'avait pas assez, alors je me suis contentée de lui toucher le bras et de passer devant lui pour payer en silence. On sort puis on remonte dans ma voiture. 

Dix minutes plus tard, on se gare devant une petite maison basse, aux volets jaunes. Un portail simple, une cour où pousse un bougainvillier.

— C’est chez moi, dit-il avec un air faussement gêné.

— J’espère que t’as rangé, sinon je te mets une mauvaise note sur Booking moi je te le dis.

— Très drôle.

L’intérieur est modeste, mais propre. Un petit salon avec deux fauteuils, un canapé bleu marine un peu élimé, une télé à écran plat. Une bibliothèque pleine à craquer d’ouvrages de gestion, de romans aussi. Deux chambres de ce qu'il m'a dit, un couloir, une cuisine avec une table bancale mais pratique. Et une guitare posée dans un coin. Tiens, je ne savais pas qu'il en jouait. C’est simple, chaleureux. Authentique. Je m’installe sur le canapé pendant qu’il va chercher deux verres d’eau.

— Bon, princesse du Bénin, tu me dis enfin ce que tu mijotes ?

Je lui fais signe de s’asseoir.

— On va dire que j’ai voulu en savoir un peu plus sur ton chef. Et tu sais quoi ? Il est encore plus pitoyable que ce que tu m’avais décrit je dis en déposant mon téléphone bien visible sur la table.

— Tu l’as enregistré ? me demande-t-il les yeux ronds en comprenant tout seul

— De A à Z.

Il siffle entre ses dents, impressionné.

— T’es sérieuse ?

— Toujours.

Il s’installe en face de moi, un verre de jus à la main.

— Et maintenant ?

Je prends une inspiration.

— Maintenant, tu vas devoir ravaler ta fierté. Tu vas retourner le voir. Faire comme si tu t’excusais. Lui dire que tu comprends qu’un projet est toujours collectif. Que c’est normal qu’il en ait tiré les lauriers. Et surtout… tu vas lui reparler de tous les autres projets sur lesquels il t’a volé. Subtilement, et tu vas enregistrer. L'idée c'est de le faire avouer de lui même qu'il n'en est pas à son premier forfait ou tout au moins qu'il acquiesce quand tu le diras.

— Et après ça ?

Je souris, malicieuse.

— On aura deux preuves irréfutables qu’il a menti, volé, abusé de ton travail. Deux preuves. Suffisantes pour lui proposer un deal : il te signe une rupture conventionnelle, avec tout ce qui va avec, ou on fait tourner les audios. À ses collègues. À la direction, au client belge, au monde entier s’il faut. S'il n'a pas peur que sa propre réputation soit entachée, l'idée qu'il ne puisse pas savoir comment la direction va réagir va le pousser à te prendre au sérieux et c'est là que tu lui parles de rupture conventionnelle ou si tu veux rupture à l'amiable. Tu vas alors négocier des indemnités de départ, n'hésite pas à monter ses indemnités aussi haut que possible ce n'est pas ton problème, tu peux même demander des millions c'est un moment de négociation vous allez arrivé à un terrain d'entente forcément, et tu demandes également à ce que la période de préavis ne soit pas réalisée. Puis quand tu auras tout ça bien signé bien tamponné, tu t'en vas la tête haute en emportant avec toi tous les éléments nécessaires au contrat, je dis bien TOUT ! Il n'aura plus qu'à tout recommencer depuis le début vu que c'est lui qui l'avait géré il n'aura pas de mal à recommencer non hihihi je dis en me tapant dans les mains trop fière de moi. Bon le dernier point à prendre avec des pincettes hein, je ne sais pas si légalement tu peux partir avec des éléments de ton cabinet.

Il me fixe, bouche entrouverte. Puis rit, nerveux.

— T’es sérieuse, hein…

Je hausse les épaules.

— J’ai rarement été aussi sérieuse de ma vie.

 Il se lève, fait les cent pas. Au début, concentré, puis sceptique, puis un brin inquiet. Et comme je m’y attendais…

— Tu sais que ton plan là, c’est un peu risqué non ? Et surtout… je sais pas. Franchement, j’ai pas envie de me retrouver au chômage.

— Tu plaisantes, j’espère. Je t’ai proposé un poste sérieux, avec un salaire trois fois supérieur à ce que tu gagnes là, avec des avantages, un poste stable, et tu veux "réfléchir" ? Tu crois que les opportunités elles t’attendent quelque part ou quoi ? Oh ! Si tu prends pas ça crois moi bien que je vais le proposer à une autre personne qui elle se fera le plaisir d'accepter, je ne te fais pas la charité est-ce que tu peux te mettre ça dans le crâne ? C'est un contrat avec mon entreprise pas avec moi ! Et je recherche vraiment un comptable !

Quand je me rends compte que je parle un peu fort, je respire et j'essaie de me calmer.

— Pardon. C’est juste que ça me déçoit un peu. J’ai l’impression que t’as peur de ta propre valeur. T’es brillant, Moussif. Mais tu t’en rends même pas compte.

— Je sais, je sais… C’est juste que… c’est dur de lâcher prise comme ça. Et c’est pas que j’ai peur, dit-il doucement. C’est juste que… je me suis tellement habitué à me battre que j’ai du mal à croire que ce genre d’offre, là, c’est pas un piège.

Je m’approche de lui, sans réfléchir. Je pose ma main sur son bras.

— Ce n’est pas un piège. C’est une chance. Et c’est à toi de décider si tu veux la saisir ou non. Moussif… Tu veux rester dans une boîte où on te traite comme un larbin ? Ou tu veux bosser avec une femme qui croit en toi et qui te donne les moyens de prouver ce que tu vaux ?

Il me regarde. Longtemps. Puis il sourit doucement.

— T’es dangereuse, toi.

— Juste persuasive je dis en haussant les épaules

Il s’approche. On ne parle plus. Il pose doucement une main sur ma joue. Nos regards se croisent, se frôlent, se cherchent. 

Cette fois, c’est moi qui l’embrasse. Doucement. Puis plus franchement. On s’embrasse longtemps, dans le silence de sa maison. Cette fois, c’est un vrai baiser. Un baiser lent, décidé. Pas volé, pas volage. Un baiser qu’on attendait tous les deux sans se l’avouer. Nos lèvres se retrouvent dans un accord silencieux. Nos mains ne savent pas trop où se poser, alors elles restent sagement à mi-chemin. Nos corps se rapprochent, nos souffles se mélangent. Je sens mes défenses tomber. Il me serre contre lui. Je ferme les yeux. Le monde peut bien attendre.

Quand on s’éloigne, on rit tous les deux. Il murmure :

— Tu restes encore un peu ?

— Mais tu dois retourner bosser non ?

— Oui mais maintenant que je les quitte je peux bien m'autoriser une demi journée d'absence n'est-ce pas ? me demande-t-il avec un clin d'oeil 

Je ne comprends pas d'abord puis quand je capte que c'est sa façon à lui de me dire qu'il va partir et accepter mon offre je lui saute dessus de joie. Il me réceptionne facilement et nos lèvres se rejoignent comme si elles ne s'étaient pas quittées quelques minutes plus tôt. C'est fou comment c'est devenu presque naturel cette façon qu'on a de s'embrasser, comme si c'était normal. Dans d'autres circonstances je pense que ça aurait été plus naturel entre nous, j'aurais mis moins de barrières parce que franchement je n'ai jamais vu un homme qui me plait autant et me chamboule à ce point mais malheureusement dans les conditions actuelles, les choses ne sont pas aussi simples. C'est mon idéal masculin mais ce qui nous lit n'est-il pas finalement ce qui nous tiendra le plus à distance ?

Je suis celle qui met fin au baiser en premier. Pas que cela soit désagréable mais il est vrai que maintenant on doit parler boulot. 

Je sors donc mon ordinateur de mon sac. Mon visage change de suite, je suis concentrée. Il le sent, lui aussi. On s’installe autour de la table. Je lui montre les tableaux de gestion, les budgets prévisionnels, les missions qu’on attend de lui. Il prend des notes. Pose des questions. Il est vif, curieux, pertinent. J’adore ça. Le voir dans son élément, c’est encore plus attirant que ses bras ou son sourire.

— Donc, voilà ce qu’on te propose : un contrat de deux ans renouvelable, une base salariale de 450.000 brut mensuel, les frais de déplacement et hébergement à la charge du centre quand tu dois venir au Bénin, ordinateur, téléphone pro, un deuxième écran, abonnement internet, et un accès aux réductions chez nos partenaires. Pour les grandes vacances de juin/juillet, tu as droit à un chèque vacances le montant de l'année prochaine n'a pas encore été défini mais pour te donner une idée l'année dernière c'était 600.000f. Ah oui et j'oubliais tu as droit au 13ème mois, c'est-à-dire qu'au mois de décembre prochain tu recevras deux fois ton salaire. Ne t'inquiète pas, tout ceci sera formalisé dans un contrat que mon assistante t'enverra le temps de tout mettre au propre. Si ça te convient tu signes puis voilà

— Si tu me proposes aussi un chauffeur privé, j’accepte direct.

— Gâté que tu es !

On passe un moment à peaufiner les détails, à noter les choses, à imaginer le quotidien à distance. Il me parle aussi de ses idées pour automatiser certaines tâches, je prends note. Il a de bonnes idées, ce type. Je me demande comment il a pu croupir aussi longtemps sous un chef pareil.

Quand tout est noté, tout est posé, on ferme l’ordinateur et on s’allonge à même le tapis du salon. Le silence s’installe. Mais ce n’est pas un silence gênant. C’est un silence doux. Rassurant.

Je tourne un peu la tête. Il est là, les bras croisés derrière la tête, à fixer le plafond.

— Tu penses à quoi ?

— À toi.

Je souris. Pas besoin d’ajouter quoi que ce soit. On reste comme ça un long moment. Puis mon téléphone sonne. C’est Chafik.

— Maïssa et moi, on va faire un tour dans la ville. Je me suis dit qu’on pouvait aller au Jungle Bar & Garden, ils font des jus, des cocktails, y’a un coin détente. Si tu veux venir…

Je me redresse.

— Attends, je demande à mon collègue. 

Je baisse le téléphone. 

— Tu viens ? Chafik invite. Et y’a Maïssa.

Il grimace.

— Non pas envie de me taper ton frère.

— Parfait. Je suis avec Moussif, il est absolument ravi de venir. On vous rejoint je finis en ignorant ses protestations

Il râle, bien sûr.

Le soleil de l’après-midi tape encore un peu fort quand on sort de chez Moussif. Il a finalement accepté de me suivre pour rejoindre Chafik et Maïssa au Jungle Bar & Garden, ce petit coin de Pointe-Noire qui a l'air bien. Un lieu chic sans trop en faire, avec ses guirlandes lumineuses accrochées aux arbres, ses fauteuils en rotin qu’on n’a pas envie de quitter, et cette ambiance douce d’un après-midi qui se termine en beauté. On peut y papoter tranquillement, boire un verre, manger quelques brochettes ou juste regarder les enfants s’amuser pendant que les grands refont le monde. 

On arrive avec une dizaine de minutes de retard. Chafik et Maïssa sont déjà installés à une table à l’ombre, près du petit jardin japonais. Maïssa se lève pour faire un bisous à Moussif puis me fait un calin avant de retourner s'asseoir. Je prends place à côté de Chafik, qui me lance un regard amusé en coin. Moussif vient s’asseoir en face, Maïssa toujours collée à lui. 

— Moussif.

— Chafik.

Pas d’accolade. Pas de poignée de main non plus. Juste une reconnaissance sèche, comme deux gars qui savent qu’ils vont devoir cohabiter. Je les observe. Je ressens la tension, mais je sens aussi qu’ils veulent faire des efforts. C’est déjà ça.

L’ambiance est d’abord légère, ponctuée de rires et de commentaires sur le cadre. Mais entre Chafik et Moussif, c’est raide, poli, presque crispé. Je décide de prendre les devants 

Je propose à Maïssa de m’accompagner un instant pour chercher quelque chose à grignoter, le temps de les laisser parler. Elle me suit sans poser de questions, curieuse et joyeuse. C’est mon stratagème discret pour leur laisser le champ libre. Derrière nous, je sens leurs regards se croiser sans se fuir. Chafik n’est pas du genre à tourner autour du pot, je sais qu’il va droit au but. Moussif, lui, n’aime pas les conflits, mais il a assez de fierté pour ne pas se laisser marcher dessus.

Je nous éloigne juste assez pour ne pas entendre, mais assez peu pour observer à distance. Les gestes sont lents, les mots, mesurés. Au fil des minutes, la tension dans leurs épaules retombe légèrement. Ce n’est pas l’extase, mais c’est un début. Ils se parlent.

Une trentaine de minutes plus tard, alors qu’on est de retour à table, le téléphone de Moussif vibre. Son visage se ferme légèrement en regardant l'appelant.

Il s'excuse et se lève de la table.


Le pacte des coeurs