Chapitre 25
Ecrit par leilaji
LOVE SONG
Tome II
(suite de Xander et Leila + Love Song)
Leila
Episode 25
Le matin du jour de l’interview.
Leila
On cogne à ma porte à gros coups redoublés. Je me réveille en sursaut parce qu’habituellement personne ne me dérange. Surtout lorsqu’il est quoi…( je jette un coup d’œil à mon téléphone)… A peine 5 heures 22 minutes. Mes cheveux, que je n’ai pas pris le temps de démêler la veille, me tombent sur le visage tel un coussin mou.
— Qui est-ce ? je grogne en tentant difficilement d’ouvrir les yeux.
— Okili.
Pourquoi ça ne m’étonne pas que ce soit mon grand-père ? Il n’y a que lui pour réveiller toute la maison à pareille heure. Ce vieux ne dort jamais ? Il a une manière de prononcer son nom qui me donne envie de rouler des yeux comme une adolescente excédée. On dirait qu’il pense que son nom est magique et ouvre toutes les portes!
— Oui papi ? Tu as un problème ?
— Accompagne moi ma petite chérie.
— Où ?
— Nulle part. Prenons un café ensemble.
Je ronchonne encore un peu pour la forme, me couvre le visage avec ma couette et expire longuement. J’ai travaillé comme une malade ces deux dernières semaines et j’ai besoin de me reposer le cerveau. Pourquoi doit-on se lever aussitôt pour boire un café ?
— Lève-toi où j’ouvre.
— Ok. J’arrive. Laisse-moi prendre une douche.
— Faut pas mettre vos histoires de maquillage là hein. Ca fait trainer les femmes. Ta grand-mère me faisait toujours patienter à cause de ça.
Un jour, je lui demanderai de me parler d’elle. J’ai hâte de savoir quel type de femme a bien pu partager la vie de ce type.
La chambre est plongée dans le noir. Je finis par me lever et me cogne l’orteil au lit. Je retiens un juron in extremis et sautille pour aller ouvrir la fenêtre. Même dehors il fait noir. Je reviens m’assoir sur le lit pour me donner le courage d’affronter une nouvelle journée sans « Lui ». Les matins ne m’étaient encore jamais parus si, ternes. Depuis que je me suis convaincu qu’il fallait que j’avance sans lui, tout me parait long. Mais ça, tout le monde n’a pas besoin de le savoir. Alors je bosse et je souris. C’est tout ce que j’ai le courage de faire. Je me prépare rapidement. Si je me maquille ce n’est pas pour me rendre jolie. J’essaie juste de cacher ma mine défaite, en me badigeonnant d’autant d’anticerne que je le peux. Je le rejoins au salon où il prend tranquillement son café. J’ai besoin que le mien soit tout aussi corsé que le sien. Je découvre avec joie, qu’une tasse fumante m’attend déjà.
Je m’assois et m’empare de ma tasse en baillant.
— Tu t’en sors ? Ca va ? Ca fait longtemps qu’on a pris le temps de parler rien que tous les deux. Denis, Gabriel Prince ou ton amie fang là, trainent toujours dans nos pattes.
— Je sais. Mais c’est mon équipe. Je ne m’en sors pas sans eux. Trop de dossiers, de changement à gérer, trop de choses à apprendre. Quand c’est traditionnel, Elle m’explique. Quand c’est politique Denis s’en charge. S’il s’agit de communication, Gabriel gère. Et concernant tout le reste, je le vois avec toi.
— Il ne te reste donc pas grand-chose à ma confier, me fait-il remarquer.
— Arrête papi. Je suis avec toi tous les dimanches ! Tu me parles, tu me conseilles et je t’écoute religieusement. Tu m’en apprends tellement sur l’histoire du Gabon. L’histoire qui n’est pas écrite dans les livres. Personne ne pourra nous enlever ses moments qu’on partage. Mais pour le reste, je suis très occupée. C’est ce que tu as voulu n’est-ce pas ?
— Je le sais que tu travailles beaucoup. La politique c’est sans répit et pour le moment tu te débrouilles comme un chef. Mais ta vie privée ?
Aie ! J’ai vraiment pas envie de glisser sur ce terrain avec lui. Je lui en veux. Je m’en veux. Je ne veux pas remuer le couteau dans la plaie.
— Je n’en ai pas, je lui réponds sèchement en posant ma tasse sur la table basse.
— Mais tu passes beaucoup de temps avec Denis. Vous vous entendez bien n’est-ce pas ?
— Oui.
— Faire un enfant n’est plus au programme ? me demande –t-il sans même me regarder.
— Non.
— Tu en voulais un non ?
— J’en voulais un avec celui que tu n’as jamais accepté, je rétorque en me servant une nouvelle tasse.
— Je vieillis. Et toi aussi.
— Est-ce qu’on est obligés d’en parler à 5 heures du matin ?
— Tu n’as plus le temps de me voir. Je ne suis pas éternel Leila. Si tu ne profites pas de moi maintenant, quand je peux encore t’aider ou t’apprendre des choses, quand le feras-tu ? Est-ce que j’ai fait tout ça pour rien ?
— Tout quoi ? Je suis ministre, je travaille. Que l’on m’aime ou pas, on parle de moi. Et quand on parle de moi, ce n’est pas le nom de ma mère qui est cité, c’est le tien. Madame Okili a fait ci, Madame Okili a changé ça.
— Tu le dis avec tellement d’amertume Leila.
— Parce que le prix que j’ai payé a été …
Je retiens ma colère. Personne ne me force à être ici avec lui. Je l’ai accepté. Je n’ai qu’à m’en prendre à moi-même pour ne pas avoir su préserver mon mariage.
— Ce que tu fais aujourd’hui est important ma petite fille. Ne l’oublie surtout pas. Tu as toujours voulu le faire sans jamais en avoir eu l’opportunité. Je n’ai fait que t’ouvrir la voie. Et quoi que tu en dises, on ne peut pas tout avoir ma chérie. Il y a toujours un prix à payer pour marquer l’histoire.
— C’est facile à dire, je marmonne en soufflant doucement sur mon café pour le refroidir.
— Mais pas facile à vivre. Je le sais. Crois-moi je le sais. Je crois que Mandela n’aurait jamais eu le destin qu’il a eu, s’il s’était soucié de sa femme avant de se soucier du destin de son pays.
— Je ne suis pas Mandela…
— Je sais, ajoute-t-il en me tapotant doucement la main. Sais-tu que la négociation pour sa libération s’est en partie passée à Franceville ?
— Quoi ?
— L’ancien président a négocié avec le régime de l’Apartheid la libération de Mandela. Les autres pays africains avaient choisi de couper toute relation. Lui non. Il envoyait de l’argent à l’ANC et continuait de parler avec le régime en place. Et il a réussi. Pourquoi crois-tu qu’à sa libération, le premier pays que Mandela a choisi de visiter, c’est le Gabon.
Je ne peux m’empêcher d’écarquiller les yeux de surprise, ce qui l’amuse énormément.
— Connaitre son histoire c’est important Leila. Tu veux que je te raconte comment ça s’est passé?
— Quoi tu y étais ?
— Peut-être. Peut-être pas. Je te raconte ou pas ?
Ce qui est sur, c’est que je suis complètement réveillée à présent. J’ai hâte d’entendre des détails sur les petites histoires qui en font les grandes.
*
**
Lorsqu’il est sept heures du matin et que Prince vient me chercher pour que je rejoigne mon bureau, je n’ai aucune envie de m’en aller. C’est une véritable leçon d’histoire que cet homme vient de m’inculquer en un peu moins de deux heures. Avec son petit sourire en coin et ses yeux qui semblent avoir vu tout ce qu’il y a à voir en ce bas monde, j’ai un peu oublié de mon mal de crane de ce matin.
— Ton frère est là.
— Je lui dirai bien d’entrer mais je crois que je ne supporterai pas une énième dispute entre vous deux.
— On ne se dispute pas. On négocie ce qui est bien pour toi.
— Je suis une grande fille. Je peux décider moi-même de ce qui est bon pour moi.
— Je n’en disconviens pas. C’est ton droit. Mais c’est mon devoir de…
— Bon, il faut que j’y aille, je coupe afin que la conversation ne s’éternise pas.
Je le serre dans mes bras, retourne dans ma chambre récupérer mon sac et sors de la maison avec le sourire. Je fais la bise à Prince avant de monter à l’avant avec lui. Après le premier kilomètre à subir ses coups d’œil incessants et perturbant, je finis par lui demander ce qui le dérange.
— Ca y est ! Le russe t’a pris la tête.
— Le russe ?
— Okilich Michelikovich ?
J’éclate de rire lorsque je comprends qu’il parle de notre grand-père. Prince et les autres gardes du corps d’Okili s’amusent à lui trouver des surnoms effrayants chaque semaine. La semaine dernière encore, ils l’appelaient tous Mugabe.
— Il a un don pour ça tu sais.
— Pour quoi ? Etre grand-père ?
— Non. Subjuguer les gens. Je crois qu’il utilise la même technique que les serpents. Il te regarde droit dans les yeux, te parle et hop t’es d’accord avec lui et tu bois ses paroles comme de l’eau de vie.
— Arrête. Il faut juste parfois savoir reconnaitre que ce qu’il dit est vrai, même si c’est difficile à admettre.
— Il t’a déjà emmené à son chenil ?
— Je ne savais même pas qu’il en avait un.
— Il t’y emmènera, te parlera de l’attitude que doit avoir un mâle alpha. Il te sortira ses théories sur comment être le chef de la meute. La meute étant bien entendu le reste du monde. Et ce qui est fou, c’est que ça marche. On lui emmène de nouveaux chiens tous les jours, des chiens parfois hyper agressifs. Le mec les regarde, fais je ne sais pas quoi et hop, le chien devient le plus doux de la terre.
— C’est faux.
— J’ai vu ça de mes propres yeux Leila. Il te dresse un chien dangereux en 20 minutes max. Et quand tu lui demandes comment il fait, il te dit qu’il faut être le chef de meute.
Etre le chef de la meute. Il m’en avait déjà parlé même si je n’y avais pas vraiment prêté attention. Ce qui est clair c’est que son truc marche vraiment parce que lorsqu’Okili parle, personne ne répond et tout le monde fait ce qu’il dit de faire.
Cette journée s’annonce, distrayante. J’aime les quinze minutes matinales que je passe dans la voiture avec mon frère car ça me permet de le découvrir un peu plus à chaque fois. C’est un mec bien et je suis fière de lui, même si je n’ai pas contribué à grand-chose dans sa vie. Je suppose que c’est ça : être grande sœur ! Il ne me laisse jamais quitter la voiture sans un « check ». La première fois qu’il m’en a parlée, je lui ai demandé ce qu’il entendait par là. Il m’a demandé de plier le poing, et on s’est cogné nos poings fermés. C’était enfantin mais tellement amusant! Et même si je râle avant de m’exécuter en le traitant de gamin, je ne peux m’empêcher de sourire en me rendant compte à quel point, il est devenu important dans ma vie.
Une heure plus tard, je reçois un coup de fil de Ndong Ghislaine, une ancienne condisciple de classe qui souhaiterait ma présence sur son plateau. Parce que les sujets qu’elle compte évoquer me touche, je lui promets de faire mon possible pour être présente.
A midi, je déjeune sur le pouce avec Gabriel qui passe en revue avec moi l’actualité du moment. Il s’attarde longuement sur les émeutes aux Etats-Unis puis passe à la situation du continent. La loi du travail en France n’échappe pas à notre analyse. J’ai un conseiller juridique. Mais étant donné qu’il m’a été imposé par la famille qui voulait absolument que j’offre un emploi à un de mes lointains neveux, j’use très peu de ses capacités intellectuelles. Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas compétent et qu’à chaque fois que je le vois, je m’en rappelle et m’en veux d’avoir cédé. Mais être une femme politique c’est aussi ça. Toute la famille se tourne vers moi pour trouver du travail aux chômeurs. Les dossiers les plus farfelus, je les rejette en bloc. Le reste, je me débrouille avec.
Okili avait raison en disant que parfois pour connaitre les vraies compétences d’une personne, il fallait lui faire faire des choses inédites, difficiles et voir comment il réagissait fasse à l’adversité. Pour Gabriel, ce qui est sur, c’est qu’il mérite un 10/10. Ce mec analyse l’actualité comme personne. Il essuie avec minutie, la miette de pain qui est tombé sur sa veste et reprend la conversation là où nous l’avons laissée pour manger.
— Pourquoi tu es aussi tendue quand il y a une caméra ? Ca donne toujours l’impression que tu n’as pas les épaules pour le job. Déjà que tu n’es pas très imposante avec tes mini kilos.
— Dis donc tu me parlais avec plus de respect quand tu organisais les soirées de la fondation !
— L’enjeu est plus grand Leila.
Je lève les yeux de mon dossier et le regarde. Il lève les mains pour se dédouaner et me fait son sourire de charmeur. C’est son habitude : m’asséner des vérités blessantes puis sourire pour se faire pardonner.
— Je n’aime pas les caméras. J’ai eu une expérience assez malheureuse qui s’est retrouvée sur le net. Ca me met mal à l’aise de penser à toutes ses personnes qui me jugent non pas sur mes résultats mais sur « de quoi j’ai l’air ». J’ai le droit de me méfier des caméras.
— Tu sais la caméra c’est comme une personne. Si tu ne l’aimes pas, elle te rejettera aussi.
Il prend son téléphone et le met en mode vidéo pour me filmer et ainsi illustrer ses propos.
— A l’image, j’ai une femme austère. Une mini Angela. Tu ne pourrais pas être un peu plus souriante ? Genre Michelle.
Je lui arrache le téléphone des mains et le pose sur la table de mon bureau. Je n’ai pas de temps à perdre avec ces bêtises. Je ne veux pas devenir une starlette mais une femme d’Etat. J’essaie de recentrer ma séance de travail avec Gabriel sur les invitations reçues qui ont été classées par ordre d’importance par ma secrétaire. Je les montre à Gabriel et lui demande ce qu’il en pense.
— Pourquoi tu as mis de coté la conférence pour la démocratie qui se passe aux Etats-Unis ?
— Je n’ai pas envie d’y aller.
— Quoi parce qu’on y abat des noirs ? Tu as peur de mourir ? plaisante-t-il à moitié. Avec ton frère qui empêche qui que ce soit de t’approcher de trop prés, il ne t’arrivera rien.
— J’espère que tu blagues Gabriel ? Tu ne vois vraiment pas pourquoi je ne veux pas y aller ?
— Non. C’est quand même les Etats-Unis Leila !
— Ils viennent et nous donnent de leçons de démocratie ? De qui se fout-on ? Aujourd’hui, les réseaux sociaux révèlent les pieds d’argiles de tous les pays que nous avons pris pour des géants. Ils viennent et veulent nous apprendre comment nous occuper de nous ? Alors qu’il existe encore aujourd’hui, une Amérique où les noirs sont tués impunément ? Qu’ils viennent et on va leur montrer que les blancs circulent chez nous sans jamais se soucier de perdre leur vie par brutalité policière. On va leur apprendre à accepter les autres. Apparemment nous avons des choses à leur apprendre !
— Quoi tu veux t’y mettre avec le hashtag !
— Si tu penses que le hashtag « black lives matter » concerne seulement les Etats-Unis, c’est que tu ne vis pas dans le monde dans lequel je vis Gabriel. Ce hashtag est valable en Chine, en Russie, en Inde où on tue des étudiants noirs sans jamais s’inquiéter d’aller en prison. On peut le faire circuler dans les Emirati, où chaque jour en entend qu’une domestique noire a été brulée, pendue, violée par ses patrons pour avoir réclamé son salaire du mois. Ce hashtag pourrait circuler en Soudan du Sud où des gens meurent par centaine et personne n’en parle.
— Je sais que ça met tout le monde en colère ce qui se passe en ce moment. Mais il faut quand même avouer que les choses évoluent. Il y a quand même un noir à la tête du pays le plus puissant du monde.
— Obama ! Il faut dire à Obama qu’il n’y a plus de « Yes we can ». Il n’y aura plus jamais de « yes we can » tant que les blancs aussi penseront « yes we can shoot black people without facing murder charges ». Qu’ils ne viennent pas nous parler de droits de l’homme, quand les hommes de couleur chez eux n’ont pas le droit de vivre ! Il n’y a aura plus que des « no you can’t ! ». Est-ce que je peux te manquer de respect ? No you can’t !
Je n’arrive plus à m’arrêter de parler. Gabriel me fait les yeux ronds.
— Faire des hashtag ne suffit pas. Quelle image ont-ils de nous Gabriel?
— Quand on dit noir, on pense à : famine, dictature, sida, gang, drogue, colère, sportif, rappeur, guerre, pauvreté…
— Exactement. Quand les autres cultures trainent dans leur subconscient tous ces mots nous concernant, que penses-tu qu’ils feront s’ils tombent sur nous ? Ils tirent et réfléchissent après. Parce qu’un noir avec une casquette c’est pour eux, forcément un mec qui appartient à un gang. Une femme noire qui hurle est forcément une activiste dangereuse qu’il faut absolument neutraliser. Un blanc avec une casquette est un passant, une blanche qui hurle, une femme un peu hystérique.
— Tu exagères.
— Non. J’ai juste ouvert les yeux. Quand tu vois les contrats que nous signons parce que nous n’avons pas le choix ! Mon grand-père me parle beaucoup en ce moment. Il m’a dit la dernière fois : si tu vois entrer chez toi, un petit caniche qui frétille de la queue et grogne un peu, puis un pitbull qui se contente de te regarder, lequel chasseras-tu de chez toi ?
— Le Pitbull, répond Gabriel.
— Exactement. Le Pitbull parce que dans notre inconscient collectif, c’est un chien dangereux. C’est un chien au poil ras noir, qui te sautera à la gorge dès le premier mouvement. Le caniche, oh non, cet innocent petit animal au poil blanc bouclé ne peut pas faire de mal ! Alors qu’à ce moment là, le plus dangereux des deux c’est le caniche qui grogne. Délit de faciès ! Peut-on vous tuer à volonté ? No you can’t !
— Et la France alors ? Il y a une conférence sur les droits de l’Homme là-bas. Tu y vas ou pas ?
— Ca veut nous apprendre des choses, alors que nous, même dans notre supposée grande ignorance, nous savons qu’il n’y a pas de langue qui s’appelle l’européen. Tandis qu’eux, même après nous avoir colonisé, ils ne sont pas foutu de savoir qu’aucune langue ne s’appelle l’africain ? Peut-on se moquer de vous ? No you can’t ! Quand des parents noirs s’indignent en France du traitement subit par leur enfant, on les traite de fous et de menteurs. S’ils avaient été blancs soyez sur que la police et la mairie les caresseraient dans le sens du poil jusqu’au dénouement de l’affaire. Peut-on se foutre de vos enfants ? No you fucking can not ! Vous déstabilisez le monde entier, créez des guerres illégitimes partout pour plus de pétrole, plus de dollars, plus de minerai, plus d’euros et escomptez récolter la paix ? No you fucking can not !
Enfin je m’arrête pour reprendre mon souffle. A croire que les paroles d’Okili me sont montées à la tête. J’ai le tournis d’avoir parlé sans respirer. C’est Prince qui a peut-être raison.
— Pourquoi tu es tellement en colère Leila?
— Je ne le suis pas. Tu ne m’as pas encore vu en colère Gabriel. Je me rends compte de beaucoup de choses là où je suis. Le monde n’est pas rose et les plus forts bouffent les plus faibles. Je veux être parmi les plus forts.
— Crois-moi, tu l’es. Bon. Je crois que je vais te laisser respirer un peu avant que tu ne m’assassines avec tes mots.
— Ok.
— Oh dis moi, demande –t-il avant de s’en aller avec sa tablette sous le bras. Et les autorisations d’entrée pour les expat’ des sociétés françaises ?
— Pour chaque expatrié autorisé, je les oblige à former un gabonais à leur frais et à l’embaucher à la fin de la formation.
— Et ils ont accepté ?
Cette question sans doute anodine me permet de me rendre compte que j’ai fait plier une multinationale à ma volonté. Merde alors ! Ils en sont pas revenu de comment je leur ai mené la vie dure. Du coup à la dernière réunion qui devait se conclure par la signature des accords, ils étaient tout tremblants, ne sachant pas sur quel pied danser avec moi.
— Qu’est-ce que tu crois ! Je suis le chef de ma putain de meute !
Il est sorti de mon bureau en riant comme un idiot.
*
**
J’ai réussi à convaincre Prince de prendre sa soirée et je me suis rendue à l’émission de Ndong avec l’aide de camp qui m’a été attribuée après ma nomination lors du Conseil des ministres. Son coté lèche botte ne m’a jamais vraiment plu, mais j’estimais que Prince méritait une vie en dehors de ma protection.
*
**
L’émission a été un désastre. Je ne m’attendais pas à ce qu’une amie de l’Université me pose un piège pareil. Prince est venu me chercher avec ma voiture personnelle et l’aide de camp est rentré avec la voiture officielle. C’est à contre cœur qu’il m’a déposé à la maison. Pendant le trajet, il m’expliquait que la rumeur voulait que son mari ait été pressenti pour le poste de Ministre du travail et que je lui ai coupé l’herbe sous le pied. Pour lui c’était tout simplement une manière de se venger. Il voulait rester avec moi car grand-père n’était pas là. Quand je lui ai hurlé de me laisser tranquille, il a compris et est parti sans rien dire. Je l’ai senti blessé par mon attitude distante. Mais je ne sais pas comment réagir autrement quand je suis blessée. Mon premier reflexe a toujours été de repousser tout le monde pour mieux panser mes plaies. Il me pardonnera.
Je me précipite dans ma chambre. D’une main tremblante, j’ouvre ma valise, la pose sur mon lit et cherche mon passeport. Je ne sais pas s’il y aura un vol mais je suis prête à dormir à l’aéroport s’il le faut ou même à quémander une place sur un vol militaire. A chaque fois que je pense à ce que Ghislaine a dit, j’ai des hauts le cœur qui me coupent le souffle.
Alexander.
Pour la première fois depuis très longtemps, son nom m’échappe dans un murmure suffoquant. Est-ce possible ? Est-ce réellement possible qu’un homme que j’ai tellement aimé soit capable de pareille abomination ? Leila ? Mais quelle folie de partir ! Encore une fois, de tout laisser derrière toi. Pour lui. N’as-tu rien appris ?
Je me fige et tout doucement me laisse choir sur mon lit. J’ai froid, je tremble. Je n’ai pas osé appeler Denis. Je me sens coupable. Pourquoi ? Je n’y pense pas plus. Tout se bouscule dans ma tête, dans mon cœur, dans mon corps. Mon téléphone vibre sur le lit. J’y jette un coup d’œil. C’est Elle. Elle a surement vu l’émission. Je décroche parce que j’ai besoin de me décharger de tout ce qui boue dans mon cœur.
Les mots me tombent de la bouche, ils sont trop lourds, trop brulants pour que je les garde.
— Il a tué Neina ? questionne Elle d’entrée de jeu.
— Ce n’est pas possible.
— Tu parles de l’homme qui pète un câble quand on l’empêche de te voir ? Cette salope, paix à son âme, a brisé votre mariage. Et tu pensais qu’il allait la laisser s’en sortir comme ça. Alors qu’à cause d’elle, tu l’as chassé. Votre mariage est fini! Est-ce qu’il ne t’a pas dit qu’il tuerait celui qui se mettrait entre lui et toi ?
— Il n’a jamais dit ça. Elle !
— Si. Il l’a dit. Tu me l’as raconté. N’efface pas cette conversation de ta mémoire parce qu’aujourd’hui, il est passé à l’acte. Tu sais très bien que la colère peut lui faire faire n’importe quoi. Tu le sais.
— On ne parle pas de casser une chaise Elle. Ils disent qu’il lui a tranché la gorge.
— Pourquoi mentiraient-ils Leila, réfléchis un peu ? C’est ça qui est étrange. Au début j’ai aussi eu un doute. J’ai cru qu’ils parlaient de quelqu’un d’autre. Mais Leila, c’est dans son pays et il a tué une indienne. Il est lui-même indien. C’est entre eux. Pourquoi mentiraient-ils ?
— J’en sais rien. C’est juste que … je ne sais pas comment l’expliquer. Alexander est capable de beaucoup de chose quand il est en colère… De beaucoup. Et si réellement il pouvait franchir ce genre de limite, tu ne crois pas qu’à moi aussi il aurait fait du mal depuis.
— Tu trouves qu’il ne t’en a pas fait en baisant cette femme ? Alors que tu galères pour lui faire un enfant.
Je n’ai plus rien à répliquer à Elle. Dans son souci de me protéger, elle peut être tellement crue.
— Elle…
— Leila. Tu es en train de faire un travail merveilleux ici. Ce truc va foutre en l’air ta carrière. Il y a déjà eu la vidéo du mariage et je suis sure que Denis ou je ne sais pas qui, a su contenir le truc parce que la vidéo est maintenant introuvable. Mais si tu te jettes encore une fois dans le trou béant de l’Inde, tu vas perdre ce que tu as mis toute une vie à construire : ta crédibilité. Tu ne peux pas jouer les afroféministes et te jeter aux pieds d’un indien qui a tranché la gorge de sa femme. Les médias vont te massacrer. Lei. S’il te plait, pour une fois écoute moi.
— Je ne peux pas … Je dois savoir. Je vais raccrocher Elle.
— Non. Attends…
Je raccroche lorsque mon téléphone signale que la batterie est quasiment à plat. Dix minutes plus tard, je me rends compte que mon passeport est avec Denis qui devait s’occuper de me le faire renouveler. Ma secrétaire a voulu s’en occuper mais avec Denis c’était tellement facile. Denis, Denis, Denis… Qu’est-ce qu’on va se dire à propos d’Alexander? Qu’est-ce qu’il va me dire?
Je ferme les yeux un bref moment quand la pièce se met à tourner autour de moi. J’ai besoin de calme pour réfléchir alors je m’allonge un bref moment. Je suis tellement éreintée par cette longue journée que je m’endors dès que ma tête touche le drap.
Je me réveille le lendemain en sursaut. Au début, je pense que c’est le matin très tôt et déchante lorsque je me rends compte qu’en réalité nous sommes en début de soirée. J’essaie d’allumer mon téléphone sans succès. Il est complémentent déchargé. Malgré mon mal de tête lancinant, je me décide à partir pour l’Inde au plus tôt. Je quitte la maison pour aller récupérer mon passeport chez Denis.
*
**
Lorsque j’arrive chez lui, son gardien me dit qu’il m’attend. Je me répète mille fois les conseils de mon grand-père. Agir en chef de meute et obtenir ce qu’on veut, en imposant sa volonté aux autres sans se soucier de les voir montrer les crocs. La porte centrale n’est pas fermée à clef alors je rentre sans cogner. De la musique passe. C’est tellement fort qu’on ne s’entend même pas penser. Il y a de la basse, des batteries, une voix brisée, on dirait du rock. Je ne savais pas qu’il en écoutait.
Pour la première fois depuis longtemps, le salon majestueux de Denis est sans dessus dessous. Ca me fait une drôle d’impression. Je l’appelle et il est descend de l’étage supérieur un verre à la main. Il porte un complet noir nuit et semble loin d’être dans son état normal.
Il sort de sa poche mon passeport, me le montre et l’y remet. A peine j’ouvre la bouche pour lui demander de me le rendre qu’il me fait signe de me taire. Il ferme les yeux, me demande de prêter l’oreille à la chanson de sa main libre et de l’autre avale son whisky.
— L’année où cette chanson est sortie, je me suis dit que ce mec était taré d’écrire des paroles aussi niaises.
— Denis.
— Chut. Ecoute.
« I am a creep » chante l’homme à s’en fendre l’âme. Je me tais et écoute, parce que Denis est saoul comme un polonais et que je ne l’avais jamais vu dans cet état auparavant. La chanson reprend. Il a dû enclencher le bouton « repeat ». Je me rapproche de sa chaine stéréo hors de prix mais minimaliste, pour baisser le son afin qu’on puisse se parler.
— Ca commence à devenir intéressant tout ça. Il l’a tuée ou pas ?
Je ne sais pas si c’est à cause de l’alcool, mais sa voix est bien plus grave que d’habitude. Même son attitude me semble plus grave. Je crois qu’il est aussi choqué que moi par la nouvelle.
— Il l’a tué ou pas ? répète –t-il en remplissant à nouveau son verre.
— Je n’en sais rien.
— Mais te voilà chez moi. Ce n’est surement pas pour préparer le prochain conseil des ministres.
— Je dois y aller.
— Pourquoi ?
— Je dois le voir pour savoir.
— Et ton boulot ?
— Comment peux-tu me poser une pareille question ? Il est en prison Denis. Je sais que c’est à cause de moi que tu as coupé les ponts avec lui. A cause de cette relation qu’il a eue avec elle. Mais si je n’étais pas dans l’équation Denis, où serais-tu ?
— En train d’aller le tirer de cette merde.
— Alors j’ai raison de vouloir y aller.
— Tu perds ton temps.
— Comment ça ?
— Même si je me suis promis de ne plus m’occuper de quoi que ce soit le concernant… J’ai… hésite-t-il.
— Parle Denis, bon sang, dis moi ce que tu sais.
— J’ai appelé l’ambassade. Le nouvel ambassadeur en poste là-bas est le frère ainé d’une amie. Je lui ai dit qu’il devait y avoir une erreur. Il a demandé à avoir une copie du dossier en payant un des policiers de la brigade chargée de l’affaire. Le dossier est béton Lei. Il y a des aveux. Il y a des putains d’aveux. Même moi je ne peux pas le sortir de là Lei. Je ne peux pas faire quitter le pays à quelqu’un qui a avoué avoir tranché la gorge d’une femme. Par conséquent, ton passeport reste avec moi. Je ne peux pas te laisser foutre en l’air le boulot qu’on a abattu jusque là.
J’en suis à me demander s’il n’est pas heureux de cette situation, alors qu’il semble si frustrée lorsqu’il me raconte tout ça. Mais il a appelé. Au moins il l’a fait.
— Ils ont dû bloquer ses comptes là bas et ici moi j’ai bloqué tout ce qu’on avait en commun. Sans argent, il va se faire massacrer par le système judicaire.
— Donc tu prends sa défense ? Même après ça ?
— J’ai besoin de le voir pour savoir.
— Mais pour savoir quoi ? Tu ne peux pas tout quitter et y aller. Tu es ministre putain !
Je constate qu’il y a beaucoup de putains dans son vocabulaire quand il est soul. Il monte sur sa chaise et se met à contempler son salon d’un œil aviné.
— Pourquoi tu as autant bu, si tu ne te soucies pas de lui ?
— Parce que quoi que tu veuilles, même si ça me blesse, je vais le faire. Et j’avais besoin de boire pour m’empêcher de profiter de la situation.
— Profiter de quoi Denis ? Tu n’es pas quelqu’un qui profite des gens.
— Tu ne me connais pas.
— Si. C’est l’alcool qui parle…
— Parce qu’il se retrouve dans la merde, tu remets en place tes vieilles habitudes. Tu es prête à utiliser tout le monde pour arriver à tes fins n’est-ce pas ? Je pensais sincèrement que c’était fini entre vous deux. Que tu en avais marre de souffrir. Mais apparemment tu aimes ça.
Il saute de la chaise, marche vers moi et laisse tomber au passage son verre vide qui s’écrase sur le sol en mille morceaux. Il ne se retourne même pas pour constater les dégâts. Je ne recule pas non plus et le laisse s’approcher. La chanson recommence encore en arrière plan. « you’re just like an angel, your skin makes me cry ». Du bout de l’index, il me caresse la joue. Je frissonne et ses yeux s’illuminent en le remarquant.
— Je pensais sincèrement qu’il y avait quelque chose entre toi et moi que le temps révèlerait. Mais que t’étais trop froussarde pour le reconnaitre. J’aurai attendu 100 ans s’il le fallait…
On est interrompu par une sonnerie. Il y a un visiteur.
— Sauvée par le gong ! s’exclame Denis d’une voix rauque sans me quitter des yeux.
Quelques secondes plus tard, Gabriel entre dans le salon et s’arrête en remarquant comme moi le désordre ambiant. La tension entre Denis et moi est palpable mais il a la décence de ne pas en faire mention lorsque ce dernier revient.
— C’est bon, c’est fait.
— Qu’est-ce qui est fait ? je demande en m’éloignant de Denis.
— Aujourd’hui, tout le monde parle de ton histoire avec Monsieur Khan et du fait divers. Les gens sont en colère et ils te descendent en flèche. J’ai donc mis en ligne une vidéo pour détourner l’attention de ta vie privée.
— Quelle vidéo ?
— Celle où tu évoques les morts aux Etats-Unis et le fait qu’on ne doit plus dire «Yes we can ».
— Comment ça ? Je n’ai jamais fait de vidéo.
— Tu nous as enregistrés par erreur en déposant mon téléphone sur ton bureau la dernière fois. On ne te voit pas mais on entend ta voix. La vidéo est déjà en ligne. J’ai déposé un commentaire anonyme en citant ton nom. Tu es convoquée lundi à la première heure à la primature pour t’expliquer.
— Quoi ?
— Tu ne peux pas quitter le territoire. Tu es convoquée lundi à la primature pour t’expliquer sur les propos que tu as tenus.
— Apparemment le destin ne veut pas que tu le sauves !
Denis éclate de rire et sort mon passeport de sa poche pour me le rendre. Je m’en empare avec colère et lance un regard meurtrier à Gabriel.
— La prochaine fois que tu prends ce genre de décision sans m’en parler Gabriel, je te jure que je te vire.