Chapitre 26
Ecrit par Auby88
Aurore AMOUSSOU
Chaque kilomètre qui me rapproche de la maison familiale de Femi, sise à Porto-Novo, me rend plus nerveuse.
Je stresse vraiment quant à ma rencontre avec sa mère. J'ai un mauvais pressentiment. Ou serait-ce plutôt la peur qui me rend si anxieuse ? (long soupir)
Femi, notre guide, vient de s'arrêter devant une vieille bâtisse dont le portail peint en rouge semble avoir perdu sa couleur d'origine. Un oranger règne en roi près du portail. Le chauffeur m'aide à sortir de la voiture pendant que Femi cogne contre le portail. J'aperçois une sonnerie qui ne semble plus servir. J'entends le bruit d'un verrou qu'on libère. Je respire profondément en appréhendant le visage que je verrai.
- Femi ! crie la dame qui vient à sa rencontre.
Ce doit être sa mère. Ils ont des traits du visage communs. Elle est si excitée de voir son fils que dans sa liesse, elle manque faire tomber le pagne qu'elle porte. Heureusement, elle s'en aperçoit et le noue à temps. C'est bien le propre de nos mamans d'Afrique.
- Je suis si contente de te voir, mon fils. Tu m'as beaucoup manqué. Tu te fais bien rare ces temps-ci. Je devine que c'est ta chérie qui t'occupe autant. Au fait, où est-elle ?
- Juste derrière nous, fait-il en m'indiquant.
Je la regarde et je lis un choc sur son visage qui passe subitement de la grande joie de tout à l'heure à de la surprise avant de terminer sur un léger sourire.
- C'est donc elle, Aurore dont tu me parlais ?
- Oui maman, répond-t-il avec enthousiasme. C'est elle, mon rayon de soleil.
Discrètement, elle me reluque de la tête aux pieds.
- Enchantée, maman ! réplique-je malgré moi.
- Sois la bienvenue, ma fille.
- Merci maman.
Femi m'aide à pousser mon fauteuil à l'intérieur. Le sol n'est pas cimenté. La mère reste en retrait derrière nous. Je parie qu'elle continue de me regarder, se demandant ce que son fils fait avec une handicapée comme moi.
Nous entrons dans le salon. Là aussi, le sol reste grossièrement cimenté. Je n'aperçois aucun poste téléviseur. Juste une radio dans un coin. Femi s'assoit dans le canapé en osier tandis que moi, je préfère rester dans mon fauteuil. Non pas que la modestie du cadre me désole, mais plutôt parce que je ne veux surtout pas que la mère voit son fils soulever sa petite amie. Cela risque de renforcer en elle l'idée que je suis une charge pour lui.
La mère s'éclipse quelques minutes, puis revient avec de l'eau dans un bol en aluminium. Elle me tend le bol d'eau en premier puis le remet à son fils. Je la remercie pour son geste.
- Où sont les diablesses, maman ? s'enquiert Femi.
Il doit faire référence à ses petites sœurs.
- Elles sont parties acheter des boissons. Elles ne devraient plus tarder. Tu sais combien elles adorent papoter ensemble !
Femi sourit.
- Oui. Mais tu n'aurais pas dû te déranger pour les boissons. L'eau aurait suffi.
- Ce n'est pas parce que je suis pauvre, que je ne peux pas bien accueillir mon fils, d'autant plus que tu es accompagné. Qu'est-ce qu'Aurore va penser de nous ? Cela se voit qu'elle vient d'une très grande famille !
Ses mots me détendent un peu.
- Peu importe, maman. Je me sens déjà bien ici ! dis-je en affichant un réel sourire.
- C'est bien, ma fille.
- Au fait, nous vous avons amené des fruits et d'autres légumes. J'espère que vous aimerez. Ils sont dans la voiture. Le chauffeur les amènera tout à l'heure.
- C'est très gentil de votre part. J'adore les fruits.
J'entends des pas qui viennent vers nous. Je découvre deux jouvencelles qui viennent sauter au cou de leur frère.
- Bonne arrivée Grand frère, qu'est-ce que tu nous as rapporté ?
- Laissez-moi d'abord vous présenter ma moitié !
Elles viennent de me remarquer.
- Elle s'appelle Aurore.
- Elle est vraiment… chic ! s'exclament-elles en choeur.
Je me sens un peu intimidée. Je n'aurais pas dû être si joliment parée. J'aurais dû me faire discrète et éviter de porter ce maquillage nigérian, ces bijoux en or, ce boubou local en tissu "lessi" de luxe ou de mettre ce parfum dont l'odeur agréable vous reste dessus durant des heures. Je m'efforce de garder mon sourire.
Fumilayo et Olayinka — c'est ainsi que Femi les a appelées — disparaissent quelques secondes pour revenir avec les boissons qu'elles s'empressent de nous servir.
Durant une heure, je subis presque un interrogatoire. Je m'y attendais. C'est le propre des belles-familles. La mère de Femi me pose une multitude de questions sur mes parents, mon arbre généalogique, les panégyriques de mon ethnie, mes études, mon occupation actuelle … (Soupir). Je m'attendais même à ce qu'elle m'interroge sur mon handicap, mais elle ne l'a pas fait. Heureusement. Parce que je me serais sentie mal à l'aise.
- Voyons, maman ! Depuis quand es-tu devenue Inspecteur Colombo ? Tu viens à peine de rencontrer ma petite-amie que déjà tu veux tout savoir sur elle !
Je m'efforce de ne pas rire.
- Hein ! Tu trouves que j'abuse ? Sache que si ton père, paix à son âme, (Elle lève les mains vers le ciel) était encore en vie, il aurait fait pire.
- Cela ne me dérange du tout pas maman ! Vous avez tout à fait le droit de vouloir mieux me connaître.
- Voilà ! Tu vois Femi, ta copine est plus sensée que toi.
Je regarde discrètement Femi et lui sourit. Ses soeurs ont déserté le salon. J'entends leurs voix provenant d'une pièce qui doit faire office de cuisine.
- Je suis entrain de mijoter un bon "mantindjan" (sauce de feuilles bien bien garnie) pour vous. Tes soeurs sont entrain de préparer la pâte de manioc. Tout sera prêt tout à l'heure et vous pourrez vous régaler. J'espère que ta chérie ne te laisse pas mourir de faim et qu'elle te concocte de bons mets. Tu lui as dit que tu adorais la pâte de telibo (pâte noire à base de cossettes d'ignames) avec la sauce mantindjan ?
Si seulement, la mère savait que je ne suis pas une as de la cuisine. Je sais juste faire une omelette, faire des frites et du jus de tomates ! Et ce surtout grâce à son fils qui m'enseigne quelques recettes de base ! Pauvre de moi !
- Maman ! Je te rappelle qu'Aurore et moi ne vivons pas encore ensemble.
- Je sais, mais cela ne doit pas l'empêcher de prendre soin de ton estomac. D'ailleurs, vous ne vivez pas encore ensemble, mais cela ne vous empêche certainement pas de faire crac-crac non ! Et alors ?
Je souris intérieurement. Quant à Femi, il manque avaler sa boisson de travers. Il se met à toussoter. Sa mère délaisse précipitamment son siège pour aller tapoter le dos de son fils.
Il est préférable que je n'intervienne plus entre mère et fils.
- Tu te sens mieux ?
- Oui, maman. Merci.
- Je vous laisse un instant. Je vais m'assurer que ces deux fainéantes cuisinent effectivement.
- A tout à l'heure maman ! m'empresse-je de répondre.
Je lève les yeux en direction de Femi. Nous sourions.
**************
Femi AKONDE
Avec grand appétit, j'ai dégusté le mets de maman. Et si Aurore n'était pas en face de moi, j'aurais même léché mes doigts et le plat. (Sourire) Cela faisait longtemps que je n'avais pas si bien mangé. Maman a toujours été un Cordon bleu. D'ailleurs, c'est d'elle que je tiens mes talents culinaires, même s'il me reste encore à apprendre.
De temps en temps, je jette des yeux vers ma moitié. Elle me regarde et sourit. Je la sens détendue et j'en suis ravi. Je craignais le contraire. Et puis j'avais peur que ma mère la déstabilise avec toutes ses questions. Mais ma princesse m'a prouvé combien elle est forte. Je suis tellement fière d'elle...
- Le repas était vraiment excellent, maman ! commente Aurore.
- Merci ma fille. Je suis contente que cela t'ait plu. Et toi, mon grand, tu ne dis rien ?
Je suis encore occupé à avaler ma dernière bouchée. Je me demande pourquoi maman est aussi taquine aujourd'hui. Ah, les mamans ! Elles ne cesseront jamais de nous prendre pour des bébés ! Et même si cela nous agace parfois, nous ne cesserons jamais de les aimer. Ainsi va la vie !
- Maman, laisse-moi finir de manger tranquillement. A t-on chaque besoin de rappeler au meilleur coiffeur du pays qu'il fait de belles coupes ?
- Toi, laisse-moi ici hein. Je suis fatiguée d'entendre tes tournures de phrases là. Ce n'est pas parce que je ne suis pas allée loin à l'école qu'il faut m'impressionner avec ton gros français là hein ! Faut pas me honnir devant ta copine oh !
Aurore s'efforce de ne pas rire. Moi je me permets de rire à gorge déployée.
Je me rapproche de ma mère et l'entoure avec mes bras, tout en lui déposant un bisou sur la joue.
- Ma maman chérie ! L'unique de mon cœur !
- Oui, c'est cela. Faut bien me flatter !
Je te taquinais simplement. Tu sais bien qu'il n'y a pas meilleure cuisinière que toi ! C'est juste ce que je voulais dire. Tu n'es pas fâchée, j'espère !
- Maman ne se fâche jamais contre toi de toutes façons ! Tu restes son préféré ! intervient Fumilayo.
Olayinka essaie de parler à son tour, mais maman la toise. Elle se ravise. Je souris intérieurement.
- Je ne suis pas fâchée, Femi. Pas cette fois-ci en tout cas, mais…
Je lui dépose un autre bisou sur la joue. Elle sourit.
- Au fait, mon fils, il faut que je te montre quelque chose dans l'arrière-cour. C'est très important.
- D'accord maman, je me lave les mains et je suis à toi. Vous deux, je vous confie ma princesse, tenez-lui compagnie sans trop la déranger, sinon gare à vous !
- Allez, va-t'en avec ta maman ! Tu nous trouveras ici à ton retour.
Je les lorgne, lave mes mains dans l'eau savonneuse posée sur la table, puis vais déposer une bise sur la délicieuse joue d'Aurore avant de suivre maman.
* *
*
Quelque part dans notre arrière-cour.
- Alors maman, qu'as-tu de si important à me montrer ?
- En réalité, mon fils, j'ai dû faire diversion pour pouvoir te parler seul à seul.
- Quelque chose ne va pas ? demande-je affolé.
- Oui, c'est au sujet de ta petite-amie. Cette fille n'est pas pour toi, mon fils.
Je suis sous le choc.
- Regarde-toi ! Tu es beau, fort et bien portant. Pourquoi t'encombrer avec une infirme comme elle ?
Je regarde ma mère et je la méconnais.
- Arrête de l'appeler ainsi, maman ! Tu semblais pourtant l'apprécier tout à l'heure. Ne me dis pas que tu faisais semblant durant tout ce temps !
- Je ne pouvais pas lui cracher cela en face. Elle semble être une fille gentille après tout, mais elle ne te correspond pas.
- C'est la femme que j'aime. Et pour moi, c'est une femme à part entière, comme toutes les autres !
- Femi, écoute …
- Non, maman ! rétorque-je. Cette femme est la seule qui me rende heureux et je n'accepte pas que tu la rejettes juste pour un préjugé aussi absurde !
- Alors, pour cette fille, tu me te tiens tête ! (Elle tape ses mains). Jamais, tu ne l'avais fait auparavant ! Hmmm ! Si ton père t'entendait, il se retournerait dans sa tombe.
- Laisse papa en dehors de tout cela. Parce que s'il était encore en vie, il accepterait mon choix. Je suis un adulte responsable à présent.
- En tout cas, moi jamais de ma vie, je n'accepterai cette fille infirme dans ma maison. Je n'ai pas envie d'être la risée de notre famille et du quartier. Je me demande si ce n'est pas sa fortune qui t'aveugle autant.
- Je ne l'aime pas pour son rang social et elle le sait très bien. Je te le redis maman, il te faudra accepter Aurore, parce que très bientôt je compte la demander en mariage.
- Sacrilège ! crie-t-elle en claquant les doigts trois fois autour de sa tête.
Puis en touchant son ventre, elle ajoute :
- Si vraiment, c'est moi qui t'ai gardé ici pendant neuf mois, sache que tu n'épouseras jamais cette infirme ! Jamais ! Et je parie que cette fille ne pourra même pas me donner des petits enfants à cause de son infirmité.
Je ne partage pas son avis.
- Rien ne la prédispose à être stérile. Je suis certain que nous aurons des enfants. Et même si ce n'est pas le cas, je resterai avec elle parce que je l'aime. Tu comprends !
- Oh mon Dieu !
Elle lève les yeux vers le Ciel avant de poursuivre :
- C'est plus grave que ce que je pensais ! Cette sorcière a complètement ensorcelé mon fils ! Délivre-le, je t'en supplie. Et toi, mon défunt mari, vas-tu laisser ton fils se perdre ainsi ? Agis de là-haut.
Là, je suis dépassé. Je ne reconnais plus ma mère, cette femme qui m'a toujours appris à ne pas juger les gens et à m'intéresser aux qualités humaines.
- J'en ai assez entendu, maman ! finis-je par dire. Je m'en vais.
- Oui, va-t'en avec ta "chose" et sa richesse "maudite" ! Je reste pauvre mais digne.
Tournant encore les yeux vers le ciel, elle achève :
- Mon Dieu, qu'ai-je fait pour mériter une telle humiliation ?
Je secoue la tête, déçu par les propos et les agissements de ma mère. Et dire que je la croyais très tolérante et compréhensive. Je me suis trompée.
Je m'en vais retrouver ma moitié. Elle est seule au salon.
- Aurore, tu es là ? Je suis désolé d'avoir tardé. Où sont les deux diablesses ?
- Tes soeurs sont dehors avec une amie qui est venue les voir !
- Ces filles ont toujours été "tête en l'air". Il est temps qu'on y aille.
- Où est ta mère ? Il faut que je lui dise au revoir.
- Ce n'est pas la peine, Aurore. Elle a eu une soudaine migraine tout à l'heure. Je lui ai conseillé d'aller se coucher. Elle t'envoie son aurevoir et nous souhaite un bon retour.
- C'est très gentil de sa part. J'espère qu'elle ira mieux.
- Oui.
Elle semble m'avoir cru. Heureusement.
- Au fait, Femi, ton téléphone a sonné en ton absence. C'était le directeur de l'école où tu enseignes. J'ai juste consulté, mais pas décroché.
- Ok, pas grave ! Je le rappellerai tout à l'heure. Ce ne doit pas être bien important. Merci. A présent, allons-y.
Elle acquiesce en m'offrant un joli sourire.