CHAPITRE 27

Ecrit par Maylyn

Le cabinet de notre psychologue faisait plus penser à un salon qu'à un bureau. Je pense qu'elle l'avait fait exprès pour que ses patients se sentent à l'aise. Et j'avoue que ça marchait plutôt bien avec nous puisqu'avec Yélen nous y étions encore ce matin-là. Dans la trentaine, Rakhee Sy était une jeune femme d'une à l'allure calme et bienveillante. Elle savait grâce à cette attitude nous amener l'air de rien à nous confier à elle.


-Alors Yélen, comment vous sentez-vous aujourd'hui ? Vous arrivez mieux à appréhender votre nouvelle grossesse ?


-Je ne sais pas trop...On dira qu'il y a du mieux.


-Vous pouvez m'en dire plus ?


-Comme vous le savez déjà, elle tombe à un moment critique de notre relation. Je l'ai su une semaine après avoir appris la...liaison qu'entretenait Pierre-Marie avec cette...femme. Ce fut un véritable choc que je n'arrive pas à dépasser depuis.


-Pourquoi à votre avis ?


- Peut-être à cause des hormones qui me chamboulent complètement. Mes humeurs fluctuent à chaque instant. Je peux passer d'une grande euphorie à une énorme tristesse en un clin d'œil, je m'énerve pour un rien aussi. En plus, c'est la grossesse la plus pénible que je vis. Les deux premières s'étaient très bien déroulées, à peine quelques nausées le premier trimestre. Mais cette fois, c'est un vrai calvaire : les nausées sont violentes malgré que je sois dans mon cinquième mois, je suis presque tout le temps sous perfusion parce que le médecin trouve que je ne me nourris pas assez, j'ai aussi souvent des vertiges. Heureusement que les démangeaisons ont cessé.  Je sens le bébé bouger en moi mais je ne me sens pas heureuse et cela me fait culpabiliser. Le pauvre n'a rien demandé et il se retrouve avec une mauvaise mère.


Sa voix se fit larmoyante. La psy lui tendit un paquet de mouchoirs.


-Merci ! Vous voyez ? Je me remets encore à pleurer comme une idiote...


-Mais non Yélen. Cette réaction est normale. Comme vous l'avez vous-même signifié, vos hormones vous jouent des tours.


-Mais il n'y a pas que ça ! S'écria-t-elle. Je ne me suis jamais sentie aussi vulnérable ! Je n'ai plus confiance en mon mari et en moi encore moins ! Parfois, je me dis que s'il a été capable de me tromper alors que j'étais encore présentable, ce n'est pas maintenant où je ressemble à une baleine qu'il me sera fidèle ! Je suis devenue une femme jalouse, possessive qui l'appelle pour un oui ou pour un non rien que pour savoir où il est ! Je ne supporte pas qu'il s'absente même pour le boulot, surtout pour le boulot ! Qui sait s'il ne se trouverait pas une deuxième Risna !


-Mais non Chérie ! Je t'ai promis de ne pas le refaire alors crois-moi...


-Te croire ? Pierre-Marie quand tu es rentré de Dubaï, tu n'as même pas eu la décence de m'avouer cette liaison ! Tous les jours, tu me regardais droit dans les yeux en me promettant que j'étais la femme de ta vie ! Si je n'étais pas rentrée à l'improviste ce jour-là, je ne l'aurais JAMAIS su ! Alors excuse-moi si j'ai du mal à te croire quand tu me promets quelque chose désormais !


-Je me suis excusé des milliers de fois Sun ! Qu'est-ce que tu veux que je fasse d'autre ? Malheureusement, je ne peux pas revenir en arrière sinon je te jure Chérie que je changerais tout !


-Justement, on ne peut pas changer tous les actes que l'on pose ! Voilà pourquoi nous devons réfléchir avant d'agir ! Tu es un ADULTE mon cher époux donc responsable de tes actes ! Si au moins ça avait été une bêtise d'une nuit...Mais non, tu as continué de t'envoyer en l'air avec elle ! Vous viviez pratiquement ensemble là-bas de ce que j'ai cru comprendre !


-Ce n'est pas vrai! Ok,  nous étions souvent ensemble mais c'était ma collaboratrice donc normal que nous soyons souvent ensemble...


-Ne joue pas sur les mots ! Cria-t-elle.


-Calme-toi Mon Amour, ce n'est pas bon de t'énerver comme ça...


-Oh LA FERME ! Tu n'arrêtes pas de me rabâcher ce truc et j'en ai marre ! Ces séances sont organisées pour que je dise ce que je ressens non ?


-Oui bien sûr Yélen. Lui répondit la professionnelle calmement. Mais vous avez conscience que vous mettre autant en colère n'est pas conseillé pour votre enfant n'est-ce pas ?


Elle se prit la tête dans les mains et poussa un soupir. Puis elle me prit la main :


-Oui je sais, je sais. Je suis désolée Chéri.


Je lui fis une légère caresse sur le front et donnai une pression sur sa main.


-Vous voulez qu'on fasse une pause ?


-Non ça va. Nous pouvons continuer.


Après lui avoir servi un verre d'eau citronné, le Docteur Sy se tourna vers moi :


-D'accord. Alors Pierre-Marie, comment vivez-vous cette situation ?


-J'avoue que ce n'est pas facile tous les jours mais j'évite de me plaindre car après tout, c'est ma faute non ?


-Faîtes-nous part de vos sentiments.


-Eh bien...Personnellement, avoir un autre bébé me rend très heureux et tous les jours, je jubile au fond de moi.


-Pourquoi ? Vous ne voulez pas que votre femme le sache ?


-Quand je la vois aussi mal à cause de la grossesse, je me dis que ce serait un affront de manifester mon bonheur devant elle. Il y a des jours où je pense à ce petit être qui sera bientôt dans mes bras et j'ai un sourire béat sur les lèvres et la seconde d'après, l'image de Yélen amaigrie, couchée avec une perfusion dans le bras me vient à l'esprit et je me dis que c'est ma faute.


-Votre faute si elle est alitée ?


-Oui. J'ai contribué à la conception de cet enfant non ?


-Justement, vous faîtes bien de le dire. Vous y avez CONTRIBUE. Un enfant se fait à deux. Donc nous dirons que vous êtes fautifs aussi bien l'un que l'autre. Cependant, à votre décharge, je peux comprendre qu'il soit très difficile de résister au...processus de conception. Ajouta-telle taquine.


Cela eut le mérite de nous dérider un bref instant.


-Et que pensez-vous de la femme possessive qu'elle dit être devenue ?


-A vrai dire, c'est très pénible et étouffant. Des fois, je suis en pleine réunion avec des collaborateurs mais comme elle panique quand je ne décroche pas, je peux m'interrompre au moins trois fois pour répondre à ses appels. J'ai stoppé tous mes voyages professionnels et je fais tout pour être à la maison à l'heure pour le dîner. Je ne sors plus avec mes amis et j'ai même arrêté le sport en attendant qu'elle soit mieux pour qu'on le fasse ensemble. J'aimerais tellement retrouver cette confiance inébranlable qu'elle semblait me porter avant mais je sais que ce n'est pas facile. Si j'étais à sa place, je ne suis même pas certain que j'aurais fait tous les efforts qu'elle fournit pour garder notre famille unie. Tout ce que je peux faire c'est continuer à lui demander pardon et patienter en espérant qu'un jour elle se rende compte enfin que mes paroles ne sont pas vaines et que je ne referai plus jamais cette énorme bêtise.


-Qu'est-ce que cela vous fait d'entendre ces paroles Yélen ?


-Je me sens triste et désolée de lui infliger tout ça. Je sais que je ne peux pas accuser mes hormones pour tout et que j'ai aussi ma part de responsabilité mais je ne peux pas m'en empêcher.


-Pourquoi ?


-Je ne sais pas...Peut-être que c'est ma manière à moi de le punir...


-Le punir dîtes-vous ?


-Oui...Peut-être que c'est une façon inconsciente de lui faire payer son incartade...Je dis ça comme ça hein. C'est vous la psy.


-C'est très intéressant ce que vous venez de dire.  Lorsque Nielini fait une bêtise, elle a droit à une punition n'est-ce pas ?


-Oui.


-Pourquoi ?


-Pour qu'elle prenne conscience que ce qu'elle a dit ou fait n'est pas bien et qu'elle ne recommence plus.


-Lorsque vous levez le châtiment, vous lui faîtes promettre de ne plus recommencer n'est-ce pas ?


-Oui.


-Et est-ce qu'elle tient sa parole ?


-En général oui. Nous essayons de lui inculquer l'importance de la parole donnée.


-Et c'est très bien. Cela montre que vous êtes de très bons parents. Mais ensuite, quand elle fait cette promesse, vous pardonnez et passez à autre chose ?


-Oui.


-Pourquoi n'avez-vous aucun doute qu'elle ne recommencera pas ?


-Parce que c'est ma fille et que j'ai confiance en elle.


-D'accord. La punition qu'elle reçoit dure combien de temps ?


-Cela dépend de la faute. Ça peut aller d'une interdiction de regarder la télé durant quelques jours à celle de ne pas voir ses copines en dehors de l'école pendant quelques semaines.


-Et ensuite, vous levez la punition pourquoi ? Si ce qu'elle a fait est si mal, pourquoi ne reste-t-elle pas punie durant des mois entiers ?


-Quoi ? Pas question ! C'est ma fille et je l'aime. Je ne supporte pas de la voir souffrir.


-C'est vrai que voir nos proches souffrir est un vrai calvaire aussi bien pour eux que pour nous n'est-ce pas ?


-Oui bien sûr...


-Vous aimez votre époux ?


-Oui, évidemment que oui !


-Alors pourquoi ne levez-vous pas enfin cette punition ?


Il y eut un silence. Elle tourna son regard vers moi, les yeux exorbités, comme si elle était surprise. Puis, ils se voilèrent de larmes.


-Oh Seigneur ! Mais qu'est-ce que je suis en train de faire ? Chéri, je suis tellement désolée...


Je me rapprochai d'elle et la prit dans mes bras. Après toutes ces séances, il semblait enfin que le déclic s'était fait dans sa tête.  Je la gardai contre moi longtemps, la laissant pleurer de tout son saoul. Le Docteur Sy non plus ne dit mot durant un bon moment. Quand elle sentit mon épouse plus calme, elle conclue :


-Bon, je crois que nous avons eu notre quota d'émotions pour la journée. Rentrez à la maison, reposez-vous, laissez la pression retomber et quand vous vous sentirez prêts, reparlez ensemble de tout ce que nous nous sommes dits aujourd'hui d'accord ? On se revoit jeudi.


***

Nous aurions pu croire que cette consultation marquerait le début d'un changement positif dans nos relations. Malheureusement, ce fut le contraire. Les mois passaient et rien ne s'arrangeait. Je me rendais compte que j'avais perdu définitivement la confiance de mon épouse. Elle était toujours aussi jalouse et méfiante, me faisait des crises quand nous allions au restaurant parce que j'avais osé regarder la serveuse qui prenait notre commande ou qu'elle entendait une voix féminine en fond quand elle m'appelait au bureau. Elle en était même venue à dévaloriser son albinisme en me criant que j'avais peut-être honte d'elle maintenant que j'étais devenu un homme influent. Ce qui évidemment était faux ! De mon côté, je commençais à saturer et à répondre à ses provocations. C'est dans une telle atmosphère qu'elle fit une fausse couche à vingt-huit semaines de grossesse. Nous apprîmes que c'était un garçon. Et comme si ça ne suffisait pas, le médecin nous annonça que Yélen ne pourrait plus tomber enceinte.  Cette situation sonna le glas de notre relation.


Bien sûr, dès la délivrance, tous les symptômes qui la fatiguaient disparurent comme par miracle. Elle se reprit progressivement  et se réfugia dans l'élaboration de sa fondation. Elle ne voulait pas sombrer comme ce fut le cas à la mort de Sami alors elle s'accrocha aux seules choses qui pouvaient  la maintenir à la surface : Lily et ses projets. Elle se détacha peu à peu de moi, arrêta ses coups de fil intempestifs et ses crises de jalousie. En fait, les rôles furent inversés. Comme prévu, le lancement de sa marque de produits cosmétiques  fut un succès. Grâce au rapport qualité prix qui défiait toute concurrence, ils s'arrachaient comme des petits pains. Elle avait eu la bonne idée de créer différentes gammes pour les différents types de peaux et de cheveux.  Elle voyageait beaucoup pour la promotion, emmenant Lily quand c'était possible, la petite adorant ces virées avec sa Maman et en profitait pour organiser des réceptions en vu de récolter des fonds. A cause du boulot, je ne pouvais assister qu'à celles qui avaient lieu aux Etats-Unis. Je la voyais resplendissante aux cotés de célébrités et de personnes fortunées. Elle semblait heureuse d'être avec eux. Pourquoi moi aussi je n'avais plus droit à de tels regards ou de tels sourires ? Et pour couronner le tout, les journaux à scandales remarquèrent mon absence dans la plupart des dîners et commencèrent à faire des allusions sur de possibles tensions dans notre couple, sans doute dû à sa fausse couche. Ils lui prêtèrent même des idylles avec quelques uns de ces types qui gravitaient dans son entourage. Au fond de moi, je savais bien que ce n'était que des élucubrations de journaleux en mal de scoop mais ça ne m'empêchait pas de devenir de plus en plus jaloux, surtout quand je la voyais sur les photos en train de rire ou bavarder joyeusement avec eux. J'accumulai tous ces sentiments jusqu'au jour où tout explosa.


 Deux années venaient de s'écouler et nous vivions maintenant plus comme des colocataires que comme un couple. Elle était en voyage au Brésil et les paparazzi n'avaient pas arrêté de prendre des photos d'elle avec l'un de ces bellâtres célèbres qui jouaient dans les télénovelas. Elle n'avait pas arrêté de faire ses éloges durant ses rares appels pour m'expliquer à quel point il s'investissait dans sa cause, ayant sa grand-mère et sa sœur, elles aussi albinos. Sur les photos, on les voyait au restaurant ou sur le voilier de ce blanc-bec ou alors à deux réceptions qu'il avait donné chez lui, la choisissant à chaque fois comme hôtesse pour la soirée. J'en étais arrivé à un point tel que je regrettais presque ses moments de dépression. Au moins là, elle était tranquillement à la maison ! J'étais tellement furieux que le jour de son retour de voyage, je bus plus que de raison et l'apostrophai dès qu'elle mit ses pieds dans l'entrée.


-C'est quoi tout ça ? Tu peux m'expliquer ? Demandai-je en lui brandissant l'un de ces torchons sur lequel elle et son supposé amant posaient en première page.


-Bonsoir Yélen ! Tu as fait un bon voyage ? Oui PM, un peu fatiguée mais ça peut aller.


-Arrête de jouer au plus fin avec moi Yélen ! Alors c'est ça le vrai motif de tous ces voyages ? Te prendre un amant dans chaque pays du globe ?


-Mais qu'est-ce que tu racontes ? Tu sais très bien que ce sont des bêtises ! Ecoute Pierre-Marie, franchement, je suis épuisée donc je ne suis pas d'attaque pour une nouvelle dispute. Là je tombe de sommeil. On en reparlera demain d'accord ?


Je l'arrêtai en lui empoignant le bras.


-Oh non tu n'iras nulle part ! J'exige des réponses !


-Aïe ! Lâche-moi, tu me fais mal !


-Je te fais mal ou c'est mon contact qui te dégoûte ?


-Mais qu'est-ce qui t'arrive ? Je ne sais même pas de quoi...


Elle s'interrompit un instant avant de réprendre :


-Mais tu as bu !


-Et alors ?


-Je refuse de te parler dans cet état ! Maintenant lâche-moi Pierre-Marie sinon...


Je la repoussai violemment contre le mur et elle s'écroula de douleur. Au dessus d'elle, je hurlai :


-Sinon quoi ? Je comprends tout maintenant ! En fait, cette fausse-couche est tombée à pic non? Au moins maintenant, tu es libre ! Tu peux te faire mettre par tous ces mecs sans craindre de rentrer avec un bâtard dans le ventre ! D'ailleurs, je me demande si c'était vraiment une fausse-couche ! Qui sait si tu n'as pas tué mon fils volontairement !


Elle s'appuya contre le mur et se leva péniblement. Puis, elle se tourna vers moi :


-Comment oses-tu ? Comment OSES-TU m'accuser d'avoir tué mon bébé ? La grossesse me fatiguait et il est vrai que j'avais hâte d'accoucher mais Dieu m'est témoin que j'aimais ce petit être qui grandissait en moi ! C'est toi Pierre- Marie qui parle d'adultère ?!


Elle eut un gloussement ironique :


-Tu es pathétique ! Non mais regardes-toi ! Tu es une loque ! Qu'est-ce que je foutrais avec un mec pareil ? Tu veux croire que je couche avec tous les mecs de la planète, c'est TON PROBLEME ! Moi j'en ai ma claque ! C'est terminé, tu m'entends ? Je m'en vais !


Elle se dirigea vers la porte, reprenant ses affaires.


-C'est ça oui dégages ! Vas retrouver l'un de tes imbéciles ! Mais sache que ma fille reste avec moi !


Elle se retourna  et le regard étincelant, elle me lança :


-Essaies de m'enlever ma fille Pierre-Marie et je te jure que tu ne me reconnaitras pas !


Sans un mot de plus, elle claqua la porte d'entrée derrière elle. Je balançai le magazine à sa suite et me dirigeai vers le salon pour terminer ma bouteille de vodka.

YELE, Lumière de ma...