CHAPITRE 28
Ecrit par Maylyn
Je me réveillai le lendemain matin avec un mal de tête épouvantable. J'étais affalé sur le canapé du salon, la bouteille presque vide de vodka par terre, le contenu s'étalant sur le tapis. Je me redressai péniblement et trainai des pieds jusqu'à la chambre pour me chercher de quoi lutter contre ma migraine. Je trouvai un flacon d'aspirine dans un tiroir de ma table de nuit. Je descendis ensuite à la cuisine me prendre un verre d'eau. Assis à la table à manger, le regard tourné vers la cour arrière, des bribes de la veille me revinrent peu à peu à l'esprit. Non mais quel con ! Cette fois-ci, c'était vraiment terminé ! Yélen ne me le pardonnerait jamais ! Je l'avais perdu pour toujours !
-Bonjour Papa ! Maman n'est pas rentrée ?
Je me retournai vers ma fille, en pyjama et encore toute ensommeillée. A 11ans, elle ressemblait tellement à sa mère au même âge : mêmes traits, même taille, même caractère espiègle et adorable. De mon cerveau engourdi par l'alcool, je ne pus que lui sortir :
-Bonjour Lily. Non Maman n'est pas encore rentrée. Je vais l'appeler tout à l'heure pour savoir ce qu'il en est. Tu viens me faire un câlin ?
Elle vint se blottir dans mes bras et je la serrai à l'étouffer. Non, je ne pouvais pas me résigner ! Il fallait que je fasse quelque chose pour retrouver ma femme ! Je l'aimais trop pour la laisser s'en aller. 2ans que nous nous étions perdus ! C'était trop ! Et puis, il y avait notre Nielini. Elle avait besoin de nous. J'avais encore une carte à jouer ! La dernière et sans doute la plus efficace !
-Papa ?
-Oui Chérie.
- Ça va ?
-Oui Lily. Maintenant ça va beaucoup mieux ! Allez viens, je vais nous faire des pancakes. Ils ne sont pas aussi bon que ceux de Maman mais nous nous contenterons de ça jusqu'à ce qu'elle rentre à la maison !
***
-QUI M'A FICHU DES IDIOTS PAREILS ?! Votre père et moi qui vous pensions assez matures pour vous en sortir tous seuls! Tu parles ! Non mais vous vous rendez compte de l'âge que vous avez ? Comment pouvez-vous vous comporter de la sorte ?! Vous savez ce que vous êtes ? Des gosses égoïstes qui se prennent pour le nombril du monde !
El Dragón arpentait le salon de long en large, fulminant de rage et lâchant des boules de feu à nous incinérer sur place. Yélen et moi, assis chacun à un bout du canapé n'osions l'interrompre dans sa diatribe. Deux semaines s'étaient écoulées depuis ma dernière dispute avec Sun. Elle avait élu domicile dans la maison que nous avions achetée des années auparavant dans les Hamptons, prétextant à Lily qu'elle avait besoin de repos après tous ces voyages. Entre temps, j'avais appelé ma mère à la rescousse, lui relatant brièvement ce qu'il en était. Et bien sûr, quelques jours plus tard, elle sonnait à ma porte, m'enjoignant de lui expliquer la situation en détail, ce que j'avais fait sans me faire prier. Elle avait alors ordonné à Yélen de rappliquer illico. Voilà comment nous nous retrouvions là, bouche bée, ne pouvant que l'écouter religieusement.
-Pierre-Marie ! Donc c'était ça Dubaï ?! Pendant que ta femme et ta fille se débattaient pour essayer de remonter la pente, toi tu te prenais une maîtresse ! Quel cliché ! Tu aurais pu faire plus original non ?! Je comprends mieux pourquoi tu refusais de rentrer quand je te le demandais ! Monsieur préférait se complaire dans la facilité des plaisirs éphémères, mettant ses responsabilités aux oubliettes! Au lieu de faire l'imbécile en soupçonnant ensuite ton épouse d'adultère, tu aurais dû plutôt mettre ton imagination débordante à profit au cours de ces 2 dernières années pour trouver un moyen efficace pour la reconquérir non ?!
Je préférai ne pas répondre.
-Quant à toi Yélen, tu me déçois énormément Ma Fille ! Tu n'as donc RIEN retenu de tous les conseils et astuces que je t'ai donnés pour sauvegarder ton couple ? Ton mari t'a trompé ? Ok je peux comprendre que tu lui en veuilles et surtout que tu aies envie de le trucider ! Mais ensuite, il t'a demandé mille fois pardon n'est ce pas ? Il t'a fait la promesse de ne plus recommencer non ? A-t-il failli à ça depuis? T'a-t-il ne serait-ce qu'une fois donné l'impression qu'il avait de nouveau une liaison ? Hum ! Comment pourrais-tu répondre à une telle question vu que tu n'es presque plus là ! Au lieu de prendre soin de ton mari, tu préfères désormais parader dans les soirées mondaines en compagnie de playboys insipides ! Ah ! Ton PM que tu idolâtrais presque comme un héros n'était finalement qu'un homme avec ses faiblesses ? Hum ! Bienvenue dans la vie réelle Ma Fille !
Elle s'arrêta brusquement face nous, nous dévisageant d'un air furieux.
-Vous pensez être les seuls parents au monde à perdre des enfants ou à vivre le drame de la stérilité ? Eh bien, au cas où vous l'auriez oublié, je vous rappelle que votre père et moi avons aussi connu ça ! Est-ce pour autant que nous avons laissé notre couple se laisser écraser par le poids de ces problèmes ? Vous croyez que durant toutes ces années de vie commune, nous n'avons pas eu notre quota de soucis de couple ? Et malgré cela, nous avez-vous déjà vu ou entendu nous disputer ? C'est aussi ça être parents ! Savoir préserver les enfants de nos mésententes !
Elle frappa dans ses mains.
-Mais réveillez-vous enfin ! C'est toute votre vie de famille qui s'écroule là ! Vous avez une petite fille Bon Dieu ! Arrêtez de ne penser qu'à vous ! La pauvre Nielini a perdu sa sœur, puis son frère ! Elle a vu sa mère sombrer dans la dépression ! Elle a subi les absences répétées de son père ! Vous ne trouvez pas que c'est trop pour une fillette de son âge ?! Vous êtes-vous mis une seconde à sa place ? Alors, au nom de l'amour que vous dîtes éprouver pour elle, j'espère que vous ferez de vrais efforts cette fois pour vous arranger tout ce bourbier ! Est-ce clair ?
Devant son regard d'avertissement, nous acquiesçâmes :
-Oui Maman.
-Oui bien sûr.
Elle soupira et se posa enfin dans l'un des fauteuils. Puis elle reprit plus calmement :
-Bien ! Voilà ce que vous allez faire ! Faîtes vos bagages et octroyez-vous un séjour de quelques semaines rien que tous les deux. Vous irez à Assinie, dans ce complexe où vous avez fait votre lune de miel. Vous y alliez chaque année avant pour fêter l'anniversaire de votre mariage non ? Je comprends maintenant pourquoi vous avez arrêté ces voyages ! Mais il est grand temps de vous y remettre et tant pis si nous ne sommes pas encore en Novembre ! Nous sommes dans l'urgence là !
-Mais ils doivent être pleins à cette période de l'année non ? Ce sont les vacances d'été...
-Laisse ça Mon Fils ! J'ai déjà tout arrangé avant de venir ! Tu as oublié à qui tu as affaire ou quoi ? Ajouta-t-elle avec un sourire complice.
Nous éclatâmes de rire. Sacré El Dragón !
-Alors, vous êtes d'accord pour tenter encore une fois ?
Yélen et moi nous regardâmes, indécis. Et au moment où je crus qu'elle refuserait, elle s'écria un petit sourire aux lèvres:
-On part quand ?
***
Nous étions allongés sur des chaises longues tous les deux sur la terrasse de notre bungalow, admirant la vue qui s'offrait à nous : le disque lunaire semblait éclairer exprès de ses doux rayons la mer qui dansait son incessant et hypnotique ballet tandis les feuilles des cocotiers se balançaient au gré du vent. Même les étoiles étaient au rendez-vous, ajoutant à l'atmosphère romantique de la soirée. Nous étions dans ce lieu paradisiaque depuis trois jours. Et comme ma mère nous l'avait prédit, nous étions attendus. Après les salutations et autres formules de bienvenue que nous souhaita le propriétaire des lieux en personne, nous fûmes conduits dans notre bungalow habituel. C'était un complexe hôtelier fait pour les amoureux : il était composé de sortes de cabanes disposées ça et là et assez loin les unes des autres pour préserver l'intimité des occupants. La végétation luxuriante contribuait à cette impression d'être seuls au monde. La nôtre était une grande suite avec une chambre et un salon tous deux respirant le luxe et le confort tout en gardant un côté rustique.
Depuis notre arrivée, Yélé et moi nous comportions comme des inconnus qui se découvraient. Nous étions empruntés dans nos propos et assez gauches, chacun ne voulant pas dire ou faire un faux-pas qui pourrait compromettre cette tentative ultime de sauver notre couple. Nous avions passé cette journée qui venait de s'écouler à visiter cette station balnéaire et ses environs. Etant des habitués du coin depuis notre enfance, nous connaissions les endroits peu connus des touristes mais qui étaient de vrais trésors de beauté et d'intimité. Main dans la main, nous parlions peu mais ce n'était pas gênant. Au contraire, nous profitions simplement de la présence de l'un et de l'autre. Après une belle journée de détente, nous étions rentrés nous rafraichir et dîner. Et à cet instant, nous sirotions des cocktails de fruits offerts gracieusement par le propriétaire. Subitement, Yélen fut prise d'un fou rire :
-Quoi ?
Quand elle put enfin placer un mot, elle hoqueta :
-Je nous revoyais avec Maman. La scène me parait tellement cocasse maintenant que j'y repense, nous assis comme des gamins pris en faute, les yeux baissés pendant qu'elle nous sermonnait.
Cette fois, je la rejoignis dans son fou rire.
-Je vois très bien ce que tu veux dire oui. Un mec de 43 ans qui se fait gronder par sa mère ! C'est risible en effet !
Quand nous reprîmes notre calme, elle murmura :
-Mais elle avait raison comme toujours. Nous avons fait beaucoup d'erreurs, surtout moi. Et la première a été de ne pas t'accepter tel que tu es. Je t'ai toujours admiré PM, depuis cette nuit pareille à celle-ci où tu nous as sauvé Irène, Anaïs et moi. A partir de ce jour là, tu as été mon héros, mon prince charmant ! Et tout le monde sait que les princes charmants sont sans défauts n'est-ce pas ? Alors, oui c'est vrai que j'ai eu beaucoup de mal à réaliser que tu n'étais finalement qu'un homme avec de très belles qualités oui, mais aussi des défauts qui pouvaient me heurter parfois. Néanmoins, ces dernières semaines passées loin de la maison m'ont fait réfléchir. J'ai pensé à nous, à notre vie de famille, à toutes ces peines parfois inutiles que nous nous sommes infligés et par ricochet à notre petite Lily... Notre fille mérite de meilleurs exemples non ?
-Oui je suis d'accord. Nous avons eu la chance d'avoir des parents formidables qui nous ont inculqués des valeurs que nous avons malheureusement oublié de mettre en pratique ces dernières années. Il faut que nous apprenions à affronter nos soucis au lieu de les fuir continuellement, que nous nous comportions comme les adultes que nous sommes censés être et non comme les ados immatures que Maman semblait voir pour nous crier dessus comme elle l'a fait. Je t'aime Sun et j'ai besoin de toi dans ma vie. Sans ta présence à mes côtés, je me sens vide et mal. Je te demande pardon pour tout le mal que j'ai pu te faire.
Elle se redressa et me regarda droit dans les yeux.
-Je te pardonne Pierre-Marie et cette fois je suis sincère. Moi aussi je t'aime et tu le sais. Tu es mon PM à moi ! Peut-être moins parfait que je ne le croyais mais tu es et reste Mon Prince Charmant ! Pardonne-moi aussi pour tout le mal que je t'ai fait, pour toutes ces fois où j'ai voulu te punir consciemment ou non. Je regrette tellement tout ce temps perdu à jouer à « celui qui fera le plus de mal à l'autre » au lieu d'essayer plutôt de consolider cette union !
-Et moi donc ! La vie a essayé plus d'une fois de t'arracher à moi alors j'ai bien conscience de la chance que j'ai de t'avoir ici ce soir à mes côtés. J'aimerais que nous profitions de ce séjour pour nous rappeler pourquoi nous avons voulu nous marier ensemble, toutes ces petites attentions, tous ces fous rires, toutes ces étreintes passionnées, toute cette complicité que nous avions,...Cette fois, je souhaiterais si tu le veux bien que nous y allions pas à pas, sans brûler les étapes, que nous nous déchargions un à un de tous nos ressentiments et toutes nos rancœurs pour ne garder que le meilleur pour nous et surtout pour notre famille. Tu es d'accord Sun ?
Je lui tendis la main qu'elle prit sans une once d'hésitation.
-Oui Mon Chéri, je suis d'accord !
Nous nous adossâmes de nouveau sur nos chaises, les doigts entrelacés et nos regards attirés par le panorama.
-C'est une belle nuit n'est-ce pas ?
-Oui Sun, une très belle nuit.
***
-Cette escapade à Assinie marqua le début d'une nouvelle vie pour ma petite famille. Durant les 3 années qui suivirent, nous apprîmes à devenir meilleurs. Bien sûr, tout n'était pas rose et il nous arrivait comme tout couple d'être parfois en désaccord mais là aussi nous fîmes des efforts pour ne plus laisser les disputes s'éterniser. Nous avions enfin connu le secret de la réussite d'un couple : la communication. Pour célébrer ce bonheur revenu, nous tînmes à faire l'année suivante qui marquait nos dix ans de mariage, nos renouvellements de vœux. De nous trois, ce fut certainement Nielini qui fut la plus heureuse à cette occasion. Son enthousiasme témoignait de la crainte qu'elle avait eu de voir ses parents séparer alors nous nous promîmes de ne plus jamais lui faire subir nos problèmes. Notre amour était finalement sorti grandi de toutes ces épreuves. Et c'est ainsi que par un après-midi ensoleillé de Novembre, Yélen et moi nous redîmes OUI et cette fois POUR LA VIE !
-Oh c'est trop beau ! Vous allez me faire pleurer à cette allure là !
-C'est de l'ironie ou je me trompe ?
-Hummm...peut-être bien oui !
Son rire me surprend encore une fois.
-Ne faîtes pas cette tête ! Je blague ! Venez, allons marcher un peu sur la plage. J'ai les pieds tous engourdis d'être restée toute cette journée assise à vous écouter.
Je n'ai même pas remarqué que le soleil se couchait, tellement j'étais absorbé par mon histoire. Une fois nos pieds foulant le sable fin, elle me demande :
-Mais alors puisque tout est bien qui finit bien, que faîtes-vous ici tout seul ? Où est votre dulcinée ?
Bizarrement, je n'arrive pas à répondre. J'ai comme un trou de mémoire.
-Euh...Vous n'allez certainement pas me croire mais je ne sais pas. Je me rappelle très bien des 3 années qui ont suivi et ensuite c'est le trou noir.
Elle me sourit et répond :
-Quel est votre dernier souvenir ?
-Laissez-moi réfléchir une seconde...Ah oui, c'était un samedi au mois de Juillet et Tonton Lassina était en visite chez nous. Nous avions organisé un barbecue et tous nos amis étaient là.
-Ensuite ?
-Je suis monté me changer parce que l'un des enfants qui couraient partout m'avait bousculé et j'avais renversé du punch sur mon tee-shirt. Et c'est là que je ne sais plus...
-Moi je sais ! Rappelles-toi Pierre-Marie. Ce samedi-là, tu montais les escaliers lorsque tu t'es senti mal.
-Quoi ? Comment...Comment savez-vous cela ?
J'ai brusquement mal à la tête.
-Tu as eu une douleur dans le bras gauche que tu trainais depuis le réveil mais que tu as négligée malheureusement. Elle s'est intensifiée dans ta poitrine et est devenue tellement atroce que tu t'es évanoui.
-Mais...Mais qui êtes-vous et pourquoi me tutoyez-vous ?
-Tu sauras tout PM ! Mais pour cela il faut que tu te réveilles ! Je suis là juste pour te dire que ton heure n'est pas encore venue Mon Enfant ! Toute ta famille est morte d'inquiétude en ce moment donc tu dois ouvrir les yeux.
La lumière du jour se fait de plus en plus vive. Pourtant, il doit normalement être aux environs de 18h30. Mon étrange compagne du jour est littéralement happée par ce halo scintillant qui semble l'éloigner peu à peu de moi et j'ai du mal à braquer mes yeux sur elle. D'autant plus que mon mal de tête s'amplifie. Mais qu'est-ce qui se passe bon sang ?
-Allez Mon Garçon, ouvres les yeux maintenant !
Et juste avant de disparaître, elle me fait un immense sourire que je reconnaitrais entre mille : c'est le même que celui de Sun ! Ces dernières paroles avant de disparaître me confirment ce que je crois avoir compris :
-Dis à Yélen que sa Grand-Mère Rama est fière de la femme qu'elle est devenue ! Je vous souhaite beaucoup de bonheur ! Vous avez ma bénédiction mes enfants ! Et Pierre-Marie, cela me ferait immensément plaisir que votre prochaine fille porte mon prénom. Termine-t-elle avec un clin d'œil.
La lumière est si forte que je suis obligé de fermer les yeux. Quand je les rouvre, c'est le visage de Ma Sun baigné de larmes que je vois en premier. Quand elle s'aperçoit que je suis réveillé, elle éclate en sanglots en s'écriant :
-Merci Mon Dieu ! Oh Mon Chéri, tu nous as fait si peur ! Mais c'est fini maintenant, tu es de nouveau parmi nous !
Je regarde autour de moi.
-Où...
-Chut ! Nous sommes à l'hôpital. Le médecin dit que tu as fait une crise cardiaque. Mais ne t'inquiète pas. Il faut juste que tu te ménages un peu dorénavant c'est tout !
Je lève la main pour lui essuyer ses larmes. Elle me la prend dans les siennes et y pose un baiser. Puis dans un gloussement, elle murmure :
-Eh bien, tu te fais vieux apparemment!
J'esquisse un petit sourire pour la rassurer.
Donc tout ce que je viens de vivre n'était que dans ma tête ? Cette femme à qui j'ai raconté toute mon histoire est...la grand-mère de ma femme ?! Ce teint...Cette ressemblance...Eh calme-toi Mon Vieux, tu as juste fait une sorte de rêve ! Oui c'est ça ! C'est la seule explication plausible. N'est-ce pas ?