Chapitre 27
Ecrit par Myss StaDou
Chapitre 27
Savez-vous que Yaoundé est une belle ville pour le shopping ? C’est vrai qu’il n’y a pas l’esprit de la sape comme à Douala où tout le monde est toujours branché. Mais on ne se néglige pas ici. Me voilà donc avec Jeanne en train de faire le tour des magasins. Nous cherchons des tenues de feu pour ce week-end. Il faut que quand Victor pose les yeux sur moi, tout son corps commence à transpirer. Nous avons commencé dans sa boutique comme il avait dit. Victor gérait différents commerces et petites entreprises, soit ouvert par lui-même soit hérité de ses parents.
Ces derniers jours, il m’a parlé un peu plus de sa famille proche, pour que je sois moins dépaysée. Il est l’aîné d’une famille de 3enfants. Lui et Sonia sont jumeaux, et il a une petite sœur qui vit en France. Ils sont tous nés en France et ont d’ailleurs la nationalité. Sonia, comme la benjamine, ont passé une grande partie de sa vie entre la France et la Belgique, contrairement à lui qui ne s’y est installé qu’après le Bac. Durant sa jeunesse, il y allait en vacances, bien sûr.
Jeanne et moi sommes occupées dans la boutique à choisir des tenues. Je trouve une robe de soirée, assez sexy avec une manche unique rouge, une robe beige avec des motifs en paillettes, deux paires de chaussures, des accessoires, et autres. Il est presque 17h et nous devons nous dépêcher. Jeanne trouve aussi deux tenues qui passeront pour le week-end. Nous prenons des bikinis au cas où nous irons aussi à la piscine. Mais nous sommes unanimes sur un point : il nous faut des sous-vêtements neufs ! Mais il n’y en a pas à notre goût dans la boutique. Nous allons dans une autre boutique que la vendeuse nous recommande et trouvons notre bonheur.
Le temps de passer au supermarché Casino et de faire quelques emplettes de friandises et jus de fruits, le chauffeur se dirige donc vers l’avant-dernière étape de nos tours : chez moi. Il connaît tellement bien la route que ça me dépasse. Il m’explique que c’était lui qui était venu me chercher lundi soir avec Junior à la maison. Il travaille très souvent avec Victor. Je comprends mieux. Nous arrivons à la maison quand la nuit tombe déjà. Mes parents sont allés à une veillée et Carole est allée je ne sais où. En passant, j’ai vu Junior qui est assis avec un groupe de jeunes du quartier.
J’entre à la maison et fait un petit sac pour le week-end avec mon nécessaire de toilette pour ses deux jours. Heureusement qu’on a fait les courses, parce qu’avec le rythme de nourriture que j’ai depuis un temps, j’ai pris du poids et n’entre plus dans tous mes vêtements.
Je ressens déjà les effets de la fatigue et de toutes ses marches. Je n’ai pourtant pas le temps de me poser. Je file rapidement hors de la maison et me dirige vers l’endroit où Junior se trouve. Je lui fais signe de s’approcher :
− C’est comment, petit frère ?
− Gars, je suis là. On essaie de tuer l’ennui, dis donc.
− Ok. Papi, il faut que tu me couvres.
− Il y a quoi ? demande-t-il avec inquiétude.
− Je vais lancer chez mon copain pour le week-end. Programme de dernière minute donc je n’ai pas eu le temps de prévenir la mère.
− Ok.
− Pardon, dis-leur que je suis allée passer le week-end avec Jeanne. En fait, nous serons ensemble chez Victor.
− Ok. Il n’y a pas de problèmes. Tu me gardes ?
− Toujours.
Je me dépêche de monter dans le taxi où Jeanne somnolait déjà sérieusement. Je souris en la regardant.
− Oh madame, lève-toi ! dis-je, taquine. Tu dors quoi ?
− Wah ! s’écrie-t-elle en boudant avant de tchiper. Qu’y a-t-il pour que tu me réveilles ?
− Vois l’autre ! C’est toi qui veux aller bringuer ce soir. Il n’est même pas 20h que tu dors déjà comme si… Tu vas arriver ?
− Laisse seulement. Toi-même, tu sais que la journée était longue. Mieux, je dors même deux minutes pour arriver jusqu’au matin.
J’éclate de rire en posant ma tète sur son épaule. Les secousses de la voiture nous bercent et je me laisse aussi emporter par le sommeil. Ce sont des appels que j’attends de loin qui me réveillent :
− Madame ! Madame !
J’ouvre légèrement les yeux. Tout est sombre. Je suis perdue.
− Madame, appelle le chauffeur. Nous sommes arrivés chez Monsieur Yondi.
− Ok, murmuré-je, encore groggy.
− On a un peu traîné à cause des embouteillages.
− Il n’y a pas de souci.
Je m’étire un peu avant de tapoter sur l’épaule de Jeanne pour la réveiller. Nous descendons de la voiture et le chauffeur nous aide à transporter toutes nos affaires jusqu’à la porte d’entrée de l’appartement de Victor. Je prends un peu d’argent et je lui donne au chauffeur un pourboire car j’imagine qu’il doit avoir faim.
Nous sonnons à la porte de l’appartement et après un long moment Victor vient nous ouvrir en serviette, sortant visiblement de la douche.
− Pardon, entrez. Je suis en train de m’apprêter. Je dois sortir dans dix minutes.
Il se dirige directement en se dépêchant vers la porte de la chambre qu’il ferme à clé derrière lui. « Merci pour la galanterie… J’apprécie énormément ton aide chéri », pensé-je ironiquement. Jeanne et moi portons nos différents sacs et les posons d’abord au salon. L’appartement avait deux chambres. Jeanne devait sûrement dormir dans la deuxième. La télé est allumée et un film vient de commencer. Nous nous installons dans le salon, le temps de souffler un peu. La famine veut ma mort. C’est un bruit de clé qui nous fait tourner la tête. C’est un Victor super mignon qui sort du couloir. Il a porté une belle chemise bordeaux avec un col noir ainsi un pantalon cintré noir et une paire de mocassins. Il est trop beau.
− Vic, appelé-je en jouant ma boudeuse.
Victor lève la tête :
− Oui, Nic.
− Je ne suis pas contente.
− Pourquoi ? Y a-t-il eu un problème ?
− Non, mais tu ne m’as pas reçu comme il se doit. Même pas un bisou…
J’entends Jeanne ricaner derrière moi. Est-ce que je la gère ? Victor se met à rire et s’approche de moi pour me donner un baiser langoureux qui me procure un de ces frissons dès que ses lèvres ont touché les miennes. Il sent trop bon. Je sens un petit feu qui monte et je gémis en protestation quand ses lèvres s’éloignent – trop vite à mon goût – des miennes. Jachère quand tu nous tiens ! Avis aux connaisseurs.
Jeanne parle avec une voix d’enfant :
− Pardon, excusez mes yeux. Je suis encore l’enfant de ma mère.
Victor rit :
− Toi ! La vieille mère-ci. Enfant ?
− Elle dérange dis donc.
Victor s’éloigne de moi et s’approche de la table de la salle à manger. Je me tourne pour le voir arranger sa tenue.
− Vic, tu vas partir et nous laisser comme ça ? Comment allons-nous dormir ? Et j’ai faim.
− Moi aussi, appuie Jeanne.
− Désolé les filles, je dois justement partir rejoindre les gars pour manger quelque part. Nous serons juste entre mecs, donc…
− Nous n’avons pas de bouche pour manger aussi ? demandé-je, vexée.
− Non, ce n’est pas ça. Apprêtez-vous alors vite. Vous irez manger quelque part plus tard. Et vous nous rejoindrez en boite. Le chauffeur de tout à l’heure passera vous prendre à 22h.
Je le regarde méchamment. Il n’y prête pourtant pas attention et se tourne vers sa cousine.
− Jeanne. L’autre chambre est prête. Tu peux t’y installer.
− Ok. Chef.
− Nic, tu dormiras dans ma chambre.
− Normalement ! s’exclame Jeanne en riant. Mais ayez pitié des oreilles des voisins.
− Weh. Toi aussi ! murmuré-je, embarrassée.
Je n’ai même pas eu une seconde d’intimité avec lui. Il part comme si… Je me sens mal à l’aise devant cette situation mais bon ! Il s’en va rapidement. Jeanne se décide à aller s’installer et préparer sa tenue de ce soir. Je l’accompagne d’abord dans sa chambre. Nous en profitons pour grignoter des biscuits. J’avais tellement faim à en avoir des vertiges. Je me rends enfin dans la chambre de Victor. Elle est bien propre et entretenue comme d’habitude. Je dépose mes affaires sur le sol. Je vois plusieurs paquets posés sur le lit. Je m’approche et je trouve au bord du lit un mot avec mon prénom dessus. Intriguée, j’ouvre le papier plié en deux.
« Tu m’as manqué chaque instant de ces trois semaines. Ce ne sont que des présents. J’aurais aimé être là pour te les remettre en main propre. Mais je préfère te laisser savourer cela seule.
Biz, ton Vic ».
Je suis émue à la lecture de ce mot. Mais j’aurais aimé mille fois plus qu’il soit là pour me les remettre en main propre. Je me décide à m’attaquer aux nombreux paquets qui se trouvent sur le lit. Je vais de surprise en surprise. Je suis gâtée. Noël en plein mois de mai ! Des vêtements, des bijoux, des gadgets et les joyaux de ces paquets : un beau téléphone, le Samsung Galaxy S2 et un ordinateur portable neuf. Regarde alors la vie. Olivier m’a offert un nouveau téléphone, il y a quelques jours. Je n’ai même pas encore justifié d’où il vient. Si je savais que Victor m’en offrirait un…
J’en ai les larmes aux yeux, mélancolique. Tous les jours, je me plains dans nos discussions que la pauvreté m’empêche d’être à jour question informatique et mon Chou d’amour à décider d’y remédier. Je me mets à chialer devant tant de générosité. Qu’avais-je fait pour mériter tout ça ?
On frappe à la porte de la chambre.
− Nicole ? Ça va ? Je peux entrer ? demande Jeanne.
Elle n’attend pas ma réponse et pousse la porte. Me voyant en larmes, elle vient me prendre dans ses bras, perdue devant cette scène d’émotions.
− Qu’est-ce qu’il y a ?
Je sanglote doucement.
− Parle. Je suis là pour toi.
− C’est Victor.
Elle paraît étonnée. J’essuie mes larmes.
− Victor ? Il est parti tout à l’heure, tout allait bien entre vous. C’est quoi ?
− Il a… Il m’a… Il m’a fait tant de cadeaux.
Jeanne tchipe :
− Et c’est pour ça que tu pleures ? Vraiment, l’amour vous dérange !
− Ne te moque pas !
− Non, ça va. Mais calme-toi. Victor est ton copain ? Tu croyais qu’il allait revenir de l’Europe sans te gâter ? Toi aussi. Enjoy seulement. Tu le mérites.
− C’est vrai ?
− Oui, c’est vrai.
Elle essuie les larmes sur mon visage et jette un coup d’œil aux cadeaux sur le lit.
− Et maintenant,nous allons se préparer. Nous allons devenir les reines de la nuit.
On va rapidement et successivement prendre une douche. Entre les papotages, maquillage, essayage, le temps passe trop vite. Quand le chauffeur sonne à la porte, on a l’impression que le temps s’est évaporé. Perchées sur nos talons, nous montons dans le taxi. Nous nous sommes mises d’accord de partir manger du bon poulet braisé à JC. Nous prenons notre temps, car la famine a pénétré chaque cellule de notre corps.
Il est un peu plus de minuit quand nous montons dans le taxi pour continuer nos délires.
− Chauffeur ?
− Oui, Madame.
− Où allons-nous ?
− Monsieur m’a appelé pour me dire de vous emmener au Katios (une boite renommée de Yaoundé). Il vient d’y arriver avec ses amis.
− Ah, Katios ? Ok, allons-y.
Jeanne et moi jubilons à la pensée de la magnifique soirée qu’on va passer. Arrivée à l’entrée de la boite, je fais un texto à Victor pour lui dire que nous sommes dehors. Il sort accompagner d’un ami pour nous faire entrer. En bons mbenguistes VIP qui se respectent, ils avaient réservé deux lots de fauteuils dans un coin de la boite, vu qu’apparemment ils étaient nombreux. Je ne pouvais pas voir qui était qui. Il y avait aussi bien des hommes que des femmes. Victor nous a fait asseoir, Jeanne et moi dans un bord du long fauteuil, une personne nous séparait de la piste de danse. Il était assis plus loin, au milieu de ses amis, une femme à sa gauche.
Le groupe discutait malgré la forte musique. Une bonne ambiance règne. On nous donne des verres pour se servir à boire. Plusieurs bouteilles de whiskey et de diluants (Coca et Tonic) ainsi qu’un seau rempli de bouteilles de bières sont posés sur la table. Je ne suis pas trop du genre alcool et bière. Mais je pouvais quand même faire une exception pour cette fois.
Je mélange un peu de whisky JB avec du Coca et sirote mon verre tout doucement.
De temps en temps, je guette Victor qui est en train du discuter, sans vraiment trop se soucier de moi. Très souvent, je croise son regard posé sur moi avec un sourire en coin aux lèvres. J’imagine qu’il n’a pas dû voir ses amis ainsi regroupés depuis un bout de temps et veut en profiter. C’est vrai que ça m’énerve. Mais je ne veux pas lui gâcher sa soirée.
Je regarde les gens se défouler sur la piste assez pleine et secoue la tête au rythme de la musique. Soudain le DJ met «Pinguiss » de Daniel Baka. Mon morceau… Ne pouvant pas me retenir, je chuchote à l’oreille de Jeanne de m’accompagner sur la piste. Nous nous levons et nous allons sur la piste rejoindre la foule qui crie sa joie.
Malgré les talons hauts que nous portons, je ne me laisse pas faire. Je saute et danse. C’est trop bien. Les morceaux s’enchaînent. Jeanne et moi, on s’amuse à fond. Heureusement qu’elle est là. Sinon j’allais bien m’ennuyer. Je jette de temps en temps des coups d’œil à Victor qui ne semble pas très intéressé par la danse. Ces hommes sont-ils sortis pour venir s’asseoir ? Ils auraient mieux fait d’aller dans un snack s’ils voulaient juste bavarder !
Au bout d’un moment, Jeanne me signale qu’elle va s’asseoir. Je reste sur la piste, car le DJ a lancé une série de morceaux qui me plaisent. Je danse sans m’intéresser aux autres. Je me déhanche à fond, bougeant tout mon corps. À un moment, je sens quelqu’un me coller par derrière. Moi aussi, je danse. Le mec est très entreprenant et me tient les hanches. Dans un mouvement, je lève la tête vers nos sièges et je rencontre le regard sévère de Victor sur moi.
Je le toise comme pour le narguer. C’est son problème s’il me néglige. Je suis ici pour m’amuser. Et ce n’est que de la danse. Mon compagnon inconnu est finalement parti à la fin de la chanson et je sens déjà la fatigue qui s’installe. J’ai aussi terriblement soif.
Je me décide à rentrer m’asseoir. Quand je m’approche, j’aperçois une scène qui me fait tiquer d’un coup. Victor a la tête baissée et ne me voit pas venir. La fille près de lui a la main posée sur sa cuisse et lui chuchote quelque chose à l’oreille. Il sourit et lui chuchote aussi quelque chose ensuite. Il passe ensuite la main par-dessus l’épaule, comme pour la rapprocher de lui. Ces deux-là, depuis je les observe. Je n’ai rien dit. Mais là… C’est quoi cette histoire ?