chapitre 27
Ecrit par leilaji
Chapitre 27
***Adrien***
J’étais en pleine consultation pédiatrique lorsque Leila m’a appelé pour m’informer qu’elle venait de déposer Elle en chimio. J’ai senti mon cœur se serrer : premièrement parce que j’imaginais l’épreuve qu’elle était en train de traverser et deuxièmement parce qu’elle n’avait pas souhaité ma présence à ses côtés.
J’ai expliqué à son amie que ça faisait des semaines qu’elle repoussait toute tentative de lui venir en soutien. Je lui ai dit que j’ai laissé des tonnes de messages sur son téléphone sans aucune réponse de sa part. Peut-être valait-il mieux la laisser encore un peu tranquille avant d’intervenir. Leila m’a tout simplement dit :
« Personne ne peut imaginer ce qu’elle traverse en ce moment. Adrien, j’ai la frousse. Je suis morte de peur rien qu’à l’idée de prononcer le mot cancer alors qu’habituellement rien ne me fait peur. Alors imagine ce qu’elle doit ressentir. Tu as déjà tellement fait. Un petit effort en plus, c’est tout ce que je te demande»
Puis elle a raccroché. Il a fallu que je me raisonne une nouvelle fois, que je repense à tout ce qu’on a traversé ensemble ou séparément. J’ai rarement eu à me battre autant pour avoir une femme. Je crois bien qu’elle est la seule pour laquelle je suis prêt à faire bien des sacrifices : mon orgueil et tout le reste... J’ai vite expédié ma dernière consultation au CHU d’Angondje et j’ai juste eu à sortir du bâtiment pour rentrer dans celui de l’institut de cancérologie. Les deux institutions partagent les 8 hectares d’un même terrain.
Et me voilà près d’elle en salle de chimio. Elle pleure à chaude larmes sur mon épaule tandis que je cherche mes mots pour la calmer. J’imagine que Leila pense que c’est facile pour moi parce que je suis médecin. Ce n’est pas aussi évident qu’elle le pense d’être celui qui fait tout le temps des efforts. Ce rôle je le joue depuis très longtemps.
En vérité, personne n’est préparé à l’éventualité de perdre un proche. Alors moi aussi j’ai peur. Mais je le cache, pour que mes propres peurs n’agrandissent pas démesurément les siennes. C’est ça être son homme.
Elle me sert très fort la main. Puis cesse de pleurer pour renifler bruyamment :
- Hé boo, ça va aller, d’accord.
- Oui. Maintenant que t’es là, ça va aller.
*
*
*
La maladie nous a obligés à faire des concessions. Dans un couple, quand l’un tombe gravement malade, il faut commencer à se dire qu’on fait désormais un ménage à trois. Aucun des deux partenaires ne peut prendre de décision sans consulter au préalable monsieur cancer qui se mêle de tout et vous dicte quoi faire à longueur de journée : quoi manger, quand faire l’amour, quand se disputer est permis etc.
Elle a dû prendre une pause dans sa carrière pour se consacrer à la réussite de sa chimio. Et moi j’ai dit au revoir à ma vie tranquille de célibataire pour adopter celle d’une famille nombreuse à temps partiel. Les discussions ont été laborieuses… Déjà il fallait qu’elle parle à ses enfants de nous et qu’elle me présente à eux.
Notre première rencontre au restaurent libanais l’émir situé en plein centre ville a été comment dire… épique. Annie m’a sauté dans les bras, Oxya m’a bombardé de questions indiscrètes, Ekang m’a tout simplement ignoré tandis qu’Obiang m’a demandé de me tenir loin de sa maman. Mais Elle s’est montrée très ferme avec eux et tout est rentré dans l’ordre, du moins en surface.
Puis on s’est rendu compte que c’était très compliqué d’aménager nos emplois du temps en vivant séparément, surtout si on voulait passer le maximum de temps ensemble. Mais moi paradoxalement, je n’étais pas encore prêt à faire le grand saut, surtout depuis que je m’étais rendu compte que je n’étais pas le bien venu pour ses enfants :
- Pourquoi tu n’emménagerais pas à la maison ? a-t-elle dit après s’être allongée sur les carreaux froids de la salle de bain.
- Pardon ?
Sa poitrine se soulevait et s’abaissait à un rythme fou. Nous venions de rentrer de son avant dernière chimio si mes comptes étaient bons.
- Je demand….
Elle s’est vite levée pour se pencher de nouveau sur la lunette des toilettes et vomir le peu d’aliments qui lui restait encore dans l’estomac.
Vomir est une chose. Mais vomir sous l’effet de la chimio, c’est un combat pour reprendre son souffle alors que les contractions vous prennent tout le haut du corps, l’impression d’étouffer est omniprésente, l’envie de vous libérer est très forte, la fatigue de devoir faire cet effort, les larmes qui montent aux yeux et vous aveuglent … et tout ça avec un vertige monstre. C’est ce qu’elle m’a décrit de ce qu’elle ressentait. A chaque fois.
- Je voulais savoir… dit-elle en s’essuyant la bouche puis elle a abandonné trop fatiguée par la lutte pour me parler alors que la seule chose que son estomac voulait faire c’était se libérer tout son contenu. J’en peux plus… de vomir comme ça…
Elle était fatiguée, et n’a plus retenu ses larmes. Dans ces cas, je rêvais souvent de la luxueuse baignoire de sa salle de bain, qui n’avait rien de comparable avec ma douche de célibataire. Chez elle, j’aurais pu lui faire couler un bain pour relaxer ses muscles mais ici chez moi, ce n’était pas possible. Je l’ai prise dans mes bras puis elle m’a repoussé légèrement en grimaçant un pauvre sourire:
- J’aime trop ce tee-shirt … j’ai pas envie de vomir dessus, t’es trop sexy dedans.
Les brefs moments où on rigolait tous les deux de sa maladie… trop brefs moments !
Mais Elle est très têtue comme femme, quelques heures plus tard, quand elle s’est sentie mieux, elle est revenue à la charge.
- Alors t’en penses quoi ?
- De quoi ?
- Je déteste quand tu fais semblant de ne pas percuter…
- J’ai pas envie d’habiter chez toi…
- Mais pourquoi ? Je ne veux pas choisir entre passer du temps avec mes enfants ou passer du temps avec toi. Parfois je veux être avec toi mais rien que d’imaginer prendre le volant pour venir te voir me donne envie de pleurer de fatigue… Chez moi c’est plus grand que ton minuscule studio…
- Non.
- Mais pourquoi ?
Est-ce qu’il fallait vraiment en parler ? Autant mettre les choses au clair.
- Je suis l’homme alors ce n’est pas à moi de prendre mes affaires et venir habiter chez toi. Franchement, ça me fait passer … pour un gigolo…
Elle m’a regardé l’air de dire : « quoi t’es sérieux là ? »
- Ecoute, je sais que pour toi, ca ne compte pas mais je tiens à jouer mon rôle comme il se doit et ça, c’est trop me demander…
Elle s’est mise à rire.
- Tu trouves normal de me tenir les cheveux quand je suis en train de vomir mais pas de venir habiter chez moi alors que ça nous faciliterait la tache à tous les deux ?
- Ca faciliterait la tâche à qui Elle, à qui ?
Et j’ai regretté cette phrase. Comme je continue de la regretter encore. Je sors de mes pensées pour me reconcentrer sur ma tâche présente. Avec Arc, on épluche les CV qui ont été déposés au secrétariat de la clinique pour repérer le profil idéal afin de le remplacer tout prochainement. Je mets en marche mon mode businessman pour dégoter la perle rare.
- Pourquoi pas celle là ? Elle a un très bon profil pour ma patientèle.
- Sameera Ali ? Mariée, elle a fait ses études en Egypte, 5 ans d’expérience ici au Gabon, elle a travaillé à l’hôpital de coopération Egypto-gabonais… Ses papiers sont à jour… Ouais mais bon, elle ne se distingue pas non plus des autres… dit Arc en parcourant son CV.
- Le truc c’est qu’on est à Glass (quartier de Libreville) et qu’une bonne partie de mes patients est libanaise et autres… Je crois qu’ils seront rassurés d’avoir une femme d’Afrique du Nord ici. Elle pourra les convaincre de la qualité des soins… et les recevoir sans qu’ils ne « crisent »… Et puis tu sais, ils paient cash les arabes, ils n’utilisent pas la CNAMGS (assurance publique) qui nous demande de remplir des tonnes de papiers pour nous payer des mois après et se permet de rejeter certains dossiers sous prétexte qu’il y manque la photocopie de la pièce d’identité du patient ou je ne sais quoi d’autres alors que nous on a déjà engagé les frais.
- Waouh.
- Quoi ?
- T’es vraiment devenu un homme d’affaires frengin.
Je me frotte les yeux pour en chasser la fatigue. Je ne peux pas me permettre de perdre des clients alors qu’Elle est en train de délirer sur une possibilité de vivre ensemble. Je ne peux pas me permettre de nous louer une nouvelle maison assez grande pour tous nous accueillir alors que mes traites ne me laissent pas de répit financièrement. Je ne peux pas lui demander de venir chez moi sans ses enfants et, il est hors de question que j’aille habiter chez elle. Je suis… dans la merde.
Ce qu’elle ne sait pas parce que je la protège des ragots et qu’elle est bien trop fatiguée pour prêter attention aux regards appuyés de notre entourage, c’est que les gens parlent de nous. D’habitude, je sais très bien faire sans le regard des autres mais j’avoue que là, ca me blesse tellement que je n’arrive plus à les ignorer.
Notre liaison est devenue publique.
Et elle est tombée malade.
Les gens ne savent pas ce qu’elle a parce qu’on n’en parle pas alors ça spécule autour de nous. Le manque d’informations, crée l’information ! C’est comme ça que ça marche maintenant.
J’entends les conversations de couloirs à la Fondation mais je n’en fais pas part à Elle. Elle a déjà assez de choses à affronter comme ça. Et je n’ose même pas imaginer ce qui se dit dans sa famille. Mais de toute manière, elle ne voit plus que sa mère et son frère, le reste s’est petit à petit détaché d’elle.
Ce que les gens ne savent pas, c’est que parfois, le poids de leurs mots heurte bien plus que la douleur de la maladie.
- La directrice a le SIDA ? Qui t’a dit ça ?
- Tu ne vois pas comment elle a maigri là ? Tout le monde dit que c’est ça. Et puis les grandes femmes de ce pays là ont toutes ça…
- Maintenant que tu le dis c’est vrai qu’on ne la voit même plus…
- Il parait que c’est le mec tatoué qui lui a donné ça. Lui comme il est médecin il se soigne bien mais elle ça l’a attaqué mal mauvais.
- Elle aussi, une grande femme comme elle, sortir avec un homme qui a des tatouages, voilà maintenant ce qu’elle y a gagné. Seigneur la maladie du siècle, quelle honte !
- Je te dis !
- Peut-être même que c’est mystique oh, il parait que c’est un béninois non. Est-ce qu’ils blaguent avec leur vaudou là ! Peut-être que c’est pour attirer la chance sur sa clinique qui a de plus en plus la côte dans Libreville ou s’accaparer de ses biens.
Et après avoir entendu ces deux jeunes femmes déblatérer sur nous, il a fallu les recevoir en consultation avec leurs enfants …
Non mais quelle merde quoi !
1 : je suis gabonais d’origine béninoise et non béninois, il y a une nuance. Je en renie pas mes origines et c’est d’ailleurs pour cela que tous les membres de ma famille gardent leur nom béninois et pas tout simplement le gabonais. Mais je n’ai jamais mis les pieds au Bénin…
2 : je ne sais même pas si j’ai déjà vu un marabout de ma vie et puis je ne crois pas en ces choses là… la vie toute simple est déjà assez compliquée pas les peine d’y rajouter du mysticisme…
3 : je n’ai pas besoin de ça pour ma clientèle ou pour Elle… je suis un très bon médecin, très bien entouré … le talent parle pour moi !
4 : je vais les remettre à leur place, dès que j’aurai fini de consulter leurs enfants. Les enfants passent avant tout.
*
*
*
***Elle***
Ca fait plus d’une heure que je pointe devant le miroir de la salle de bain et j’ai beaucoup de mal à dévier mes yeux de ce peigne qui passe avec tellement de facilité dans mes cheveux. Le problème c’est qu’ils tombent comme neige en hiver. Mes cheveux. Je ne peux pas dire que je les ai beaucoup aimés et chouchoutés dans ma vie. Je les ai toujours eu en bonne santé avec ou sans soins. J’ai passé mon temps à les malmener avec des tissages, des défrisages, des coiffures au gel, des tresses… Tout est passé sur ma tête. Mais ils sont toujours restés avec moi, vigoureux et en bonne santé.
Et là, les voici qui me disent : « on n’en peut plus Elle, on t’abandonne ! » et ils emmènent leur cousins avec eux : au revoir cils et sourcils !
A chaque fois que mes yeux se posent sur un miroir ce sont les seules choses qui me sautent aux yeux… mon absence partielle de poils !
Ce n’est pas drôle Elle… Pourquoi maintenant ? Satané chimio.
Si je commence encore avec les questions, je finirai toujours par me demander pourquoi moi ? Et comme je n’ai toujours pas la réponse à cette question, je préfère abandonner maintenant.
Si au moins, mes pertes se résumaient à ça. Je pourrais presque en rire. L’autre problème c’est le corps. Avec tout ce poison que j’avale… Soit tu perds du poids, soit tu en gagnes. Moi j’en perds. C’est affreux de se lever le matin et de ne même plus reconnaitre son propre corps. Je ne sais pas d’où sortent ces clavicules, ces côtes, ces cernes violettes, cette pâleur extrême ! Je ne me reconnais plus. La femme que je vois dans le miroir ce n’est pas Elle, ce n’est pas moi. Et ce n’est surement pas la Elle qu’Adrien aime.
Bordel où sont passées mes formes !
Je me décide à me remuer un peu. Je ne vais pas indéfiniment rester plantée là, je ne me suis pas lavée depuis le matin. Ca ne sert à rien, de toute manière, je ne ressemble plus à rien. Je pense à mettre un foulard sur ma tête puis abandonne l’idée car ça me donne l’air d’une veuve. Je redessine mes sourcils au crayon pour me donner un peu d’assurance malgré mes mains qui tremblent. C’est affreux de voir tout foutre le camp comme ça. Même mon assurance s’en est allée.
Je suis fatiguée.
Physiquement et moralement.
Il faut que je me lave, je pue.
Je fais l’effort suprême et me laisse couler comme une pierre dans un bon bain tiède. C’est plus simple pour moi que de devoir tenir debout lors d’une douche.
Adrien passe quelques jours à la maison. Il n’a emmené à cet effet que le strict minimum. Moi qui aime tant prendre soin d’un homme, je n’ai pas vraiment l’occasion de le faire avec Adrien. Il s’occupe de lui, lui-même et parfois s’occupe même des enfants.
- Elle t’a fini ? J’ai besoin de la salle de bain…
- Non pas encore…
- Mais qu’est-ce que tu fous la dedans, ça fait plus d’une heure !
Il est souvent hargneux comme ça, une fois le soir venu. Je ne sais pas ce qu’il a et j’ai peur d’en parler.
- Donne-moi vingt minutes et je sors.
- Fais vite !
Je fais aussi vite que je peux puis je libère la salle de bain pour qu’il y passe à son tour. Un quart d’heure plus tard, il en ressort dénudé jusqu’aux reins. La serviette tient très bas, assez pour que la vision soit charmante, enfin plutôt sexy… Mais étrangement… je n’ai pas envie de lui et ça, ça me terrifie plus que tout au monde.
Parce qu’Adrien pour moi, c’est le désir à l’état pur… Si même ça fout le camp, qu’est-ce qu’on va devenir ?
***Adrien***
Enfin, elle me regarde. Son regard vif ne passe pas à travers moi comme c’est le cas depuis ces trois derniers mois… depuis sa thérapie. Je savais bien que notre sexualité allait s’en retrouver bouleversée mais je ne savais pas que ce serait à ce point là.
Enfin, je retrouve Elle.
- C’est ma serviette qui t’intéresse tellement ou ce qu’il y a en dessous ?
- J’avoue que les motifs floraux de cette serviette, sont d’une rare beauté et je serais prête à écrire toute une thèse de…
Je lui lance la serviette pour la faire taire vu qu’elle se moque de moi et en profite pour l’approcher avant qu’elle ne change d’avis. Le temps qu’elle se débarrasse de la serviette mouillée, je fonds sur elle et la renverse sur le lit…
- Adrien… dit-elle d’un ton hésitant.
- J’en ai envie boo… s’il te plait.
Oui. Il est venu le temps où je dois presque la supplier pour qu’elle me laisse la prendre dans ses bras. Où sommes nous passés ? Elle et Adrien, qui laissaient des trainées de feu à chaque fois qu’on se rencontrait. Où est passée cette attirance sauvage qu’on avait du mal à réprimer tous les deux ?
Je veux retrouver ma Elle. Elle doit forcément être quelque part dans cette femme que je ne reconnais plus mais que j’aime toujours autant.
Elle me caresse tout doucement et moi de mon côté j’essaie de ne pas l’apeurer ou précipiter les choses. Je veux qu’on savoure nos retrouvailles. Je l’embrasse, à en perdre haleine. Elle me le rend plutôt bien.
Je suis soulagée. J’essaie de détacher son chignon mais elle bloque ma main. Je passe à autre chose et soulève doucement l’énorme tee-shirt qu’elle met maintenant pour dormir. Je ne sais pas où elle a trouvé cette monstruosité. Je pense que je serai prêt à faire un bisou suave à la machine à laver si elle pouvait me recracher ce tee-shirt complètement déchiré et bon à mettre à la poubelle.
Parfois quand je cherche mes vêtements je tombe sur ces anciennes petites tenues. De vraies merveilles pour un aficionado comme moi. Rien que des sous-vêtements « aubade » : le must. Elle a toujours été une femme de nature très sensuelle et un brin provocatrice… Mais je ne pense pas que je vais les revoir sur elle, sur ses formes voluptueuses. Je sais qu’elle a maigri et qu’elle pense ne plus devoir les porter mais tout de même…
Ses jambes s’accrochent à ma taille. C’est une bonne chose.
- N’enlève pas le tee-shirt s’il te plait…
Il y a comme une contradiction entre son attitude aguicheuse et sa voix incertaine. Mais je ne m’y attarde pas.
Je n’ai pas envie de lui faire l’amour avec ce tee-shirt entre nous. Je n’aime pas ça du tout…
- S’il te plait Ad…
Je ne réponds pas et remets tout doucement le tee-shirt en place. Elle semble soulagée…
- Elle …
- Oui…
- J’ai vraiment envie de toi, de sentir ta peau contre la mienne, de retrouver nos sensations à nous…
Mon ton est plaignant… ce n’est pas ce que je voulais c’est un peu comme si je lui faisais des reproches… J’essaie de me rattraper mais elle me fait taire d’un bref baiser… Elle éteint la lampe de chevet, tire un préservatif de la tablette et je la sens enlever son tee-shirt.
- Fais comme tu veux.
Je ne vois pas son regard et son ton est neutre… Je ne suis pas sûr de ce que son « fais comme tu veux » veut dire exactement. Mais mon désir d’être en elle est tellement pressant… je passe outre mon pressentiment, mets le préservatif et entre en elle.
Quelques minutes plus tard, je l’entends gémir… Ce type de gémissement, je ne l’avais encore jamais entendu… Mon cœur bat la chamade, je suis mal à l’aise… Elle murmure quelque chose…
Moi je me dis, qu’elle me laisse un peu de temps et je vais la mettre à l’aise, assez à l’aise pour aimer la suite… Elle murmure un peu plus fort mais je … Ca fait tellement longtemps que je n’ai pas senti son intimité m’envelopper ainsi, tellement longtemps que le plaisir est intense dès les premiers va et vient…
Je ne l’entends pas vraiment… jusqu’à ce qu’elle me pousse violemment en hurlant : « tu me fais mal, arrête tu me fais mal ! »
Je ne peux pas décrire, le sentiment de honte et d’humiliation qui m’a traversé à l’instant où elle a allumé la lampe de chevet, recouvert son corps du drap et foncé s’enfermer dans la salle de bain en claquant bien fort la porte.
Est-ce que Elle et Adrien c’est fini ? On ne peut pas résumer notre relation à une entente sexuelle. Mais il faut bien qu’on avoue que nous deux c’est d’abord ça. Surtout pour Elle.
Pour Elle notre histoire commence avec notre rencontre à la clinique. L’attirance, brute alors qu’elle portait un minuscule short en jean … J’ai adoré ses lèvres rouges ce jour là et aujourd’hui, elles ont rougi d’avoir été mordues très fort pour ne pas crier que je lui faisais mal !
Je la dégoute ? Est-ce qu’on en est déjà là ? A se faire des faveurs sexuelles juste pour ne pas entendre l’autre quémander trop longuement.
***Elle***
Je reprends mon souffle et sèche mes larmes. Je n’aurai pas dû me forcer à lui faire plaisir alors que je n’en avais vraiment pas envie. On n’a pas besoin de drame en ce moment.
J’ai cru que je pourrai faire semblant, juste le temps qu’il jouisse et soit heureux.
Je ne lui donne rien en ce moment si ce n’est des soucis, du boulot en plus et peu de tendresse. Je me disais vas-y Elle, ça ne va pas te tuer de faire juste un peu semblant… toutes les femmes le font … tu l’as déjà fait avec Gaspard…
Mais … avec Adrien, mon Adrien…
Je me suis sentie mal à l’aise puis le malaise s’est transformé en douleur au fur et à mesure qu’il essayait de se ficher plus loin en moi pensant me faire du bien… J’ai essayé de lui murmurer d’arrêter mais il n’écoutait plus. Je me suis forcée à ne rien dire jusqu’à ce que j’ai très mal et réagisse instinctivement.
J’ai eu honte de ne pas avoir pu le satisfaire et me voilà assise sur les toilettes à me demander à quel moment sortir…
Puis je me rends compte qu’on a le droit d’essayer de faire plaisir à l’autre et manquer complètement son coup.
Je ne suis pas parfaite et lui non plus. Mais on s’aime. C’est le plus important. Et je suis une femme forte qui n’a jamais eu peur d’affronter les turpitudes de ma vie. Je vais sortir et lui parler… le rassurer… lui dire que c’est de ma faute et non la sienne…
Je sors de la salle de bain…
Et il n’est plus là.
***Adrien***
Il n’y a rien de mieux pour retrouver son aplomb que de prendre un bain de foule… J’ai malheureusement aussi dû prendre une bouteille de whisky mais je ne vais pas la boire. Je me suis promis de ne plus toucher à une seule goutte d’alcool et quoi que cette promesse me coute je la teindrais toujours.
Si j’ai pris la bouteille, c’est juste pour avoir un salon à moi et ne pas avoir à me serrer avec des inconnus. Je veux bien le bain de foule et la musique assourdissante mais j’ai aussi besoin de faire le point avec moi-même.
Je lui ai fait mal.
Je sentais bien au fond de moi que ça ne lui plaisait pas mais j’en avais tellement envie…
Bon je ne vais pas me prendre la tête pour ça. Je vais décompresser et rentrer à la maison, enfin chez elle… Je pose le téléphone sur la table pour ne pas rater un appel au cas où elle se déciderait à m’appeler…
La serveuse vient me demander s’il y a un problème avec la bouteille lorsqu’une femme s’assoit juste à ma table. Je regarde le prénom inscrit sur sa tenue :
- Lola c’est ça ?
- Oui monsieur, vous voulez que je vous change la bouteille ?
Elle me sourit avec bienveillance, elle est très jolie. Mais un peu trop jeune et avec un regard trop triste…
- Non apportez moi plutôt un deuxième verre.
- Ok, pas de souci.
La femme en face de moi doit avoir à peu près le même âge que moi, une bonne trentaine. Elle est plutôt belle, avec un joli teint chocolat au lait. J’aime beaucoup sa manière de me regarder avec audace et insolence. Ca me rappelle … Elle. Elle porte un rouge à lèvres rouge sang et l’abime joliment en passant sa langue dessus.
On se regarde sans rien se dire… La musique est assourdissante. Elle se lève, et vient danser quelques instants juste à côté de moi. Elle a un corps magnifique, moulé dans une minuscule robe rose bonbon, elle touche mon bras de ses fesses rebondies. Je regarde… je ne touche pas.
La serveuse revient quelques minutes plus tard avec un autre verre, une seconde cruche de jus d’orange et disparait aussi sec. La chanson est finie. Elle se rassoit en face de moi et pose son menton dans la paume de sa main…
- C’est quoi ton problème mon chéri ?
- Qu’est-ce qui te dit que j’en ai un ?
- Un beau mec, seul devant une bouteille de wisky non entamée ?
- Je ne bois pas.
- Alors pourquoi prendre une bouteille ?
- Pour faire acte de charité… je dis en appelant la serveuse qui revient vers moi.
Je lui laisse un généreux pourboire et me lève après avoir poussé la bouteille vers elle.
- Garde la bouteille… ?
- Sam.
- Au revoir Sam. T’es magnifique ! Passe une bonne soirée et surtout rentre pas seule si tu es bourrée !
- Et toi comment t’appelles-tu ?
- Adrien.
Je lui ai dit qu’elle est magnifique. Pourquoi ? Parce que c’est vrai et aussi parce que j’ai apprécié d’être aussi intensément désiré par une femme de sa trempe. Ce n’est pas une bimbo, ça se sent tout de suite. Elle ressemble plutôt à ces femmes qui travaillent toute la semaine comme des folles et décompressent le week-end en boite.
Mais j’ai trop de problèmes en ce moment pour m’embourber dans ce genre de trip !
***Elle***
Adrien est rentré… à quatre heures du matin. Il est allé se doucher avant de se coucher à l’autre bout du lit. Habituellement, il se sert très fort contre moi pour s’endormir. A force de tourner dans tous les sens je n’ai pas pu fermer l’œil de la nuit. Je me suis levée pour aller fouiller ses affaires… Je sais mes vieilles habitudes de femme trompée !
Ses vêtements puaient un parfum capiteux de femme et la cigarette.
Mon cœur a manqué un battement…
***Adrien***
Le téléphone d’Elle sonne et je me lève pour le décrocher avant qu’il ne la réveille. Je l’ai senti nerveuse toute la nuit et il lui faut du repos. Je vais demander à la personne de rappeler plus tard. Je ne prête même pas attention au nom affiché sur l’écran…
- Allo ?
- Oui désolée de vous déranger… vous êtes le dernier numéro qu’il a appelé… Connaissez-vous le propriétaire de ce numéro ? Adrien…
- … Oui… Sam ?
- Adrien ? Chéri t’as oublié ton phone avec moi… on peut se voir ?
- Oui on peut se voir… attends. N’appelle pas sur ce phone c’est celui de …
***Elle***
Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit et le parfum que j’ai humé semble ne plus vouloir quitter mes narines…
Et tout ce que j’ai entendu c’est : Allo, Oui et Oui on peut se voir… attends. N’appelle pas sur ce phone c’est celui de … et il est sorti de la chambre…
Il y a ces secondes dans la vie où on sent que les choses vont bientôt partir en vrille !