chapitre 28

Ecrit par leilaji

Chapitre 28

***Elle***

Contempler  un joli vase. Voir quelqu’un passer à côté. Sentir qu’il va tomber et se briser en mille morceaux. Sentir que ce n’est pas le genre de vase dont on recolle les morceaux. Deviner que c’est du cristal, pur et travaillé avec soin. A distance en voir chaque nervure, chaque caresse de l’artisan qui a donné ce résultat spectaculaire. Sentir qu’il a été frôlé. Le voir tanguer, basculer d’un côté puis de l’autre, puis d’un côté et encore de l’autre...

Même si on est très loin dudit vase, instinctivement on tente quand même de le rattraper, parce qu’on sait à quel point il est précieux et irremplaçable. C’est la métaphore qui me vient à l’esprit quand je me lève ce matin après avoir longtemps fait semblant de dormir pour qu’Adrien quitte la chambre sans souci.
Le vase c’est ma relation avec Adrien. Je sais à quel point elle est rare et précieuse. J’en ai pleinement conscience même si les méandres de la maladie contre laquelle je me bats au quotidien, engloutissent de temps à autre cette conscience.

Je ne peux pas voir ce vase tanguer et le laisser se briser sans rien faire. Ce n’est pas mon genre. Même mon mariage qui n’en valait pas la peine, je me suis battue longtemps pour le maintenir en … vie, alors ce n’est pas pour Adrien que je ne me battrais pas.

Il m’échappe. Certes. Mais je ne le laisserai pas à une autre. Jamais. Pas sans m’être défendue…

Je me lève du lit et marche tranquillement vers la salle de bain. C’est la première fois depuis très longtemps que je suis sereine. Je fouille les tiroirs et en sors la tondeuse électrique d’Adrien. Grâce à cette tondeuse, il fait des merveilles avec  sa barbe dont il prend grand soin ou qu’il abandonne selon ses humeurs. Moi je l’aime avec sa barbe, bien soignée aux poils lisses qui reflètent un métissage ancestral.  Qu’est-ce que je n’aime pas sur cet homme ? De sa force tranquille à ce sourire qui ne le quitte que rarement, il est fait pour moi. Nous partageons la même joie de vivre et la même envie de nous en sortir par nous même, alors pourquoi est-ce que ça a cessé de marcher ?

Courage ma belle… Un peu de changement ça n’a jamais fait de mal à qui que ce soit.

Je lève la tondeuse et la passe délicatement sur ma tête. C’est drôle, je pensais que ça me ferait mal de voir tomber ces quelques mèches mais non… Je me sens délivrée, même si la sensation de vide que crée chaque passage me donne des frissons. Je continue machinalement le geste jusqu’à ce qu’il ne reste rien de mon ancienne chevelure. Hum, je ne savais pas que j’avais un aussi joli crane. Bien lisse, sans cabosses.  Je balaie mes épaules de ma main et regarde le reflet dans le miroir.

Les choses ont beau changer, au fond, derrière toute la superficialité, elles restent les mêmes.

J’ai beau ne plus avoir de cheveux ou de sourcils, j’ai beau avoir perdu mes belles rondeurs, je vois tout de même, malgré tout que mon regard est resté le même …

Il est temps de se réveiller ma belle.

*
*
*
***Une heure plus tard***

On klaxonne au portail. C’est le chauffeur de Leila qui vient prendre les enfants pour les déposer à l’école. Oxya qui partage désormais sa chambre avec Annie joue son rôle d’ainée avec beaucoup de sérieux. De toute manière, elle a toujours aimé diriger les autres alors ce n’est pas elle qui va se plaindre de ses nouvelles responsabilités.

Je ne me suis toujours pas décidée à leur parler de ce que j’ai. Ils savent juste que je suis malade et que j’ai besoin de repos c’est tout. Quand tout cela sera derrière moi, cancer et chimio, je pourrai leur expliquer… Je n’ai pas envie que mes enfants dorment avec la peur de me perdre soudainement au ventre.  C’est un traumatisme qu’ils n’ont pas à affronter à de tels âges. 
Adrien lui me conseille de leur parler et de donner des réponses à leurs interrogations plutôt que de laisser planer ce silence macabre à chaque diner en famille. Mais que sait-il de ce que je ressens quand je pense à ça. Il n’a pas d’enfants, il ne peut pas comprendre. 

Je rejoins les enfants qui rangent leur sac à dos. Oxya vérifie le gouter des plus petits et répartit l’argent de poche entre elle et son frère.

- Moi aussi je veux de l’argent. Dit Annie en croisant les bras sur son torse, la mine boudeuse. Je suis grande maintenant, je ne veux plus de gouter…

Si elle savait combien de fois je galère pour acheter ces fameux gouters, elle ne s’en plaindrait pas, mais ce n’est qu’une enfant.
 
- Maman n’a pas assez d’argent. Répond Oxya  pour couper court.
- C’est faux, moi j’ai vu de l’argent dans son porte monnaie.
- Je vais le dire à maman que tu fouilles dans ses affaires, rétorque Obiang.

J’interviens et calme l’ambiance.

- Hein maman Elle que tu vas aussi me donner de l’argent ?
- Quand tu seras plus grande Annie.

Je regarde le désordre de la cuisine et range quelques affaires pour la rendre plus présentable. Puis je m’assois pour boire un peu de lait.

- Quand je vais travailler, je ne vais pas te donner mon argent voilà !
- T’es trop mauvaise de toute manière, dit Ekang en la poussant un peu.

Je la prends dans mes bras et la câline pour qu’il cesse de l’embêter.

- Laisse la tranquille Ekang, on sait tous que le vrai mauvais ici c’est toi. Dès que je t’achète un cadeau, tu te mets à prier pour que je sois fauchée et que je n’en achète pas aux autres.

Ils se mettent tous à rire en s’en rappelant. Annie lui tire la langue et se colle à moi.

- Je vais te donner ma monnaie hein  maman Elle et aussi l’argent pour le taski.
- Le taxi. corrige Oxya tandis qu’Obiang se moque d’elle.

Quelques minutes plus tard, ils sont fin prêts pour se rendre à l’école. Je les embrasse à tour de rôle avant que la toute dernière ne me dise :

- Aujourd’hui t’es belle maman Elle. Tu as un joli tichage (tissage).

C’est la plus belle phrase qu’on m’ait dite depuis très longtemps. Ca m’a manquée. J’ai toujours été une belle femme alors ça m’a manqué de ne plus entendre : Elle tu es belle. Pur coquetterie de ma part, je le sais. Mais ça fait du bien à l’égo. Je lui souris et elle caresse « mes cheveux ». Elle seule a remarqué que j’ai mis une jolie perruque et que je me suis maquillée avec beaucoup de soin. Je la remercie d’avoir prêtée attention à moi tandis que les autres se confondent en excuses avant de me quitter sous l’insistance des klaxons du chauffeur… 

J’ai mis une bonne heure à choisir la tenue adéquate pour cette journée puis je suis partie lorsque la ménagère s’est présentée. Mais avant de m’en aller, je lui ai fait remarquer les négligences qui m’avaient sautée aux yeux après mon inspection.  Ce n’est pas parce que je ne la surveille plus de prés qu’elle doit se croire en congés dans ma maison. Une fois arrivée à ma destination, j’ai inspiré un grand coup et je suis descendue de la voiture. Les regards surpris qui m’accueillent me font sourire mais je marche tête haute en saluant tout le monde au passage.

Quand j’entre dans le bureau de Mamara, elle se lève surprise.

- Madame Oyane !
- Ah c’est maintenant Madame Oyane ?
- Mais que faites-vous là ?
- En fait je ne sais pas moi-même… Je voulais voir si tout allait bien en mon absence.

Elle a l’air confus. Je ne devrais pas être là. Je le sais. A croire que je suis devenue comme Leila, accro à mon boulot. En fait non, je ne suis pas là pour travailler. Je voulais juste faire un petit coucou au personnel et aux élèves, ne plus me couper du monde. Me rendre compte par moi-même que le monde continue de tourner et que moi aussi je dois continuer à avancer et ne pas restée bloquée sur mon cancer. 

- Et toi ? Comment vas-tu ?
- Bien.
- Ok, je fais un petit tour au bureau prendre des documents que j’ai oublié le jour de mon départ…
- Attendez…

J’ouvre la porte et constate que mon siège est occupé. Ma main se crispe sur le poignet de la porte un bref instant puis je me décide à m’avancer…

- Excusez-moi, que faites vous là ? je demande afin qu’elle m’explique sa présence.

Ce n’est tout de même pas ce que je pense que c’est ?

- Et vous qui êtes vous ? Mamara !
- C’est la directrice Madame …
- Oh. Fait-elle avec une petite mine entendue.

Mais que se passe-t-il ici ? Mamara ferme la porte derrière elle.

- Je suis Madame Elle Oyane, et vous êtes assise sur mon bureau…

Elle me regarde et sourit.

- Je pensais que vous aviez été informée !
- Informée de quoi ?
- De votre remplacement, une lettre de licenci… Bref, ce n’est pas à moi d’en parler. Je pensais que vous en aviez été informée.

Je la regarde et elle fait de même. On sait tout de suite toutes les deux qu’on ne s ‘apprécie pas … mais alors là pas du tout. Tandis que moi, mon visage se ferme de plus en plus sous le coup de la colère, le sien devient de plus en plus souriant.

Mon licenciement ?
J’éclate de rire. Le tableau n’était surement pas encore assez noir n’est-ce pas ! On cogne à la porte, et Leila entre, introduite par Mamara qui a dû l’appeler à la rescousse. Qu’elle rentre, on va bien rigoler !

- N’aurais-tu pas oublié de me dire quelque chose Leila ? Comment oses-tu me faire remplacer sans même me consulter au préalable? Quoi, je n’ai plus mon mot à dire ? Je suis malade, pas mourante ! J’espérais mieux de toi mais là tu vois, je ne sais même plus quoi dire tellement je suis déçue.
- J’ai essayé de t’appeler ce matin mais ton téléphone était fermé et j’ai appelé sur celui d’Adrien et une autre personne m’a répondu… Elle, assieds-toi s’il te plait. Tu fais une montagne de pas grand-chose au final !
- Pas grand-chose ? Mais tu es folle ou demeurée !
- Elle ! fait-elle d’une voix glaciale.
- Euh je crois que je vais vous laisser discuter entre vous. Je viendrai travailler plus tard.
- Oh ça ne comptez pas trop la dessus. Je lui réponds avant qu’elle ne nous laisse seules
- Tu vas te calmer oui ?!

Elle tire une chaise et m’oblige à m’asseoir.

- Que fais-tu là ? demande t-elle en tirant la chaise juste en face pour  s’assoir à son tour.
- Je ne sais pas… J’essaie de garder la tête hors de l’eau…  Et là tu vois toi tu viens juste de m’y renfoncer.
- Ne dis pas ça… Ce n’est pas du tout ce que tu crois…
- Pourquoi ? Tu crois que je ne vais pas guérir c’est ça ?
- Quoi ?
- Me licencier !
- QUOI ? hurle t-elle complètement choquée.
- Comment ça quoi ? Arrête de répéter bêtement ça.
- Hé si tu m’insultes encore, on va se fâcher. Dit-elle en rigolant.
- Tu trouves ça drôle.
- Mais qui t’as parlé de licenciement ? Jamais tu ne seras remplacée à ce poste… Tu aimes tellement les filles ici et ton rôle de grande sœur, je n’en trouverai pas d’autres comme toi… Que vas-tu imaginer là ?
- Mais… Et l’espèce de pétasse qui était dans mon bureau ?
- Oh, ce n’est pas gentil ça. Mais c’est un prestataire qui travaille pour Valentine. C’est bientôt la soirée de fin d’année et elle s’en occupe avec lui, c’est tout. Comme elle est formée en gestion, elle m’a proposée d’expédier les affaires courantes en ton absence. C’est vrai qu’elle a un petit air de pimbêche mais que veux-tu puisque c’est temporaire, je peux bien la supporter quelques temps.

Seigneur ! Celle là, je la vois venir de très loin. C’est mon poste qu’elle veut. Elle va bien me sentir dès que je sortirai de ce bureau. Les femmes aux dents longues j’aime beaucoup. Mais les miennes sont bien plus longues que les siennes et c’est ce qu’elle va apprendre.

- Alors pourquoi m’as-tu appelée ce matin… ?
- Pour te dire que cette année, c’est toi qui vas faire le discours d’ouverture de la soirée et remettre les bracelets à chaque élève. L’année passée c’était moi mais cette année si tu te sens en forme j’aimerai beaucoup que ce soit toi et que tu parles à tes élèves. Beaucoup viennent me voir pour avoir de tes nouvelles et je ne sais pas quoi leur dire. Il faut que tu parles, que tu expliques…
- Ce qui m’arrive est personnel Leila…
- Je le sais. Mais le manque de communication… Regarde comment tu pars en vrille pour tout et n’importe quoi. Tu m’es tombée dessus à bras raccourcis au lieu de me demander ce qui se passe. Tu veux tout gérer, tout garder pour toi… Tu as toujours aimé ce rôle de grande, de femme parfaite. Parfaite épouse, parfaite directrice, parfaite mère, parfaite malade… Tu ne peux pas continuer comme ça. Aujourd’hui tu es belle, tu sembles t’être reprise, j’en suis heureuse… Mais si c’est vraiment le cas fais le pour tout le reste aussi. Le boulot t’attendra. Mais les enfants ? Peut-être que Gaspard pourrait aussi les récupérer un peu…
- Mes enfants chez Gaspard ? Non mais tu rigoles ou quoi avec cette sorcière de Vanessa. Tu n’as même pas idée de ce qu’il m’a dit la dernière fois qu’on s’est parlé…
- Il est leur père.
- Qui n’a plus jamais souhaité s’occuper d’eux dès qu’on a divorcé.
- Sait-il que tu es malade ?
- Pour qu’il en profite pour me les arracher ! Laisse tomber. Ne t’en mêle surtout  pas !

Rien qu’en pensant à cette éventualité, je me lève de ma chaise et arpente nerveusement le bureau.

- Et Adrien ? 

Je me fige. Pourquoi me parle-t-elle d’Adrien ? S’est-il plaint de moi, de nous auprès d’elle ?

- Adrien… t’as parlé ?
- Il n’a pas besoin de le faire. Je l’ai croisé il n’y a pas longtemps et il semblait avoir tous les problèmes du monde. Madame Evrard est venue me voir parce qu’il n’a pas souhaité en parler avec elle et moi je n’ai pu rien lui dire. Il avait l’air fatigué. J’ai l’impression que …

Elle hésite et s’arrête. Si Leila aussi commence à se demander si elle peut me parler franchement c’est que … je dois vraiment alors l’air fragile.

- Que ? je l’encourage en posant la main sur son épaule pour lui faire comprendre que je peux tout encaisser.
- Tu sais Elle. Je ne crois pas que Xander et moi  à votre place en s’en serait sorti.
- Si évidemment que si.
- Non, il nous a fallu du temps et beaucoup d’épreuves pour enfin nous comprendre. Et ce que vous vivez, nous aurait séparé, il faut dire la vérité. Je sais que vous avez l’impression que vous vous connaissez depuis une éternité et que vous pouvez tout affronter à deux, mais en réalité ça ne fait pas longtemps que vous formez un couple.
- Je sais Leila. Je le sais. Au fur et à mesure qu’on avance, il y a des choses qu’on perd en route…
- Pour chaque chose perdue sur le chemin, ramasses en une nouvelle… Si la passion s’envole, attrape la tendresse… C’est comme ça que ça marche. Mais surtout Elle, prends soin de lui comme il prend soin de temps. Il le mérite.
- Je le sais. Mais ce n’est pas évident.
- Ca je le sais Elle, personne ne peut te condamner pour ça. C'est normal que ça soit compliqué pour toi. Si tu ne le fais pas. Sois sure qu’il y a une nuée de candidates qui attendent qu’il veuille bien lever le regard sur elles. Il est jeune, sans enfant à son âge ce qui est rare au Gabon, il a une bonne position sociale, et le must, c’est un beau gosse. Crois moi, elles sont nombreuses derrière lui alors fais gaffe.
- Nombreuses c’est sur. Dont cette fameuse Sam ! je murmure pour moi-même. 
- Sam ? Non ils ne se connaissent pas. Dit-elle en se levant pour aller ouvrir la porte.

Je ne prête pas attention à ce qu’elle dit. Rien que visualiser la nuée de candidates dont elle parle me donne mal au ventre.
Il faut que je nous consacre du temps, ça ne peut pas continuer ainsi, il ne peut pas être le seul pilier de ma vie.

- Tu pourras prendre les enfants de temps à autre ? 
- Oui. ET ta mère aussi. Et ton mari,  et ton frère, tu as largement le choix Elle.
- Je vais y réfléchir sérieusement. 
- C’est tout ce que je voulais. Donc c’est bon là, on peut y aller, tu n’as plus envie de me boxer ?
- Ha ha très drôle. Fais-je pince sans rire. 

J’ai été vraiment bouleversée par le fait qu’elle puisse me remplacer comme ça en un claquement de doigt. Ca a remué beaucoup de choses en moi. Je n’en ai jamais parlé avec qui que ce soit mais de voir Gaspard se remarier aussi vite, ça m’a vraiment blessée. Je me disais: "tu n’en trouveras aucune autre comme moi mon coco". Et il m’a vite fait prouvé le contraire. On pense tous être irremplaçables mais en fait non. La vie nous prouve tous les jours que non. Des amis partent, on s’en fait d’autres. Des collègues s’en vont, de nouveaux viennent. On divorce en un éclair et on se remarie tout aussi vite.

Un bref moment, je me suis vue partie.
Mes enfants heureux avec Gaspard et Vanessa en nouvelle maman poule.
Leila et sa nouvelle directrice miss pimbêche.
Mon mec avec Sam !
Toute trace de ma présence sur terre effacée par ceux qui m’ont aimé.  Comme si je n’avais jamais existé. Ca a été douloureux d’imaginer ça.

Je me lève. Je n’ai pas à l’imaginer car ça n’arrivera pas. Je vais m’en sortir et former une heureuse famille recomposée avec l’homme de ma vie. Voilà. Point à la ligne. Il n’y a rien d’autre à ajouter…

- Madame je revasse ! On peut y aller, ou tu veux dormir ici ?
- Ca va j’arrive. Ta bonne humeur m’énerve même quoi !
- Je suis heureuse de te voir combative et de mauvais poil. C’est mieux que de t’imaginer repliée sur toi-même. C’est ça qui me met de bonne humeur.
- Hum. En tout cas essaie de donner ma place à quelqu’un et tu vas me sentir…

Elle me fait une petite grimace puis nous sortons du bureau. Mamara me sourit. Elle sent que les choses se sont bien passées et je lui rends son sourire.

- Madame Oyane, m’interpelle –t-elle avant qu’on ne quitte son bureau.
- Oui.
- Je veille sur votre place.

Je me rapproche d’elle et on bavarde un peu.

- Mais ça va… Ce n’est qu’une remplaçante temporaire, explique Leila en levant les yeux au ciel agacée par nos messes basses.

Tiens ça me rappelle quelqu’un ça. Quelques instants plus tard, on traverse la cour en bavardant joyeusement quand Leila m’interrompt en me montrant un couple du doigt.

- Tiens il a le même gabarit que ton mec celui là.  

Je regarde de plus près. La stature d’Adrien en court pas les rue alors c’est assez facile de vite le remarquer.
Le complet beige de la femme, je le reconnais de suite c’est celui de miss pimbêche et l’homme en face c’est… je plisse un peu plus les yeux … C’est Adrien. Cette manière de se courber quand il parle avec quelqu’un de plus petit de taille… C’est lui. J’arrête de marcher et observe la scène de loin. Elle écrit quelque chose avec le téléphone et le lui tend.  Il le récupère et le glisse dans la poche arrière de son jean. Ils parlent encore un peu et elle sourit. Fait basculer ses longues mèches dans son dos. Touche son bras, éclate de rire comme s’il était l’homme le plus drôle de la terre.
Elle est clairement aguicheuse !
Mais c’est surtout son attitude à lui qui m’intéresse… Il est posé, détendu, souriant. Comme il l’était avant que je ne tombe malade.

- Bah si c’est lui, fait Leila en continuant à marcher, tu ne m’as pas dit qu’il connaissait Sam.
- Sam ?

Elle s’arrête et revient sur ces pas.

- Oui, la remplaçante Samantha Nkoulou.

Alors là c’est trop fort.

- Oups !
- Quoi ? je demande sans les quitter des yeux.
- Toi tu vas sortir tes griffes… Engogol ne viens pas faire ta fang ici.

J’éclate de rire. Leila qui se met au fang ! Ca fait des années qu’on essaie de la dompter ma famille et moi et ça n’a jamais marché. On lui parle en fang, elle répond en français… C’est très rare qu’elle utilise le fang.

- Devine quoi Lei ?
- Seigneur ne m’appelle pas Lei, c’est pas bon signe…
- J’ai eu la bonne idée de mettre un collant noir sous mon tailleur ce matin. A la base c’était pour remplir un peu la jupe mais là, je pense que c’est le destin qui me l’a fait mettre.

Elle veut non seulement mon job mais aussi mon mec ? Elle me fait croire que j’ai été licenciée puis elle sort le grand jeu à Adrien… 

Chez moi en fang on dit : non ça va… je vais aller le lui dire moi-même tout de suite…

Quand tu sens que quelqu’un veut te faire basculer ton vase… ton précieux vase. Est-ce que tu le laisses se briser comme ça ?

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Je t'ai dans la peau