Chapitre 29

Ecrit par Auby88

Femi AKONDE

Je me trouve dans les locaux de la compagnie suisse Müller Building Services. Je sors à l'instant du bureau du Directeur Général (DG). A mes côtés se trouvent le DG et le Directeur Administratif et Financier (DAF) qui sera mon supérieur hiérarchique direct. Tous trois allons de bureau en bureau.

A chaque fois le DG répète cette phrase qui me rend si fier.

" Je vous présente notre nouveau comptable. Je compte sur vous pour qu'il s'intègre rapidement au sein de notre entreprise, notre bien commun."


Eh oui, la roue tourne, c'est vrai. En tout cas pour moi, elle est en train de tourner dans le bon sens. Je vais travailler dans cette entreprise qui m'avait tant fasciné. Dieu est grand ! Gloire à son nom !

Le chemin vers le succès a été pénible mais je l'ai atteint.


Je me souviens encore du jour où la standardiste m'avait appelé pour un test de recrutement. Cela remonte à deux mois maintenant. Par la suite, j'ai été convié pour des tests psychotechniques puis pour un entretien de recrutement. Au final, j'étais celui qui avait été retenu.


Je me rappelle mon entrevue finale, il y a deux jours avec le DG et le DAF, celle-là où ils m'annonçaient que j'avais été retenu. Je souris en repensant aux tournures stylistiques du DG, un quinquagénaire suisse.


- Monsieur Femi AKONDE, si vous étiez retenu, quand seriez-vous​ disponible pour commencer ?

- Tout de suite , monsieur.

- Tout de suite ?

Il me sourit.

- Alors, venez, je vous montre votre bureau.

- Pardon ! Je ne vous suis pas.

Mes idées se brouillent. Je vois plus clair quand il dépose mon contrat de travail devant mes yeux.

- Bienvenue parmi nous, monsieur AKONDE ! continue-t-il en me tendant une main que je m'empresse de serrer. J'en fais autant avec le DAF, un compatriote.


Je n'en reviens toujours pas. Mes dents se mettent à grincer. Je réprime les larmes qui me montent aux yeux.

- Merci, messieurs.

- Vous n'avez pas à nous remercier. Vous le méritez amplement. Je sais que vous êtes prêt à commencer aujourd'hui, mais je vous laisse le temps de lire et de signer votre contrat. Vous commencerez donc après-demain si vous êtes toujours partant. Cela vous convient ?

- Parfaitement, monsieur le Directeur Général ! Encore Merci.

- Allez mon grand ! Vous pouvez partir.


Je quitte la pièce très climatisée et me dirige vers l'ascenseur. Dans le hall du premier étage, je m'assois pour parcourir mon contrat de travail. Je tourne la 3e page et tombe sur mon salaire. Le montant que je vois est plus que ce à quoi je m'attendais pour mon niveau. Je me rends compte que les salaires ici sont payés en tenant compte des conditions de vie en Europe et non au Bénin.

Je suis tellement ému. Jamais, je n'ai eu une somme pareille en un mois, même en cumulant de nombreux boulots. Les larmes que je réprimais depuis peu finissent par sortir. Les images de ma vie défilent devant mes yeux. Je me revois collégien, parcourant de grands kilomètres pour rentrer chez moi par manque d'argent pour prendre un taxi-moto ; aide-maçon pendant mes vacances scolaires. Je revois toutes les fois où j'ai dû dormir le ventre vide et où j'ai dû cumuler plusieurs boulots sans repos pour gagner ma vie …

Désormais, les choses vont changer pour moi et pour ma famille. Je lève les yeux au ciel et dis une prière.

Un homme ne pleure pas, de surcroît pas en public. Je me dépêche d'essuyer mes larmes pour ne pas attirer l'attention sur moi, puis je quitte les lieux.



"********"

Aurore AMOUSSOU


J'ai les yeux rivés sur l'écran. J'ai hâte d'entendre la gynécologue​.

- Eh bien Aurore, c'est une ... fille.

Je suis aux anges.

- Je vais avoir une petite fille, maman !

- Oui, ma chérie​.

- Vous voulez toutes deux entendre son coeur ?

- Oui, Docteur. Vous savez bien que je ne m'en lasse pas.

A l'aide du doppler, maman et moi arrivons à entendre battre le coeur de ma fille.

- C'est un vrai miracle de la vie que ce petit coeur qui bat ! m'exclame-je.

Maman sourit.

- Un petite partie de toi, Aurore.

- Oui maman. Une petite partie de moi et de …

J'évite de prononcer le nom de Femi.

- Au fait, Aurore. Quand est-ce que le père viendra ? Ce sont quand même des moments qu'il ne devrait pas rater.

- Notre relation est bien compliquée. Et nous sommes géographiquement très éloignés. Mais c'est sûr que s'il pouvait être là, il serait tout autant heureux que moi.

- Alors si tu le souhaites, je peux te donner une vidéo de cette échographie et de la précédente. Ainsi, il pourra la visionner à tout moment.

- Vraiment ?

- Oui, Aurore. La science avance. L'échographie ne s'arrête pas qu'aux clichés, tu sais !

- C'est parfait ! conclus-je en souriant.


Je sors de la salle de consultation, encore toute émoustillée. Tout à l'heure, j'ai une séance shopping spécial bébé avec Laura et Sandrine. Maintenant que je sais que j'aurai une fille, je ferai mes achats en conséquence. (Sourire).


- Aurore !

- Oui, maman.

- Je pense toujours que tu dois informer le père.

- J'ai pris ma décision, maman. Il vaut mieux qu'il n'en sache rien. Cela fait 5 mois déjà. Je parie que Femi a déjà refait sa vie et qu'il s'est même trouvé une nouvelle petite-amie !

- Tu sais bien que je ne partage pas ton avis.

Je soupire, agacée de l'entendre me répéter tout le temps la même chose.

- Oui, maman, tu me l'as dit des centaines de fois. Mais comprends que c'est ma vie après tout et j'ai le droit de décider de ce qui est bon pour mon bébé et moi.

- Et souvent, tu finis par regretter tes décisions. Qu'est-ce que tu diras à ta fille quand elle grandira et te questionnera au sujet de son père ?


Je préfère ne pas​ y penser pour l'instant.

- Maman, je te l'ai déjà dit une fois et je te le répète : Si tu informes Femi au sujet de ma grossesse, je ne te le pardonnerai pas. Je suis sérieuse.

- Aurore, tu …

Je n'attends pas pour l'entendre me sermonner encore. Je pousse mon fauteuil roulant et me dirige vers le dehors, là où mes amies m'attendent déjà. Je sais que j'y suis allée un peu fort avec maman, mais c'est la seule manière de l'empêcher de faire une bêtise.


Une demi-heure plus tard.

Nous sommes dans une superbe boutique spécialisée en articles de bébé. Il y a tellement de belles choses là que je crains dépenser tout mon compte en banque pour les acquérir. Heureusement que mes amies sont là pour me raisonner.

- Tout est tellement beau ici ! J'aimerais bien tout dévaliser !

- Attention Aurore, les bébés ça grandit bien vite. Évite de prendre trop de vêtements de la même taille, sinon ta fille n'aura même pas le temps de les porter. Je sais de quoi je parle.

- D'accord, Sandrine. Alors, aidez-moi à choisir car je ne crois pas pouvoir m'en sortir toute seule avec toutes ces merveilles.

- Avec grand plaisir ! commente Laura.


C'est tellement amusant au final. C'est vrai qu'elles ont eu du mal à me convaincre de laisser telle ou telle chose, mais nous avons fini par nous entendre sur quoi acheter. (Sourire)

- Enfin ! m'exclame-je. Pour vous remercier, je vous invite à prendre une crème glacée à côté. J'ai remarqué un salon de glaces près d'ici.

- Moi, je suis partante ! crie Laura.

- Et moi aussi ! ajoute Sandrine. Mais tu devras limiter ta consommation de sucreries pour ne pas ressembler à une baleine pendant ta grossesse !

Nous éclatons de rire puis nous quittons la boutique en direction du salon de glaces, où nous commandons des glaces à la vanille.


* *

 *

- Dis Aurore, je sais que c'est personnel et que tu n'aimes pas en parler, mais j'aimerais bien savoir ce qu'il en est du père de ta fille.

- Laura ! gronde Sandrine.

Je fixe Laura, ne sachant quoi répondre.

- Je m'excuse. Je n'aurais pas dû aborder ce sujet.

- Non, Laura. Ne te sens pas gênée.

Je prends une longue inspiration avant de continuer.

- Il est dans mon pays natal. Avec lui, j'ai vécu l'une des plus belles histoires d'amour (je souris), du genre qu'on voit dans les contes de fée. Mais un jour (mon visage s'attriste ), j'ai choisi de rompre avec lui parce que je croyais ne pas pouvoir lui donner d'enfant et aussi parce que sa mère ne voulait pas d'une femme comme moi (j'indique mes jambes) pour son fils.

- Je me demande en quoi l'avis de la mère de ton homme est important ? Un couple, c'est deux personnes à ce que je sache !

- En Europe, oui, c'est le cas Sandrine mais pas en Afrique. Là-bas, quand tu épouses un homme, tu épouses aussi sa famille. Et les relations entre belle-mère et belle-fille ne sont pas toujours au top.

- Trop compliqué pour moi tout ça. Il n'en demeure pas moins que tu as fait le mauvais choix. La preuve, tu es en enceinte de cet homme. Tu n'es pas stérile. Tu aurais dû te battre pour votre amour.

- Sa mère ne m'aurait jamais acceptée de toute façon, même si lui était prêt à tout pour moi.

- En tout cas, moi, pour rien au monde, je ne laisserai filer l'amour de ma vie, mon âme soeur​ ! On n'en rencontre pas tous les jours !

Je soupire. J'en suis bien consciente. D'ailleurs après Femi, je ne pense pas pouvoir tomber amoureuse à nouveau.

- Il sait pour le bébé ?

Je secoue la tête en direction de Laura.

- Aurore !

- Il vaut mieux qu'il ne sache rien. Il doit certainement avoir refait sa vie et je ne veux pas le troubler. Cinq longs mois sont déjà passés.

- Mais il a le droit de savoir, Aurore ! réplique Sandrine.

- J'ai déjà pris ma décision. Vous ne parviendrez pas à me faire changer d'avis !

- Tu es une vraie tête de mule, Aurore ! Mais je ne peux m'empêcher de t'aimer.

Je souris.

- Alors, Sandrine, si tu m'aimes, laisse ma fille et moi déguster notre glace en paix.

Je plonge ma cuillère dans la glace et la dépose sur ma langue. C'est délicieux.

- Il ne te manque pas parfois ? Je veux dire ses mots, ses baisers, vos jeux sous la couette ?

Je dépose ma cuillère et revois tous les moments que j'ai vécus avec Femi.

- Oui, Laura, il me manque. Encore plus maintenant que je suis enceinte. J'aurais bien voulu qu'il me chouchoute comme lui seul sait le faire, qu'il arrose sa graine en moi autant que possible (je souris), qu'il soit chaque jour présent à mes côtés mais on ne peut pas tout avoir dans la vie. Parfois on perd, parfois on gagne. Hélas ! A présent, je ne veux plus parler de choses tristes. Aujourd'hui est un jour heureux pour moi. Je n'en reviens toujours pas que je vais avoir une petite fille. J'ai même déjà ses prénoms en tête !

- Et ce sera ?

- C'est un secret. Il vous faudra patienter jusqu'à sa naissance pour le savoir.

- Petite cachotière !

- J'ai tellement hâte que les mois passent pour pouvoir la tenir dans mes bras. J'espère que d'ici là, je serai assez outillée pour lui dessiner une collection complète de vêtements de petite fille.

- Vivement qu'elle soit là donc pour que sa maman, sa mémé et ses tantines la chouchoutent comme il se doit !

- Oui, je compte sur vous. Pour l'heure, finissons nos glaces. La mienne est entrain de fondre.

Elles acquiescent. Nous comptons jusqu'à 3 puis nous plongeons nos cuillères dans nos glaces respectives.




SECONDE CHANCE