Chapitre 30
Ecrit par Auby88
Aurore AMOUSSOU
J'angoisse un peu à l'idée de passer sur le "billard", mais je reste confiante. J'aurai la meilleure équipe médicale autour de moi.
Durant toute ma grossesse, j'ai essayé d'impliquer Femi. A ma manière, évidemment. Chaque jour, je parlais à notre fille de son père, de la manière dont je l'ai rencontré, de comment nous l'avons conçue avec amour, de combien nous nous aimions lui et moi, de combien il l'aime même s'il n'est pas près d'elle. Et je sais qu'elle m'entend.
Je lui parle aussi de chaque détail de son visage, de la manière dont il sourit, de combien il peut être fou, blagueur et romantique, de sa belle voix, de ses mots si réconfortants...
Chaque jour, je fredonne à notre fille les paroles de la chanson The vow (le voeu) de Timi Dakolo que Femi me répétait souvent. Dans sa chambre, j'ai fait accrocher sur le mur et au-dessus de son berceau, une photo de lui et moi, sourire aux lèvres.
Mais qu'est-ce qu'on a été heureux tous les deux ! Même avec toutes les années passées près de Steve, je n'ai pas été autant comblée ! Aujourd'hui ce bonheur est loin, mais il reste intact dans mon esprit. Je remercie le ciel de m'avoir permis de connaître une telle félicité, même si elle n'a pas duré longtemps. (Sourire)
Deux jours plus tard
Je suis en éveil au bloc opératoire. J'ai demandé à rester ainsi toute la durée de l'opération. Je suis impatiente de voir ma fille. Maman me tient la main et me sourit par moments…
Je viens d'entendre mon bébé crier.
- Elle est là, maman !
- Oui, chérie.
- Je veux la voir.
Sur ma peau nue, la gynécologue la pose. Toute mimi. Toute mini. Ange sans ailes sortie des entrailles de la pécheresse que je suis. Miracle de la vie. Je pleure de joie. Moi Aurore AMOUSSOU, "l'infirme", je suis maman. Je ne sais comment décrire ce que je ressens à l'instant. Je tiens contre moi le fruit d'un amour unique. Quand je pense qu'il y a quelques années, juste l'idée de tomber enceinte et de déformer mon corps de mannequin me répugnait. Combien ai-je pu être bête pour penser ainsi ! Il n'y a rien de plus de beau que de donner la vie !
- Qu'est ce qu'elle est belle ! m'exclame-je en coulant des larmes.
- Oui, Aurore ! me confirme la gynécologue. On dirait ta photocopie.
- Je pense pareil ! ajoute maman.
Je souris. C'est vrai qu'elle est encore toute petite pour confirmer si elle ressemble beaucoup à Femi ou à moi. Mais à première vue, c'est vrai que ce petit trésor est mon portrait craché.
- Nous devons la reprendre à présent.
- Déjà ?
- Oui, Aurore. Elle a besoin d'être nettoyée et de subir quelques examens routiniers. Quant à toi, tu dois te reposer. Je te rappelle que tu viens de subir une intervention chirurgicale !
- D'accord ! dis-je sans trop le vouloir.
Malgré moi, je laisse les infirmières l'emmener.
Des heures plus tard.
Je suis couchée sur le lit d'hôpital. J'ai l'obligation de limiter mes mouvements. Ma fille dort dans un petit lit près de moi. Maman, Laura et Sandrine sont autour de moi.
- Alors, comment va la jolie maman ?
- Bien, même si la position couchée commence par m'ennuyer.
- Tu te dois de bien te reposer !
- Je sais Sandrine, mais…
- Pas de "mais" qui vaille. Ce sont les ordres du docteur !
- Maman !
Elles se moquent toutes trois de moi.
- Dis Aurore, comment t'y es tu prise pour que la petite te ressemble autant ?
- Toi aussi, tu trouves qu'elle est ma copie ?
Laura hoche la tête.
- Et moi aussi, je pense pareil ! C'est ta copie certifiée conforme ! renchérit Sandrine. Je ne connais pas son père, mais je ne vois personne d'autre que toi en la regardant.
- Je partage vos avis, mes filles. Ma petite-fille ne semble rien avoir pris de son père Femi !
Là, j'interviens. Je me sens un peu coupable au final. (Sourire)
- C'est trop tôt pour dire qu'elle ressemble à tel ou tel. Et puis, elle a au moins cette tache de naissance sombre au bras, exactement comme son père.
- C'est tout ? s'enquiert Laura.
- Oui, pour l'instant. Au moins avec cette marque, une femme qu'on traite d'adultère peut au moins se défendre !
- Vraiment ?
- Oui, Laura. C'est ce que je crois.
Toutes trois se moquent de moi. Je souris.
- A propos, reprend cette curieuse Laura, comment comptes-tu appeler cette merveille ? J'espère que ce n'est plus secret.
- Non, ce n'est plus un secret.
Je regarde maman qui sourit.
- Elle s'appelle Arabella Oluwafemi AKONDE.
- Assez original !
- Oui, Sandrine. Arabella, c'est le prénom de ma défunte amie Bella. En me donnant une fille, j'ai l'impression que le père céleste me redonne mon amie. (Sourire). Oluwafemi, c'est le prénom de son père qui signifie "Dieu m'aime" en yoruba. Quant à AKONDE, c'est le nom de famille de son père. Il n'est certes pas présent dans sa vie aujourd'hui, mais je le lui dois en tant que père.
- C'est un bon choix, ma fille.
- Ta mère a bien raison, mais tu peux aussi faire mieux en lui disant tout.
- Sandrine, ne recommence pas, s'il te plaît. Ce n'est pas le moment. Je n'ai aucune envie d'être triste aujourd'hui ou de me sentir mal vis-à-vis de Femi !
- Ok, petite entêtée ! A présent, Laura et moi allons te laisser te reposer.
- Je vous remercie. Vous êtes des anges !
- Bye Aurore, bye maman.
Elles déposent des bisous sur les joues charnues de maman et les miennes puis s'éclipsent.
*********
Femi AKONDE
Aujourd'hui samedi. J'ai consacré une partie de ma matinée à faire du bénévolat au Centre de Rééducation.
Actuellement, je marche sur la plage de Fidjrossè. Je viens parfois ici me ressourcer. J'adore regarder cette mystérieuse étendue d'eau qui n'a pas de limites. J'adore y plonger mes pieds et sentir les vagues les fouetter avec douceur.
Je laisse mes pieds quelques minutes dans l'eau, puis je reviens sur la plage et vais m'asseoir sous une paillotte.
Je suis là, tout pénard, quand une fillette de trois ans par là s'approche de moi.
- Bonjour tonton, tu veux jouer avec moi ?
Je souris en regardant ce qu'elle tient en main : une poupée. C'est un jeu de fille. Mais pour ne pas la décevoir, j'accepte.
- C'est bon. Mais d'abord tu dois me dire où sont tes parents.
- Là ! me dit-elle en indiquant un couple dans une paillotte voisine.
- C'est bien. Alors comment s'appelle ta poupée ?
- Belle
- Belle !
- Oui, je m'appelle Annabelle et ma poupée est aussi belle que moi !
- C'est bien vrai ! Tu es très mignonne.
Une femme s'approche de nous. Ce doit être sa mère.
- Annabelle ! Je t'ai toujours dit que tu ne dois pas déranger les grandes personnes, de surcroît avec ta poupée. Allez, viens ! Monsieur, excusez-là. Ma fille est parfois casse-pied.
- Au contraire, je ne me suis pas senti dérangé. Votre fille est adorable.
- Bah, si vous le dites. Merci. Allez, viens Annabelle. Ton père et moi sommes sur le point de nous en aller. Dis aurevoir au monsieur.
Elle me fait un signe de la main. Puis au moment de partir, elle me dépose un bisou sur la joue. Je souris.
- Aurevoir monsieur ! achève la mère.
- Aurevoir, madame.
Sur la fillette, je garde mes yeux. Elle continue de me regarder et de me sourire tandis qu'elle et ses parents s'éloignent. (Sourire)
Vers Aurore, mes pensées s'envolent. Si elle et moi étions encore ensemble, nous aurions sûrement fini par avoir un enfant, une petite part de nous. Je n'ai pas de préférence, mais j'avoue que j'aurais aimé avoir une fille en premier, une mini Aurore. J'aurais ainsi eu deux princesses à cajoler. Dommage qu'elle se soit murée dans son histoire de stérilité. Comme le dit l'adage : "Il n'y a pas pire sourd que celui qui ne veut entendre, ni pire aveugle que celui qui ne veut voir…".
En tout cas, je ne me reproche rien. J'ai fait de mon mieux pour la rendre heureuse, tout mon possible pour la retenir, mais mes efforts ont été vains. Au final, je pense qu'elle ne m'a jamais vraiment aimé. J'aurais dû me limiter à notre relation amicale plutôt que de tomber amoureux d'elle. Bof, le mal est déjà fait. J'espère que là où elle est, elle est heureuse.
**********
Des semaines plus tard
Aurore AMOUSSOU
Arabella vient de finir de téter. Cette petite est une vraie mangeuse et une vraie dormeuse aussi. En tout cas pour ce qui est de son côté paresseux, qu'elle tient sûrement de moi (sourire), je ne m'en plains pas. La petite dort toute la nuit, sans crier une seule fois sauf quand elle a faim et qu'on ne la nourrit pas à temps. Elle ne badine pas avec son ventre dêê !
Dans la journée aussi, elle dort pendant des heures tel l'animal qu'on appelle "Paresseux". Parfois je suis tellement anxieuse que je la réveille pour m'assurer qu'elle va bien.
Je la porte quelques minutes sur mon épaule pour qu'elle fasse son rot. Puis je fredonne sa berceuse préférée : "Une chanson douce d'Henri Salvador, reprise par Céline Dion".
"Une chanson douce
Que me chantait ma maman,
En suçant mon pouce
J'écoutais en m'endormant.
Cette chanson douce,
Je veux la chanter pour toi
Car ta peau est douce
Comme la mousse des bois.
La petite biche est aux abois.
Dans le bois, se cache le loup,
Ouh, ouh, ouh ouh !
Mais le brave chevalier passa.
Il prit la biche dans ses bras.
La, la, la, la.
La petite biche,
Ce sera toi, si tu veux.
Le loup, on s'en fiche.
Contre lui, nous serons deux.
Une chanson douce
Que me chantait ma maman,
Une chanson douce
Pour tous les petits enfants.
O le joli conte que voilà,
La biche, en femme, se changea,
La, la, la, la
Et dans les bras du beau chevalier,
Belle princesse elle est restée,
Eh, eh, eh, eh
La jolie princesse
Avait tes jolis cheveux,
La même caresse
Se lit au fond de tes yeux.
Cette chanson douce
Je veux la chanter aussi,
Pour toi, ô ma douce,
Jusqu'à la fin de ma vie,
Jusqu'à la fin de ma vie"
A peine ai-je entamé la deuxième strophe, que je remarque que mademoiselle dort déjà. (Sourire)
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Suzanne ZANNOU
Le petit Yves est un amour. Quand j'ai un peu de temps libre, je m'occupe de lui. Les autres jours, il les passe dans une garderie car sa mère a repris son apprentissage en couture pour pouvoir obtenir son diplôme.
Au départ, j'étais réticente à l'idée de laisser le petit dans une garderie. Mais j'ai fini par céder. La garderie que j'ai dénichée est nouvelle, moderne et bien équipée. Et je suis satisfaite de la manière dont on y traite Yves qui pousse bien et vite à vue d'œil. En plus, la garderie est assez proche de l'atelier où travaille sa mère. Donc quand elle a un temps libre, elle se rend là-bas pour s'assurer que tout va bien et pour donner la tétée à son enfant.
Progressivement, je continue de me reconstruire. J'ai recommencé à aller à l'agence de voyage. Je remercie Dieu que mon entreprise n'ait pas fait faillite en mon absence. Mes employés ont été exceptionnels. Je leur dois tant. Pour les récompenser, j'ai augmenté leurs salaires et consacré une partie des bénéfices de l'entreprise pour leur offrir un voyage de deux semaines tous frais payés sur Abidjan. Ils ont adoré.
Je sais que je ne peux me permettre une telle folie chaque année, mais tous le méritaient. Et puis ils ne sont que 6 au total. (Sourire)
J'entends un bruit de porte qu'on ouvre. C'est Hélène.
- Bonjour par ici
- Bonjour dada
"Dada" signifie "grande soeur" en langue fongbé du Bénin
- Je vois qu'on s'amuse bien par ici. Je vous envie ohhhhh.
Je souris.
- Oui, Yves adore que je lui chante des comptines. Il passe son temps à bouger au rythme des chants.
- Un petit phénomène !
- Oui ! dis-je en hochant la tête, un large sourire sur mes lèvres.