Chapitre: 29
Ecrit par MoïchaJones
Je ferme les yeux, mais cette larme solitaire réussit quand même à s’échapper.
Mon Dieu, pourquoi ? Qu’ai-je donc fait pour mériter tout ce qui m’arrive.
Après une inspiration profonde, je porte une main à mon visage et efface les traces de mon désarroi. Maintenant plus que jamais, je dois faire quelque chose pour m’en sortir.
- Madame, ça va ?
La main du médecin prend la mienne et j’hésite la lui reprendre.
- Ne vous mettez pas dans cet état. Un enfant est une bénédiction, quel que soit ce qui nous arrive dans la vie.
Ses paroles marquent mon esprit au fer rouge. Si je n’avais pas eu le temps d’intégrer ce qui m’arrive, je crois qu’en ce moment, rien ne pourrait être plus clair. Je suis enceinte. Loin de ma vie d’avant, avec ma fille en ballotage. Je suis esclave du père de mon bébé, et je le déteste. Je crois que je les déteste tous les deux, plus que jamais.
- Madame Kibaki ?
J’ouvre les yeux pour croiser ceux avenants du docteur. Il a tiré une chaise près de mon chevet et semble gêné par ma réaction. Quand on annonce ce genre de nouvelle, on s’attend surement à des cris et des larmes de joie. Le pauvre il ne comprend pas ce qui m’arrive. Comment le pourrait-il ?
- Docteur. J’arrive à dire dans un souffle. J’aimerai que ceci reste entre nous.
Il me regarde hésitant. Ses yeux se perdent un instant sur ses genoux, puis quand ils reviennent se fixer aux miens, je sais ce qui va suivre.
- Qui est cet homme ?
Que faire ? Lui dire ce que j’ai sur le cœur ou c’est juste un piège. Et s’ils sont de connivence ? Pour me donner de faux espoirs avant de m’achever.
- Vous travaillez pour lui et vous ne savez pas qui c’est ?
Il est surpris et ce n’est pas feint.
- Je ne vois pas de quoi vous parlez.
- Vous n’allez pas me faire croire que ceci est une vrai clinique et que j’ai juste atterrit ici par pur hasard ?
Il éclate d’un rire chaud et se redresse sur son siège.
- Je ne sais vraiment pas de quoi vous parler. Peut-être que je devrais vous faire passer un scanner, vous devez surement être en plein délire.
- Je vous interdis de m’insulter.
Ma réponse a été plus sèche que prévu. Il s’arrête doucement de rire et me regarde la mine grave.
- Excusez-moi. Oui ceci est bien une clinique privée, et oui vous avez atterris ici par le plus pur des hasards. Je ne sais pas ce qui se passe dans votre tête, mais ne voyez aucune machination nulle part. Je ne connais pas ce monsieur qui se dit être votre mari, mais je sais aussi reconnaitre des gens qui ne sont pas étranger l’un à l’autre.
Il se lève et remet la chaise à sa place initiale.
- Veuillez m’excuser d’avoir outrepassé mes limites, je ne sais pas ce qui m’a pris. Ca ne se reproduira plus.
Il fait un pas vers la porte et je le sens froissé. Et si…
- Attendez !
Il s’arrête.
- Excusez-moi. Je suis un peu à cran ces derniers temps. J’ajoute pour seule explication.
Il me regarde les bras croisés, puis soupire avant de revenir près de moi.
- Je veux juste vous aider.
- Je n’ai pas eu d’aide de quiconque depuis des lustres. Raison pour laquelle je me méfie un peu.
- Je comprends. Vous voulez me dire ce qui se passe ?
- Pour le moment je ne peux pas. Il ne va pas tarder à revenir. Mais je vous en prie, ne lui dite rien sur moi. Ce type est très dangereux.
- Il vous séquestre ? me demande-t-il dubitatif.
- On aura le temps d’en parler si vous faite durer mon hospitalisation.
Il ne dit rien pendant que ses yeux essaient de me scanner. Je sais que c’est risqué, mais je n’ai plus vraiment le choix.
- D’accord !
Il me tend sa main chaleureuse que je serre avec un faible sourire.
- Qu’est-ce qui se passe ici ?
Je retire ma main comme une enfant prise en faute et je détourne le regard. Avec son esprit tordu, il serait capable de deviner que quelque chose est en train de se tramer.
- Maman.
L’entrée bruyante d’Imani aplanit l’atmosphère. Elle vient se jeter dans mes bras à mon plus grand bonheur.
- Ca va mon bébé ?
- Oui. Elle me répond le visage enfouie dans mon cou.
- Qu’est-ce que tu fais ici ? Je demande doucement.
- Elle ne voulait pas dormir sans te voir. Elle a fait une crise de nerf et la gouvernante m’a appelé inquiète.
Je le regarde une minute et il semble agacé. Tant mieux pour lui si ça le met de mauvaise humeur.
Je reporte mon attention sur ma fille et lui fait plein de bisous. Ses bras sont crispés sur ma nuque et je peux sentir son cœur battre à l’unisson avec le mien.
- Ca va ma chérie, maman est là.
Mon cœur se fend quand elle me murmure dans un souffle de ne jamais plus l’abandonner.
Le docteur ne s’attarde pas et nous laisse en tête à tête familial. Imani et moi picorons dans le plat que Jomo a ramené et une fois rassasié, je la prends dans mes bras et nous fermons les yeux sous le regard vigilent de notre geôlier. Peu avant minuit, je le sens qui veut me la prendre des bras.
- Non ! ne fait pas ça, s’il te plait. Ne me l’enlève pas.
- Tu as besoin de repos.
On pourrait croire qu’il se soucie de mon bien être.
- Elle ne me gêne pas le moindre du monde. En plus ça lui évitera de faire des crises de nerfs.
- Je ne vais pas dormir une nouvelle fois sur une chaise dans un hôpital, même pour tes beaux yeux.
- Personne ne t’empêche d’aller dormir dans ta maison luxueuse, Jomo.
- Ne joue pas avec moi Belinda. Tu sais très bien que je ne peux pas te faire confiance.
- Où veux-tu que j’aille, je tiens à peine debout… Eh puis, je ne vais pas mettre la vie de ma fille en danger, même pour tes beaux yeux.
Il me sonde et je peux le sentir hésitant.
- Je suis fatiguée de tout ça.
Il soupire longuement et pour mon plus grand bonheur, il finit par capituler mais laisse deux gardes devant la chambre, en me promettant d’être là à la première heure demain. Pendant les deux heures qui suivent, mon cerveau fonctionne à vive allure. Je me répète sans fin que je dois disparaitre avant le lever du jour, mais je ne sais pas comment échapper à la surveillance de mes molosses. La salvation vient vers trois heures du matin quand une infirmière vient pour les soins. Elle pousse un chariot peu bruyant et s’affaire en silence.
- Excusez-moi madame, le Dr Johnson est là ?
Elle me regarde inquiète.
- Vous avez un problème ?
- Il faut que je lui parle, c’est urgent.
- Si je peux vous aider…
- Est-ce que vous êtes gynécologue ?
Elle se tait et me fait un regard mauvais.
- Le docteur est occupé.
- C’est important madame. Je vous en prie, dites-lui que j’ai besoin de lui parler en urgence.
- Je vais voir ce que je peux faire pour vous.
Elle s’en va et plus le temps passe, plus je commence à douter qu’elle fasse la commission.
Trente minutes plus tard, il entre dans ma chambre, la mine fatiguée.
- Il parait que vous avez besoin de moi ?
Je me redresse lentement
- Oui docteur. Désolée de vous déranger dans votre travail, mais j’ai besoin de m’en aller.
Il bloque un instant, ouvre la bouche puis la referme lentement.
- Maintenant. J’ajoute comme il ne dit toujours rien. C’est une question de vie ou de mort.
- Vous voulez que j’appelle la police ?
- Non, je veux juste que vous m’aidiez à sortir de cet endroit sans attirer l’attention.
- Si ce n’est que ça, ça va être les doigts dans le nez. Vos gardes sont tous les deux endormis devant la porte. Mais une fois dehors, où irez-vous dans cet état ?
- Je me sens mieux, ne vous inquiétez pas.
- Laissez-moi en douter.
- Je vous en prie docteur, le temps passe, le jour se lève bientôt et il quand il reviendra, il me sera impossible d’avoir plus belle occasion de prendre le large.
Il hésite encore un peu, puis me demande de l’attendre là. Il s’en va et revient quelques minutes plus tard avec une blouse blanche et une chaise roulante. Je revêts la blouse et m’installe sur la chaise, Imani, toujours endormie dans mes bras. Il nous passe la couverture par-dessus et nous pousse lentement vers la sortie.
Ca me semble trop beau pour être vrai. Les gars de Jomo sont confortablement installés sur des fauteuils à la réception, en face de ma chambre. Je crois même entendre un qui ronfle doucement. Je retiens mon souffle pendant que nous passons devant eux, et qu’on se dirige vers l’ascenseur. Quand les portes s’ouvrent enfin, je frôle l’asphyxie. Je suis raide sur le siège, les mains crispées autours de ma fille, qui ne se rend compte de rien.
Le docteur Johnson nous emmène dans le parking, il ouvre une berline grise et me demande de m’installer à l’arrière avec Imani. Ce que je fais aussi rapidement que me permet mon corps fatigué. Quand il prend le volant, il me demande où est-ce qu’il peut me déposer, je lui réponds n’importe où en ville. Je me débrouillerai.
- Je ne peux pas, vous n’avez pas de la famille ici ?
- Non, je ne connais personne d’autre que Jomo.
- Mais…
- Docteur, si je vous mets au parfum de ce qui se passe, c’est mettre votre vie en danger. Et ça, je ne le supporterai pas. Jomo, cet homme, est un être très dangereux. Il serait capable de commanditer votre mort, je ne veux pas être responsable de ça. Pas encore.
Il se met d’abord à rire jusqu’à ce qu’il se rende compte que je suis très sérieuse.
- Je ne peux pas vous abandonner comme ça dans la rue. Je suppose que vous n’avez pas de papier sur vous, ni d’argent non plus.
C’est vrai tout ça. Mais c’est mieux que de retourner dans notre prison dorée.
- Je vais me rendre à notre ambassade.
- Désolé, mais je ne peux tout simplement pas vous abandonner n’importe où.
J’hésite longtemps, cette blouse légère ne me protège pas vraiment. Je commence à prendre froid. Il faut que je me décide très rapidement, si je ne veux pas me transformer en glaçon.
- Mais… Que me proposez-vous ?
Ses lèvres se fendent en un sourire satisfait, qui réussit à mettre un peu de chaleur entre nous.
- Je vous emmène chez moi.
- Brillante idée docteur. Il ne vous est pas venu à l’esprit que le premier endroit où mon beau-frère ira me chercher, ce sera chez les personnes avec qui j’ai été en contact ces dernières vingt-quatre heures ?
Je m’en veux un instant de l’ironie dans ma voix, mais je n’ai pas pu m’en empêcher.
- Et comment il se doutera de quoi que ce soit ?
C’est à mon tour d’éclater de rire et Imani ouvre les yeux.
- Maman ?
- Oui mon bébé, je suis là.
Elle nous regarde, surprise, puis son regard se perd dans la rue déserte. Le ciel à l’horizon commence à virer à l’oranger, et quelques lampadaires éclairent la route.
- Docteur Johnson, ne cherchez pas à comprendre. Jomo c’est le D-I-A-B-L-E en personne. Il est capable de nous retrouver dans un trou de souris, et croyez-moi, il en a les moyens.
- Il est si dangereux que ça ?
- Vous n’avez pas idée. Il est décidé à nous avoir, ma fille et moi, sous sa coupe, et ne lésinera pas sur les moyens. Vous finirez à un moment donné par regretter d’avoir accepté de m’aider.
- Je doute que ça arrive un jour. J’aime me rendre utile, c’est pourquoi j’ai fait la médecine.
On reste silencieux, puis il dit joyeusement qu’il m’emmène chez ses parents. Au début je me dis que c’est une blague, jusqu’à ce que je le voie prendre son téléphone pour parler avec son père. Alors je me dis qu’il est fou de mêler ses parents à une affaire dont lui-même ne connait pas les tenants ni les aboutissants. J’espère juste que je n’aurai pas à m’en mordre les doigts encore une fois. Je pense à Jason, et les larmes me montent machinalement aux yeux. Seigneur, tout ce qui s’est passé, on dirait que je viens de vivre des années entières.
En moins d’un rien, nous arrivons devant un petit pavillon faiblement éclairé. Les luminaires du porche s’illuminent à peine le moteur coupé, et la porte s’ouvre sur un homme blanc. Blanc et blond. De là où je me trouve, je n’arrive pas à distinguer la couleur de ses yeux, mais je suis prête à parier qu’ils sont bleus.
- Venez !
Il me dit en descendant. Imani toujours crispée dans mes bras, je le suis en silence.
- Papa. Excuse-moi de te déranger si tôt, mais on a besoin de votre aide. Je te présente Belinda, une amie. Elle a quelques soucis et cherche un toit pour quelques jours.
Le regard de monsieur Johnson passe de son fils à moi. Il ne laisse entrevoir aucun autre sentiment que la surprise. Il ne dit rien, se contente de sourire. Un sourire chaleureux qui fait tomber une partie des barrières que j’avais déjà érigé autour de moi.
- Bienvenue chez nous, Belinda.
- Merci monsieur Johnson. Je réponds timidement.
- Mais appelez-moi Franck.
Il prend ma main et sa poigne est ferme. Il s’approche d’Imani, tout sourire, mais celle-ci cache son visage dans mon cou.
- Et c’est qui cette Jolie princesse ?
- C’est ma fille. Imani.
Je souris en guise d’excuse.
- Entrez donc. Ne restez pas planté là comme des piquets. En plus il ne fait pas chaud.
Il nous entraine à l’intérieur et une bonne odeur de café fraichement infusé nous accueille. La maison est tout aussi chaleureuse que son propriétaire. La décoration est encombrée avec une vingtaine de bibelots et de peluches qui ornent le salon et les armoires dans la salle à manger. Mais ça respire la joie et la bonne humeur.
Une petite femme rondelette, aussi blanche que blanche neige en personne, elle aussi, entre dans la pièce avec un plateau que son fils s’empresse de lui prendre des mains.
- Mais maman, il ne fallait pas.
- Ca ne me dérange pas. De toute manière le jour est presque déjà levé. Qui est donc cette magnifique jeune femme que tu nous emmène au saut du lit ?
Si je ne m’étais pas senti tout d’un coup aussi gênée, j’en aurai ri avec plaisir. Il n’y a qu’une mère pour avoir ce genre de pensées.
- Ne t’emballe pas, c’est juste une amie.
Je suis prise d’une nausée subite. Ami ? Il y a encore 24 heures, on ne se connaissait pas. Aujourd’hui je rencontre ses parents alors qu’il n’est même pas encore 6 heures du matin.
- Belinda, je te présente Joyce. Ma mère.
- Enchanté madame.
Elle ne prête pas une seule seconde attention à ma main tendue et m’attire dans ses bras. Imani et moi on se retrouve coincées et la petite se met à gigoter. Joyce me lâche et lu fait une papouille qui ne la déride pas du tout. Ma fille est devenue méfiante et ça me brise le cœur.
- Excusez-là, elle n’est pas du matin.
Joyce me fait un sourire rassurant.
- Ne vous inquiétez pas, elle n’est pas la seule à ne pas être du matin. Moi il me faut une bonne tasse de café avant, sinon je suis de mauvaise humeur.
Franck nous invite à nous assoir et tout le monde prend place à l’exception de… Je ne connais même pas son prénom.
- Moi je vais y aller. Lance-t-il en s’avançant vers moi. Mon service n’est pas encore finit.
Je me lève et l’accompagne jusqu’à la porte.
- Merci encore.
- De rien, reposez-vous. Il ne faut pas oublier que vous êtes convalescente.
Il tourne le dos pour partir et je me souviens qu’il ne m’a toujours pas dit comment il se prénomme.
- Docteur ?
- Oui.
Je m’approche pour que ses parents n’entendent pas.
- Je ne connais pas votre prénom.
Il sourit de ce sourire lumineux.
- Marc.
Je lui rends son sourire.
- Enchantée de vous rencontrer docteur Marc Johnson.
Il éclate de rire et s’en va. Je regarde les feux arrière disparaitre au coin de la rue avant de rejoindre ses parents qui ont déjà chacun une tasse en main.