Chapitre: 30

Ecrit par MoïchaJones

Je respire avec difficulté et enserre fortement la main Imani dans la mienne. Toutes les deux sont moites, mais je ne sais pas laquelle des deux a noyé l’autre. Rien ne me surprendrait si l’on me disait que peau est devenue le lit d’un fleuve. Mon esprit évolue dans une dimension différente, je ne suis plus vraiment-là. Ma réalité est autre.


Un éclat de rire vient mourir dans ma gorge, juste sous l’énorme boule de stress qui m’empêche presque de respirer correctement. Je suis en pleine divagation dans un avion bourré de gens qui ont surement d’autres préoccupations, bien plus importante que moi et ma peur. Oui, je suis terrorisée. Mon corps carbure au minimum énergétique. Le moindre mouvement est identique à l’effort fourni lors d’une course de fond, par 40 degrés.  


On annonce la fermeture des portes. Je ferme les yeux, le souffle court. Quant au bout d'un moment, je sens l'avion faire un sursaut en arrière, je m’efforce de ne pas faire une asphyxie. On bouge, pourtant je garde les yeux fermés. Seigneur faite qu'il ne se passe rien de particulier. Surtout pas maintenant.


- Maman, tu me fais mal.


La voix fluette d'Imani me tire de mon angoisse.


- Désolée bébé. 


Je la lâche et porte la main à mon cœur. Les hôtesses se mettent dans le couloir et entament les démonstrations d'usage. Je les regarde d'un air distrait. Quand elles finissent et que l'avion peu enfin décoller, je respire plus librement. Ca y est ! Plus rien ne nous arrêtera maintenant. Je ne pense pas qu'on puisse demander à un avion qui a déjà pris de l'altitude, de revenir atterrir pour faire descendre 2 passagers. Même Jomo n'a pas ce pouvoir-là. 


Le mois qui vient de s'écouler a été le plus de toute ma vie. Entre menace, suspens, angoisse. Je suis passée par tous les sentiments, même les plus inimaginables. Depuis l’instant où accompagné du père de Marc, je suis arrivée devant l’ambassade du Kenya. Mon regard a croisé celui, furieux de Jomo. Ca a été facile pour lui de me retrouver, vu que le connard détient toutes mes affaires depuis Nairobi. Mon sang a quitté mon visage, quand je l’ai vu ouvrir sa portière à la volée. Je pris ma fille à bras le corps et je me suis fondue dans la foule. J’ai couru comme si ma vie en dépendait. Qu’est-ce que je raconte, ma vie en dépendait. Je nous ai entrainées dans les dédales des rues, jusqu’à ce que je m’arrête devant un mur, piégée. Je nous ai emmenées dans une voie sans issue et j’ai été prise de panique. L’adrénaline sifflait dans mes veines, les pleures d’Imani dans mes oreilles. 


Résignée, je me suis retournée pour tomber nez à nez avec le père de Marc. J’ai lu la surprise dans ses yeux, mais aussi du respect. Ce jour-là, il a compris de quoi il en retournait après que je lui ai dit qui était cet homme qui s’est arrêté de me suivre dans la rue. Je ne sais pas pourquoi d’ailleurs ? Il n’a peut-être pas supporté qu’on le voit courir en veste. Ca manque de classe. Et ses hommes de mains, pourquoi n’en a-t-il pas envoyé à ma poursuite ? Je remercie simplement le ciel. C’est tout ce que je peux faire. 


Je ne suis plus retournée à l’ambassade.


Il devait faire le guet, persuadé que je n’avais pas d’autre choix que d’y revenir. Il a surement oublié que je ne suis qu’une épouse d’un homme Kenyan. Il me restait encore mes origines. Ils ne pouvaient pas me l’enlever, son frère et lui. 


Nous avons convenu d’un commun accord de laisser passer la semaine, avant de retenter notre chance. Je suis partie, cette fois, toute seule à l’ambassade du Cameroun et j’ai raconté tout ce que j’ai vécu jusqu’ici. On m’a regardé comme une extraterrestre. J’ai pris sur moi de ne pas imaginer ce qui pouvait bien se dire dans les têtes de mes interlocuteurs. Ils m’ont pratiquement demandé ce que je voulais qu’ils fassent pour moi ? J’ai été estomaquée de me rendre compte que mon propre pays m’avait abandonné à l’instant où j’ai pris l’avion pour m’installer avec Uhu. 


J’ai pleuré de dépit, sur le palier de cette villa qui tient lieu d’ambassade. Je ne sais pas combien de temps je suis restée là, par terre, comme une veuve. C’est dur de faire autant d’effort pour finir dans une impasse. On se prend une énorme claque, sans pouvoir ni savoir quoi que ce soit. 


- Maman ?


Encore une fois, Imani me tire de ma rêverie. Je regarde son visage émacié et lui fait un sourire rassurant. 


- Je veux faire pipi. 


Je me lève sans un mot et l’entraine dans les toilettes. Le miroir me renvoie une image soignée de moi. Les apparences…. 


Je pousse un soupir et on retourne à nos places. Je me force à prendre du repos, tant que je n’ai pas l’assurance qu’il va arrêter de m’en vouloir, ce qui est probablement équivalent à zéro pour cent de chance, je ne peux pas me permettre de baisser les bras. 


*

**


La chaleur de Douala nous prend de plein fouet à la descente d’avion. Je n’ai que ma fille et un trolley pour bagages. Ca nous dispense de la longue attente devant le tapis. On traverse la sécurité aéroportuaire et nous voilà dans le boucan. Presque 9 ans que je ne suis pas revenue, mais j’ai l’impression que c’est hier que je suis partie. Le premier taximan qui m’aborde nous installe dans sa voiture. Son accent chantant me réchauffe le cœur. Il parle, et parle, pendant que moi je regarde les quartiers se succéder. L’aéroport est à des kilomètres de Bonamoussadi, j’ai le temps de voir venir. Le discours que j’ai préparé pour mes parents est oublié depuis longtemps. 4 mois se sont écoulés depuis que j’ai « disparu ». Je ne sais pas ce qu’ils croient savoir, mais je sais bien qu’il a fallu leur expliquer pourquoi je ne suis pas venu comme convenu pour les vacances. 


9 ans, le temps est-il resté figé dans ces rues endiablées ? Je reconnais pratiquement tout. Si je regarde bien de plus près, je pense qu’un visage connu m’apparaitra. 


- Ma sœur, c’est à quel niveau exactement à  Bonamoussadi ?


Cette familiarité aussi m’avait manqué. Je souris simplement. 


- Au carrefour avant la paroisse. 

- Ca c’est quel explication ça, il y a beaucoup de carrefour…


Il continue de bavarder et moi, encore une fois, je l’écoute le sourire aux lèvres. Il peut se plaindre autant qu’il veut, je suis heureuse de l’entendre. J’attire Imani dans mes bras, elle aussi regarde avec intérêt cet endroit qu’elle ne connait pas. Qu’elle aurait pu découvrir dans des conditions plus… Je n’ai pas de mots. Je les ai oubliés, ou plutôt relégués dans un coin de ma mémoire, tellement ils sont contradictoires de ce qu’est devenue notre vie. 


A l’approche de la zone où les parents habitaient, je commence à me perdre petit à petit. Puis finalement, je demande au taximan de nous laisser à la paroisse. 9 ans, vraiment, je m’attendais à quoi ? 


Je me remémore tranquillement ses dimanches où nous allions à l’église le matin, pressée par maman. Très à cheval sur l’horaire, elle nous faisait pratiquement courir mes cousins et moi, à 5 heures 30 le matin. J’aurai parcouru cette distance les yeux fermés. A moitié dans mes souvenirs, je retrouve le chemin. Un nouvel immeuble à gauche, une bicoque dont je n’avais plus souvenir à droite, mais on finit par se trouve devant ce vieux portail marron. 


Et si…. S’ils ne me reconnaissent pas ? C’est idiot ! J’appréhende quand même. Je souffle et pousse sur la sonnette. 


- C’est qui ?


Que répondre à ça ? C’est moi ? J’ai envie de rire. Non C’est la fille des propriétaires de cette maison. 


- C’est qui ? Reprends la voix, énervée. 

- Si tu ouvres ce sera plus facile de savoir qui sonne. 


J’entends un son que je reconnais très bien et qui, lui, ne m’a pas manqué. 


Le verrou est tiré et je peux enfin voir à qui appartient cette voix chaleureuse. 


- Oui, c’est pour quoi ?


Elle mâche un chewing gum et son attitude respire l’insolence.


- Je viens voir les parents. 


Son regard me transperce. On dirait des lasers. Elle doit se demander qui je suis et d’où je viens. Exactement de la même manière que je me pose la question de savoir qui elle est, et d’où elle vient. 


- Il faudra repasser, parce qu’ils ne sont pas là. 


Elle veut refermer le portillon quand je la retiens, amusée. 


- Je peux peut-être les attendre à l’intérieur ?


Elle fait une bulle avec sa gum, puis l’a fait éclater avec un son sec. 


- Ils ne veulent pas d’inconnu chez eux. 

- Ca tombe bien, je suis leur fille. 


Je vois l’étonnement dans ses yeux, qui me regardent maintenant avec plus d’attention.


- Belinda ? C’est toi ? Mais…


Elle se met à crier en sautant sur place, et j’éclate finalement de rire. Ca c’est ce qu’on appelle un accueil chaleureux. 


- Ekié grande sœur, c’est comment tu sors d’où comme ça ? Ton mari était venu nous dire ici que tu as disparu. 


Mon cœur se serre en entendant ça. Le manque de tact de la jeunesse. Elle ne se rend pas compte.


- Je sors de loin, je murmure. Et je suis fatiguée. Laisse-nous entrer. 


Elle s’efface, pour nous laisser entrer dans la concession. J’avance, ma fille dans mes pattes, et l’adolescente s’empare de ma valise. Elle continue de parler et moi je fais ce qui est devenu une habitude. Ecouter.


Le parfum de mon enfance m’inonde et me ramène longtemps en arrière ; Quand tout était parfait, mais que j’avais quand même une raison de me plaindre. J'essaie de me détendre sur le canapé. Le temps passe et ils ne rentrent pas. Imani est devant un programme d'animation à la télé. Bien que ce soit en français, elle ne semble pas perdue.


Marie, une cousine éloignée du côté de mon père, m'a informé qu'ils sont allés à une réunion. C'est normal nous sommes dimanche, ça a toujours été la journée de prédilection pour ça. Voilà plus de 4h que nous sommes arrivés, j'ai l'impression qu'il s'est écoulé une journée entière. L'angoisse me serre les tripes. J'ai eu beau me préparer à ce qui va suivre, je ne serai jamais prête.


Un klaxon résonne dans la nuit, marie se lève rapidement pour aller ouvrir. Imani qui jusque-là était assise sur le tapis, se lève et me rejoindre. L'appréhension se lit sur son visage, elle ne doit être que le pâle reflet de ce qui se joue dans sa tête. J'essaie tant bien que mal de la rassurer par mes gestes, même si je sais au fond de moi, je ne suis pas convaincante.


Je suis lasse de tout ça. Fatiguée de me battre. J'ai juste besoin de me reposer un moment sur quelqu'un d'autre. J'ai besoin de mes parents.


Des pas précipités se rapprochent. Je devine ma mère. Elle apparaît dans l'encadrement de la porte restée ouverte. La voilà enfin, dardant sur moi un regard où se mêlent surprise et tristesse. Il n'y a de la joie nulle part. Ça s'annonce très mal.


- Belinda c'est toi ?


Je tente un sourire, mais je suis trop crispée. 


- Ma fille!


A peine j’atterris dans ses bras que mes yeux croisent ce de mon père. La douleur y est poignante, ça me brise le cœur. Personne ne parle. Maman pleure. Imani est derrière moi, caché dans mes jambes. Je sens son angoisse. Elle les voit pour la toute première fois en vrai. Plus d’écran entre eux, plus de photos. Juste la réalité. Toute simple et pourtant effrayante.


Je quitte les bras chauds de ma mère et hésite à me jeter dans ceux de mon père. Les effusions n’ont jamais été sans ses habitudes. Mais j’espère de tout mon cœur qu’il fera une exception. Rien que pour cette fois. J’en ai besoin.


- Vient là ma fille.


Comme s’il a lu ma prière, ses paroles me libèrent. Cette fois c’est moi qui pleure, comme une enfant, dans les bras de mon père. Qu’est-ce que c’est bon de humer son odeur à plein poumon. Ils m’ont manqué, Seigneur. Je me sens revivre. 


*

**


Ils me regardent tous, interloqués.


Je viens de finir mon récit et on peut entendre les mouches voler. Maman pleure en silence et je ne peux m’empêcher de m’en vouloir de la faire souffrir autant en si peu de temps. Deux jours que nous sommes là, et ce n’est qu’aujourd’hui je trouve le courage de leur raconter ce par quoi ma fille moi sommes passées. 


Les retrouvailles ont été chargées en émotions. Au départ, Imani ne s’est pas laissée approcher, mais un semblant de confiance a commencé à s’installer le lendemain quand elle a vu que j’étais on en peut plus à l’aise. Papa et maman ont été géniaux, de lui laisser le soin de faire le premier pas. Et ça a payé. Je peux la regarder avec un pincement au cœur, lovée dans les bras de sa mami. Elle ne me le dit pas forcément, mais je sais qu’Amaya lui manque énormément. Elles avaient une relation bien à elles, et du jour au lendemain, elle s’est retrouvée loin de tout ça. 


- Voilà où j’étais passée ces 4 derniers mois. 

- Mon Dieu, ma fille. Merci Seigneur. 


Papa ne dit toujours rien. Je peux voir ses mains se serrer sur la toile de son pantalon, mais sa bouche reste hermétiquement fermée. S’il savait que je lui ai épargné des bouts de ce périple. Ca l’aurait tué je crois. En tout cas, moi ça me tuerait de honte que mes parents sachent que je me suis faite violer et mettre en clope par le frère de mon mari. Qu’elle histoire. 


Maman elle couvre Imani de bisous, tout en psalmodiant des remerciements à Dieu, pour nous avoir gardés en vie. Pour nous avoir protégé. 


La suite est assez floue. 


Papa qui se lève, fou de rage, avant de retomber lourdement sur le canapé. La main sur la poitrine. 

Jamais sans elle