Chapitre 29 : L’envol du papillon

Ecrit par Max Axel Bounda

   L’article publié par Gabon Herald avait fait laune des journées deux jours après le communiqué de la police. Il avait fait le tour des réseaux sociaux et enflammé les groupes de commérages et de comploteurs sur la toile. Les étudiants en particulier ceux de l’UPG s’en étaient réjoui car il leur donnait du grain à moudre et renforçait leur théorie selon laquelle l’UPG avait inspiré la police à faire cette déclaration afin de ne pas reconnaitre sa responsabilité dans le décès de Rhianne. En effet, c’était à l’administration universitaire qu’incombait la responsabilité de sécuriser le campus. Ce qui n’était pas le cas depuis plusieurs décennies.

Accusé à tort ou à raison, interpellé à plusieurs reprises par les médias, le recteur de l’UPG avait dû faire une sortie afin de lever la responsabilité de son institution dans l’affaire du communiqué, et promettre la mise sur pied d’une unité de police assignée à la sécurité du campus. La future « Police Campus » allait voir le jour dans les toutes prochaines semaines.

Toute cette cabale médiatique avait énormément amusé ma petite amie, car elle se savait à l’origine de cette fuite pour mettre en lumière ce qu’elle décrivait comme une énorme injustice. Cependant, elle n’était qu’à moitié satisfaite car elle savait qu’il lui serait difficile de faire rouvrir l’enquête sur la mort de Rhianne au Gabon malgré les preuves dont elle disposait. Désormais, il lui fallait tout donner pour qu’aboutisse la plainte collective contre l’université. Et ça, ce n’était pas encore gagné.

Par ailleurs, depuis plusieurs jours, Lema et Jessica se voyaient régulièrement pour faire avancer le dossier. La stratégie étaient simple, déposer le dossier dès que toutes les plaignantes auraient soutenu. Il ne fallait pas laisser du répit à ces vautours.

Lors de leur deuxième entretien au cabinet, Lema était arrivé avec trois autres victimes qu’elle avait convaincu de se joindre à la cause, d’autant plus que ces dernières figuraient sur les vidéos. Cela faisait au total cinq plaignantes. Par chance, elles avaient aussi pu recueillir des messages textuels et des notes vocales compromettantes.

Cependant trois des cinq plaignantes devaient encore passer par la case soutenance donc il leur fallait être prudentes et veiller à ce que l’affaire ne s’ébrute pas. KNA avait fait signer à toutes les plaignantes une clause de confidentialité.L’effet de surprise, c’était un levier important sur lequel voulait jouer Jessica. Mais en attendant que les filles ne soutiennent et que la saisine ne soit enfin déposée, il leur fallait s’acquitter d’une mission très importante. Un rituel qui allait peut-être leur permettre de dormir mieux : Ensevelir leur amie et ancienne directrice.

 
 

Le jour de la sortie du corps de Rhianne avait été très ensoleillé. Libreville avait été ensevelit dans une véritable chaudière. A la nuit tombée, Jessica et moi devions participer à la veillée funèbre de celle que l’on considérait désormais comme une amie. Et dire qu’il y’a peu, nous ne nous connaissions même pas. Le hasard du destin nous avait réunis et semblait-il pour la bonne cause.

La veillée funèbre avait lieu au domicile de son oncle maternel. Une demeure qui pouvait accueillir assez de personnes et permettre au fameux oncle de jouer l’intéressant. Car il s’était conté à la dernière réunion de famille, que le gouvernementavait versé une compensation financière à la famille en échange de son silence. Ce qui justifiait pourquoi, alors que le pays entier s’acharnait à défendre leur défunte fille, la famille était restée muette comme une tombe.

Pour les obsèques, les papillons avaient opté pour deux salles à la maison des pompes funèbres mais on leur avait rétorqué qu’elles n’étaient personne pour s’imposer dans une histoire de famille. Lema avait été effaré de constater le niveau des cotisations pour ce décès. Comme si les gens s’en réjouissaient et étaient pressé de l’enterrer en grande pompes.

Chacun y allait de sa poche. Montrer qui avait les poches les plus pleines. Des sommes que Rhianne n’aurait jamais vu de son vivant même si elle avait été malade ou en grande difficulté. D’ailleurs où étaient tous ces parents là quand Rhianne avait perdu sa mère et souffrait pour survivre ?Quandelle avait besoin d’argent pour manger ou payer les fascicules à l’université ?

Jessica et moi étions arrivés sur les lieux à vingt heures. La maison avait été envahie par des centaines de personnes dont on ne savait s’ils arrivaient ou s’ils repartaient. Trois énormes tentes avaient été installées dans la cour de la maisonnée. Mais elles étaient toutes pleines. Le spectacle qui s’offrait à nos yeux ne laissait personne imaginer que Rhianne avait vécu de manière discrète et cachée tant elle s’était fait des fans au moment de sa mort.

L’ambiance yétait bruyante, entre les chants de la chorale qui s’élevaient de la chapelle et les conversations volubiles de toutes ces personnes qui semblaient ignorer que nous étions à une veillée funèbre.

N’ayant pu avoir de places dans la salle, toute pleine à craquer, Jessica entreprit d’appeler Lema.Peut-être pouvait-elle faire quelque chose. Car l’on ne pouvait passer la soirée debout, tels des poteaux électriques. Le téléphone de notre nouvelle amie sonna en vain à plusieurs reprises. C’est alors que nous remarquâmes les deux hôtesses qui faisaient des va-et-vient entre la cour et la salle dans laquelle se trouvait la chapelle.Lema avait aussi assigné deux hôtesses à chaque tente. Elle accompagnait les arrivants et leurs gerbes de fleurs. Normal, c’était leur métier. La directrice d’une agence d’hôtesses ne pouvait en manquer le jour de son décès.

Les hôtesses de Blu Butterfly étaient reconnaissantes à leur chainette au papillon et leur tenue bleue. C’était un modèle chinoiscousu avec un tissu en soi. Elles étaient toutes belles à voir et apportaient un peu de gaité à cette comédie dramatique.

Jessica entrepris donc de se rapprocher de l’une d’elles.

— Madame Lema, répondit la fille avec un énorme sourire. Elle doit être aux cuisines. Qui dois-je annoncer, s’il vous plait ?

— Jessica Nyingone. Elle comprendra.

— D’accord, rendit la fille en tournant le dos. Aussitôt une autre fille toute aussi souriante vint se placer juste devant nous à l’endroit exact où se trouvait sa collègue des minutes plus tôt. Je remarquai alors combien ces filles étaient professionnelles.

Cinq à dix minutes plus tard, Lema apparut à l’entrée de la tente avec le sourire. Elle était vraiment heureuse de nous voir. J’avais sous les yeux une Lema transformée qui portait un foulard sur la tête, un pagne au tour des reins et un tablier sur le corps. Sans dire un seul mot, elle vint embrasser Jessica qui lui rendit son étreinte.

—Je n’ai pas réussi à me rendre dans la salle Jess. Je n’arrive pas croire qu’elle ne se réveillera plus. Je ne pourrais pas lui dire au revoir.Je ne peux pas regarder dans son cercueil !

— Je comprends Sam. Ce n’est pas facile. Tu t’y feras avec le temps. Pour l’instant pense juste aux bons moments que vous avez vécus ensemble.C’est tout ce qu’il reste maintenant.

— Merci d’être venu. Ça me fait énormément plaisir, dit-elle en essuyant ses larmes du revers de la main. Elle me fit deux baisers sur les joues.

— On a apporté ceci, dit Jessica. On a pensé que ce serait utile.

Je lui tendis les deux paquets que nous avions apportés avec nous. Deux paquets de sucres et deux énormes boites de lait concentré. Jessica n’aimait pas se présenter à de telles occasions les mains vides. Elle disait que ce n’était pas bien. Pourtant au cours de ces années, il nous était arrivé plusieurs fois d’être les seuls convives à apporter des cadeaux à une réception.

— C’est très gentil à vous. Pas comme tous ceux-là, murmura Lema en riant.

— Elle est belle votre tenu, lançai je.

— Ah ! Merci Thierry. C’était la couleur préférée du papillon. Elle était un peu styliste sur les bords.Elle avait réellement bon gout.

— C’est ce que je constate.

— Alors je vous rejoins à la cuisine ? Vous ne refuserez pas deux bras de plus, j’espère.

— Non. Non. Tu peux venir. Mais tu laisses ton mec tout seul ?

— Il est assez grand pour se débrouiller.

— Tu n’as pas peur qu’on te le pique ?

— Oh, il sait qu’il n’a pas intérêt à regarder une autre, lança ma petite amie en riant. Elle me donna un baiser sur la bouche avant de disparaitre dans la foule. J’en profitais pour rejoindre un groupe d’étudiants de l’UPG que j’avais reconnu dans la deuxième tente. La nuit se passa sans incident. Depuis l’extérieur, on entendait les témoignages des proches de Rhianne qu’accompagnait la chorale.

A minuit, ma petite amie n’était toujours venue me rejoindre. Je l’avais aperçu ici et là servant des tasses de cafés et distribuant des canapés mais on ne s’était pas parlé. Vers deux heures du matin, la fraicheur était à son comble. Il était tard, nous devions rentrer.

A deux heures et demie, il se mit à pleuvoir. Une énorme pluie se déversa sur la capitale. Jessica qui était venue me rejoindre s’assit près de moi sur les chaises plastiques. Lema qui l’avait accompagnée se joint à nous.

— Je suis exténuée, dit-elle en se laissant choir sur le siège.

— T’as pas intérêt, la nuit ne fait que commencer, la chambra Jess.

— Oh, il ne reste que deux heures avant le lever du jour. Et notre prochain tour de café est dans une heure. Heureusement les gens s’en vont peu à peu.

— Ouais, lança Jessica quand soudain, une femme nous aborda. Il me sembla qu’elle faisait partie de la chorale. J’avais cru l’apercevoir pendant la parade que son groupe avait faite au cours de la nuit. Ils étaient passés sous toutes les tentes pour faire danser et chanter qui voulait.

— Jeunes gens, bonsoir, nous dit-elle. Elle s’assit près de nous sur une chaise qui trainait vide aux environs de notre petit cercle.

— Bonsoir Madame, rendit Lema. Nous nous occuperons de vous dans bientôt.

La dame sourit.

— Vous croyez en Dieu ? Nous demanda-t-elle. Jessica répondit que oui. Croyez-vous aux esprits de mort ?

Et nous nous regardâmes curieux et apeurés. Qu’est-ce qu’elle nous voulait celle-là ?

— Madame…

— N’ayez pas peur. Je sais que ce n’est pas habituel. Mais j’ai l’habitude. Votre amie est parmi nous, ajouta la femme. Nous prîmes encore plus peur. De quelle amie parle-t-elle ? C’est à cause d’elle qu’il pleut. Elle est très triste. Elle a mal.Elle est partie trop tôt. Ce n’était pas son heure.

— Elle qui ? Rhianne ? interrogea Lema presqu’affolée.

— Oui. C’était une belle femme hein.Elle n’a pas arrêté de pleurer toute la nuit.

Lema tiqua. Elle fit couler deux larmes.

— Vous mentez !

— Avez-vous acheté deux robes bleues identiques que vous comptiez porter après votre soutenance ?

Lema éclata encore plus en sanglot sous mes yeux stupéfaits.

— Personne n’était au courant de cela, dit-elle à Jessica. Dans ses yeux, il y’avait une sorte de mélange de peur et d’espoir.

— Elle dit qu’elle t’aime et qu’elle veille sur toi, lança la femme. Puis se retournant vers Jessica puis vers moi, elle ajouta, A vous, elledit merci, que vous y arriveriez. Elle vous aidera.

—Sérieusement ?Vous la voyez là ? Elle est où ?

— Si je vous le dis, vous vous en fuirez ! Peut-être qu’elle est juste derrière vous. Jessica sursauta. Ou à sa droite, elle désigna Lema. Ou bien, elle est près de ce jeune homme.Nous ne teignions plus en place. Regardant autour de nous, sans pouvoir rien voir. Qu’espérons-nous avec nos yeux de simples mortels ?

—Elle me manque.

— Tu lui manques aussi. Voilà pourquoi elle n’est pas heureuse, ajouta la femme. Elle est très en colère et se sent seule.La femme s’exprimait ainsi comme absorbée par ses pensées. Elle bouscula la tête comme refusant ce qu’elle y percevait. Non… il y’aura beaucoup de morts. Beaucoup de morts.Dans les prochains jours, beaucoup vont mourir.

—Nous allons mourir mais pourquoi ?

— Pas vous mais ceux qui l’ont tué la rejoindront bientôt ! Sourit la femme. Vous savez les âmes meurtris se vengent toujours. Elle ne trouvera pas le repos tant que ce ne sera pas fait.

— Mais qui l’a tué ?

— Vous le saurez sans doute avant moi. Mais faites attention. Méfiez-vous de vos proches.

—Nos proches…

— Oui, et il faut beaucoup prier. Je sens des ondes bizarres autour de vous trois. Vous êtes en danger. Des gens essayeront de vous faire du mal. Il faut vraiment prier, dit-elle en se levant.

Nous l’observâmes s’en aller sans pouvoir rien dire d’autres, pétrifiés par les révélations que nous venions d’entendre. Mais encore plus par le fait que nous nous savions en danger de mort.

La dame se retourna, et nous sourit.

— Elle vous souhaite bonne chance pour vos soutenances. Tout se passera bien.

Nous quittâmes la soirée dès que la pluie eut un peu baissé. Il était quatre heures et demiedu matin. Lema nous accompagna sur la voie principale où nous devrions prendre notre taxi. Pendant que j’attendais les filles échangeaient sur ce qui venait de nous arriver.

— Madame Lema ? Appela une personne qui émergeait du noir. Votre voiture a été cassée.

—Ma voiture ? Je ne suis pas arrivée avec. Du moins, ce n’est pas moi qui l’ai conduite jusqu’ici où est Rebecca ?

J’arrêtai ma besogne et me rapprochai d’elles.

— Que se passe-t-il ?

— Il semble que ma voiture ait été cassée.

— J’espère qu’il n’y avait rien de précieux.

— Non, pas grand choses. Peut-être les papiers. En fait, je me suis déplacé avec celle de Rhianne pour aller faire des courses. Rebecca conduisait la mienne.

—En fait, repris la fille avec hésitation, celle de Madame Nyingone aussi.

Nous regardâmes, et nous empressâmes d’aller voir ce qui se passait. Il n’était pas normal que les deux véhicules de ces filles soient pris pour cibles le même soir. En plus, ils n’étaient pas stationnés au même endroit. C’était une suspecte coïncidence encore une fois.La dame avait dit que nous étions en danger. La vérification faite autour de cette casse nous révéla ce que l’on craignait le plus. Quelqu’un quelque part voulait mettre la main sur le sac de Rhianne. Mais qui cela pouvait bien être ?

Il fallait qu’on le découvre au plus vite.

     
Sombre Affaire V4